CA Dijon, ch. soc., 23 octobre 2025, n° 23/00587
DIJON
Arrêt
Autre
[T] [L]
C/
S.A. PAUL SAPIN
CCC délivrées
le : 23/10/2025
à : Me BELLVILLE
Me BUISSON
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le : 23/10/2025
à : Me LIONS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2025
MINUTE N°
N° RG 23/00587 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GJFU
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MACON, section EN, décision attaquée en date du 02 Octobre 2023, enregistrée sous le n° F23/00046
APPELANTE :
[T] [L]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Jean-Philippe BELVILLE, avocat au barreau de Lyon et Me Georges BUISSON, de la SELARL CABINET COTESSAT - BUISSON, avocat au barreau de Mâcon
INTIMÉE :
S.A. PAUL SAPIN
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Charlotte LIONS de la SELAFA BARTHELEMY ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2025 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur UGUEN-LAITHIER, conseiller chargé d'instruire l'affaire et qui a fait rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
François ARNAUD, président de chambre,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, conseiller,
Florence DOMENEGO, conseillère,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Léa ROUVRAY,
DÉBATS: l'affaire a été mise en délibéré au 23 Octobre 2025
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par François ARNAUD, Président de chambre, et par Léa ROUVRAY, Greffier placé, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Mme [T] [L] a été embauchée le 2 mai 2016 par la société PAUL SAPIN par un contrat à durée indéterminée en qualité de responsable approvisionnement et achat étiquettes / gestion impressions internes.
Par avenant du 1er juillet 2017, elle a été nommée sur le poste de responsable planification et approvisionnement, statut cadre.
Par lettre du 19 avril 2022 délivrée le 22 suivant à son employeur, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par requête du 21 juin 2022, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Mâcon afin de juger que sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, et condamner l'employeur aux conséquences indemnitaires afférentes, outre des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement du 2 octobre 2023, le conseil de prud'hommes de Mâcon a rejeté l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration formée le 19 octobre 2023, Mme [L] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 11 janvier 2024, l'appelante demande de :
- réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- juger que le harcèlement moral de l'employeur est constitutif d'un manquement à son obligation de sécurité qui l'a contrainte à prendre acte de la rupture de son contrat de travail,
à titre principal,
- condamner la société PAUL SAPIN à lui payer les sommes suivantes :
* 33 800 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
* 6 760 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 676 euros au titre des congés payés afférents,
à titre subsidiaire,
- condamner la société PAUL SAPIN à lui payer les sommes suivantes :
* 20 280 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, * 6 760 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 676 euros au titre des congés payés afférents,
en tout état de cause,
- condamner la société PAUL SAPIN à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- condamner la société PAUL SAPIN à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre 2 500 euros au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens,
- la condamner à lui remettre tous les documents sociaux rectifiés, notamment un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi sous astreinte de 100 euros par jour de retard a compter de la date "du jugement à intervenir" et par catégorie de document.
Aux termes de ses dernières conclusions du 9 avril 2024, la société PAUL SAPIN demande de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
à titre principal,
- constater que Mme [L] ne rapporte nullement la preuve de manquements d'une gravité imposant la rupture immédiate du contrat de travail,
- constater que la prise d'acte doit être requalifiée en démission,
- constater l'absence de préjudice,
- la débouter de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à lui verser la somme de 10 140 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
en tout état de cause,
- la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la qualification de la prise d'acte :
La prise d'acte par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, ou d'une démission dans le cas contraire.
La charge de la preuve incombe au salarié.
L'article L.4121-1 du code du travail dispose que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, incluant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, sur le fondement de principes généraux de prévention cités par l'article L.4121-2 du même code.
L'employeur, débiteur envers le salarié d'une obligation de sécurité, supporte en cas de litige, la charge de la preuve du respect de celle-ci, conformément à l'article'1353, alinéa'2, du code civil.
Il résulte des dispositions de l'article L.1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 précise à sa suite qu'en cas de litige relatif à l'application notamment de l'article L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement.
Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement
En l'espèce Mme [L] a, par l'intermédiaire de son avocat, notifié sa prise d'acte par courrier du 19 avril 2022 dans les termes suivants :
"Je viens vers vous en qualité de Conseil de Madame [T] [L], qui est salariée de votre entreprise.
Par la présente, je vous notifie la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de ma cliente.
En effet, ma cliente m 'a décrit le climat professionnel délétère qu 'elle subit depuis 2019 en raison des reproches injustifiés, pressions et l'acharnement émanant de Monsieur [R] [K] sur sa personne.
Ces tensions professionnelles avaient déjà porté atteinte à l'état de santé de Madame [L] dans la mesure où cette dernière avait déjà fait l'objet d'un congé maladie sur la période du 22 octobre 2020 au 12 décembre 2020.
Ce n'est que grâce à la médiation qui avait été effectuée devant la responsable de Ressources Humaines Madame [M] [F], que ma cliente avait finalement repris ses fonctions croyant pouvoir retrouver une ambiance de travail sereine.
Malheureusement pour Madame [L], cette accalmie ne fut que de courte durée puisque dès le mois de mars 2021, Monsieur [K] a commencé à mettre la salariée à l'écart de toutes les décisions et informations importantes, pour finalement ne plus lui fournir aucune information depuis juin 2021.
Abandonnée à elle-même, il a même été indiqué à Madame [L] de "ne pas déranger ses autres collègues cadres car ils ont trop de travail" ; Plus d'une fois, ma cliente n'était informée que la veille pour le lendemain du manque d'effectif pour les heures supplémentaires, donc pas de prod, mais elle devait quand même continuer à planifier les productions, garantir les délais et justifier les ruptures... au risque de se reprendre des salves de réflexions injustifiées de la part de son supérieur hiérarchique.
Enfin, le 16 novembre 2021, Madame [L] a eu la surprise de se voir convoquée par son Directeur qui l'informait, sans consultation préalable, qu'il modifiait son poste. Donc après avoir assuré la gestion du service de appro habillages pendant 5 années, la salariée n'aurait subitement plus été en mesure d'occuper le poste de responsable planification, ordonnancement et approvisionnement habillages.
Face à ce changement de poste brutal et injustifié, la seule réponse donnée à la salariée suite à ses demandes d'explications a été : "Comme ça tu seras à mon service quand j'aurai besoin de toi... Si t'es contente, c 'est bien, si t'es pas contente, c 'est pareil".
En somme, malgré son investissement, ses qualités et compétences professionnelles avérées qui lui ont toujours permis de bien faire son travail voire même d'assumer la charge de 2 postes en même temps, le harcèlement que faisait subir Monsieur [R] [K] à Madame .[L] n'a fait que s'accentuer à tel point que la salariée a de nouveau du être placée en arrêt maladie.
Malgré le fait que ce nouvel (énième) arrêt maladie ait pris fin en date du 4 avril 2021, Madame [L] est jusqu'à l'heure actuelle, incapable de pouvoir à nouveau se confronter à l'attitude délétère de Monsieur [R] [K].
Vous conviendrez qu'une telle situation ne peut perdurer, ma cliente se retrouve donc contrainte à vous notifier la présente prise d 'acte de la rupture de son contrat de travail [...]" (pièce n°3).
sur le harcèlement moral :
Au titre des éléments qu'il lui incombe d'apporter s'agissant du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime de la part de son supérieur, M. [K], la salariée expose que :
- le comportement de M. [K] a entraîné une dégradation de ses conditions de travail, altérant sa santé physique, mentale et son avenir professionnel,
- l'entreprise SAPIN a manqué à son obligation de prévention et de sécurité, ce qui justifie la requalification de la prise d'acte en un licenciement nul pour cause de harcèlement moral,
- l'année 2019 a été chargée et éprouvante pour elle. Elle n'a cessé de réclamer de l'aide (au moins une personne à mi-temps) mais rien n'a été mis en place. Son implication faisait qu'elle se démenait pour tout réussir, ce qui a généré un stress conséquent au point de tomber malade pendant ses vacances,
- lors de son entretien annuel, elle a été prise à partie par M. [K] qui lui a reproché de ne pas avoir accepté une formation qui devait se dérouler sur son temps chômé (chômage partiel en juillet avec deux enfants qu'elle ne pouvait faire garder) courant juillet. Il lui a reproché de l'avoir contraint à chercher lui-même les dates d'approvisionnement pourtant gérées par un autre service, ne cessant de marteler que tous ces dysfonctionnements étaient de sa faute,
- sous le prétexte fallacieux de limiter les risques, M. [K] lui a interdit de déjeuner avec ses collègues comme elle avait l'habitude de le faire, ce qui l'isolait encore plus,
- en octobre, M. [K] lui a reproché d'assister un de ses collaborateurs au motif que "elle n'avait pas à se liguer contre la direction", alors qu'elle avait toujours pris soin de rassurer ses équipes, expliquer au mieux les décisions de la hiérarchie afin que le climat professionnel soit le plus serein possible,
- M. [K] se vantait de parvenir à la "faire réagir" alors qu'elle ne cessait de lui répéter que l'acharnement qu'elle subissait la faisait souffrir et dégradait son état de santé,
- M. [K] a voulu lui imposer de mettre son solde de congés payés sur son compte CPF en la menaçant de ne pas lui permettre de les prendre, alors qu'elle était simplement dans l'incapacité de prendre ses congés à cause du chômage partiel instauré au sein de l'entreprise,
- les décisions de M. [K] impliquaient de sa part la plus grande réactivité pour mettre en place la gestion des stocks de tous les produits et le lancement des productions dans les trois semaines suivantes. Malgré cela, elle a du composer avec l'absence d'une personne dans son équipe dès septembre 2019 et malgré la succession de trois personnes à ce poste, aucune n'y est restée car les missions étaient trop conséquentes pour être regroupées sur un seul poste. Entre chaque remplacement temporaire, elle gérait seule le poste,
- en août, de retour de congés, elle a été placée en chômage partiel à hauteur de 80% puis 60% alors que les tâches à effectuer ne diminuaient pas. Lorsqu'elle a signalé son incapacité à assumer sa charge de travail compte-tenu des 40% de temps chômé, M. [K] lui a simplement proposé de repasser à 80% au lieu d'un temps plein,
- en mai 2020, l'entreprise a été impactée par un virus informatique et la majorité du personnel a été avertie de ne pas se rendre sur le lieu de travail. Mais M. [K], outre le fait de ne pas l'avoir prévenue de ce problème informatique, lui a demandé de faire les plannings en utilisant sa mémoire, tous les moyens étant bons pour la déstabiliser et la mettre en difficulté,
- à son retour de congés au mois d'août, elle a été informée par M. [K] qu'elle devrait dorénavant gérer un autre service composé de 4 personnes et un autre site de stockage situé dans la commune voisine, sans aucune revalorisation de salaire. Cette décision lui a été imposée au motif d'une réorganisation de groupe,
- dès 2019, elle a alerté sa hiérarchie, en particulier le supérieur de M. [K]. Ce dernier l'a assurée qu'il prendrait attache avec lui pour arranger la situation mais il n'en a rien été,
- au moment de sa reprise, l'employeur n'a pas organisé de visite médicale et c'est elle-même qui en a pris l'initiative, espérant ainsi mettre un terme au contexte professionnel délétère qu'elle subissait. Mais M. [K] n'a pas pris conscience de son comportement nocif,
- en septembre elle a signalé que son bureau n'était plus nettoyé depuis environ un an et a saisi le CHSCT. Une réunion a eu lieu, des promesses ont été faites mais sans aucun effet. Cela démontre sa placardisation,
- ses derniers mois au sein de l'entreprise ont été très éprouvants. Elle souffrait de palpitations en permanence, de tremblements, d'une forte anxiété et de crises d'angoisse.
Au soutien de son affirmation d'un harcèlement moral subi, elle produit les éléments suivants :
- un compte rendu d'entretien individuel du 4 mai 2018 (pièce n°1),
- un compte-rendu de médiation du 9 décembre 2020 (pièce n°2),
- un courrier électronique du 20 octobre 2020 l'informant de son rétablissement à 100% (pièce n°5),
- la copie de ses arrêts de travail pour maladie du 22 novembre au 1er avril 2022 (pièce n°8),
- un certificat médical du docteur [O] (pièce n°10),
- une attestation et deux courriers de Mmes [Y] et [H] (pièces n°11 à 13).
La cour considère que ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Il incombe donc à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au titre de la charge de la preuve qui lui incombe, la société PAUL SAPIN oppose que :
- Mme [L] s'estime victime d'une mise à l'écart volontaire de la part de M.
[K] en étant privée de toute information importante. Or elle ne rapporte aucun élément concret au soutien de cette allégation au demeurant mensongère puisqu'elle était associée à toutes décisions de son ressort, étant notamment invitée à toutes les réunions stratégiques de la société (pièces n°11 et 12). En réalité, c'est elle qui refusait ces invitations,
- l'affirmation selon laquelle elle était prévenue en dernière minute de manque d'effectif au niveau de la production et que cela impactait la programmation de celle-ci relève en réalité, malheureusement, du rôle et des contraintes de la planification : gérer les aléas.
Il ne s'agit aucunement d'un harcèlement moral mais des contraintes inhérentes à son poste de travail,
- le courrier électronique qu'elle produit date d'octobre 2020, soit plus d'un an avant sa prise d'acte, et il l'informe qu'elle retravaille à 100%, ce qui s'inscrit dans le cadre de l'activité partielle mise en place pour faire face à la diminution d'activité liée à l'épidémie de COVID 19. Il ne s'agit pas d'une contrainte ou d'une information révélée à la dernière minute, mais relève encore une fois de l'activité normale de la salariée,
- les reproches, pressions et l'acharnement dont elle s'estime victime de M. [K] ne reposent sur aucun élément. En réalité, M. [K] a fait évoluer Mme [L] vers un poste de responsable, statut cadre, avec la rémunération afférente. Il ressort de l'entretien annuel produit que M. [K] l'encourage, comme lors de la médiation, et lorsqu'il formule des remarques à Mme [L], c'est de manière respectueuse et cordiale. Tel est le cas dans le courrier électronique de M. [K] du 19 octobre 2020 qui fait une application normale du pouvoir de direction de l'employeur en indiquant à Mme [L] qu'elle est tenue de participer aux réunions la concernant et de communiquer de manière adéquate (pièce n°4). De tels reproches, fondés, ne sauraient constituer un harcèlement moral. Il en est de même des remarques faites dans le cadre de son entretien annuel,
- le courrier électronique de Mme [Y], lequel ne constitue pas une attestation de témoin puisqu'il ne comporte pas les mentions nécessaires et n'est pas accompagné d'une pièce d'identité, date du 29 octobre 2023, soit postérieurement au jugement de première instance et surtout plus d'un an et demi après la prise d'acte. Celle-ci ne faisait pas partie du service de Mme [L], de sorte qu'il est étonnant qu'elle ait pu constater des faits particuliers. En tout état de cause, il n'en ressort aucun élément laissant présumer un manquement de la société et encore moins un acharnement ou des pressions subis, seulement des suppositions,
- Mme [L] estime que M. [K] a volontairement et brutalement changé son poste dans le but de lui nuire. Or à la suite de la démission d'une collaboratrice, la société a souhaité mieux s'organiser. Il a été proposé à Mme [L] de superviser (et non de réaliser seule) l'approvisionnement des matières sèches en plus de l'habillage afin de tout centraliser, ce qu'elle a refusé. Ce changement ne lui a donc pas été imposé. En tout état de cause, il ne s'agissait pas de 4 personnes, puisqu'une seule personne était affectée à son service, les 3 autres postes ne relevant pas de son autorité,
- conformément aux engagements pris en médiation, la société a souhaité adapter la nouvelle organisation à la fois à sa charge de travail mais également aux évolutions de l'activité. Cela lui a été expliqué et les autres sites de la région ([Localité 5] et [Localité 6]) sont également organisés de cette manière. Il n'y a donc aucune volonté de lui nuire. Il ne s'agit pas non plus d'une modification de son contrat de travail, l'employeur pouvant faire évoluer les tâches effectuées par le salarié dès l'instant où l'évolution correspond à sa qualification, ce qui était le cas de Mme [L],
- tout en se prévalant d'une rétrogradation, Mme [L] soutient, pour la première fois, avoir subi une charge de travail trop importante depuis 2019 et un stress qui aurait engendré un arrêt maladie au cours de l'année 2020. Or ses fonctions ont évolué pour que sa charge de travail ne soit pas trop importante, et au surplus, elle n'apporte aucun élément concret au soutien de ses allégations, si ce n'est s'être retrouvée à devoir absorber la charge de travail de Mme [H] après sa démission en novembre 2021. Néanmoins, étant observé que Mme [H] a démissionné de son poste en raison, notamment, de difficultés de collaboration avec Mme [L] (pièce n°14), le courrier de l'intéressée que la salariée produit à hauteur de cour contredisant cette affirmation n'est pas une attestation de témoin et il est impossible d'en identifier l'auteur,
- Mme [H] a immédiatement été remplacée par Mme [G] dès le 1er novembre 2021 (pièce n°15), de sorte que Mme [L] ne s'est jamais retrouvée seule au sein du service,
- les arrêts de travail de Mme [L] ne sont pas d'origine professionnelle et elle n'apporte aucun élément sur une éventuelle dégradation de ses conditions de travail. Au contraire, tout a toujours été mis en 'uvre pour lui assurer de bonnes conditions de travail : promotion, augmentation salariale, médiation quand elle a déclaré rencontrer une difficulté. Le compte rendu de celle-ci fait état d'un résultat positif et des remerciements chaleureux de Mme [L] qui considère que la problématique rencontrée est réglée (pièces n°5 et 6),
- le certificat de son médecin généraliste faisant état d'un épuisement professionnel et d'un harcèlement moral ne respecte aucune des obligations déontologiques qui s'imposent au médecin. Il n'a donc aucune valeur probante. Il a d'ailleurs été mis en demeure de rectifier son certificat (pièce n°17),
- Mme [L] n'a jamais sollicité le médecin du travail et ses visites médicales ne font pas état de difficulté. Elle n'a pas non plus alerté les représentants du personnel si ce n'est sur une problématique de ménage de son bureau. Il est donc difficile de croire qu'elle n'hésite pas à alerter les représentants du personnel concernant le ménage de son bureau mais ne le ferait pas pour un harcèlement moral. En réalité, les difficultés rencontrées avec la société de ménage étaient générales et loin de concerner uniquement Mme [L] (pièce n°16),
- s'agissant du manquement à l'obligation de sécurité, l'argumentation de la salariée est obsolète car cette obligation n'est plus une obligation de résultat. La société n'a pas failli dans ses obligations légales de prévention des risques professionnels, aucune situation de harcèlement moral n'étant caractérisée. Au contraire, elle a pris toutes les mesures nécessaires dès que la salariée a fait part d'une difficulté en organisant une réunion de médiation au terme de laquelle il a été constaté qu'il n'existait pas de difficulté mais une simple incompréhension et un ressenti différent (pièce n°5),
- subsidiairement, ces manquements à l'obligation de sécurité n'ont pas empêché la poursuite du contrat, les griefs de Mme [L] remontant à plus d'une année,
- en réalité, si la salariée a souhaité quitter la société, c'est parce qu'elle avait trouvé un nouvel emploi dès le mois de mai 2022 (pièce n°13).
En premier lieu, s'agissant des témoignages produits par Mme [L], la cour rappelle qu'en la matière la preuve est libre, sous réserve de respecter les principes de loyauté et de légalité. A cet égard, peu important que le courrier électronique attribué à Mme [Y] ne respecte pas les conditions légales prévues par l'article 202 du code de procédure civile, ne s'agissant pas d'une attestation, son formalisme n'est à lui seul pas de nature à remettre en cause l'authenticité de son contenu. En revanche, les circonstances de sa rédaction, largement après les éléments qu'il rapporte, et surtout son imprécision le prive de toute valeur probante (pièces n°11 et 13).
Il en est de même de ce que Mme [L] présente comme une "attestation" de Mme [H], en réalité une lettre dactylographiée dans laquelle elle se défend de lui avoir imputé son départ, sans autre précision si ce n'est la confirmation d'une "ambiance dans le bureau devenue pesante et la communication parfois difficile certains jours" (pièce n°12). Ce courrier est toutefois formalisé sous la forme d'une attestation rédigée le 29 octobre 2023. Néanmoins, le caractère général et imprécis des propos du témoin prive cette attestation de toute valeur probante.
Sur le fond, étant rappelé que le harcèlement moral ne saurait se confondre avec la seule mésentente entre un salarié et ses collègues et/ou sa hiérarchie, la cour relève que :
- la société PAUL SAPIN démontre par les pièces qu'elle produit que ce que Mme [L] considère être un "acharnement" de M. [K], caractérisé selon elle par des reproches ou des pressions, relève en réalité d'une simple critique de son travail, critique formulée en des termes mesurés et respectueux, laquelle participe du pouvoir de direction de l'employeur. Ainsi, l'analyse du compte rendu d'entretien annuel de 2018 démontre que si M. [K] formule effectivement certaines critiques, il souligne également clairement les qualités et la compétence de la salariée, de sorte que l'expression de ces critiques ne saurait s'analyser en un harcèlement moral, pas même en une quelconque "prise à partie". De plus, l'affirmation d'un prétendu chantage aux congés ou l'interdiction de déjeuner avec ses collègues ne ressort d'aucun élément et se trouve contredit par les termes de la médiation mise en place par l'employeur. En effet, il en ressort que chacun a pu s'exprimer sur son ressenti, sur ses difficultés, et que les points en litige que la salariée reproche désormais à son supérieur n'ont aucunement été évoqués par elle, chacun concluant que la poursuite de leur collaboration était possible voire souhaitée,
- s'agissant de sa prétendue mise à l'écart, l'employeur démontre que tel n'était pas le cas, ses absences étant en réalité de son fait, ce qui lui a d'ailleurs valu d'être rappelée à l'ordre sur ce point (pièce n°4). De plus, si l'employeur admet qu'elle a parfois pu être tardivement informée d'un manque d'effectif au niveau de la production, et donc d'un impact sur la programmation de celle-ci, la cour relève avec lui que ce genre de difficulté est inhérente à toute tâche de planification, et donc de gestion des aléas, ce qui est précisément le rôle de la salariée. La survenance, même tardive, de ce type d'aléa, comme son rétablissement à 100%, a fortiori après discussion avec elle puisque l'information de son passage à 100% est précédée de "comme évoqué" (pièce n°5), ne sauraient être qualifiés de harcèlement moral,
- la société justifie que le changement de poste de la salariée participe d'un changement de ses conditions de travail et non d'une modification de son contrat de travail, cette décision étant de surcroît liée à une réorganisation interne consécutive à la démission d'une collaboratrice. Un tel changement, peu important que la salariée l'ait mal vécu, est donc exclusif de tout harcèlement moral, la volonté de nuire invoquée n'étant par ailleurs corroborée par aucun élément,
- s'agissant de la surcharge de travail alléguée, s'il ressort des pièces de l'employeur la confirmation du constat que les années 2019 et 2020 ont été pour la première "chargée" et pour la deuxième "pas simple", pour autant ce constat n'implique aucunement une charge de travail excessive, au demeurant non quantifiée par la salariée qui procède à cet égard par affirmation, ce d'autant que la société justifie de l'embauche rapide d'une remplaçante après le départ de Mme [H],
- enfin, la société PAUL SAPIN démontre que le problème de ménage invoqué par la salariée au titre du harcèlement moral concerne en réalité tous les salariés de la société (pièce n°16).
Au surplus, la cour constate qu'il ne ressort pas des pièces produites la confirmation d'un lien entre la dégradation de l'état de santé de la salariée, manifesté par ses arrêts de travail successifs, et le harcèlement moral allégué. En effet, outre que les arrêts de travail produits ne mentionnent aucune cause professionnelle, l'affirmation d'un tel lien par son médecin ne repose que sur les déclarations de la salariée, à l'exclusion de toute constatation par le praticien lui-même.
Dans ces conditions, nonobstant le caractère inopérant de l'argument développé par l'employeur selon lequel la salariée n'a alerté ni le médecin du travail ni les représentants du personnel, il ressort des développements qui précèdent que la société PAUL SAPIN renverse la supposition de harcèlement moral, lequel n'est donc pas établi.
sur le manquement à l'obligation de sécurité :
Mme [L] soutient dans ses conclusions que "Force est donc de constater que l'entreprise SAPIN a manqué à son obligation de prévention et de sécurité, justifiant ainsi la requalification de la prise d'acte en licenciement nul pour cause de harcèlement moral", invoquant à ce titre les mêmes éléments que ceux invoqués au titre du harcèlement moral.
Il ressort des développements qui précèdent que le harcèlement moral allégué n'est pas établi.
Par ailleurs, s'il est constant que l'employeur manque à son obligation de sécurité et de prévention lorsque, informé des difficultés de son salarié, il ne prend aucune mesure pour y remédier, il ressort néanmoins des pièces produites qu'après avoir été alertée par Mme [L] des difficultés qu'elle rencontrait avec son supérieur, la société PAUL SAPIN a mis en place une médiation entre les personnes concernées, lesquelles ont pu s'exprimer, exposer leurs ressentis et griefs. Il ne saurait dont être reproché à l'employeur, au titre de son obligation de sécurité et de prévention, une quelconque inaction.
Par la suite, Mme [L] ne justifie ni même invoque aucune nouvelle alerte adressée à son employeur sur la persistance de ses difficultés, ce qui ne saurait se déduire de ses arrêts de travail fin 2021 et début 2022, ceux-ci étant sans lien apparent avec ses conditions de travail, et ce jusqu'à sa prise d'acte dans laquelle elle expose tous ses griefs.
En conséquence, la cour considère que le manquement de la société PAUL SAPIN à son obligation de sécurité et de prévention n'est pas établi.
En conséquence des développements qui précèdent, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le moyen tiré du fait que les griefs invoqués n'ont pas empêché la poursuite du contrat de travail, la cour considère que Mme [L] échoue à démontrer des manquements suffisamment graves imputables à la société PAUL SAPIN rendant impossible la poursuite du contrat de travail, de sorte que la prise d'acte de la rupture par la salariée produit les effets d'une démission, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Ses demandes afférentes à un licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse seront donc rejetées.
Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :
Au visa de l'article L.1222-l du code du travail, Mme [L] soutient que les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité l'ont contrainte à prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Elle sollicite en conséquence la somme de 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail.
La société PAUL SAPIN oppose qu'elle n'avait jamais fait preuve de déloyauté dans le cadre de la relation contractuelle et qu'en tout état de cause, la salariée ne démontre aucun préjudice.
Il ressort des développements qui précèdent que les griefs invoqués par la salariée tant au titre d'un harcèlement moral que d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention ne sont pas établis.
Ces manquements étant les mêmes que ceux invoqués au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, le rejet de sa demande indemnitaire s'impose, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Sur la demande reconventionnelle de la société PAUL SAPIN :
Considérant que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [L] produit les effets d'une démission, la société sollicite le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis correspondant à la rémunération de la salariée pour la durée du préavis non effectué, soit 3 mois en cas de démission d'un cadre selon la convention collective applicable. Elle sollicite en conséquence la somme de 10 140 euros à ce titre.
Mme [L] ne formule aucune observation sur ce point.
Il est constant que le salarié démissionnaire doit exécuter son préavis, même s'il a été embauché ailleurs. En cas de manquement à cette obligation, il est tenu de verser à l'employeur une indemnité forfaitaire égale à la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait continué à travailler.
En l'espèce, il ressort des développements qui précèdent que la prise d'acte de Mme [L] produit les effets d'une démission. La société PAUL SAPIN est donc bien fondée à lui réclamer une indemnité compensatrice pour le préavis qu'elle n'a pas effectué, lequel s'établi à 3 mois selon l'article 29 de l'annexe I (ingénieurs et cadres) de l'accord du 11 juin 1969 attaché à la collective nationale des vins, cidres, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France.
Le jugement déféré qui a alloué à la société PAUL SAPIN la somme de 10 140 euros à ce titre sera donc confirmé.
Sur les demandes accessoires :
sur les intérêts au taux légal :
Les demandes indemnitaires de Mme [L] étant rejetées, sa demande à ce titre est sans objet et sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
sur la remise documentaire sous astreinte :
Les demandes de Mme [L] afférentes à un licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse étant rejetées, sa demande à ce titre est sans objet et sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
Au titre de l'appel, il sera alloué à la société PAUL SAPIN la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
La demande de Mme [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel sera rejetée.
Mme [L] succombant, elle supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 2 octobre 2023 par le conseil de prud'hommes de Mâcon,
y ajoutant,
CONDAMNE Mme [T] [L] à payer à la société PAUL SAPIN la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
REJETTE la demande de Mme [T] [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
CONDAMNE Mme [T] [L] aux dépens d'appel,
Le greffier Le président
Léa ROUVRAY François ARNAUD
C/
S.A. PAUL SAPIN
CCC délivrées
le : 23/10/2025
à : Me BELLVILLE
Me BUISSON
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le : 23/10/2025
à : Me LIONS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 OCTOBRE 2025
MINUTE N°
N° RG 23/00587 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GJFU
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MACON, section EN, décision attaquée en date du 02 Octobre 2023, enregistrée sous le n° F23/00046
APPELANTE :
[T] [L]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Jean-Philippe BELVILLE, avocat au barreau de Lyon et Me Georges BUISSON, de la SELARL CABINET COTESSAT - BUISSON, avocat au barreau de Mâcon
INTIMÉE :
S.A. PAUL SAPIN
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Charlotte LIONS de la SELAFA BARTHELEMY ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2025 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur UGUEN-LAITHIER, conseiller chargé d'instruire l'affaire et qui a fait rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
François ARNAUD, président de chambre,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, conseiller,
Florence DOMENEGO, conseillère,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Léa ROUVRAY,
DÉBATS: l'affaire a été mise en délibéré au 23 Octobre 2025
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par François ARNAUD, Président de chambre, et par Léa ROUVRAY, Greffier placé, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Mme [T] [L] a été embauchée le 2 mai 2016 par la société PAUL SAPIN par un contrat à durée indéterminée en qualité de responsable approvisionnement et achat étiquettes / gestion impressions internes.
Par avenant du 1er juillet 2017, elle a été nommée sur le poste de responsable planification et approvisionnement, statut cadre.
Par lettre du 19 avril 2022 délivrée le 22 suivant à son employeur, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par requête du 21 juin 2022, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Mâcon afin de juger que sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, et condamner l'employeur aux conséquences indemnitaires afférentes, outre des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement du 2 octobre 2023, le conseil de prud'hommes de Mâcon a rejeté l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration formée le 19 octobre 2023, Mme [L] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 11 janvier 2024, l'appelante demande de :
- réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- juger que le harcèlement moral de l'employeur est constitutif d'un manquement à son obligation de sécurité qui l'a contrainte à prendre acte de la rupture de son contrat de travail,
à titre principal,
- condamner la société PAUL SAPIN à lui payer les sommes suivantes :
* 33 800 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
* 6 760 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 676 euros au titre des congés payés afférents,
à titre subsidiaire,
- condamner la société PAUL SAPIN à lui payer les sommes suivantes :
* 20 280 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, * 6 760 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 676 euros au titre des congés payés afférents,
en tout état de cause,
- condamner la société PAUL SAPIN à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- condamner la société PAUL SAPIN à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre 2 500 euros au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens,
- la condamner à lui remettre tous les documents sociaux rectifiés, notamment un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle Emploi sous astreinte de 100 euros par jour de retard a compter de la date "du jugement à intervenir" et par catégorie de document.
Aux termes de ses dernières conclusions du 9 avril 2024, la société PAUL SAPIN demande de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
à titre principal,
- constater que Mme [L] ne rapporte nullement la preuve de manquements d'une gravité imposant la rupture immédiate du contrat de travail,
- constater que la prise d'acte doit être requalifiée en démission,
- constater l'absence de préjudice,
- la débouter de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à lui verser la somme de 10 140 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
en tout état de cause,
- la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la qualification de la prise d'acte :
La prise d'acte par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, ou d'une démission dans le cas contraire.
La charge de la preuve incombe au salarié.
L'article L.4121-1 du code du travail dispose que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, incluant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, sur le fondement de principes généraux de prévention cités par l'article L.4121-2 du même code.
L'employeur, débiteur envers le salarié d'une obligation de sécurité, supporte en cas de litige, la charge de la preuve du respect de celle-ci, conformément à l'article'1353, alinéa'2, du code civil.
Il résulte des dispositions de l'article L.1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 précise à sa suite qu'en cas de litige relatif à l'application notamment de l'article L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement.
Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement
En l'espèce Mme [L] a, par l'intermédiaire de son avocat, notifié sa prise d'acte par courrier du 19 avril 2022 dans les termes suivants :
"Je viens vers vous en qualité de Conseil de Madame [T] [L], qui est salariée de votre entreprise.
Par la présente, je vous notifie la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de ma cliente.
En effet, ma cliente m 'a décrit le climat professionnel délétère qu 'elle subit depuis 2019 en raison des reproches injustifiés, pressions et l'acharnement émanant de Monsieur [R] [K] sur sa personne.
Ces tensions professionnelles avaient déjà porté atteinte à l'état de santé de Madame [L] dans la mesure où cette dernière avait déjà fait l'objet d'un congé maladie sur la période du 22 octobre 2020 au 12 décembre 2020.
Ce n'est que grâce à la médiation qui avait été effectuée devant la responsable de Ressources Humaines Madame [M] [F], que ma cliente avait finalement repris ses fonctions croyant pouvoir retrouver une ambiance de travail sereine.
Malheureusement pour Madame [L], cette accalmie ne fut que de courte durée puisque dès le mois de mars 2021, Monsieur [K] a commencé à mettre la salariée à l'écart de toutes les décisions et informations importantes, pour finalement ne plus lui fournir aucune information depuis juin 2021.
Abandonnée à elle-même, il a même été indiqué à Madame [L] de "ne pas déranger ses autres collègues cadres car ils ont trop de travail" ; Plus d'une fois, ma cliente n'était informée que la veille pour le lendemain du manque d'effectif pour les heures supplémentaires, donc pas de prod, mais elle devait quand même continuer à planifier les productions, garantir les délais et justifier les ruptures... au risque de se reprendre des salves de réflexions injustifiées de la part de son supérieur hiérarchique.
Enfin, le 16 novembre 2021, Madame [L] a eu la surprise de se voir convoquée par son Directeur qui l'informait, sans consultation préalable, qu'il modifiait son poste. Donc après avoir assuré la gestion du service de appro habillages pendant 5 années, la salariée n'aurait subitement plus été en mesure d'occuper le poste de responsable planification, ordonnancement et approvisionnement habillages.
Face à ce changement de poste brutal et injustifié, la seule réponse donnée à la salariée suite à ses demandes d'explications a été : "Comme ça tu seras à mon service quand j'aurai besoin de toi... Si t'es contente, c 'est bien, si t'es pas contente, c 'est pareil".
En somme, malgré son investissement, ses qualités et compétences professionnelles avérées qui lui ont toujours permis de bien faire son travail voire même d'assumer la charge de 2 postes en même temps, le harcèlement que faisait subir Monsieur [R] [K] à Madame .[L] n'a fait que s'accentuer à tel point que la salariée a de nouveau du être placée en arrêt maladie.
Malgré le fait que ce nouvel (énième) arrêt maladie ait pris fin en date du 4 avril 2021, Madame [L] est jusqu'à l'heure actuelle, incapable de pouvoir à nouveau se confronter à l'attitude délétère de Monsieur [R] [K].
Vous conviendrez qu'une telle situation ne peut perdurer, ma cliente se retrouve donc contrainte à vous notifier la présente prise d 'acte de la rupture de son contrat de travail [...]" (pièce n°3).
sur le harcèlement moral :
Au titre des éléments qu'il lui incombe d'apporter s'agissant du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime de la part de son supérieur, M. [K], la salariée expose que :
- le comportement de M. [K] a entraîné une dégradation de ses conditions de travail, altérant sa santé physique, mentale et son avenir professionnel,
- l'entreprise SAPIN a manqué à son obligation de prévention et de sécurité, ce qui justifie la requalification de la prise d'acte en un licenciement nul pour cause de harcèlement moral,
- l'année 2019 a été chargée et éprouvante pour elle. Elle n'a cessé de réclamer de l'aide (au moins une personne à mi-temps) mais rien n'a été mis en place. Son implication faisait qu'elle se démenait pour tout réussir, ce qui a généré un stress conséquent au point de tomber malade pendant ses vacances,
- lors de son entretien annuel, elle a été prise à partie par M. [K] qui lui a reproché de ne pas avoir accepté une formation qui devait se dérouler sur son temps chômé (chômage partiel en juillet avec deux enfants qu'elle ne pouvait faire garder) courant juillet. Il lui a reproché de l'avoir contraint à chercher lui-même les dates d'approvisionnement pourtant gérées par un autre service, ne cessant de marteler que tous ces dysfonctionnements étaient de sa faute,
- sous le prétexte fallacieux de limiter les risques, M. [K] lui a interdit de déjeuner avec ses collègues comme elle avait l'habitude de le faire, ce qui l'isolait encore plus,
- en octobre, M. [K] lui a reproché d'assister un de ses collaborateurs au motif que "elle n'avait pas à se liguer contre la direction", alors qu'elle avait toujours pris soin de rassurer ses équipes, expliquer au mieux les décisions de la hiérarchie afin que le climat professionnel soit le plus serein possible,
- M. [K] se vantait de parvenir à la "faire réagir" alors qu'elle ne cessait de lui répéter que l'acharnement qu'elle subissait la faisait souffrir et dégradait son état de santé,
- M. [K] a voulu lui imposer de mettre son solde de congés payés sur son compte CPF en la menaçant de ne pas lui permettre de les prendre, alors qu'elle était simplement dans l'incapacité de prendre ses congés à cause du chômage partiel instauré au sein de l'entreprise,
- les décisions de M. [K] impliquaient de sa part la plus grande réactivité pour mettre en place la gestion des stocks de tous les produits et le lancement des productions dans les trois semaines suivantes. Malgré cela, elle a du composer avec l'absence d'une personne dans son équipe dès septembre 2019 et malgré la succession de trois personnes à ce poste, aucune n'y est restée car les missions étaient trop conséquentes pour être regroupées sur un seul poste. Entre chaque remplacement temporaire, elle gérait seule le poste,
- en août, de retour de congés, elle a été placée en chômage partiel à hauteur de 80% puis 60% alors que les tâches à effectuer ne diminuaient pas. Lorsqu'elle a signalé son incapacité à assumer sa charge de travail compte-tenu des 40% de temps chômé, M. [K] lui a simplement proposé de repasser à 80% au lieu d'un temps plein,
- en mai 2020, l'entreprise a été impactée par un virus informatique et la majorité du personnel a été avertie de ne pas se rendre sur le lieu de travail. Mais M. [K], outre le fait de ne pas l'avoir prévenue de ce problème informatique, lui a demandé de faire les plannings en utilisant sa mémoire, tous les moyens étant bons pour la déstabiliser et la mettre en difficulté,
- à son retour de congés au mois d'août, elle a été informée par M. [K] qu'elle devrait dorénavant gérer un autre service composé de 4 personnes et un autre site de stockage situé dans la commune voisine, sans aucune revalorisation de salaire. Cette décision lui a été imposée au motif d'une réorganisation de groupe,
- dès 2019, elle a alerté sa hiérarchie, en particulier le supérieur de M. [K]. Ce dernier l'a assurée qu'il prendrait attache avec lui pour arranger la situation mais il n'en a rien été,
- au moment de sa reprise, l'employeur n'a pas organisé de visite médicale et c'est elle-même qui en a pris l'initiative, espérant ainsi mettre un terme au contexte professionnel délétère qu'elle subissait. Mais M. [K] n'a pas pris conscience de son comportement nocif,
- en septembre elle a signalé que son bureau n'était plus nettoyé depuis environ un an et a saisi le CHSCT. Une réunion a eu lieu, des promesses ont été faites mais sans aucun effet. Cela démontre sa placardisation,
- ses derniers mois au sein de l'entreprise ont été très éprouvants. Elle souffrait de palpitations en permanence, de tremblements, d'une forte anxiété et de crises d'angoisse.
Au soutien de son affirmation d'un harcèlement moral subi, elle produit les éléments suivants :
- un compte rendu d'entretien individuel du 4 mai 2018 (pièce n°1),
- un compte-rendu de médiation du 9 décembre 2020 (pièce n°2),
- un courrier électronique du 20 octobre 2020 l'informant de son rétablissement à 100% (pièce n°5),
- la copie de ses arrêts de travail pour maladie du 22 novembre au 1er avril 2022 (pièce n°8),
- un certificat médical du docteur [O] (pièce n°10),
- une attestation et deux courriers de Mmes [Y] et [H] (pièces n°11 à 13).
La cour considère que ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Il incombe donc à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au titre de la charge de la preuve qui lui incombe, la société PAUL SAPIN oppose que :
- Mme [L] s'estime victime d'une mise à l'écart volontaire de la part de M.
[K] en étant privée de toute information importante. Or elle ne rapporte aucun élément concret au soutien de cette allégation au demeurant mensongère puisqu'elle était associée à toutes décisions de son ressort, étant notamment invitée à toutes les réunions stratégiques de la société (pièces n°11 et 12). En réalité, c'est elle qui refusait ces invitations,
- l'affirmation selon laquelle elle était prévenue en dernière minute de manque d'effectif au niveau de la production et que cela impactait la programmation de celle-ci relève en réalité, malheureusement, du rôle et des contraintes de la planification : gérer les aléas.
Il ne s'agit aucunement d'un harcèlement moral mais des contraintes inhérentes à son poste de travail,
- le courrier électronique qu'elle produit date d'octobre 2020, soit plus d'un an avant sa prise d'acte, et il l'informe qu'elle retravaille à 100%, ce qui s'inscrit dans le cadre de l'activité partielle mise en place pour faire face à la diminution d'activité liée à l'épidémie de COVID 19. Il ne s'agit pas d'une contrainte ou d'une information révélée à la dernière minute, mais relève encore une fois de l'activité normale de la salariée,
- les reproches, pressions et l'acharnement dont elle s'estime victime de M. [K] ne reposent sur aucun élément. En réalité, M. [K] a fait évoluer Mme [L] vers un poste de responsable, statut cadre, avec la rémunération afférente. Il ressort de l'entretien annuel produit que M. [K] l'encourage, comme lors de la médiation, et lorsqu'il formule des remarques à Mme [L], c'est de manière respectueuse et cordiale. Tel est le cas dans le courrier électronique de M. [K] du 19 octobre 2020 qui fait une application normale du pouvoir de direction de l'employeur en indiquant à Mme [L] qu'elle est tenue de participer aux réunions la concernant et de communiquer de manière adéquate (pièce n°4). De tels reproches, fondés, ne sauraient constituer un harcèlement moral. Il en est de même des remarques faites dans le cadre de son entretien annuel,
- le courrier électronique de Mme [Y], lequel ne constitue pas une attestation de témoin puisqu'il ne comporte pas les mentions nécessaires et n'est pas accompagné d'une pièce d'identité, date du 29 octobre 2023, soit postérieurement au jugement de première instance et surtout plus d'un an et demi après la prise d'acte. Celle-ci ne faisait pas partie du service de Mme [L], de sorte qu'il est étonnant qu'elle ait pu constater des faits particuliers. En tout état de cause, il n'en ressort aucun élément laissant présumer un manquement de la société et encore moins un acharnement ou des pressions subis, seulement des suppositions,
- Mme [L] estime que M. [K] a volontairement et brutalement changé son poste dans le but de lui nuire. Or à la suite de la démission d'une collaboratrice, la société a souhaité mieux s'organiser. Il a été proposé à Mme [L] de superviser (et non de réaliser seule) l'approvisionnement des matières sèches en plus de l'habillage afin de tout centraliser, ce qu'elle a refusé. Ce changement ne lui a donc pas été imposé. En tout état de cause, il ne s'agissait pas de 4 personnes, puisqu'une seule personne était affectée à son service, les 3 autres postes ne relevant pas de son autorité,
- conformément aux engagements pris en médiation, la société a souhaité adapter la nouvelle organisation à la fois à sa charge de travail mais également aux évolutions de l'activité. Cela lui a été expliqué et les autres sites de la région ([Localité 5] et [Localité 6]) sont également organisés de cette manière. Il n'y a donc aucune volonté de lui nuire. Il ne s'agit pas non plus d'une modification de son contrat de travail, l'employeur pouvant faire évoluer les tâches effectuées par le salarié dès l'instant où l'évolution correspond à sa qualification, ce qui était le cas de Mme [L],
- tout en se prévalant d'une rétrogradation, Mme [L] soutient, pour la première fois, avoir subi une charge de travail trop importante depuis 2019 et un stress qui aurait engendré un arrêt maladie au cours de l'année 2020. Or ses fonctions ont évolué pour que sa charge de travail ne soit pas trop importante, et au surplus, elle n'apporte aucun élément concret au soutien de ses allégations, si ce n'est s'être retrouvée à devoir absorber la charge de travail de Mme [H] après sa démission en novembre 2021. Néanmoins, étant observé que Mme [H] a démissionné de son poste en raison, notamment, de difficultés de collaboration avec Mme [L] (pièce n°14), le courrier de l'intéressée que la salariée produit à hauteur de cour contredisant cette affirmation n'est pas une attestation de témoin et il est impossible d'en identifier l'auteur,
- Mme [H] a immédiatement été remplacée par Mme [G] dès le 1er novembre 2021 (pièce n°15), de sorte que Mme [L] ne s'est jamais retrouvée seule au sein du service,
- les arrêts de travail de Mme [L] ne sont pas d'origine professionnelle et elle n'apporte aucun élément sur une éventuelle dégradation de ses conditions de travail. Au contraire, tout a toujours été mis en 'uvre pour lui assurer de bonnes conditions de travail : promotion, augmentation salariale, médiation quand elle a déclaré rencontrer une difficulté. Le compte rendu de celle-ci fait état d'un résultat positif et des remerciements chaleureux de Mme [L] qui considère que la problématique rencontrée est réglée (pièces n°5 et 6),
- le certificat de son médecin généraliste faisant état d'un épuisement professionnel et d'un harcèlement moral ne respecte aucune des obligations déontologiques qui s'imposent au médecin. Il n'a donc aucune valeur probante. Il a d'ailleurs été mis en demeure de rectifier son certificat (pièce n°17),
- Mme [L] n'a jamais sollicité le médecin du travail et ses visites médicales ne font pas état de difficulté. Elle n'a pas non plus alerté les représentants du personnel si ce n'est sur une problématique de ménage de son bureau. Il est donc difficile de croire qu'elle n'hésite pas à alerter les représentants du personnel concernant le ménage de son bureau mais ne le ferait pas pour un harcèlement moral. En réalité, les difficultés rencontrées avec la société de ménage étaient générales et loin de concerner uniquement Mme [L] (pièce n°16),
- s'agissant du manquement à l'obligation de sécurité, l'argumentation de la salariée est obsolète car cette obligation n'est plus une obligation de résultat. La société n'a pas failli dans ses obligations légales de prévention des risques professionnels, aucune situation de harcèlement moral n'étant caractérisée. Au contraire, elle a pris toutes les mesures nécessaires dès que la salariée a fait part d'une difficulté en organisant une réunion de médiation au terme de laquelle il a été constaté qu'il n'existait pas de difficulté mais une simple incompréhension et un ressenti différent (pièce n°5),
- subsidiairement, ces manquements à l'obligation de sécurité n'ont pas empêché la poursuite du contrat, les griefs de Mme [L] remontant à plus d'une année,
- en réalité, si la salariée a souhaité quitter la société, c'est parce qu'elle avait trouvé un nouvel emploi dès le mois de mai 2022 (pièce n°13).
En premier lieu, s'agissant des témoignages produits par Mme [L], la cour rappelle qu'en la matière la preuve est libre, sous réserve de respecter les principes de loyauté et de légalité. A cet égard, peu important que le courrier électronique attribué à Mme [Y] ne respecte pas les conditions légales prévues par l'article 202 du code de procédure civile, ne s'agissant pas d'une attestation, son formalisme n'est à lui seul pas de nature à remettre en cause l'authenticité de son contenu. En revanche, les circonstances de sa rédaction, largement après les éléments qu'il rapporte, et surtout son imprécision le prive de toute valeur probante (pièces n°11 et 13).
Il en est de même de ce que Mme [L] présente comme une "attestation" de Mme [H], en réalité une lettre dactylographiée dans laquelle elle se défend de lui avoir imputé son départ, sans autre précision si ce n'est la confirmation d'une "ambiance dans le bureau devenue pesante et la communication parfois difficile certains jours" (pièce n°12). Ce courrier est toutefois formalisé sous la forme d'une attestation rédigée le 29 octobre 2023. Néanmoins, le caractère général et imprécis des propos du témoin prive cette attestation de toute valeur probante.
Sur le fond, étant rappelé que le harcèlement moral ne saurait se confondre avec la seule mésentente entre un salarié et ses collègues et/ou sa hiérarchie, la cour relève que :
- la société PAUL SAPIN démontre par les pièces qu'elle produit que ce que Mme [L] considère être un "acharnement" de M. [K], caractérisé selon elle par des reproches ou des pressions, relève en réalité d'une simple critique de son travail, critique formulée en des termes mesurés et respectueux, laquelle participe du pouvoir de direction de l'employeur. Ainsi, l'analyse du compte rendu d'entretien annuel de 2018 démontre que si M. [K] formule effectivement certaines critiques, il souligne également clairement les qualités et la compétence de la salariée, de sorte que l'expression de ces critiques ne saurait s'analyser en un harcèlement moral, pas même en une quelconque "prise à partie". De plus, l'affirmation d'un prétendu chantage aux congés ou l'interdiction de déjeuner avec ses collègues ne ressort d'aucun élément et se trouve contredit par les termes de la médiation mise en place par l'employeur. En effet, il en ressort que chacun a pu s'exprimer sur son ressenti, sur ses difficultés, et que les points en litige que la salariée reproche désormais à son supérieur n'ont aucunement été évoqués par elle, chacun concluant que la poursuite de leur collaboration était possible voire souhaitée,
- s'agissant de sa prétendue mise à l'écart, l'employeur démontre que tel n'était pas le cas, ses absences étant en réalité de son fait, ce qui lui a d'ailleurs valu d'être rappelée à l'ordre sur ce point (pièce n°4). De plus, si l'employeur admet qu'elle a parfois pu être tardivement informée d'un manque d'effectif au niveau de la production, et donc d'un impact sur la programmation de celle-ci, la cour relève avec lui que ce genre de difficulté est inhérente à toute tâche de planification, et donc de gestion des aléas, ce qui est précisément le rôle de la salariée. La survenance, même tardive, de ce type d'aléa, comme son rétablissement à 100%, a fortiori après discussion avec elle puisque l'information de son passage à 100% est précédée de "comme évoqué" (pièce n°5), ne sauraient être qualifiés de harcèlement moral,
- la société justifie que le changement de poste de la salariée participe d'un changement de ses conditions de travail et non d'une modification de son contrat de travail, cette décision étant de surcroît liée à une réorganisation interne consécutive à la démission d'une collaboratrice. Un tel changement, peu important que la salariée l'ait mal vécu, est donc exclusif de tout harcèlement moral, la volonté de nuire invoquée n'étant par ailleurs corroborée par aucun élément,
- s'agissant de la surcharge de travail alléguée, s'il ressort des pièces de l'employeur la confirmation du constat que les années 2019 et 2020 ont été pour la première "chargée" et pour la deuxième "pas simple", pour autant ce constat n'implique aucunement une charge de travail excessive, au demeurant non quantifiée par la salariée qui procède à cet égard par affirmation, ce d'autant que la société justifie de l'embauche rapide d'une remplaçante après le départ de Mme [H],
- enfin, la société PAUL SAPIN démontre que le problème de ménage invoqué par la salariée au titre du harcèlement moral concerne en réalité tous les salariés de la société (pièce n°16).
Au surplus, la cour constate qu'il ne ressort pas des pièces produites la confirmation d'un lien entre la dégradation de l'état de santé de la salariée, manifesté par ses arrêts de travail successifs, et le harcèlement moral allégué. En effet, outre que les arrêts de travail produits ne mentionnent aucune cause professionnelle, l'affirmation d'un tel lien par son médecin ne repose que sur les déclarations de la salariée, à l'exclusion de toute constatation par le praticien lui-même.
Dans ces conditions, nonobstant le caractère inopérant de l'argument développé par l'employeur selon lequel la salariée n'a alerté ni le médecin du travail ni les représentants du personnel, il ressort des développements qui précèdent que la société PAUL SAPIN renverse la supposition de harcèlement moral, lequel n'est donc pas établi.
sur le manquement à l'obligation de sécurité :
Mme [L] soutient dans ses conclusions que "Force est donc de constater que l'entreprise SAPIN a manqué à son obligation de prévention et de sécurité, justifiant ainsi la requalification de la prise d'acte en licenciement nul pour cause de harcèlement moral", invoquant à ce titre les mêmes éléments que ceux invoqués au titre du harcèlement moral.
Il ressort des développements qui précèdent que le harcèlement moral allégué n'est pas établi.
Par ailleurs, s'il est constant que l'employeur manque à son obligation de sécurité et de prévention lorsque, informé des difficultés de son salarié, il ne prend aucune mesure pour y remédier, il ressort néanmoins des pièces produites qu'après avoir été alertée par Mme [L] des difficultés qu'elle rencontrait avec son supérieur, la société PAUL SAPIN a mis en place une médiation entre les personnes concernées, lesquelles ont pu s'exprimer, exposer leurs ressentis et griefs. Il ne saurait dont être reproché à l'employeur, au titre de son obligation de sécurité et de prévention, une quelconque inaction.
Par la suite, Mme [L] ne justifie ni même invoque aucune nouvelle alerte adressée à son employeur sur la persistance de ses difficultés, ce qui ne saurait se déduire de ses arrêts de travail fin 2021 et début 2022, ceux-ci étant sans lien apparent avec ses conditions de travail, et ce jusqu'à sa prise d'acte dans laquelle elle expose tous ses griefs.
En conséquence, la cour considère que le manquement de la société PAUL SAPIN à son obligation de sécurité et de prévention n'est pas établi.
En conséquence des développements qui précèdent, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le moyen tiré du fait que les griefs invoqués n'ont pas empêché la poursuite du contrat de travail, la cour considère que Mme [L] échoue à démontrer des manquements suffisamment graves imputables à la société PAUL SAPIN rendant impossible la poursuite du contrat de travail, de sorte que la prise d'acte de la rupture par la salariée produit les effets d'une démission, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Ses demandes afférentes à un licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse seront donc rejetées.
Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :
Au visa de l'article L.1222-l du code du travail, Mme [L] soutient que les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité l'ont contrainte à prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Elle sollicite en conséquence la somme de 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail.
La société PAUL SAPIN oppose qu'elle n'avait jamais fait preuve de déloyauté dans le cadre de la relation contractuelle et qu'en tout état de cause, la salariée ne démontre aucun préjudice.
Il ressort des développements qui précèdent que les griefs invoqués par la salariée tant au titre d'un harcèlement moral que d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention ne sont pas établis.
Ces manquements étant les mêmes que ceux invoqués au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, le rejet de sa demande indemnitaire s'impose, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Sur la demande reconventionnelle de la société PAUL SAPIN :
Considérant que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [L] produit les effets d'une démission, la société sollicite le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis correspondant à la rémunération de la salariée pour la durée du préavis non effectué, soit 3 mois en cas de démission d'un cadre selon la convention collective applicable. Elle sollicite en conséquence la somme de 10 140 euros à ce titre.
Mme [L] ne formule aucune observation sur ce point.
Il est constant que le salarié démissionnaire doit exécuter son préavis, même s'il a été embauché ailleurs. En cas de manquement à cette obligation, il est tenu de verser à l'employeur une indemnité forfaitaire égale à la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait continué à travailler.
En l'espèce, il ressort des développements qui précèdent que la prise d'acte de Mme [L] produit les effets d'une démission. La société PAUL SAPIN est donc bien fondée à lui réclamer une indemnité compensatrice pour le préavis qu'elle n'a pas effectué, lequel s'établi à 3 mois selon l'article 29 de l'annexe I (ingénieurs et cadres) de l'accord du 11 juin 1969 attaché à la collective nationale des vins, cidres, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France.
Le jugement déféré qui a alloué à la société PAUL SAPIN la somme de 10 140 euros à ce titre sera donc confirmé.
Sur les demandes accessoires :
sur les intérêts au taux légal :
Les demandes indemnitaires de Mme [L] étant rejetées, sa demande à ce titre est sans objet et sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
sur la remise documentaire sous astreinte :
Les demandes de Mme [L] afférentes à un licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse étant rejetées, sa demande à ce titre est sans objet et sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
Au titre de l'appel, il sera alloué à la société PAUL SAPIN la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
La demande de Mme [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel sera rejetée.
Mme [L] succombant, elle supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 2 octobre 2023 par le conseil de prud'hommes de Mâcon,
y ajoutant,
CONDAMNE Mme [T] [L] à payer à la société PAUL SAPIN la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
REJETTE la demande de Mme [T] [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
CONDAMNE Mme [T] [L] aux dépens d'appel,
Le greffier Le président
Léa ROUVRAY François ARNAUD