CA Douai, soc. c salle 1, 24 octobre 2025, n° 24/01035
DOUAI
Arrêt
Autre
ARRÊT DU
24 Octobre 2025
N° 1556/25
N° RG 24/01035 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VP2C
MLB/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
en date du
18 Mars 2024
(RG F 22/00113 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 24 Octobre 2025
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.S.U. AMBULANCES DE LA PISCINE
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Fabienne MENU, avocat au barreau de VALENCIENNES, assistée de Me Stéphane FABING, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
INTIMÉ :
M. [Z] [N]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Didier DARRAS, avocat au barreau de BÉTHUNE
DÉBATS : à l'audience publique du 03 Septembre 2025
Tenue par Muriel LE BELLEC
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
Nathalie RICHEZ-SAULE
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Octobre 2025,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller désigné pour exercer les fonctions de président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 Août 2025
EXPOSÉ DES FAITS
M. [N], né le 24 avril 1963, a été embauché à compter du 31 mai 2021, en qualité d'auxiliaire ambulancier, par la société Ambulances de la Piscine, dont le gérant est M. [Y], avec reprise d'ancienneté au 2 mai 2017, le salarié ayant précédemment exercé les mêmes fonctions au sein de la société Ambulances Serrier, dont le fonds de commerce a été racheté en novembre 2020 par la société Givenchy Ambulances, également dirigée par M. [Y].
La relation de travail était assujettie à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport. L'entreprise employait de façon habituelle moins de onze salariés.
M. [N] a été convoqué par lettre remise en main propre le 17 novembre 2021 à un entretien le 29 novembre 2021 en vue de son éventuel licenciement et mis à pied à titre conservatoire. A l'issue de cet entretien, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 décembre 2021.
Par requête reçue le 8 avril 2022, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Lens pour contester le bien-fondé de son licenciement.
Par jugement en date du 18 mars 2024 le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixé la moyenne des salaires à la somme brute de 2 040,39 euros et condamné la société Ambulances de la Piscine à payer à M. [N] :
- 586,88 euros brut à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire
- 58,69 euros brut au titre des congés payés y afférents
- 4 080,78 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 408,07 euros brut au titre des congés payés y afférents
- 2 337,95 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement
- 10 201,95 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a également condamné la société Ambulances de la Piscine à reverser à Pôle Emploi devenu France Travail la somme de 12 242,34 euros brut correspondant au remboursement des indemnités chômage perçues par M. [N] dans la limite de six mois, débouté la société Ambulances de la Piscine de l'intégralité de ses demandes, dit le jugement exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire selon les dispositions prévues à l'article R.1454-28 du code du travail, précisé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la demande pour toutes les sommes de nature salariale et à compter du jugement pour toute autre somme et condamné la société Ambulances de la Piscine aux dépens.
Le 16 avril 2024, la société Ambulances de la Piscine a interjeté appel de ce jugement.
Par ses conclusions reçues le 18 mars 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Ambulances de la Piscine demande à la cour d'infirmer le jugement, statuant à nouveau, de débouter M. [N] de l'ensemble de ses demande, juger que son licenciement pour faute grave est justifié, ordonner en conséquence la restitution par l'intimé de la somme nette de 5 785,65 euros correspondant à l'exécution provisoire de la première instance et, y ajoutant, condamner M. [N] aux entiers dépens et au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 19 février 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [N] sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris et condamne l'appelante au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 13 août 2025.
MOTIFS DE L'ARRÊT
En application des articles L.1232-6 et L.1234-1 du code du travail, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige reproche à M. [N] une conduite dangereuse et agressive, non respectueuse des patients conduits et des usagers de la voie publique, mettant en cause la réputation et l'image de l'entreprise.
La lettre de licenciement précise que le 3 novembre 2021, M. [N] a violé une priorité avec le véhicule de l'entreprise et refusé de reculer, bloquant ainsi la circulation, qu'il a tenté d'écraser le conducteur du véhicule prioritaire qui était sorti de son véhicule, qu'il est également descendu de son véhicule pour le frapper mais a été repoussé.
La lettre de licenciement ajoute que l'employeur a été informé de ces faits par un témoin, choqué et qu'à la suite de l'appel de ce témoin, désastreux pour l'image de l'entreprise, la standardiste lui a appris que plusieurs patients avaient demandé de ne plus être conduits par M. [N] en raison de sa conduite brutale et non respectueuse du code de la route, du fait qu'il regardait des émissions et séries sur son téléphone portable en conduisant ou leur faisait subir ses conversations personnelles notamment avec son épouse.
La lettre de licenciement fait enfin grief au salarié d'avoir roulé à toute allure et sur un trottoir le 12 novembre 2021 en manquant d'écraser un piéton, à qui il a fait un signe de la main droite pour s'excuser tout en tenant son téléphone de la main gauche.
S'agissant du premier grief, Mme [K], standardiste, atteste avoir été contactée le 3 novembre 2021 par une personne témoignant du comportement inapproprié du conducteur d'un véhicule dont elle avait relevé l'immatriculation ([Immatriculation 4]), s'avérant être conduit par M. [N], que ce témoin lui a expliqué que le conducteur du VSL avait coupé la priorité à un véhicule, que les deux conducteurs étaient sortis de leur véhicules et qu'après s'être énervé l'ambulancier était remonté dans son véhicule et avait démarré en tentant de percuter l'autre monsieur. Mme [K] indique que le témoin était choqué par le comportement de l'ambulancier et qu'elle lui a demandé d'expliquer les faits par mail.
L'appelante produit le mail de Mme [U] en date du 3 novembre 2021. Mme [U] précise le lieu des faits, [Adresse 3] à [Localité 6], le numéro d'immatriculation du véhicule de la société Ambulances de la Piscine concerné et décrit son conducteur. Elle relate que l'ambulancier a refusé la priorité conférée par un panneau d'indication de priorité à un véhicule C4 bordeaux circulant en sens inverse, que l'ambulancier ne voulait pas reculer et que la circulation était bloquée. Elle indique que le conducteur de la C4 est descendu de son véhicule, que l'ambulancier en colère a foncé à toute vitesse sur lui et qu'elle a eu très peur pour ce monsieur. Elle ajoute que le conducteur de la C4 a mis un coup dans la portière de l'ambulance pour ne pas finir dans le fossé, que l'ambulancier est alors descendu et a essayé de le frapper mais que le conducteur de la C4 a réussi à le repousser. Il ressort du mail de Mme [U] qu'elle se trouvait dans le véhicule qui suivait la C4, qu'elle ne connaît pas son conducteur, qu'elle a vu l'ambulancier « mémoriser » l'immatriculation de la C4 et qu'elle a décidé de relater ce qui s'est réellement passé pour qu'il ne tente pas de tourner cette histoire à son avantage.
M. [N] expose que le véhicule en face, certes prioritaire, était assez loin pour qu'il puisse passer le rétrécissement de voie mais que son conducteur a délibérément accéléré. M. [N] affirme qu'il s'est mis de côté pour le laisser passer mais que le conducteur s'est arrêté à hauteur de sa fenêtre, a commencé à l'insulter puis est sorti pour donner un coup de pied dans sa portière avant de repartir. Il précise avoir alors pris une photographie de sa plaque d'immatriculation. Il ajoute qu'il n'est pas dans sa nature de chercher l'affrontement et la confrontation, que la version du témoin est floue, qu'il ne lui a pas été confronté, que l'employeur n'a pas contacté cette personne pour qu'elle atteste de façon régulière alors qu'elle avait précisé son numéro de téléphone dans son mail, que le mail n'est pas certifié et qu'il est tout à fait possible que l'employeur ait créé l'adresse électronique pour les besoins de la cause.
Ces explications insinuant que l'employeur aurait fabriqué une preuve ne sont pas crédibles puisque si Mme [U] n'avait pas spontanément contacté l'employeur, celui-ci n'aurait pas eu la moindre connaissance de l'incident qui s'est produit le 3 novembre 2021 [Adresse 3] à [Localité 6], dont M. [N] ne conteste pas l'existence mais dont il offre simplement une version différente. Il est rappelé qu'en matière prud'homale la preuve est libre. Le témoignage d'abord verbal de Mme [U] rapporté par la standardiste puis réitéré par mail est, au contraire de ce que soutient M. [N], très précis sur le fait qu'il n'a pas respecté la priorité et a bloqué la circulation puis s'est montré agressif envers le conducteur du véhicule prioritaire en avançant sur lui avec l'ambulance et en tentant de le frapper. Il importe peu que Mme [U] ne soit pas affirmative (« il me semble ») dans sa description de la couleur des branches des lunettes portées par le conducteur de l'ambulance.
Mme [K] précise ensuite qu'après la réception par l'employeur du mail de Mme [U], elle lui a fait part du fait que la patiente Mme [M], transportée trois fois par semaine, ne souhaitait plus être véhiculée par M. [N] au motif qu'à plusieurs reprises il avait regardé, tout en conduisant, des séries ou vidéos Tiktok ou passait son temps au téléphone avec son épouse, provoquant une conduite totalement imprudente. Mme [K] ajoute que d'autres patient lui ont confié que M. [N] était imprudent et dangereux sur la route (vitesse excessive, freinage brutal).
M. [N] conteste toute utilisation de son téléphone au volant, si ce n'est pour mettre de la musique lorsque les clients le lui demandent. Il concède avoir pu occasionnellement répondre à sa femme mais toujours avec un kit main-libre et jamais « pendant des heures. »
Il produit par ailleurs le témoignage de M. [L], régulateur au sein de la société MAP Ambulances, de novembre 2020 à janvier 2022, qui indique l'avoir eu comme collègue depuis 2017 et qu'il n'a jamais reçu pour consigne que M. [N] ne transporte plus tel ou tel patient.
En vue de caractériser le dernier grief, la société Ambulances de la Piscine produit un mail de M. [D] [W] en date du 12 novembre 2021. Ce dernier écrit qu'il marchait ce jour vers 12h30 le long du trottoir de la [Adresse 7] à [Localité 5], qu'en se retournant pour vérifier l'état de la circulation avant de traverser la chaussée, il a aperçu un véhicule montant très rapidement sur le trottoir et fonçant droit sur lui, qu'il a eu le réflexe de faire rapidement quelques pas en arrière pour éviter la collision et que le conducteur du véhicule, sérigraphié aux couleurs des Ambulances de la Piscine, a levé la main droite en signe d'excuses, sa main gauche étant déjà occupée par son téléphone.
M. [N] dit n'avoir aucun souvenir d'un fait pareil. Il souligne que la société Ambulances de la Piscine se base sur les déclarations d'un témoin anonyme et exprime son doute que, dans une situation aussi dangereuse et risquée, le témoin ait réussi à se souvenir du nom de la société apposé sur la voiture, voir qu'il était au téléphone et retenir intégralement la plaque d'immatriculation.
La cour observe toutefois que le mail n'est pas anonyme puisqu'il comporte les nom et prénom de son auteur, que M. [W] ne fait pas état du numéro d'immatriculation du véhicule, qu'il a simplement noté le nom de l'entreprise et qu'il se déduit du planning et de l'historique des missions du 12 novembre 2021 versés aux débats que le véhicule en cause était celui conduit par M. [N].
Le mail de M. [W] conforte par ailleurs le témoignage rapporté par Mme [K] sur l'utilisation par M. [N] de son téléphone au volant et contredit l'affirmation par le salarié qu'il utilisait toujours son téléphone avec un kit main libre.
M. [N] conteste à juste titre la pertinence des éléments étrangers aux faits produits par l'employeur en vue de le faire passer pour une personne agressive et violente et produit les témoignages d'une dizaine de clients et, outre celui de M. [L] déjà évoqué, de deux anciens collègues ambulanciers en vue de démontrer qu'il conduisait prudemment et se montrait aimable. Ces témoignages ne sont pas toutefois de nature à contredire son comportement agressif et dangereux des 3 et 12 novembre 2021, rapporté par Mme [U] et M. [W].
De plus, l'allégation de M. [N] que son employeur cherchait à le licencier parce qu'il « dérangeait » à la suite du rachat du fonds de commerce ne repose sur aucun élément, étant rappelé que la reprise du fonds de commerce des Ambulances Serrier par la société Givenchy Ambulances datait d'un an avant l'engagement de la procédure de licenciement. Cette allégation est d'ailleurs contradictoire avec le rappel par le salarié des faits. L'intimé indique en effet qu'il donnait toute satisfaction dans son travail, que M. [Y], gérant des sociétés Givenchy Ambulances et Ambulances de la Piscine, lui avait permis de passer d'une société à l'autre en mai 2021, avec reprise de son ancienneté, en vue qu'il travaille désormais dans une société spécialisée dans le transport assis et non plus couché, et qu'il a été stupéfait d'être convoqué à un entretien préalable à licenciement.
Les griefs sont suffisamment établis par les éléments ci-dessus. Le comportement agressif et dangereux dont M. [N] a fait preuve de façon répétée en novembre 2021 à l'égard d'usagers de la voie publique justifiait sa mise à pied conservatoire et la rupture immédiate du contrat de travail, privative des indemnités de rupture.
Le jugement est infirmé et M. [N] débouté de l'intégralité de ses demandes.
L'infirmation du jugement emporte de plein droit obligation pour M. [N] de restituer à la société Ambulances de la Piscine les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Ambulances de la Piscine les frais irrépétibles exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau :
Dit que le licenciement de M. [N] est justifié par une faute grave.
Déboute M. [N] de l'intégralité de ses demandes.
Rappelle que l'infirmation du jugement emporte de plein droit obligation pour M. [N] de restituer à la société Ambulances de la Piscine les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement.
Dit n'y avoir lieu à remboursement par la société Ambulances de la Piscine des indemnités chômage perçues par M. [N].
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [N] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE CONSEILLER DÉSIGNÉ POUR EXERCER LES FONCTIONS DE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
24 Octobre 2025
N° 1556/25
N° RG 24/01035 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VP2C
MLB/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
en date du
18 Mars 2024
(RG F 22/00113 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 24 Octobre 2025
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.A.S.U. AMBULANCES DE LA PISCINE
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Fabienne MENU, avocat au barreau de VALENCIENNES, assistée de Me Stéphane FABING, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
INTIMÉ :
M. [Z] [N]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Didier DARRAS, avocat au barreau de BÉTHUNE
DÉBATS : à l'audience publique du 03 Septembre 2025
Tenue par Muriel LE BELLEC
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
Nathalie RICHEZ-SAULE
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Octobre 2025,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller désigné pour exercer les fonctions de président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 Août 2025
EXPOSÉ DES FAITS
M. [N], né le 24 avril 1963, a été embauché à compter du 31 mai 2021, en qualité d'auxiliaire ambulancier, par la société Ambulances de la Piscine, dont le gérant est M. [Y], avec reprise d'ancienneté au 2 mai 2017, le salarié ayant précédemment exercé les mêmes fonctions au sein de la société Ambulances Serrier, dont le fonds de commerce a été racheté en novembre 2020 par la société Givenchy Ambulances, également dirigée par M. [Y].
La relation de travail était assujettie à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport. L'entreprise employait de façon habituelle moins de onze salariés.
M. [N] a été convoqué par lettre remise en main propre le 17 novembre 2021 à un entretien le 29 novembre 2021 en vue de son éventuel licenciement et mis à pied à titre conservatoire. A l'issue de cet entretien, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 décembre 2021.
Par requête reçue le 8 avril 2022, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Lens pour contester le bien-fondé de son licenciement.
Par jugement en date du 18 mars 2024 le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixé la moyenne des salaires à la somme brute de 2 040,39 euros et condamné la société Ambulances de la Piscine à payer à M. [N] :
- 586,88 euros brut à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire
- 58,69 euros brut au titre des congés payés y afférents
- 4 080,78 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 408,07 euros brut au titre des congés payés y afférents
- 2 337,95 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement
- 10 201,95 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a également condamné la société Ambulances de la Piscine à reverser à Pôle Emploi devenu France Travail la somme de 12 242,34 euros brut correspondant au remboursement des indemnités chômage perçues par M. [N] dans la limite de six mois, débouté la société Ambulances de la Piscine de l'intégralité de ses demandes, dit le jugement exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire selon les dispositions prévues à l'article R.1454-28 du code du travail, précisé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la demande pour toutes les sommes de nature salariale et à compter du jugement pour toute autre somme et condamné la société Ambulances de la Piscine aux dépens.
Le 16 avril 2024, la société Ambulances de la Piscine a interjeté appel de ce jugement.
Par ses conclusions reçues le 18 mars 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Ambulances de la Piscine demande à la cour d'infirmer le jugement, statuant à nouveau, de débouter M. [N] de l'ensemble de ses demande, juger que son licenciement pour faute grave est justifié, ordonner en conséquence la restitution par l'intimé de la somme nette de 5 785,65 euros correspondant à l'exécution provisoire de la première instance et, y ajoutant, condamner M. [N] aux entiers dépens et au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 19 février 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [N] sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris et condamne l'appelante au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 13 août 2025.
MOTIFS DE L'ARRÊT
En application des articles L.1232-6 et L.1234-1 du code du travail, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige reproche à M. [N] une conduite dangereuse et agressive, non respectueuse des patients conduits et des usagers de la voie publique, mettant en cause la réputation et l'image de l'entreprise.
La lettre de licenciement précise que le 3 novembre 2021, M. [N] a violé une priorité avec le véhicule de l'entreprise et refusé de reculer, bloquant ainsi la circulation, qu'il a tenté d'écraser le conducteur du véhicule prioritaire qui était sorti de son véhicule, qu'il est également descendu de son véhicule pour le frapper mais a été repoussé.
La lettre de licenciement ajoute que l'employeur a été informé de ces faits par un témoin, choqué et qu'à la suite de l'appel de ce témoin, désastreux pour l'image de l'entreprise, la standardiste lui a appris que plusieurs patients avaient demandé de ne plus être conduits par M. [N] en raison de sa conduite brutale et non respectueuse du code de la route, du fait qu'il regardait des émissions et séries sur son téléphone portable en conduisant ou leur faisait subir ses conversations personnelles notamment avec son épouse.
La lettre de licenciement fait enfin grief au salarié d'avoir roulé à toute allure et sur un trottoir le 12 novembre 2021 en manquant d'écraser un piéton, à qui il a fait un signe de la main droite pour s'excuser tout en tenant son téléphone de la main gauche.
S'agissant du premier grief, Mme [K], standardiste, atteste avoir été contactée le 3 novembre 2021 par une personne témoignant du comportement inapproprié du conducteur d'un véhicule dont elle avait relevé l'immatriculation ([Immatriculation 4]), s'avérant être conduit par M. [N], que ce témoin lui a expliqué que le conducteur du VSL avait coupé la priorité à un véhicule, que les deux conducteurs étaient sortis de leur véhicules et qu'après s'être énervé l'ambulancier était remonté dans son véhicule et avait démarré en tentant de percuter l'autre monsieur. Mme [K] indique que le témoin était choqué par le comportement de l'ambulancier et qu'elle lui a demandé d'expliquer les faits par mail.
L'appelante produit le mail de Mme [U] en date du 3 novembre 2021. Mme [U] précise le lieu des faits, [Adresse 3] à [Localité 6], le numéro d'immatriculation du véhicule de la société Ambulances de la Piscine concerné et décrit son conducteur. Elle relate que l'ambulancier a refusé la priorité conférée par un panneau d'indication de priorité à un véhicule C4 bordeaux circulant en sens inverse, que l'ambulancier ne voulait pas reculer et que la circulation était bloquée. Elle indique que le conducteur de la C4 est descendu de son véhicule, que l'ambulancier en colère a foncé à toute vitesse sur lui et qu'elle a eu très peur pour ce monsieur. Elle ajoute que le conducteur de la C4 a mis un coup dans la portière de l'ambulance pour ne pas finir dans le fossé, que l'ambulancier est alors descendu et a essayé de le frapper mais que le conducteur de la C4 a réussi à le repousser. Il ressort du mail de Mme [U] qu'elle se trouvait dans le véhicule qui suivait la C4, qu'elle ne connaît pas son conducteur, qu'elle a vu l'ambulancier « mémoriser » l'immatriculation de la C4 et qu'elle a décidé de relater ce qui s'est réellement passé pour qu'il ne tente pas de tourner cette histoire à son avantage.
M. [N] expose que le véhicule en face, certes prioritaire, était assez loin pour qu'il puisse passer le rétrécissement de voie mais que son conducteur a délibérément accéléré. M. [N] affirme qu'il s'est mis de côté pour le laisser passer mais que le conducteur s'est arrêté à hauteur de sa fenêtre, a commencé à l'insulter puis est sorti pour donner un coup de pied dans sa portière avant de repartir. Il précise avoir alors pris une photographie de sa plaque d'immatriculation. Il ajoute qu'il n'est pas dans sa nature de chercher l'affrontement et la confrontation, que la version du témoin est floue, qu'il ne lui a pas été confronté, que l'employeur n'a pas contacté cette personne pour qu'elle atteste de façon régulière alors qu'elle avait précisé son numéro de téléphone dans son mail, que le mail n'est pas certifié et qu'il est tout à fait possible que l'employeur ait créé l'adresse électronique pour les besoins de la cause.
Ces explications insinuant que l'employeur aurait fabriqué une preuve ne sont pas crédibles puisque si Mme [U] n'avait pas spontanément contacté l'employeur, celui-ci n'aurait pas eu la moindre connaissance de l'incident qui s'est produit le 3 novembre 2021 [Adresse 3] à [Localité 6], dont M. [N] ne conteste pas l'existence mais dont il offre simplement une version différente. Il est rappelé qu'en matière prud'homale la preuve est libre. Le témoignage d'abord verbal de Mme [U] rapporté par la standardiste puis réitéré par mail est, au contraire de ce que soutient M. [N], très précis sur le fait qu'il n'a pas respecté la priorité et a bloqué la circulation puis s'est montré agressif envers le conducteur du véhicule prioritaire en avançant sur lui avec l'ambulance et en tentant de le frapper. Il importe peu que Mme [U] ne soit pas affirmative (« il me semble ») dans sa description de la couleur des branches des lunettes portées par le conducteur de l'ambulance.
Mme [K] précise ensuite qu'après la réception par l'employeur du mail de Mme [U], elle lui a fait part du fait que la patiente Mme [M], transportée trois fois par semaine, ne souhaitait plus être véhiculée par M. [N] au motif qu'à plusieurs reprises il avait regardé, tout en conduisant, des séries ou vidéos Tiktok ou passait son temps au téléphone avec son épouse, provoquant une conduite totalement imprudente. Mme [K] ajoute que d'autres patient lui ont confié que M. [N] était imprudent et dangereux sur la route (vitesse excessive, freinage brutal).
M. [N] conteste toute utilisation de son téléphone au volant, si ce n'est pour mettre de la musique lorsque les clients le lui demandent. Il concède avoir pu occasionnellement répondre à sa femme mais toujours avec un kit main-libre et jamais « pendant des heures. »
Il produit par ailleurs le témoignage de M. [L], régulateur au sein de la société MAP Ambulances, de novembre 2020 à janvier 2022, qui indique l'avoir eu comme collègue depuis 2017 et qu'il n'a jamais reçu pour consigne que M. [N] ne transporte plus tel ou tel patient.
En vue de caractériser le dernier grief, la société Ambulances de la Piscine produit un mail de M. [D] [W] en date du 12 novembre 2021. Ce dernier écrit qu'il marchait ce jour vers 12h30 le long du trottoir de la [Adresse 7] à [Localité 5], qu'en se retournant pour vérifier l'état de la circulation avant de traverser la chaussée, il a aperçu un véhicule montant très rapidement sur le trottoir et fonçant droit sur lui, qu'il a eu le réflexe de faire rapidement quelques pas en arrière pour éviter la collision et que le conducteur du véhicule, sérigraphié aux couleurs des Ambulances de la Piscine, a levé la main droite en signe d'excuses, sa main gauche étant déjà occupée par son téléphone.
M. [N] dit n'avoir aucun souvenir d'un fait pareil. Il souligne que la société Ambulances de la Piscine se base sur les déclarations d'un témoin anonyme et exprime son doute que, dans une situation aussi dangereuse et risquée, le témoin ait réussi à se souvenir du nom de la société apposé sur la voiture, voir qu'il était au téléphone et retenir intégralement la plaque d'immatriculation.
La cour observe toutefois que le mail n'est pas anonyme puisqu'il comporte les nom et prénom de son auteur, que M. [W] ne fait pas état du numéro d'immatriculation du véhicule, qu'il a simplement noté le nom de l'entreprise et qu'il se déduit du planning et de l'historique des missions du 12 novembre 2021 versés aux débats que le véhicule en cause était celui conduit par M. [N].
Le mail de M. [W] conforte par ailleurs le témoignage rapporté par Mme [K] sur l'utilisation par M. [N] de son téléphone au volant et contredit l'affirmation par le salarié qu'il utilisait toujours son téléphone avec un kit main libre.
M. [N] conteste à juste titre la pertinence des éléments étrangers aux faits produits par l'employeur en vue de le faire passer pour une personne agressive et violente et produit les témoignages d'une dizaine de clients et, outre celui de M. [L] déjà évoqué, de deux anciens collègues ambulanciers en vue de démontrer qu'il conduisait prudemment et se montrait aimable. Ces témoignages ne sont pas toutefois de nature à contredire son comportement agressif et dangereux des 3 et 12 novembre 2021, rapporté par Mme [U] et M. [W].
De plus, l'allégation de M. [N] que son employeur cherchait à le licencier parce qu'il « dérangeait » à la suite du rachat du fonds de commerce ne repose sur aucun élément, étant rappelé que la reprise du fonds de commerce des Ambulances Serrier par la société Givenchy Ambulances datait d'un an avant l'engagement de la procédure de licenciement. Cette allégation est d'ailleurs contradictoire avec le rappel par le salarié des faits. L'intimé indique en effet qu'il donnait toute satisfaction dans son travail, que M. [Y], gérant des sociétés Givenchy Ambulances et Ambulances de la Piscine, lui avait permis de passer d'une société à l'autre en mai 2021, avec reprise de son ancienneté, en vue qu'il travaille désormais dans une société spécialisée dans le transport assis et non plus couché, et qu'il a été stupéfait d'être convoqué à un entretien préalable à licenciement.
Les griefs sont suffisamment établis par les éléments ci-dessus. Le comportement agressif et dangereux dont M. [N] a fait preuve de façon répétée en novembre 2021 à l'égard d'usagers de la voie publique justifiait sa mise à pied conservatoire et la rupture immédiate du contrat de travail, privative des indemnités de rupture.
Le jugement est infirmé et M. [N] débouté de l'intégralité de ses demandes.
L'infirmation du jugement emporte de plein droit obligation pour M. [N] de restituer à la société Ambulances de la Piscine les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Ambulances de la Piscine les frais irrépétibles exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau :
Dit que le licenciement de M. [N] est justifié par une faute grave.
Déboute M. [N] de l'intégralité de ses demandes.
Rappelle que l'infirmation du jugement emporte de plein droit obligation pour M. [N] de restituer à la société Ambulances de la Piscine les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement.
Dit n'y avoir lieu à remboursement par la société Ambulances de la Piscine des indemnités chômage perçues par M. [N].
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [N] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE CONSEILLER DÉSIGNÉ POUR EXERCER LES FONCTIONS DE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC