CA Angers, ch. com. A, 28 octobre 2025, n° 21/00532
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Transports Louis-H (SAS)
Défendeur :
Atlantic Trucks Services (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Corbel
Conseillers :
M. Chappert, Mme Laurent
Avocats :
Me Boizard, Me Hubert, Me Gauvin
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Transports [G] Louis-[H] exerce une activité de transports routiers.
Suivant devis du 20 février 2015, accepté le 4 mars 2015, la société Transports [G] Louis-[H] a commandé à la société Atlantic trucks services, la fourniture et la pose d'une carrosserie à parois latérales souples coulissantes (PLSC), sur châssis avec hayon élévateur rétractable, au prix de 30 300 euros HT.
Le tracteur comportant ces modifications et la remorque, vendus par la société Etablissement Petit, ont été immatriculés respectivement sous le numéro [Immatriculation 7] et [Immatriculation 8], le 1er septembre 2015 et le 31 août 2015.
Le 16 février 2016, le camion de la société Transports [G] Louis-[H], assurée par la Caisse régionale d'assurance mutuelle agricole Bretagne-Pays de Loire (dite Groupama Loire Bretagne) et sur lequel la société Atlantic Trucks Services avait fait des travaux d'aménagement, a été endommagé par un début d'incendie, rapidement maîtrisé.
Groupama Loire Bretagne a mandaté la société Brie Expertise [Localité 9] afin de procéder à une expertise extra-judiciaire.
Une première réunion a eu lieu contradictoirement, le 18 mars 2016. Il a alors été constaté :
- à l'intérieur du coffre dans lequel se trouve le groupe hydraulique de levage du toit :
* la présence importante de poudre d'extincteur ;
* le coupe circuit est en position fermée ;
* des fils d'alimentation de faible section (un fil de masse et un fil d'excitation) du groupe partiellement endommagé au niveau de leurs gosses sans que leur isolant ne soit fondu ;
* la présence de traces d'échauffement sur le groupe hydraulique ;
* plusieurs objets dont certains objets métalliques à l'intérieur du coffre accueillant le moteur du système de surélévation hydraulique de la remorque, à savoir, 3 bouchons de réservoir, 1 manivelle, 1 perche de nettoyage, 2 mains de frein, la télécommande
- sous le véhicule, notamment, la présence de flexibles hydrauliques en contact et partiellement fondus.
La société Brie Expertise [Localité 9] a conclu que l'incendie trouvait son origine dans « un court-circuit électrique suite à un contact avec une pièce métallique au niveau du moteur du groupe hydraulique », c'est-à-dire dans le coffre arrière droit qui avait été aménagé par la société Atlantic trucks services.
Les parties ont été convoquées à une seconde réunion à laquelle la société Atlantic trucks services a toutefois refusé de participer, ayant considéré que les constatations précédentes avaient permis d'objectiver que l'incendie trouvait sa cause dans le stockage anormal et inapproprié d'outils et pièces métalliques dans le coffre destiné à accueillir le moteur du groupe hydraulique, selon les propres termes de l'expert mandaté par la société Transports [G] Louis-[H].
A cette nouvelle réunion, qui s'est tenue le 6 juin 2016, le cabinet d'expertise a confirmé que 'les opérations d'expertise ont permis de mettre en évidence qu'un court-circuit électrique au niveau de deux bornes d'alimentation du moteur avait entraîné sa mise sous tension pendant que le véhicule circulait. Le toit étant verrouillé, l'huile est montée en température dans le circuit jusqu'à provoquer le début d'incendie tel que nous l'avons constaté. Les traces de court-circuit constatées sur le moteur sont situées sur les deux bornes espacées de plus d'un centimètre. Seule l'insertion d'une pièce conductrice de courant peut entraîner ce court-circuit. Lors des opérations d'expertise, il a été constaté que plusieurs pièces métalliques se trouvaient dans le coffre. Nos opérations d'expertise ont également mis en évidence que le coupe-circuit était en position fermé permettant ainsi la mise sous tension du moteur'. Il a conclut qu''une cause externe est par conséquent à l'origine de ce sinistre. Si le circuit avait été en position ouvert par l'action du coupe-circuit et s'il n'y avait pas eu de pièces métalliques dans le coffre à outils, l'incendie ne se serait pas produit'. Il a ajouté la constatation selon laquelle les outils qui se trouvaient dans le coffre ne comportent pas de trace suite à un court-circuit électrique.
Surtout, il a relevé :
- qu'il n'y a aucune information sur la position du coupe circuit (circuit ouvert ou fermé) et que rien ne permet de savoir si le circuit est en position ouvert ou fermé ;
- qu'il n'y avait aucune indication sur ce coffre précisant qu'il est interdit de mettre des outils compte tenu du risque de provoquer un court-circuit électrique. A cet égard, il a indiqué que si l'installation de système tel que celui-ci dans un coffre à outils est utilisé fréquemment par les carrossiers qui rencontrent souvent des contraintes de place pour carrosser les véhicules, on peut toutefois reprocher à la société Atlantic Trucks Services de ne pas avoir informé la société Transports [G] Louis-[H] qu'il ne fallait pas mettre d'outils dans le coffre qui est désigné comme un coffre à outils dans le descriptif détaillé du devis signé par M [G]. Une indication dans ce coffre avec interdiction de mettre des outils compte tenu du risque électrique aurait peut-être permis d'éviter ce sinistre.
Il en a conclu que la responsabilité de la société Atlantic Trucks Services peut être recherchée compte tenu d'un manquement à son devoir d'information.
La société Transports [G] Louis-[H] a fait exécuter les travaux réparatoires, le 3 juin 2016, consistant dans le remplacement des faisceaux fondus, d'un modulateur de frein et dans la remise en état de tuyaux d'air.
Le 15 novembre 2016, la société Transports [G] Louis-[H] a assigné, en référé, la société Atlantic trucks services aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise, à laquelle elle s'est opposée parce que le véhicule incendié avait été réparé. Par une ordonnance du 31 janvier 2017, le président du tribunal de commerce d'Angers a désigné M. [J] en qualité d'expert, lequel a déposé son rapport, le 18 février 2019.
L'expert judiciaire a pu examiner le moteur hydraulique qui avait été déposé et conservé et s'est appuyé sur les photographies prises lors des opérations d'expertise extrajudiciaire les 18 mars et 3 juin 2016. Il n'a pu examiner les faisceaux électriques ni les tuyauteries d'huile hydraulique qui avaient été remplacés et non conservés.
Il a relevé que le moteur et la pompe hydraulique ne présentent aucun désordre susceptible d'avoir participé au déclenchement de l'incendie.
Il a constaté une dégradation par fusion de la borne de sortie du moteur et l'absence de fusible entre la batterie et le moteur du groupe.
Il a conclu que :
- l'incendie trouve son origine dans un court-circuit électrique qui s'est produit entre les bornes d'entrée du relais et la sortie du moteur situé dans le coffre, où il a entraîné la mise à la masse du câble d'alimentation venant de la batterie, lequel a chauffé d'une façon anormale, ce qui est à l'origine du développement de l'incendie sur le chemin qu'il parcourt de la batterie au coffre.
- la présence anormale d'outils et d'autres pièces métalliques dans le coffre est à l'origine du court-circuit, lequel a été autorisé par une absence de capuchon isolant sur les câbles reliés aux bornes du relais et du moteur.
- le coffre dans lequel l'incendie a pris naissance était destiné à recevoir le groupe électro-hydraulique. Le bon sens aurait dû conduire l'utilisateur à ne pas utiliser ce coffre comme moyen de stockage des pièces métalliques sans les arrimer. L'utilisation de ce coffre comme lieu de stockage de pièces métalliques devait fatalement provoquer un jour ou l'autre un court-circuit entre une borne sous tension et une autre de retour à la masse. Le coffre ne possédait aucune étiquette rappelant son usage exclusif. Le constructeur aurait dû apposer des mises en garde sur le coffre dédié au groupe électro-hydraulique.
- aucune inscription ne permettant de connaître la position fermée ou ouverte du robinet de batterie. Mais la sonorité du groupe est suffisante pour pallier l'absence d'affichage indiquant la position ouverte ou fermée du coupe circuit.
Le 4 septembre 2019, la société Transports [G] Louis-[H] a assigné la société Atlantic Trucks services devant le tribunal de commerce d'Angers sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux prévue à l'article 1245 et suivants du code civil, subsidiairement sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour défaut d'information, en indemnisation des préjudices suivants :
- la somme de 7 176,49 euros au titre des opérations de dépannage, remorquage et réparation du véhicule ;
- la somme de 25 010 euros au titre de la perte d'exploitation ;
- la somme de 1 753,10 euros au titre des réparations du véhicule ;
- les honoraires d'expert judiciaire ;
- les frais d'expert (GM consultant) ;
soit la somme de 39 155,32 euros.
Par jugement du 25 novembre 2020, le tribunal de commerce d'Angers a :
- condamné la société Atlantic trucks services à payer à la société Transports [G] Louis-[H] la somme de 3 000 euros ;
- rejeté les demandes de la société Atlantic trucks services ;
- condamné la société Atlantic trucks services à payer à la société Transports [G] Louis-[H] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Atlantic trucks services aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Le tribunal a retenu que la responsabilité de la société Atlantic trucks services était engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux en considérant que le coffre où se trouvait le groupe hydraulique possédait une installation électrique ne présentant pas la sécurité nécessaire et ne contenait pas les indications nécessaires à son usage. Il a constaté que l'assureur de la société Transports [G], Groupama Loire Bretagne avait indemnisé les frais relatifs à la remise en état du véhicule mais n'avait pas indemnisé les pertes d'exploitation. Il a considéré que la perte d'exploitation n'était pas démontrée, que n'étaient pas justifiés les frais d'huissier et n'a indemnisé que les frais d'expertise amiable d'un montant de 3 000 euros.
Par déclaration du 18 février 2021, la SAS Transports [G] Louis-[H] a interjeté appel partiel de ce jugement en ce qu'il a limité la condamnation de la société Atlantic trucks services à la somme de 3 000 euros au titre des préjudices subis et rejeté ses autres réclamations, intimant la société Atlantic trucks services.
La société Groupama Loire Bretagne, indiquant avoir indemnisé son assurée du préjudice matériel consistant en la réparation du camion et de la remorque, est intervenue volontairement.
La société Transports [G] [L] et Groupama Loire Bretagne ont conclu au fond en demandant de condamner la société Atlantic trucks services à verser à Groupama Loire Bretagne, subrogée dans les droits de son assurée, la somme de 7 441,33 euros hors taxes en réparation du préjudice matériel, à payer à la société Transports [G] la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte financière que lui a causé le défaut d'exploitation du camion ainsi que la somme de 3 000 euros au titre des frais d'expertise amiable.
Par ordonnance du 26 janvier 2022, rectifiée le 28 août 2025, le magistrat chargé de la mise en état a déclaré recevable l'intervention volontaire de Groupama Loire Bretagne, a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action exercée par la société Groupama Loire Bretagne, a condamné la société Atlantic trucks services à payer à Groupama Loire Bretagne la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la société Atlantic trucks services aux dépens de l'incident.
Les parties ont conclu au fond.
L'instruction de l'affaire a été clôturée le 8 septembre 2025, à l'audience avant l'ouverture des débats, après révocation, d'un commun accord entre les parties, de la précédente ordonnance de clôture.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Transports [G] Louis-[H] et Groupama Loire Bretagne demandent à la cour de :
Vu l'article 1147 du code civil (ancien),
Vu les articles 1240, 1241, 1245-3 et 1245-5 et suivants du code civil,
Vu l'article L.121-12 du code des assurances,
- déclarer la société Transports [G] Louis-[H] recevable et bien fondée en son appel,
- déclarer l'intervention volontaire de Groupama Loire Bretagne recevable et bien fondée,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité du fait des produits défectueux de la société Atlantic truck services à l'origine du sinistre survenu le 16 février 2016 au préjudice de la société Transports [G] Louis-[H],
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Atlantic truck services au paiement de la somme de 3 000 euros en remboursement des frais d'expertise amiable correspondant à la facture GM Consultant et à la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 au titre des frais irrépétibles exposés à l'occasion de la procédure de référé et de la procédure au fond, ainsi qu'aux entiers dépens de ces instances,
- dire et juger que la condamnation de la société Atlantic truck services par les premiers juges au paiement de la somme de 3 000 euros en remboursement des frais d'expertise amiable s'ajoutera à la somme de 4 000 euros qui a été allouée à la société Transports [G] Louis-[H] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Infirmer le jugement qui a débouté la Société Transports [G] Louis-[H] au titre des frais de remise en état du véhicule et de la perte d'exploitation.
En conséquence,
- condamner la société Atlantic truck services à verser à la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de Loire dite Groupama Loire Bretagne, la somme de 7 441,33 euros hors-taxes au titre de la subrogation légale,
- la condamner à payer à la société Transports [G] Louis-[H], la somme de 25 000 euros au titre de la perte d'exploitation du fait de l'immobilisation du véhicule sinistré,
- à défaut, la condamner à la somme de 10 124,72 euros pour les mêmes motifs,
- condamner la société Atlantic truck services à payer à la société Transports [G] Louis-[H], la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner à payer à la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Bretagne Pays de Loire dite Groupama Loire Bretagne, la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La société Atlantic trucks services demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 554, 555, 562 du code de procédure civile ;
Vu les dispositions des articles 1245-16, et 2224 du code civil ;
Vu les dispositions des articles 1245 et suivants du code civil ;
Vu les dispositions de l'ancien article 1142 du code civil ;
- juger que la Caisse régionale d'assurance mutuelle agricole Bretagne (Groupama Loire Bretagne), subrogée à hauteur de la seule somme de 1 460,92 euros, non fondée en ses demandes ;
l'en débouter,
- juger la société Transports [G] Louis-[H] non fondée en son appel, ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- recevant la société Atlantic trucks services en son appel incident, ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* retenu la responsabilité de la société Atlantic trucks services,
* condamné la société Atlantic trucks services à payer à la société Transports [G] Louis-[H] la somme de 3 000 euros,
* condamné la société Atlantic trucks services à payer à la société transports [G] Louis-[H] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société Atlantic trucks services aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise,
Statuant à nouveau,
- débouter la société Transports [G] Louis-[H] de l'ensemble de ses demandes ;
Subsidiairement ;
- réduire les condamnations éventuelles de la société Atlantic Trucks Services dans de plus justes proportions ;
- débouter la société Atlantic trucks services et la société Crama Loire Bretagne de leurs demandes au titre des frais irrépétibles portées à la somme de 10 000 euros pour la société Atlantic trucks services et à 2 500 euros pour la Crama Loire Bretagne ;
- condamner la société Transports [G] Louis-[H] à verser à la société Atlantic trucks services une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
- condamner la société Transports [G] Louis-[H] aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
- le 3 septembre 2025, pour la société Atlantic trucks services,
- le 4 septembre 2025, pour la société Transports [G] Louis-[H] et Groupama Loire Bretagne.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la responsabilité du fait des produits défectueux
L'article 1386-1, devenu 1245, du code civil dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat à la victime.
Selon l'article 1386-6, 1er alinéa, devenu 1245-5, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini. La société Atlantic trucks services a donc la qualité de producteur au sens de ce texte, ce qui n'est pas contesté.
Aux termes de l'article 1386-9, devenu 1245-8 du code civil, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Il en résulte que le demandeur doit préalablement établir que le dommage est imputable au produit. Cette preuve peut être apportée par tout moyen et notamment par des indices graves, précis et concordants. Ce lien de causalité ne peut être déduit de la seule implication du produit dans la réalisation du dommage.
Sur la cause du dommage
La société Atlantic trucks services prétend que l'origine du sinistre n'est pas suffisamment établie, en s'appuyant sur les premières constatations du mécanicien de la société DAF, réalisées juste après l'incendie, pouvant laisser penser que l'incendie trouverait son origine au niveau du faisceau dans le châssis et non pas au niveau du groupe hydraulique, d'autant que le chauffeur du camion a déclaré avoir ressenti une odeur de brûlé dans l'habitacle du véhicule, puis avoir constaté des flammes sortant des grilles de ventilation situées à l'avant du véhicule, à l'intérieur de la cabine. Elle ajoute que la fonte des flexibles était pourtant vérifiable au jour de l'expertise mais que l'expert mandaté par Groupama n'a pas souhaité en tenir compte alors même qu'il n'observait aucune trace de court-circuit sur le moteur du groupe hydraulique.
Mais dans son compte-rendu d'intervention, le mécanicien de la société DAF a seulement indiqué qu'il avait constaté q'un faisceau dans le châssis avait pris feu, qu'il avait été éteint, sans se prononcer sur l'origine de l'incendie. Surtout, les opérations d'expertise ont permis de constater des traces de court-circuit au niveau de deux bornes d'alimentation du moteur hydraulique qui se trouvait dans le coffre, destiné à fournir l'énergie nécessaire aux vérins pour monter ou descendre les parois rétractables du toit. L'expert judiciaire partage l'avis de l'expert mandaté par l'assureur de la société Transports [G] Louis-[H] sur le fait que c'est ce court-circuit, ayant entraîné la mise sous tension du moteur du groupe hydraulique, qui est à l'origine de l'incendie.
Il est donc possible dans le cas présent d'identifier la cause du sinistre. Elle consiste dans la mise en marche du moteur du vérin hydraulique à la suite d'un court-circuit au niveau des bornes d'entrée et de sortie de ce moteur, ce qui a engendré un échauffement dès lors que le système de levage était verrouillé. Le sinistre trouve donc bien son origine dans le coffre aménagé par la société Atlantic trucks services.
Sur le défaut du produit
Aux termes de l'article 1245-3, un produit est défectueux, au sens des dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux, lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Il est établi par les conclusions concordantes de l'expert mandaté par Groupama et de l'expert judiciaire que le court-circuit a été provoqué par la présence de pièces métalliques entreposées dans le coffre destiné à recevoir le groupe hydraulique.
Sur ce point, il est constant que la société Atlantic trucks services a installé dans un coffre réservé initialement à l'usage de caisse à outils, un groupe électro-hydraulique pour permettre de lever le toit du véhicule. L'expert mandaté par Groupama a lui-même indiqué que l'installation de système tel que celui-ci dans un coffre à outils est utilisé fréquemment par les carrossiers qui rencontrent souvent des contraintes de place pour carrosser les véhicules.
La question qui divise les parties est de savoir si ce coffre ou le groupe hydraulique peuvent être, l'un ou l'autre ou les deux, considérés comme des produits défectueux.
La société Atlantic trucks services met en avant le fait que le coffre aménagé n'est pas un produit dangereux en tant que tel et que l'incendie est survenu en raison d'un usage inapproprié de ce coffre. Elle prétend que ce coffre ne présente aucune défectuosité intrinsèque, ni le coupe-circuit du moteur du système d'élévation hydraulique de la remorque, ni le moteur lui-même. Elle fait valoir que si l'expert judiciaire a relevé que des indications relatives à l'usage du coffre et à la mise en service du coupe-circuit auraient pu figurer à l'intérieur de cet ouvrage, pour autant, l'usage normal de ces équipements ne laissait aucune place au doute. Elle en déduit que la seule absence d'indication des conditions d'usage du coffre qui ne comporte en lui-même aucune dangerosité, tout comme l'absence d'indication de la position ouvert / fermé du coupe-circuit ne sauraient caractériser la défectuosité de ce coffre.
Au contraire, la société Transports [G] Louis-[H] et Groupama Loire Bretagne se prévalent de l'absence de fusible entre la batterie et le moteur qui a permis l'échauffement du câble d'alimentation électrique directement à l'origine de l'incendie mais aussi de l'absence de toute information, à l'intérieur ou à proximité du coffre, à l'attention du chauffeur du véhicule le mettant en garde contre le danger pouvant exister de stocker des outils métalliques dans un espace dédié à l'origine à cet effet par le constructeur, en soulignant que le chauffeur peut disposer d'une formation mécanique sans pour autant avoir les connaissances en électricité suffisantes pour évaluer les risques liés à certaines situations.
Il y a lieu de rappeler que la défectuosité du produit n'équivaut pas à sa dangerosité. C'est le danger excessif ou anormal au vu d'un usage raisonnablement attendu qui permet de caractériser un défaut. Ce défaut peut être interne, ce qui est le cas lorsqu'existe un défaut de conception. Il peut aussi être extrinsèque dans le cas où l'absence de sécurité résulte d'une information insuffisante sur les dangers potentiels du produit. Ainsi un produit ne présentant pas d'anomalie intrinsèque peut cependant comporter un défaut, au sens de la loi, lorsque l'information et les mises en garde sur ses conditions d'utilisation n'étaient pas suffisantes. Il est en effet raisonnable de penser que l'attente qu'un utilisateur peut avoir sur l'absence de dangerosité anormale du produit est d'autant plus légitime qu'il aura utilisé le produit conformément à sa destination, d'où l'importance de la connaissance qu'il peut avoir des conditions de son utilisation.
Dans le cas présent, la société Atlantic trucks services a installé dans un coffre du camion un groupe hydraulique comprenant un moteur. Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que cette installation ne présente pas de défaut si ce n'est qu'il n'y a pas de fusible entre la batterie et le moteur du groupe, alors que s'il y en avait eu un, il aurait fondu au moment du court-circuit qui s'est produit et, en fondant, aurait empêché l'échauffement du câble d'alimentation électrique et donc l'incendie. Cependant, l'expert ne se prononce pas sur le point de savoir si ce fusible était nécessaire si le coffre avait été utilisé exclusivement à l'usage auquel il était destiné à accueillir le système de surélévation téléscopique par vérins hydrauliques. Dès lors, les éléments du dossier font seulement apparaître que ce n'est que parce que la société Transports [G] Louis-[H] en a fait un autre usage, en y entreposant des pièces métalliques, qu'a été créé un risque de court-circuit. Et les experts sont d'accord pour dire que c'est une pièce métallique placée par la société Transports [G] Louis-[H] dans ce coffre, sans l'avoir arrimée, qui a causé ce court-circuit.
Il sera donc retenu que le produit ne présentait pas de défaut de conception et que c'est son usage anormal par l'utilisateur qui a créé sa dangerosité anormale.
Si l'expert estime que le bon sens aurait dû conduire l'utilisateur à ne pas entreposer des outils métalliques dans ce coffre, il n'en reste pas moins que le fabricant aurait dû l'avertir des dangers de cet usage, d'autant plus qu'un tel usage n'était pas imprévisible puisque avant l'aménagement créé, le coffre était destiné à cet usage et que depuis son aménagement, il n'existait plus dans le camion de coffre à outils. Il s'ensuit que le défaut du produit se caractérise dans le cas présent par l'absence d'information délivrée par la société Atlantic trucks services sur les dangers attachés à la présence, dans ce coffre, de pièces métalliques non fixées.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que la responsabilité de la société Atlantic trucks services était engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.
Sur le montant de l'indemnisation
Sur l'indemnisation complémentaire réclamée par la société Transports [G] Louis-[H]
La société Transports [G] Louis-[H] réclame au titre de frais d'expert (GM consultant) une somme de 3 000 euros. Elle ne produit une facture à son nom de GM consultant que d'un montant de 990 euros, l'autre facture d'un montant de 2 010 euros étant au nom de Goupama Loire Bretagne.
La société Atlantic trucks services s'oppose à la demande de la société Transports [G] Louis-[H] en faisant valoir qu'elle ne justifie pas s'en être personnellement acquitée et ne justifie pas de l'utilité de cette dépense.
La cour constate que la société Transports [G] Louis-[H] ne justifie pas avoir effectivement payé cette somme alors que cela est contesté par la partie adverse partant de ce que ces dépenses ont pu être prises en charge par Groupama Loire Bretagne, ce que les fiches 'ordonnancement' provenant de Groupama ne permettent pas de déterminer. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a accueilli la demande d'indemnisation au titre des frais d'expert sur l'utilité desquels, au demeurant, il n'est apporté aucune indication.
Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a rejeté la demande au titre des frais d'huissier pour avoir été dépourvue de justificatif.
La société Transports [G] Louis-[H] demande l'indemnisation d'une perte d'exploitation tenant à l'immobilisation du camion sur la période du 16 février 2016 au 3 juin 2016, soit 76 jours, qu'elle évalue à la somme de 25 010 euros hors taxes calculée à partir d'une perte de chiffre d'affaires estimée à 42 011 euros hors taxes sur laquelle ont été retranchées les charges variables économisées du fait de cette immobilisation, évaluées à la somme de 17 001 euros hors taxes, en produisant une attestation de son expert comptable indiquant que, pour estimer le chiffre d'affaires non réalisé, il s'est fondé sur les données extraites de l'exploitation au cours d'une période proche de celle où le véhicule a été immobilisé, en retenant que sur la période du 4 septembre 2015 au 31 janvier 2016, ce véhicule a généré un chiffre d'affaires de 52 514 euros HT, soit un chiffre d'affaires journalier moyen de 552,78 euros et que le contrôle réalisé sur la même période des deux années suivantes, toujours selon les données extraites de l'exploitation, permet de valider cette estimation, tandis que les charges variables économisées sur la période en cause ont été estimées à partir de données (nombre de kilomètres effectués, consommation moyenne du camion, prix moyen du carburant, nombre de péages et tunnel...) collectées sur la période du 4 septembre 2015 au 31 janvier 2016, proratisées et rapportées à la période d'immobilisation.
Elle fait valoir que l'indemnisation au titre de la perte d'exploitation du fait de l'immobilisation du véhicule en cause ne peut être soumise à la preuve d'une perte de chiffre d'affaires ou de clients sur l'exercice social en faisant valoir que si le montant de chiffre d'affaires d'une société de transports n'est pas seulement fonction du nombre de camions dont elle dispose dans sa flotte mais également de la conjoncture économique et de la variation du nombre de transports qui lui sont confiés par ses clients d'une année sur l'autre, l'immobilisation d'un porteur et d'une remorque engendre nécessairement une perte d'exploitation du fait de l'absence de chiffre d'affaires réalisé au moyen de ce véhicule, l'objectif de toute entreprise étant de tirer un maximum de profits des machines et véhicules à sa disposition. Elle demande, dans le cas où la cour devait considérer que le calcul de l'expert-comptable est insuffisant, l'application du barème convenu entre la Fédération nationale des transports routiers et les assureurs, qui prévoit le versement d'une indemnité journalière de 133,20 euros pour les entreprises disposant d'une flotte de dix véhicules et plus dont l'un d'eux est immobilisé à la suite d'un accident de la circulation, raison pour laquelle, subsidiairement, elle sollicite la somme de 10 124,72 euros (133,20 € x 76 jours).
La société Atlantic trucks services lui répond que le préjudice ne saurait être constitué par une perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires. Elle estime qu'il appartient à la société Transports [G] Louis-[H] de produire les justificatifs de sa perte de chiffre d'affaires liée à l'immobilisation du véhicule, ce qu'elle ne fait pas, se gardant de verser aux débats son bilan, ou même une perte de marché liée à l'immobilisation du véhicule. Elle ajoute que le barème des assureurs en matière d'accident de circulation impliquant un camion, lui est inopposable.
La société Atlantic trucks services ne justifie pas d'une perte de clients sur la période considérée ni même d'une baisse d'activité. Pour autant, l'immobilisation d'un camion sur les dix qu'elle détenait à l'époque a nécessairement limité son activité sur cette période. Il est difficile de quantifier précisément le préjudice en découlant puisqu'il faut prendre en compte la possibilité pour le transporteur de reporter une partie de l'activité qui n'a pas pu être exploitée au moyen de ce camion sur les autres camions de la flotte, ce qui dépend de leur taux d'occupation et d'emploi. En l'absence d'indication plus précise, au vu du chiffre d'affaires que peuvent générer les transports au moyen d'un camion pendant 76 jours, déduction faite des charges variables, tels que l'a évalué l'expert-comptable de la société Atlantic trucks services, le préjudice subi sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros.
Sur la demande de Groupama Loire Bretagne
Il n'est pas contesté que les réparations en cause entrent dans le champs de la garantie du fait des produits défectueux tel que prévu à l'article 1386-2 du code civil relativement au dommage supérieur à un montant déterminé par décret et qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
Groupama Loire Bretagne justifie avoir indemnisé, par l'intermédiaire de son courtier Actri, mandaté à cet effet, au titre du préjudice matériel de la société Transports [G] subi à la suite du sinistre du 16 février 2016, la somme de 7 441,33 euros (4 247,71 + 1 732,70 + 1 460,92, les deux premières sommes ayant été directement versées au garage pour le remorquage et les réparations effectuées sur le véhicule sinistré).
Selon l'article L. 121-12 du code des assurances, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.
Par cette subrogation légale, spécifiquement prévue au profit de l'assureur, celui-ci, après indemnisation de son assuré, recueille les droits et actions dont l'assuré était titulaire à l'encontre du responsable du dommage.
De ce fait, Groupama Loire Bretagne est en droit d'exercer son recours contre la société Atlantic trucks services qui est responsable du dommage ayant provoqué la mise en oeuvre de sa garantie dès lors qu'elle justifie avoir payé des indemnités d'assurance en réparation de ce dommage et en exécution du contrat d'assurance, ce qu'elle établit au vu du décompte des paiements faits par elle et du contrat d'assurance dont elle produit les conditions générales et particulières, ce qui n'est pas contesté, la société Atlantic trucks services ne contestant que l'existence d'une subrogation conventionnelle pour défaut de preuve de l'antériorité de la subrogation au paiement en l'absence de production d'une quittance subrogative. Contrairement à ce que soutient la société Atlantic trucks services, il est indifférent que Groupama Loire Bretagne ait payé directement au garage certains frais et non pas à son assurée dès lors qu'il s'agit dans les deux cas d'une prise en charge en exécution du contrat de l'indemnisation des préjudices subis par son assurée.
Groupama Loire Bretagne est donc bien subrogée dans les droits de son assuré à concurrence de l'indemnité qu'elle lui a payée soit directement, soit indirectement. En conséquence, la société Atlantic trucks services sera condamnée à payer à Groupama Loire Bretagne la somme de 7 441,33 euros.
Sur les frais et dépens
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Atlantic trucks services, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel et à payer aux parties adverses, ensemble, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
la cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il condamne la société Atlantic trucks services au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de frais d'expert et rejette la demande de la société Transports [G] Louis-[H] au titre de l'indemnisation d'une perte d'exploitation ;
Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,
Dit que l'intervention volontaire de Groupama Loire Bretagne a déjà été jugée recevable ;
Déclare la société Atlantic trucks services tenue d'indemniser la société Transports [G] Louis-[H] des préjudices consécutifs à l'incendie survenu le 16 février 2016 dans le camion qu'elle a aménagé ;
Condamne la société Atlantic trucks services à payer à Groupama Loire Bretagne la somme de 7 441,33 euros HT ;
Rejette la demande de la société Transports [G] Louis-[H] au titre des frais d'expert GM consultant ;
Condamne la société Atlantic trucks services à payer à la société Transports [G] Louis-[H] la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice de perte d'exploitation ;
Condamne la société Atlantic trucks services à payer à la société Transports [G] Louis-[H] et Groupama Loire Bretagne, ensemble, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Atlantic trucks services aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.