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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 26 mars 2024, n° 23/00498

POITIERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LA ROCHE GARENNE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseiller :

M. Vetu

Conseiller :

M. Lecler

Avocat :

Me Chalopin - SELARL ATLANTIC-JURIS

Avocats :

Me Mazaudon - SELARL JURICA, Me Morino

CA Poitiers n° 23/00498

25 mars 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 05 avril 2013, la société Allo Ouest Pare-Brise, dont le gérant est Monsieur [D] [F], a souscrit auprès de la société Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne (ci-après 'le Crédit Mutuel') deux prêts :

- l'un, n°[Numéro identifiant 2]879602 d'un montant de 170.000 €, amortissable en 84 mensualités de 2.212,71 € au taux de 2,56 % l'an ;

- l'autre, n°[Numéro identifiant 2]879603 d'un montant de 30.000€, remboursable en 84 mensualités de 386,34€ au taux de 2,25 % l'an.

Sur le même acte et le même jour, Monsieur [F] s'est engagé en qualité de caution solidaire de la société, avec renonciation au bénéfice de discussion, dans la limite de la somme de 50.000 € pour une durée de 108 mois.

Le 10 avril 2019, la société Allo Ouest Pare-Brise a souscrit auprès du Crédit Mutuel un prêt n°[Numéro identifiant 2]879606 d'un montant de 150.000 €, payable en 84 mensualités de 1.986,90€ au taux de 2,25 % l'an. Dans les mêmes conditions, Monsieur [O] [W] s'est engagé en qualité de caution solidaire de la société, avec renonciation au bénéfice de discussion, dans la limite de la somme de 60.000€ pour une durée de 112 mois.

Le 04 mars 2020, le tribunal de commerce de La Roche sur Yon, a placé la société Allo Ouest Pare-Brise en redressement judiciaire et a désigné la SELARL Pelletier ès qualités de mandataire judiciaire.

Le 10 mars 2020, le Crédit Mutuel a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire notamment représentée par les sommes suivantes :

- 305,76 € échus et 47.776,61 € à échoir, outre indemnité au titre du prêt n°[Numéro identifiant 2]879602,

- 1.154,68 € à échoir, outre indemnité au titre du prêt n° [Numéro identifiant 2]879603,

- 5.960,70 € échus et 138.381,68 € à échoir, outre indemnité au titre du prêt n°[Numéro identifiant 2]879606.

Le 13 janvier 2021, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en procédure de liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de La Roche sur Yon.

Le 28 janvier 2021, le Crédit Mutuel a mis en demeure Monsieur [F] de lui payer la somme de 110.000€ au titre de ses deux engagements de caution.

Le 05 mai 2021, le Crédit Mutuel a attrait Monsieur [F] devant le tribunal de commerce de La Roche sur Yon.

Dans le dernier état de ses écritures, le Crédit Mutuel a demandé notamment au juge de condamner Monsieur [F] à payer les sommes suivantes :

- 50.000,00 € correspondant au plafond de son engagement de caution augmenté du montant des intérêts au taux légal courus depuis la mise en demeure en date du 28 janvier 2021 et jusqu'à parfait paiement, au titre du solde de 51.756,48 €, outre les intérêts contractuels restant dû sur le prêt professionnel cautionné n° [Numéro identifiant 2]879602 au 18 Mars 2021, date du dernier décompte,

- 60.000,00 € correspondant au plafond de son engagement de caution augmenté du montant des intérêts au taux légal courus depuis la mise en demeure en date du 28 Janvier 2021 et jusqu'à parfait paiement, au titre du solde de 154.909,28 €, outre les intérêts contractuels restant dû sur le prêt professionnel cautionné n°[Numéro identifiant 2]879606 au 18 Mars 2021, date du dernier décompte,

- 2.000 € au titre des frais irrépétibles.

Par jugement en date du 07 février 2023, le tribunal de commerce de La Roche sur Yon a statué ainsi :

- Dit et juge nuls et de nul effet les deux actes de cautionnement pris par Monsieur [F] en date du 05 avril 2013 dans la limite de 50.000 € et en date du 10 avril 2019 dans la limite de 60.000 € ;

- Déboute le Crédit Mutuel de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamne le Crédit Mutuel à payer à Monsieur [F] la somme de 1.000€ au titre des frais irrépétibles.

Par déclaration en date du 27 février 2023, le Crédit Mutuel a relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués.

Le Crédit Mutuel, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 17 janvier 2024, demande à la cour de :

- La juger recevable en son action ;

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de La Roche-Sur-Yon en date du 07 février 2023 [N°RG 2021002321] en ce qu'il a :

dit et jugé nuls et de nul effet les deux actes de cautionnement pris par Monsieur [D] [F], en date du 5 avril 2013, dans la limite de 50.000 euros et en date du 10 avril 2019, dans la limite de 60.000 euros ;

débouté la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA ROCHE GARENNE de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

condamné la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA ROCHE GARENNE à payer à Monsieur [D] [F] la somme de 1.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

la condamné aux entiers frais et dépens de l'instance dans lesquels seront compris les frais et taxes y afférents et notamment les frais de Greffe liquidés à la somme de 69,59 euros.

Statuant à nouveau,

- Débouter Monsieur [D] [F] en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Juger que les actes de cautionnement souscrits les 05 avril 2013 et 10 avril 2019 ne sont pas manifestement disproportionnés aux biens et revenus de la caution, au jour de son engagement,

- Juger que Monsieur [R] [F] n'était pas une caution non avertie,

- Juger que sa créance est certaine et exigible,

- Condamner Monsieur [D] [F] au paiement entre les mains de la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine la somme de :

50.000 € correspondant au plafond de son engagement de caution augmentée du montant des intérêts au taux légal courus depuis la mise en demeure en date du 28 janvier 2021 et jusqu'à parfait paiement, au titre de son engagement de caution souscrit le 05 avril 2013 ;

60.000 € correspondant au plafond de son engagement de caution augmentée du montant des intérêts au taux légal courus depuis la mise en demeure en date du 28 janvier 2021 et jusqu'à parfait paiement, au titre de son engagement de caution souscrit le 10 avril 2019.

- Ordonner la capitalisation des intérêts ;

- Condamner Monsieur [D] [F] au paiement entre les mains de la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine d'une indemnité de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner Monsieur [D] [F] au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL ATLANTIC JURIS représentée par son Associé Maître Philippe Chalopin, Avocat inscrit au Barreau de La Roche-Sur-Yon.

Monsieur [O] [W], par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 08 janvier 2024, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :

jugé nuls les actes de cautionnement ;

débouté la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne, devenue la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine, de l'ensemble de ses demandes;

condamné la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne, devenue la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine, à payer à Monsieur [D] [F] la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Subsidiairement,

- Juger disproportionnés les cautionnements donnés par Monsieur [D] [F] ;

- Débouter la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne, de l'ensemble de ses demandes ;

Encore plus subsidiairement,

- Condamner la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne à payer à Monsieur [F] la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts.

A titre infiniment subsidiairement,

- Juger que la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne ne rapporte pas la preuve d'une créance certaine et exigible ;

- Débouter la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne de l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

- Condamner la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne à payer à Monsieur [D] [F] la somme de 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L'instruction de l'affaire a été clôturée suivant ordonnance datée du 17 janvier 2024 en vue d'être plaidée à l'audience du 14 février 2024, date à partir de laquelle elle a été mise en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité des engagements de caution

Concernant l'engagement de caution du 05 avril 2013

Sur le respect des conditions de forme

1. L'article L. 341-2 du Code de la consommation dans sa version en vigueur applicable au 05 avril 2013 dispose :

'Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même."

2. L'appelante explique que la caution n'a pas pu se méprendre sur le sens et la portée de son engagement dès lors qu'il s'agit d'une erreur matérielle mineure et que l'oubli de l'article 'du' entre les mots 'paiement' et 'principal' est immédiatement précédé de la formule prévue par la loi.

3. Toutefois, c'est par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le premier juge a retenu que cette omission rendait la mention inintelligible, en modifiant son sens et sa portée, la phrase 'couvrant le paiement principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités de retard' ne pouvant avoir la même signification que la phrase 'couvrant le paiement du [souligné par la cour] principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités de retard'.

4. De la sorte la nullité est encourue.

Sur la sanction

5. Il est établi que la violation du formalisme de l'article L. 341-2 du Code de la consommation, qui a pour finalité la protection des intérêts de la caution, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle elle peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l'affectant.

6. La cour observe qu'aucun des éléments produits au débat par la banque ne vient indiquer que la caution ait eu connaissance de l'irrégularité affectant son engagement de caution du 05 avril 2013 et qu'elle ait eu l'intention de la réparer par une exécution volontaire, de sorte qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise sur ce point.

Concernant l'engagement de caution du 10 avril 2019

7. L'article L. 331-1 dans sa version applicable à la date du 10 avril 2019 :

'Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci :

" En me portant caution de X...................., dans la limite de la somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X.................... n'y satisfait pas lui-même."

8. Le Crédit Mutuel explique que la nullité retenue par le premier juge n'est pas encourue dès lors que, si la signature portée en page 13 de l'acte de cautionnement ne suit pas immédiatement la mention manuscrite portée en page 12, c'est du fait de l'ampleur de ladite mention et qu'en outre, Monsieur [F] a paraphé la mention manuscrite en page 12.

9. L'intimé objecte que la loi impose que la signature de la caution figure sous la mention manuscrite et ne doit pas seulement être 'enchâssée dans le texte' ainsi que l'a rappelée la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 26 juin 2019 (n°18-14.633).

10. La cour observe que sur les deux griefs formés contre l'acte et repris en cause d'appel par l'intimé (page 5 de ses écritures), les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance.

11. Conformément aux dispositions de l'article 955 du Code de procédure civile, en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties.

12. Il convient en conséquence d'approuver les premiers juges quant à la motivation sur ce point.

14. S'agissant de la signature portée sur une page autre que celle supportant la mention manuscrite, la cour indique, en revanche, que la nullité n'est pas encourue dès lors que la signature, apposée dans l'emplacement dactylographié prévu à cet effet dans l'acte, suit immédiatement la mention manuscrite comme le requiert la loi sans aucun ajout entre eux, et que le fait que cette signature figure à la page suivante par un visible manque d'espace, ne peut être considéré comme susceptible d'avoir affecté le sens et la portée de l'engagement que Monsieur [F] a pris en connaissance de cause, ce d'autant encore, que son paraphe figure à côté de ladite mention manuscrite, comme d'ailleurs, sur l'ensemble des autres pages de l'acte.

15. La décision entreprise sera consécutivement réformée, le Crédit Mutuel pouvant se prévaloir du cautionnement de 60.000 € recueilli le 10 avril 2019, sauf existence de la disproportion alléguée par la caution.

Sur la disproportion de l'engagement de caution du 10 avril 2019

16. L'article L 332-1 du Code de la consommation dispose qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

17. Il est constant qu'il appartient à la caution qui entend opposer les dispositions de l'article L.332-1 de rapporter la preuve du caractère disproportionné de son engagement par rapport à ses biens et revenus. Cependant, il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, soit au jour où la caution est assignée, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

18. La disproportion du cautionnement aux biens et revenus de la caution suppose que cette dernière se trouve, lorsqu'elle s'engage, dans l'impossibilité manifeste de faire face à son obligation avec ses biens et revenus, la jurisprudence considère qu'il y a disproportion manifeste dès lors que l'engagement de la caution, même modeste, est de nature à la priver du minimum vital nécessaire à ses besoins et à ceux des personnes qui sont à sa charge.

19. La disproportion s'apprécie, lors de la conclusion du contrat de cautionnement, au regard de tous les éléments du patrimoine de la caution, actifs comme passifs, tant en ce qui concerne les biens propres que les biens communs, en prenant en considération l'endettement global de la caution y compris celui résultant d'engagements de caution, et l'actif constitué par les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d'associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée, mais pas au regard des revenus escomptés de l'obligation garantie.

20. L'appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l'engagement, le montant de la dette garantie aux biens et revenus de la caution, à ses facultés contributives.

21. Le créancier professionnel n'est pas tenu par les dispositions susvisées, de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement mais quand il le fait, il est en droit de se fier aux informations communiquées par la caution, sauf anomalies apparentes ou sauf si malgré la cohérence des éléments figurant dans la fiche d'information, la banque ne pouvait pas ignorer l'existence d'autres charges, ou bien encore, lorsque la déclaration ne permet pas d'informer la banque de certains éléments essentiels, qui permettraient d'établir le caractère disproportionné du cautionnement.

22. A propos de ce cautionnement, le Crédit Mutuel, détaillant les biens et revenus déclarés dans les fiches caution renseignées par Monsieur [F] pour les besoins du prêt du 05 avril 2013, mais également du 10 avril 2019, assure que l'engagement de caution du 10 avril 2019 n'était pas disproportionné.

23. L'intimé conteste l'évaluation des parts sociales dans les sociétés Solar Environnement, Allo Ouest Pare-Brise et la SCI EPMR réalisée par la banque au vu de la fiche établie en 2013 en faisant valoir que le Crédit Mutuel confondrait valeur nominale et valeur réelle des titres et produit au débat une valorisation des parts sociales effectuée par son expert-comptable.

24. La cour observe, à ce stade, que la banque se fonde sur des éléments probatoires totalement étrangers à la fiche caution établie le 04 février 2019 et que Monsieur [F], qui doit apporter la preuve de la disproportion, en fait de même, sans qu'aucune de ces deux parties n'en contestent le bienfondé. Consécutivement, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des éléments fournis pour établir l'existence ou non d'une disproportion au moment de la signature de l'acte du 10 avril 2019 dès lors, toutefois, qu'ils ne s'avèrent pas contraires aux informations contenues dans la fiche précitée du 04 février 2019 et aux informations que la banque avait en sa possession.

25. Ainsi, à l'époque de son engagement de caution, Monsieur [F] qui a conclu un PACS et est père d'un enfant de neuf années justifie au regard des pièce produites :

- De revenus annuels de 19.600 € (salaires plus dividendes) et de charges annuelles d'emprunts représentant la moitié de 13.096,20 €, (prêt immobilier réglé par moitié avec sa partenaire), soit un boni net de 13.051,90 € ;

- D'une maison d'habitation située sur la commune de [Localité 5] estimée dans la fiche caution de 2019 par l'intimé à la somme de 200.000 € pour un capital restant dû de 124.520,41 € (23.161,27€ + 52.318,32 € selon tableaux d'amortissement à l'acte de prêt authentique en date du 05 août 2010), conforme aux déclarations de la caution qui concède, dans la fiche, un passif résiduel à apurer sur environ six années. Dès lors le patrimoine net immobilier de Monsieur [F] sera fixé à la somme de 37.740 € (200.000 € - 124.520 €/2) ;

- De parts sociales qui ne sont estimées, ni dans la fiche caution de 2013, ni dans celle établie en 2019. Les parties avancent des valeurs puisées dans des documents allant de l'année 2010 à l'année 2021 ;

pour la société Solar Environnement : les parties s'accordent sur la somme de 14.450 €;

pour la société Allo Ouest Pare-Brise : estimées à la somme de 98.000€ par la banque et à l'euro symbolique par la caution.

La cour estime que la valeur du fonds ne peut être réduite à la somme versée pour une acquisition dans le cadre d'une liquidation judiciaire et retient que l'intimé indique lui-même que la valorisation d'une société se calcule d'après sa rentabilité, c'est-à-dire 'ce que son activité est capable de dégager comme profit'. Sans s'arrêter à la seule valeur du fonds de commerce déprécié en 2019 à la somme de 473.500 €, la cour observe que l'expert-comptable retient un excédent brut d'exploitation de 49.058 € correspondant au profit dégagé sur cette période. Aussi, conformément au indications fournies par l'intimé et en l'absence d'éléments contraires, la cour retiendra une valeur de cette société pour le somme de 49.058 € ;

pour la SCI EPMR : la Banque allègue une valorisation de 22.077 €, contre 22.316 € pour la caution, de sorte qu'il convient de retenir cette dernière.

- Trois engagements de caution dont celui de 60.000 € recueilli pour les besoins du prêt du 10 avril 2019, portant le montant des sûretés consenties à la somme de 125.000 € (50.000 € pour le cautionnement de 2013 outre un cautionnement consenti à la Banque [J] de 15.000 € inscrit dans la fiche), cette somme globale devant être retenue intégralement sans qu'il y ait lieu de rechercher si elle a été effectivement mobilisée ;

26. Il ressort des éléments qui précèdent qu'à la date de son engagement de caution, le 10 avril 2019, et le patrimoine net et les ressources nettes de Monsieur [F] à hauteur de 136.615,90 € (13.051,90 € + 14.450€ + 49.058 € + 22.316 € + 37.740 €), lui permettaient de faire face à l'ensemble des engagements de caution (125.000 €) sans le priver du minimum vital nécessaire à ses besoins et à ceux des personnes éventuellement à sa charge.

27. La décision sera réformée de ce chef.

Sur les sommes dues au titre de l'engagement de caution du 10 avril 2019

28. L'appelante explique, au regard de l'ancien article 2298 du Code civil, qu'elle est bien-fondée à obtenir la condamnation de Monsieur [F] à lui payer la somme de 60.000€ correspondant au plafond de son engagement de caution augmentée du montant des intérêts au taux légal courus depuis la mise en demeure en date du 28 janvier 2021 et jusqu'à parfait paiement, au titre de son engagement de caution souscrit le 10 avril 2019.

29. L'intimé objecte, au visa de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier qu'il n'est pas apportée la preuve du caractère certain de la créance du Crédit mutuel dès lors que les copies des courriers produits au titre de 'l'information caution' ne sont pas réguliers et, partant, sont équivalents à un défaut d'information selon la jurisprudence, dès lors que la date de fin du cautionnement est inexact. Par ailleurs, cette information de la caution ferait également défaut du fait qu'aucune preuve de son envoi à la caution résulterait du procès-verbal de constat d'huissier, son nom ne figurant pas en effet dans les pages de ce procès-verbal.

30. A titre liminaire, la cour rappelle que la sanction du défaut d'information de la caution est la déchéance du droit aux intérêts contractuels mais ne peut servir à dénier au prêteur l'existence d'une créance certaine et exigible.

31. En effet, aux termes de l'article L. 313-22, pris en son deuxième alinéa, le défaut d'accomplissement de cette information emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus entre la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information.

32. La cour ajoute que ce texte a été abrogé à compter du 1er janvier 2022 par l'ordonnance du 15 septembre 2021 relative à la réforme des sûretés et l'obligation d'information et sa sanction, qui sont restées identiques, ont été intégrées aux nouveaux articles 2302 à 2304 du code civil.

33. Selon l'article 37 de l'ordonnance susmentionnée, l'obligation d'information issue des nouveaux textes est applicable à compter du 1er janvier 2022 aux cautionnements conclus avant cette date.

34. Cette obligation incombe au prêteur jusqu'à l'extinction de la dette et il est établi que la charge de la preuve de l'exécution de cette obligation incombe au créancier professionnel. La production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi.

35. Mais il n'incombe pas au prêteur de démontrer que la caution a reçu cette lettre d'information.

36. La banque a versé les courriers d'information de chacun des prêts pour les périodes allant du 24 février 2014 au 03 mars 2020, et comportant l'ensemble des informations requises par ce texte.

37. La banque a également versé les constats d'huissiers réalisés entre le 19 mars 2014 et le 19 mars 2019, dont leurs auteurs ont assisté aux dates susdites à l'édition et à la mise sous pli et l'expédition des lettres d'informations annuelles adressées aux cautions de la banque, et ont procédé à un contrôle par sondage.

38. La cour rappelle que la banque peut seulement se prévaloir de l'engagement de caution du 10 avril 2019 de sorte qu'il y a lieu de retenir, pour ce prêt, qu'elle n'a justifié de l'envoi à la caution d'aucune courrier d'information en ce qui concerne ce dernier prêt, le dernier procès-verbal de constat ne pouvant intéresser un prêt qui a été ultérieurement accordé. La banque devait justifier d'une information à compter du 31 mars 2020, ce qu'elle n'ignorait pas puisqu'elle produit une lettre datée du 03 mars 2020 à cet effet.

39. Il y aura donc lieu d'ordonner la déchéance des intérêts conventionnels à compter du 31 mars 2020 sur le fondement de ce texte, et de dire que dans les rapports entre la banque et la caution, les entiers paiements réalisés seront réputés s'imputer intégralement sur le seul capital.

40. La caution restant néanmoins tenue aux intérêts au taux légal à compter de sa mise en demeure, ces intérêts courront sur la somme de 141.716,76 € (capital restant dû au 31 décembre 2019 selon la lettre d'information). Cette somme assortie de l'intérêt au taux légal étant très supérieur en tout état de cause à l'engagement de caution de Monsieur [F], il s'ensuit que la banque est fondée à mobiliser la caution dans la limite de son engagement, c'est-à-dire, la somme de 60.000 €.

41. Monsieur [F] sera donc condamné à payer cette somme au Crédit Mutuel, laquelle sera assortie de l'intérêt au taux légal à compter du 28 janvier 2021, date de la mise en demeure, sans qu'il ne soit fait droit à la demande de capitalisation des intérêts, celle-ci n'étant pas prévue à l'acte de cautionnement comme le requiert l'article 1343-2 du Code civil et la cour n'entendant pas user de cette possibilité.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du devoir de mise en garde

43. En application des articles 1103, 1104, 1194 et 1231-1 du Code civil que les conventions qui doivent être exécutées de bonne foi, obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leurs donnent l'équité, l'usage ou la loi. La partie contractante qui n'a pas exécuté ses obligations peut être condamnée à des dommages et intérêts.

44. En application de ces textes, la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté à ses capacités financières ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

45. L'assujettissement au devoir de mise en garde suppose, d'une part, un risque d'endettement excessif et, d'autre part, que le client soit non averti, ces deux conditions cumulatives s'appréciant successivement et dans cet ordre.

46. Le dommage résultant d'un manquement à l'obligation d'information, de conseil ou de mise en garde ne consiste qu'en une perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses.

47. Le préjudice consécutif au manquement d'un établissement de crédit à son devoir de mise en garde à l'égard d'une caution consiste dans la perte de la chance d'éviter, en ne se rendant pas caution, le risque qu'on lui demande de payer la dette garantie. La perte de chance se mesure ainsi à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

48. Le Crédit Mutuel soutient n'être débiteur d'aucune obligation de mise en garde de Monsieur [F] dès lors qu'il était une caution avertie en 2019 pour :

- Avoir souscrit deux emprunts auprès de son établissement outre deux engagements auprès de la Banque [J], pour les besoins desquels il s'était porté caution ;

- Etre associé et dirigeant de la SARL Allo Ouest Pare-Brise ainsi que de la SAS Solar Mac et la SCI EPMR de sorte qu'il disposait manifestement, au regard de ses fonctions de direction, 'de la capacité à mesurer la portée de son engagement'.

49. Subsidiairement, le Crédit Mutuel fait remarquer que la caution ne démontre nullement qu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, résultant de l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur débiteur principal.

50. L'intimé objecte qu'il n'a aucune connaissance en matière financière et rappelle que le premier juge a constaté que les mentions manuscrites des cautions étaient dépourvues de sens, preuve qu'il n'a pas connaissance du mécanisme. Il rappelle également avoir déclaré dans sa fiche patrimoniale être titulaire d'un 'BTS Traitement des Eaux' et d'un bac commerce pour exercer une activité professionnelle de remplacement de pare-brise de sorte qu'il ne peut être assimilé à un spécialiste du financement.

Sur le risque d'endettement excessif, il explique avoir démontré que son patrimoine et revenus étaient totalement insuffisants pour rembourser la banque de sorte qu'il était dans l'impossibilité de substituer le débiteur principal dans ses paiements.

51. La cour indique, comme il l'a été précédemment examiné, que les trois cautionnements souscrits par Monsieur [F] représentaient un montant cumulé de 125.000 € alors que celui-ci disposait, à la date de son engagement du 10 avril 2019, d'un patrimoine propre de commun de 130.067,80 €.

52. La cour rappelle, qu'il résulte de ces éléments, qu'aux dates où l'engagement de caution a été souscrit, celui-ci était adapté aux capacités financières de Monsieur [F], de sorte que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde.

53. Quant au risque d'endettement né de l'octroi du prêt, Monsieur [F] n'en fait nullement état, ne prétend pas que les prêts consentis à la la SARL Allo Ouest Pare-Brise, emprunteur, étaient inadaptés aux capacités financières de cette dernière, et ne produit aucune pièce, notamment comptable, relative à cette société.

54. Ainsi, sans examiner la condition tenant au caractère averti ou non de la caution, il n'est donc pas établi que la banque était tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard de Monsieur [I] en cette qualité.

55. Monsieur [F] sera débouté de la demande de dommages et intérêts formée de ce chef.

Sur les autres demandes

56. Il apparaît équitable de condamner Monsieur [F] à payer au Crédit Mutuel une indemnité de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée au même titre par l'intimé.

57. Monsieur [F] qui échoue en ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme partiellement les dispositions contestées du jugement du tribunal de commerce de La Roche-Sur-Yon daté du 07 février 2023,

Statuant à nouveau,

Dit que la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne peut se prévaloir de l'engagement de cautionnement solidaire souscrit par Monsieur [D] [F] en garantie du prêt n°[Numéro identifiant 2]879606 d'un montant de 150.000 €,

Condamne Monsieur [D] [F], en sa qualité de caution, à payer à la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne la somme de 60.000 € assortie de l'intérêt au taux légal à compter du 28 janvier 2021,

Dit que la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne n'était pas tenue à une devoir de mise en garde à l'égard de Monsieur [D] [F] en ce qui concerne le prêt n°[Numéro identifiant 2]879606 d'un montant de 150.000 € souscrit le 10 avril 2019 par la société Allo Ouest Pare-Brise,

Déboute Monsieur [D] [F] de la demande de dommages et intérêts formée à ce titre,

Confirme pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [D] [F] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel Roche Alienor d'Aquitaine anciennement dénommée la Caisse de Crédit Mutuel de La Roche Garenne une indemnité de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,

Rejette les autres demandes,

Condamne Monsieur [D] [F] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL ATLANTIC JURIS représentée par son associé Maître Philippe Chalopin, Avocat inscrit au Barreau de La Roche-Sur-Yon.

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