Cass. 1re civ., 5 novembre 2025, n° 24-20.513
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
PARTIES
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Champalaune
Rapporteur :
Mme Robin-Raschel
Avocat général :
M. Salomon
Avocats :
SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2024), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 30 mars 2022, pourvoi n° 19-22.074), suivant offre de prêt acceptée le 11 novembre 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme [L] (les emprunteurs) un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet immo.
2. Invoquant le caractère abusif de clauses du contrat de prêt ainsi qu'un manquement de la banque à son obligation d'information et de mise en garde, les emprunteurs l'ont assignée en annulation du contrat, ainsi qu'en responsabilité et indemnisation.
3. La banque a été poursuivie devant une juridiction pénale du chef de pratiques commerciales trompeuses. Les emprunteurs se sont constitués partie civile.
4. Par arrêt définitif du 28 novembre 2023, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement de première instance ayant déclaré la banque coupable du délit de pratiques commerciales trompeuses commis lors de la commercialisation des prêts Helvet immo. Statuant sur les intérêts civils, elle a condamné la banque à indemniser les emprunteurs du préjudice financier résultant de l'infraction, né de l'exécution du contrat de prêt et caractérisé par la mise en uvre, par la banque, des clauses relatives aux opérations de change.
Examen des moyens
Sur le second moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de limiter à 541 136,01 euros le montant de la somme que la banque doit leur restituer à la suite de l'annulation du contrat de prêt et, en conséquence, de limiter à 124 136,01 euros la condamnation prononcée à la charge de cette banque et à leur profit, après compensation des créances réciproques, alors « que l'obligation pour le juge national d'écarter une clause contractuelle abusive imposant le paiement de sommes qui se révèlent indues emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant, à l'égard de ces mêmes sommes ; que l'annulation du contrat peut donner lieu cumulativement à la restitution des prestations et à des dommages-intérêts ; que la réparation du préjudice résultant, pour le consommateur, d'une pratique commerciale trompeuse n'a pas pour objet la restitution de sommes versées par celui-ci au titre du contrat conclu en conséquence de cette pratique ; que, dès lors, les sommes versées en réparation de ce préjudice ne peuvent venir diminuer celles dues par le professionnel au consommateur au titre des restitutions consécutives à l'annulation du contrat ; qu'en considérant que les sommes versées par la société BNPPPF en exécution des décisions pénales l'ayant condamnée à indemniser le préjudice financier subi par les emprunteurs constituaient une restitution de sommes payées par ceux-ci en exécution du contrat de sorte qu'elles devaient venir diminuer la somme que la société BNPPPF était tenue de restituer en conséquence de l'annulation de celui-ci, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ensemble l'article L. 132-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
7. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), interprétant l'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (la directive), a énoncé que s'il appartient aux États membres, au moyen de leur droit national, de définir les modalités d'établissement du caractère abusif d'une clause contractuelle ainsi que les effets juridiques concrets d'un tel constat, il n'en demeure pas moins qu'un tel constat doit permettre de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l'absence de cette clause abusive, notamment en fondant un droit à restitution des avantages indûment acquis, à son détriment, par le professionnel sur le fondement de ladite clause abusive (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C-154/15, C-307/15 et C-308/15, point 66).
8. La CJUE a précisé que pour préserver l'effet dissuasif recherché par l'article 6, paragraphe 1, de la directive, lu en combinaison avec l'article 7, paragraphe 1, et empêcher les professionnels d'utiliser des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, il y a lieu de reconnaître un effet restitutoire similaire lorsque le caractère abusif de clauses d'un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel entraîne non seulement la nullité de ces clauses, mais également l'invalidité de ce contrat dans son intégralité (arrêt du 15 juin 2023, Bank M., C-520/21, point 66).
9. En droit interne, la Cour de cassation a jugé que la nullité emporte en principe l'effacement rétroactif du contrat (1re Civ., 16 juillet 1998, pourvoi n° 96-18.404, Bull. 1998, I, n° 251). Il convient d'en déduire que les prestations exécutées donnent lieu à restitution intégrale, sans perte ni profit pour le créancier. Outre les restitutions consécutives à l'annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du préjudice subsistant dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle.
10. Dès lors, il incombe au juge qui fixe la dette de restitution pesant sur la banque à l'issue de l'annulation d'un contrat de prêt résultant du caractère abusif de ses clauses, de déduire la somme allouée par une décision définitive de la juridiction pénale au titre du préjudice financier des emprunteurs né de l'exécution de ce contrat lorsqu'elle a le même effet que leur créance de restitution.
11. Une telle déduction ne compromet pas l'effet dissuasif recherché par la directive précitée.
12. Ayant relevé que, par arrêt définitif du 28 novembre 2023 de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris, la banque avait été condamnée à payer aux emprunteurs des dommages et intérêts correspondant à une partie des sommes que ceux-ci lui avaient versées en exécution du contrat de prêt et au paiement desquelles ils n'auraient pas été tenus en l'absence de stipulations faisant dépendre leur charge de remboursement du taux de change de l'euro contre le franc suisse, la cour d'appel, qui a fait ressortir que l'indemnité octroyée par le juge pénal avait le même effet restitutoire que celui résultant de l'annulation du contrat de prêt, en a exactement déduit que cette indemnité devait être soustraite de la somme que les emprunteurs avaient payée à la banque et que celle-ci devait leur restituer en conséquence de l'annulation de l'entier contrat de prêt.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le cinq novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.