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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 23 octobre 2025, n° 24/07386

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/07386

23 octobre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30B

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 OCTOBRE 2025

N° RG 24/07386 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W4OL

AFFAIRE :

S.E.L.A.S. SELAS DES DOCKS

...

C/

S.N.C. LOCUS [6]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 10 Octobre 2024 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VERSAILLES

N° RG : 24/00904

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 23.10.2025

à :

Me Marion CORDIER, avocat au barreau de VERSAILLES (189)

Me Mathilde CAUSSADE, avocat au barreau de VERSAILLES (168)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS OCTOBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.E.L.A.S. DES DOCKS

agissant par son Représentant Légal domicilié en cette qualité audit siège,

N° SIRET : 852 391 994

[Adresse 5]

[Localité 7]

S.E.L.A.R.L. AJASSOCIES

prise en la personne de Maître [T] [X], en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SELAS DES DOCKS,

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentant : Me Marion CORDIER de la SELARL SILLARD CORDIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 189 - N° du dossier S210108

APPELANTES

****************

S.N.C. LOCUS [6]

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

N° SIRET : 834 88 2 7 06

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentant : Me Mathilde CAUSSADE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 168

Plaidant : Me Marina EDERY du barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Ulysse PARODI, Vice président placé chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,

Monsieur Ulysse PARODI, Vice président placé,

M. Bertrand MAUMONT, Conseiller,

Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 28 avril 2016, la société Altarea a donné à bail commercial à M. et Mme [B], agissant au nom et pour le compte de la SELARL en formation dénommée Satorypharma, des locaux situés au sein du centre commercial [6] à [Localité 7] destinés à l'usage de pharmacie pour une durée de dix années, à compter du 30 septembre 2016, et moyennant un loyer en principal annuel hors taxes et hors charges de 22 000 euros, payable trimestriellement et d'avance.

Par acte authentique notarié du 2 mars 2018, la société Altarea a cédé à la SNC [6], devenue SNC Locus [6], l'ensemble des droits et obligations, pour le temps restant à courir à compter du 2 mars 2018, du bail emphytéotique portant sur le terrain situant [Adresse 2] à [Localité 7], ainsi que la pleine propriété des constructions édifiées sur ledit terrain.

Par acte sous seing privé en date du 31 juillet 2019, la société Satorypharma a cédé son fonds de commerce d'officine de pharmacie à la société SELAS Des Docks.

Des loyers et des charges sont demeurés impayés.

Par acte du 25 octobre 2023, la société Locus [6] a fait signifier à la société SELAS Des Docks un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme de 27 480,22 euros portant sur les loyers et charges impayés pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2023. Celui-ci est demeuré infructueux.

Par acte de commissaire de justice délivré le 12 juin 2024, la société Locus [6] a fait assigner en référé la société SELAS Des Docks aux fins d'obtenir principalement la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail.

Par ordonnance contradictoire rendue le 10 octobre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 28 avril 2016 cédé le 31 juillet 2019 et la résiliation de ce bail à la date du 26 novembre 2023 ;

- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société SELAS Des Docks et celle de tous occupants de son chef des locaux loués situés [Adresse 5] à [Localité 7] ;

- ordonné que les meubles se trouvant sur place soient déposés dans un lieu choisi par la bailleresse aux frais, risques et péril de la locataire conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- condamné la société SELAS Des Docks à payer à la société Locus [6] la somme provisionnelle de 57 271,31 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 4 septembre 2024, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente ordonnance ;

- dit n'y avoir lieu à capitalisation des intérêts ;

- condamné la société SELAS Des Docks à payer la société Locus [6] à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel correspondant à celui du dernier loyer facturé, charges et taxes en sus, à compter du 1er octobre 2024 jusqu'à la libération effective des lieux loués ;

- dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes relatives à la majoration de l'indemnité d'occupation et à l'indemnité conventionnelle ;

- condamné la société SELAS Des Docks à payer la société Locus [6] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société SELAS Des Docks au paiement des dépens, comprenant le coût du commandement de payer ;

- rappelé que l'ordonnance est de droit exécutoire à titre provisoire.

Par jugement du 5 novembre 2024, le tribunal de commerce de Versailles a placé la société SELAS Des Docks en redressement judiciaire et désigné Maître [T] [X] en qualité d'administrateur judiciaire.

Par déclaration reçue au greffe le 26 novembre 2024, la société SELAS Des Docks a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à capitalisation des intérêts ;

- dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes relatives à la majoration de l'indemnité d'occupation et à l'indemnité conventionnelle ;

- rappelé que l'ordonnance est de droit exécutoire à titre provisoire.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 16 avril 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société SELAS Des Docks et la SELARL AJAssociés prise en la personne de Maître [T] [X] ès qualités d'administrateur judiciaire de la société SELAS Des Docks, demandent à la cour, au visa des articles L. 622-21 du code de commerce, de :

'- infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 28 avril 2016 cédé le 31 juillet 2019 et la résiliation de ce bail à la date du 26 novembre 2023,

- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la SELAS Des Docks et celle de tous occupants de son chef des locaux loués situés [Adresse 5] [Localité 7],

- ordonné que les meubles se trouvant sur place soient déposés dans un lieu choisi par la bailleresse aux frais, risques et péril de la locataire conformément aux dispositions des articles L433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

- condamné la SELAS Des Docks à payer à la SNC Locus [6] la somme provisionnelle de 57 271,31 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 4 septembre 2024 avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente ordonnance,

- condamné la SELAS Des Docks à payer à la SNC Locus [6], à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel correspondant à celui du dernier loyer facturé, charges et taxes en sus, à compter du 1er octobre 2024 jusqu'à la libération effective des lieux loués,

- condamné la SELAS Des Docks à payer à la SNC Locus [6] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens comprenant le coût du commandement de payer,

statuant à nouveau,

- débouter la SNC Locus [6] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

y ajoutant,

- la condamner à payer à la SELAS Des Docks et à Maître [T] [X] ès qualité, outre dépens de première instance et d'appel, la somme de 1 665 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.'

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que l'ordonnance dont appel n'étant pas passée en force de chose jugée à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Des Docks, ladite ordonnance sera infirmée en ce qu'elle a dit acquise la clause résolutoire et ordonné l'expulsion.

Elle ajoute que la bailleresse ne saurait par ailleurs solliciter de la cour, qui statue en référé, qu'elle fixe sa créance déclarée (du reste non contestée) au passif de la procédure, seul le juge-commissaire étant, le cas échéant, compétent à ce titre.

Dans ses dernières conclusions déposées le 6 mai 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Locus [6] demande à la cour, au visa des articles L. 622-21 et L. 145-41 du code de commerce, de :

'- infirmer l'ordonnance dont appel sauf en ce qu'elle a condamné la SELAS Des Docks à payer à la SNC Locus [6] la somme provisionnelle de 57 271,31 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 4 septembre 2024 ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ;

statuant à nouveau,

- débouter la SELAS Des Docks et la SELARL AJAssociés de leur demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens à l'encontre de la SNC Locus [6] ;

y ajoutant,

- condamner la SELAS Des Docks et la SELARL AJAssociés à payer les frais et les dépens exposés par la SNC Locus [6] dans le cadre de la présente instance.'

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir qu'elle s'en remet quant à la demande d'infirmation de l'ordonnance de référé rendue le 10 octobre 2024 en ce qu'elle a dit acquise la clause résolutoire et ordonné l'expulsion ; qu'elle a subi depuis plusieurs mois un préjudice financier important ; et qu'elle a agi de bonne foi à réception de l'ordonnance de référé qui était de droit exécutoire à titre provisoire.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la résiliation du bail

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.

L'article L. 622-21 I du code de commerce, applicable en redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14, dispose que le jugement d'ouverture d'une procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement. (Cass, 3e civ. 13 avril 2022 n° 21-15.336)

Il résulte donc de ces dispositions que la bailleresse ne peut pas poursuivre en justice le constat de l'acquisition de la clause résolutoire pour des loyers et des charges impayés échus avant l'ouverture de la procédure collective une fois le redressement prononcé compte tenu de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers.

Au cas présent, la décision dont appel date du 10 octobre 2024 et l'appel a été interjeté le 4 décembre 2024, tandis que la procédure de redressement judiciaire de la société Des Docks a été ouverte par décision du 5 novembre 2024.

En vertu des dispositions de l'article 500 du code de procédure civile, a force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution. Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai.

L'article 501 précise que le jugement est exécutoire, sous les conditions qui suivent, à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d'un délai de grâce ou le créancier de l'exécution provisoire.

La décision du 10 octobre 2024 rendue en premier ressort et régulièrement frappée d'appel, n'était en conséquence pas passée en force de chose jugée au 5 novembre 2024, même si elle était exécutoire car elle bénéficiait de l'exécution provisoire.

En application des textes susvisés, à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l'acquisition d'une clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement de loyers échus avant l'ouverture de la procédure collective se heurte à l'interdiction des poursuites et doit être déclarée irrecevable.

Il est par ailleurs constant que seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l'objet d'une fixation au passif d'une société en redressement judiciaire et qu'une provision susceptible d'être accordée par le juge des référés n'étant par nature qu'une créance provisoire, ne peut faire l'objet d'une telle fixation, la demande concernant cette créance devant être soumise au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances.

Par voie d'infirmation, il convient dès lors de déclarer la société Locus [6] irrecevable en toutes ses demandes formées à l'encontre de la société Des Docks.

Sur les demandes accessoires

Au regard de la nature de la présente décision, l'infirmation relevant pour l'essentiel de l'ouverture d'une procédure collective au profit de la société Des Docks, la décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Pour le même motif, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel.

En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Vu le jugement d'ouverture de la procédure collective rendu le 10 octobre 2024 par le tribunal de commerce de Pontoise intéressant la société Des Docks,

Infirme l'ordonnance entreprise à l'exception de ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité procédurale ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare la société Locus [6] irrecevable en ses demandes en constat de l'acquisition de la clause résolutoire et en paiement formées à l'encontre de la société Des Docks ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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