CA Grenoble, ch. soc. - B, 23 octobre 2025, n° 23/00244
GRENOBLE
Arrêt
Autre
C 9
N° RG 23/00244
N° Portalis DBVM-V-B7H-LVFI
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SARL DEPLANTES AVOCATE
la SELARL FOURNIER AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale - Section B
ARRÊT DU JEUDI 23 OCTOBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG F 19/00864)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 15 décembre 2022
suivant déclaration d'appel du 12 janvier 2023
APPELANTE :
S.A.S. ECHIROLLES DISTRIBUTION prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Gilberte DEPLANTES de la SARL DEPLANTES AVOCATE, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,
et par Me Marie-Pascale VALLAIS, avocat plaidant au barreau de NANTES substituée par Me Julia AURIAULT de la SELEURL Julia AURIAULT AVOCAT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [K] [P]
née le 04 Août 1982 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Virginie FOURNIER de la SELARL FOURNIER AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section,
Mme Marie GUERIN, Conseillère,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 septembre 2025,
Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de président, assisté de Mme Carole COLAS, Greffière, en présence de [F] [B], greffière stagiaire a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 23 octobre 2025, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 23 octobre 2025.
EXPOSE DU LITIGE :
La société par actions simplifiée (SAS) Echirolles distribution est spécialisée dans le secteur d'activité des hypermarchés ; elle exploite notamment l'enseigne Leclerc Comboire.
Mme [K] [P] a été engagée le 09 août 2004 sous contrat à durée déterminée, en qualité d'employée commerciale niveau I échelon B moyennant une rémunération de 1184 euros brut mensuel pour un horaire de travail effectif hebdomadaire de 35 heures.
La convention collective nationale applicable est celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Ce contrat à durée déterminée, a fait l'objet d'un renouvellement par avenant en date du 19 février 2005, puis s'est transformé en contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2005.
Par avenant du 1er janvier 2012 au contrat de travail, Mme [P] a été nommée manager de rayon stagiaire pendant une durée d'une année avec une rémunération portée à 2 550 euros brut mensuels, un statut de cadre autonome au forfait de 216 jours annuels et 2 demi-journées de repos hebdomadaires.
Par ailleurs, il lui était attribué une délégation de pouvoir en matière de :
- hygiène et sécurité,
- législation sociale,
- législation économique et commerciale.
Elle a été confirmée dans ce poste à la suite de la période probatoire.
Par courrier en date du 24 avril 2019, la société Echirolles distribution a convoqué Mme [P] à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement le 02 mai 2019, avec mise à pied à titre conservatoire immédiate.
Par lettre en date du 16 mai 2019, l'employeur a notifié à Mme [P] son licenciement pour faute grave en lui reprochant de :
- nombreuses ruptures dans les rayons, constatées les 17 et 19 janvier 2019, les 6, 7 et 18 mars 2019 et le 4 avril 2019,
- sa façon peu courtoise de s'adresser à ses collaborateurs,
- une omission de transmission d'un rendez-vous de visite médicale pour l'une de ses collaboratrices,
- ses mauvaises relations avec les fournisseurs,
- des modifications de plannings de ses collaborateurs sans respecter de délai de prévenance,
- absences d'affichage de prix,
- mauvaise gestion d'équipe,
- un intérimaire en place sans contrat de travail,
- un non-respect de la législation sociale,
- la tenue des rayons.
Par requête en date du 15 octobre 2019, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins d'obtenir que la convention de forfait en jours soit privée d'effet, des rappels d'heures supplémentaires, une indemnité pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité ainsi que pour défaut d'exécution loyale du contrat de travail et que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse avec des demandes afférentes.
La société Echirolles distribution a conclu au débouté des prétentions adverses.
Par jugement en date du 15 décembre 2022, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :
- condamné la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
14 596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7 149,24 euros brut au titre du préavis,
714,92 euros brut au titre des congés payés afférents,
18 000,00 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
577,50 euros brut à titre de rappel de la lise à pied conservatoire,
57,75 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,
86 158,21 euros brut au titre du paiement des heures supplémentaires,
8 615,82 euros brut au titre des congés payés sur heures supplémentaires,
7 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
5000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit nonobstant appel et sans caution, en application de l'article R.1454-28 du code du travail, étant précisé que ces sommes sont assorties des intérêts de droit à compter du jour de la demande, la moyenne des trois derniers mois étant de 3574,62 euros,
- ordonné la remise d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi rectificatifs,
- débouté Mme [P] de ses autres demandes,
- débouté la société Echirolles distribution de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Echirolles distribution aux dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception distribuées le 17 décembre 2022 à la société Echirolles distribution et le 20 décembre 2022 à Mme [P].
Par déclaration en date du 12 janvier 2023, la société Echirolles distribution a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
La société Echirolles distribution s'en est remise à des conclusions transmises le 22 novembre 2024 et entend voir :
INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble en date du 15 décembre 2022 en ce qu'il a :
- condamné la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
14596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7149,24 euros brut au titre du préavis,
714,92 euros brut au titre des congés payés afférents,
18000,00 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
577,50 euros brut a titre de rappel de la mise à pied conservatoire,
57,75 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,
86158,21 euros brut au titre du paiement des heures supplémentaires,
8615,82 euros brut au titre des congés payés sur heures supplémentaires,
7500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
5000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
1500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de 1'exécution provisoire de droit nonobstant appel et sans caution, en application de l'article R.1454-28 du code du travail, étant précisé que ces sommes sont assorties des intéréts de droit à compter du jour de la demande, la mo enne des trois derniers mois étant de 3574,62 euros
- ordonné la remise d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi rectificatifs,
- débouté la société Echirolles distribution de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Echirolles distribution aux dépens.
STATUANT A NOUVEAU,
- juger irrecevable la demande de Mme [P] au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé,
- juger irrecevable la demande de Mme [P] en condamnation de la société Echirolles distribution a un rappel de salaire et de congés payés afférents, au titre du dépassement du contingent d'heures supplémentaires,
- juger non fondées les demandes de Mme [P],
- débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [P] à verser à la société Echirolles distribution une somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
- condamner Mme [P] à verser à la société Echirolles distributions une somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Mme [P] s'en est rapportée à des conclusions transmises le 25 novembre 2024 et demande à la cour d'appel de :
CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes du 15 décembre 2022 en ce qu'il a :
DIT que le licenciement pour faute grave de Mme [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et par conséquent CONDAMNER la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
14 596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7 149,24 euros brut au titre du préavis, outre 714,92 euros brut de congés payés afférents,
JUGER que le forfait jours de Mme [P] est privé d'effet,
JUGER que la société Echirolles distribution a manqué à son obligation de sécurité,
JUGER que la société Echirolles distribution a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de Mme [P],
INFIRMER sur le quantum le jugement du conseil de prud'hommes du 15 décembre 2022 en ce qu'il a condamné la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
18000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
86158,21 euros brut au titre du paiement des heures supplémentaires, outre 8 615,82 euros brut de congés payés afférents,
7500 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité,
5 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de loyauté,
1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes du 15 décembre 2022 en ce qu'il a dit que la société Echirolles distribution ne s'est pas rendue coupable de travail dissimulé et a débouté Mme [P] de sa demande de 21 447,72 euros net à titre de dommages et intérêts.
STATUANT A NOUVEAU
CONDAMNER la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes:
60 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
90 438,97 euros brut au titre du paiement des heures supplémentaires, outre 9 043,90 euros brut de congés payés afférents,
49 562,99 euros brut au titre du paiement de rappel de salaire au titre du dépassement du contingent d'heures supplémentaires, outre 4 956,30 euros brut de congés payés afférents,
21 447,72 euros net à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé
15 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité,
10 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de loyauté,
3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et la même somme en cause d'appel.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.
La clôture a été prononcée le 12 décembre 2024.
EXPOSE DES MOTIFS :
Sur la recevabilité des prétentions au titre du repos compensateurs à raison du dépassement du contingent annuel :
L'article 564 du code de procédure civile dispose que :
A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 du même code énonce que :
Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
L'article 566 du code de procédure civile précise que :
Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, les prétentions nouvellement formées à hauteur d'appel au titre de la privation des repos compensateurs à raison du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires sont la conséquence de la demande au titre des heures supplémentaires d'ores et déjà présentée devant les premiers juges.
Il convient en conséquence de rejeter la fin de non-recevoir soulevée à ce titre par la société Echirolles distribution et de déclarer recevable la demande de Mme [P] au titre des repos compensateurs.
Sur l'opposabilité de la convention de forfait en jours :
L'article 5.7.2. Forfait défini en jours de la convention collective applicable tel que modifié par avenant n°52 du 17 septembre 2015 énonce que :
A défaut d'application d'un accord d'entreprise relatif au forfait jours, ce forfait peut être mis en 'uvre dans les conditions suivantes :
Salariés concernés
Le forfait annuel en jours peut être convenu avec les cadres autonomes, c'est-à-dire qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein du service ou de l'équipe à laquelle ils sont rattachés, conformément à l'article L. 3121-43 du code du travail.
Le forfait annuel en jours est prévu au contrat de travail, ou dans un avenant à celui-ci, fixant le nombre annuel de jours sur la base duquel le forfait est défini. Le bulletin de paie doit faire apparaître que la rémunération est calculée selon un nombre annuel de jours de travail, et indiquer ce nombre.
L'existence à des périodicités diverses de certaines contraintes, en particulier liées à des réunions, à des rendez-vous, ou rendues nécessaires par le bon fonctionnement de l'entreprise, est inhérente à toute activité professionnelle exercée au sein d'une collectivité de travail et n'est pas constitutive d'une autonomie insuffisante au regard du forfait en jours. Toutefois, ces contraintes ne doivent pas être permanentes.
La rémunération doit tenir compte des responsabilités confiées au salarié dans le cadre de sa fonction.
Durée annuelle de travail
Le nombre de jours de travail ne peut être supérieur, pour 5 semaines de congés payés, à 216 jours par an (jour de solidarité inclus). Ce nombre est ajusté chaque année en fonction des jours de congés auquel le salarié peut effectivement prétendre et du nombre de jours positionnés sur la période lorsque celle-ci ne coïncide pas avec la période de prise des congés.
Les modalités de prise des jours de repos ou jours non travaillés (ou des demi-journées) seront fixées au niveau de l'entreprise ou de l'établissement après consultation du comité d'entreprise ou d'établissement, s'il en existe.
Pour un cadre à temps complet, la valeur d'une journée entière de travail sera calculée en divisant le salaire mensuel par 22, et la valeur d'une demi-journée en le divisant par 44.
En cas de renonciation par le salarié, en accord avec son employeur, à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de salaire en application de l'article L. 3121-45 du code du travail, les modalités sont fixées par écrit entre les parties. Le nombre de jours travaillés dans l'année en application de cet accord ne peut excéder 229 jours. Cette limite se substitue à la limite de 235 jours prévue par l'article L. 3121-45 du code du travail. Les jours travaillés dans le cadre de cet accord sont rémunérés en sus et assortis d'une majoration de salaire d'au moins 15 %.
Temps de repos quotidien et hebdomadaire. ' Jours fériés
Afin de garantir une amplitude raisonnable de ses journées d'activité, le salarié en forfait jours bénéficie d'un repos quotidien d'une durée de 12 heures consécutives.
Il bénéficie d'un repos hebdomadaire d'une durée de 1 journée entière, en principe le dimanche (sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur), à laquelle s'ajoute (nt) 1 journée ou 2 demi-journées supplémentaires, en principe prise (s) chaque semaine ; dans le cas où l'activité ne permettrait pas la prise des demi-journées supplémentaires, ou ne la permettrait pas en totalité, le salarié devra néanmoins bénéficier de 36 heures consécutives de repos au cours de la semaine, et la ou les demi-journées manquantes devront être prises dans les 3 mois suivants.
Le repos hebdomadaire doit être attribué à raison de 2 journées entières pour au minimum 20 semaines dans l'année.
Le salarié en forfait jours bénéficie chaque année du chômage de 6 jours fériés en sus du 1er Mai, au prorata en cas d'année incomplète.
Décompte de la durée du travail
Le temps de travail peut être réparti sur certains ou sur tous les jours ouvrables de la semaine, et se décompte en journées et demi-journées.
Pour être considérée comme comportant une demi-journée non travaillée, la journée doit ne pas comporter d'heure de nuit au sens de l'article 5.12.1 de la présente convention. En outre, en cas de travail le matin, celui-ci doit se terminer au plus tard à 13 h 30 et être suivi d'un repos quotidien d'une durée d'au moins 18 heures ; en cas de travail l'après-midi, celui-ci doit être précédé d'un repos quotidien d'une durée d'au moins 18 heures et débuter au plus tôt à 13 h 30. A défaut, il est décompté 1 journée entière.
Suivi de l'amplitude et de la charge de travail
Le forfait en jours s'accompagne d'un suivi du nombre de jours ou demi-journées travaillés et du respect du repos quotidien et hebdomadaire prévu par le présent accord, ainsi que de la charge de travail. Ce suivi peut s'effectuer à l'aide d'un document tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur. Ce document fait apparaître la qualification de chacune des journées ou demi-journées du mois, répartie en quatre catégories au minimum : travail, repos, congé payé, autre absence ; afin d'identifier les éventuelles difficultés en matière d'amplitude des journées de travail, le document indique également, lorsqu'un repos quotidien a été inférieur à 12 heures consécutives, quelle en a été la durée. Il doit également comporter la possibilité pour le salarié d'ajouter toute information complémentaire qu'il jugerait utile d'apporter. Signé par le salarié, le document de décompte est remis mensuellement à sa hiérarchie, responsable de son analyse et des suites à donner, ainsi que de sa conservation. Un récapitulatif annuel est remis au salarié, dans les 3 mois suivant la fin de la période.
Au moins une fois par an, le salarié en forfait jours bénéficie à l'initiative de sa hiérarchie d'un entretien portant sur sa charge et son amplitude de travail, sur l'organisation du travail dans l'entreprise ou l'établissement, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération.
Un entretien doit également être proposé par la hiérarchie du salarié lorsque le document mensuel de décompte visé ci-dessus fait apparaître des anomalies répétées mettant en évidence des difficultés en matière de temps de travail. Cet entretien a pour objet d'examiner les mesures correctives à mettre en 'uvre.
Un entretien supplémentaire peut en outre avoir lieu à tout moment de l'année à l'initiative du salarié si celui-ci rencontre des difficultés d'organisation de sa charge de travail l'amenant à des durées de travail trop importantes. Cette alerte doit aboutir à des décisions concrètes.
Lorsqu'un entretien a été rendu nécessaire en raison de difficultés en matière de temps de travail, un bilan est effectué 3 mois plus tard afin de vérifier que la charge de travail présente bien un caractère raisonnable.
L'entreprise peut mettre en place d'autres modalités de suivi que le document ci-dessus, à condition de présenter les mêmes garanties.
Il a été jugé que :
Mais attendu qu'il incombe à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a respecté les stipulations de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours ; qu'ayant relevé qu'il n'était pas établi par l'employeur que, dans le cadre de l'exécution de la convention de forfait en jours, le salarié avait été soumis à un moment quelconque à un contrôle de sa charge de travail et de l'amplitude de son temps de travail, la cour d'appel, qui en a déduit que la convention de forfait en jours était sans effet, en sorte que le salarié était en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ;
(Soc., 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-18.725)
En l'espèce, l'employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'avoir mis en place un entretien annuel portant sur la charge et l'amplitude de travail de Mme [P], sur l'organisation du travail dans l'entreprise ou l'établissement, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération.
De manière plus générale, il n'est pas établi un suivi par l'employeur de la charge de travail de la salariée soumise à un forfait en jours.
Il convient, par infirmation du jugement entrepris, qui n'a pas statué dans le dispositif sur cette demande mais uniquement dans les motifs, de déclarer la convention de forfait en jours privée d'effet.
Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires :
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
En conséquence, il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Il appartient à la juridiction de vérifier si les heures supplémentaires revendiquées ont été rendues nécessaires par le travail confié au salarié, l'opposition à l'exécution de celle-ci de l'employeur se trouvant alors indifférente.
Le salarié peut revendiquer le paiement d'heures supplémentaires à raison de l'accord tacite de l'employeur.
Cet accord tacite peut résulter de la connaissance par l'employeur de la réalisation d'heures supplémentaires par le biais de fiche de pointage et l'absence d'opposition de l'employeur à la réalisation de ces heures.
En l'espèce, Mme [P] produit un décompte suffisamment précis des heures supplémentaires qu'elle dit avoir réalisées et qui ne lui ont pas été payées dans la mesure où elle a été soumise à un forfait jours qui a été jugé privé d'effet puisqu'elle verse aux débats, en pièce n°19, un décompte sur la période du 15 juin 2016 au 23 avril 2019 des heures supplémentaires qu'elle considère avoir effectuées chaque semaine.
La société Echirolles distribution ne justifie pas des horaires effectivement réalisés par la salariée par un système d'enregistrement fiable du temps de travail.
Elle invoque également de manière inopérante le fait que ces heures supplémentaires n'étaient pas nécessaires ou ne lui avaient pas été demandées dans la mesure où elle a laissé travailler Mme [P] dans le cadre d'un forfait jours sans le moindre contrôle de ses horaires de travail et ne saurait désormais a posteriori venir considérer que la salariée a pu travailler au-delà de la charge et des missions requises par son poste.
Mme [P] verse aux débats ses horaires de travail allégués sur la période du 15 mai 2016 au 23 avril 2019.
Elle produit également un témoignage de Mme [I], qui n'a aucune valeur probante particulière s'agissant de la demande de rappel d'heures supplémentaires puisque le témoin indique elle-même avoir travaillé dans le magasin jusqu'en 2015, soit avant la période concernée par le rappel.
Elle verse en outre aux débats le témoignage de M. [Y], ancien responsable du rayon liquide du magasin qu'il a quitté le 14 décembre 2018.
Celui-ci indique que : « Je confirme que les horaires de Mme [P] [K], que cette personne commençait tous les mercredis, jeudis, vendredis à 5h du matin jusqu'à 12h et ensuite reprenait à 13h jusqu'à 19h, que les lundis et mardis, elle commençait à 5h du matin jusqu'à 14h et les samedis, elle commençait à 5h du matin jusqu'à 12h et ensuite elle reprenait à 14h jusqu'à 22h. Dès la prise de possession de son magasin en tant que PDG, M. [W] nous a imposé une ouverture et une fermeture sur la semaine qui changeait constamment entre le lundi et samedi à tous les responsables de rayons, qui incombait en des heures en plus non rémunérées. Nous avons travaillé 6 jours par semaine avec le dimanche en jour de repos. Il nous faisait comprendre qu'il fallait toujours rester plus tard que notre horaire prévu sinon on risquait d'avoir un avertissement ou une sanction (en nous trouvant quelque chose dans le rayon qui n'allait pas). »
De son côté, l'employeur produit une attestation de M. [C], manager de rayon depuis le 25 mai 2015, qui indique que dans le cadre de leurs attributions, les managers de rayon devaient faire des permanences par roulements et qu'il s'agit d'une pratique qui avait déjà été mise en 'uvre sous l'ancienne direction de M. [S], où certains cadres effectuaient cette tâche.
L'employeur verse également aux débats la main courante de l'entreprise de sécurité pour les 27 octobre 2017 et le 24 janvier 2018.
Les informations pertinentes figurant sur ces documents mettent en évidence qu'à la première date les agents de sécurité ont ouvert le magasin à 4h et l'ont fermé à 21h30 et que pour le second jour, l'ouverture s'est faite à 4h05 le matin et la fermeture à 21h.
Ces horaires sont compatibles avec ceux mentionnés par Mme [P] qui a indiqué avoir travaillé le 27 octobre 2017 de 5h à 14h et le 24 janvier 2018 de 5h à 12h et 13h à 19h.
Les horaires d'ouverture du magasin au public ne sauraient être déterminants puisque le descriptif des fonctions de Mme [P] et le fait que l'employeur ait lui-même admis un système de permanences impliquent des horaires de travail excédants cette plage horaire.
Mme [P] s'était en particulier vu confier la gestion et l'organisation de la réception des marchandises, la gestion, l'organisation et l'approvisionnement du rayon crèmerie et la participation aux opérations d'inventaire.
Il est intéressant d'observer que dans sa pièce n°27 que l'employeur dénomme 'suivi personnalisé de la salariée', il est indiqué que celle-ci avait reçu pour consigne de faire le tour de son rayon à 8h15, soit avant l'ouverture au public et que lors de l'entretien du 6 avril 2019, il est reproché à la salariée de n'avoir pas dégagé son rayon à 8h30 ; ce qui implique un travail préalable.
Plus avant, lors d'un point du 23 avril 2019, il est abordé le fait que Mme [P] a demandé à un intérimaire de venir travailler la semaine suivante à 6h du matin ; ce qui implique nécessairement qu'elle soit présente sur des plages horaires excédant les heures d'ouverture du magasin dans le cadre de sa mission de gestion du personnel.
L'employeur indique de son côté à juste titre que Mme [P] énonce des horaires de travail relativement standardisés procédant d'une reconstitution approximative et a postériori dans le cadre du présent contentieux.
En revanche, le décompte de la salariée est conforme s'agissant des deux-demies journées de repos les lundis et mardis après-midi.
L'employeur se prévaut également à tort concernant le taux horaire à prendre en compte des minima conventionnels alors qu'il y a lieu d'effectuer le calcul de celui-ci par rapport à la rémunération brute effectivement perçue par la salariée correspondant à un temps plein à 151h67.
Le taux horaire s'établit dès lors à 17,99 euros brut.
Au vu des éléments versés par l'une et l'autre parties, il est retenu pour l'année 2016 la réalisation par Mme [P] de 700 heures supplémentaires dont 259 majorées à 25 % et 441 majorées à 50 %, en 2017 900 heures supplémentaires dont 353 heures majorées à 25 % et 547h à 50 %, en 2018 800 heures supplémentaires dont 327 heures majorées à 25 % et 473 heures à 50 % et en 2019 200 heures supplémentaires dont 120 heures majorées à 25 % et 80 heures majorées à 50 %.
Infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] la somme de 65408,50 euros brut à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre celle de 6540,85 euros brut au titre des congés payés afférents, le surplus des prétentions de ces chefs étant rejeté.
Sur les repos compensateurs non pris :
Les parties s'accordent sur le fait que le contingent annuel d'heures supplémentaires prévu par la convention collective est effectivement de 180 heures.
D'après, le nombre d'heures supplémentaires non payées reconnues, il convient de condamner la société Echirolles distributions, qui a un effectif supérieur à 20 salariés, à payer à Mme [P] la somme de 33821,20 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateurs non pris, outre celle de 3382,12 euros brut au titre des congés payés afférents, le surplus des demandes à ce titre étant rejeté.
Sur le travail dissimulé :
Au visa des articles L 8221-5 et L 8223-1 du code du travail, l'élément matériel du travail dissimulé est établi dans la mesure où l'employeur est condamné à un rappel d'heures supplémentaires non payées.
L'élément intentionnel est également suffisamment démontré puisque la société Echirolles distribution ne justifie du respect d'aucune de ses obligations en termes de suivi de la convention de forfait jours si bien qu'elle ne pouvait qu'avoir conscience du fait qu'elle s'en trouvait privée d'effet.
Par ailleurs, eu égard à la circonstance que la salariée travaillait 6 jours sur 7, qu'elle se voyait imposer une permanence par roulements et que les missions détaillées dans son contrat de travail nécessitaient une présence très tôt le matin, avec une délégation de pouvoirs très étendue rendant impossible leur accomplissement selon un volume hebdomadaire de 35 heures, l'employeur avait nécessairement conscience de la réalisation régulière par Mme [P] d'heures supplémentaires selon un volume très important qu'il a sciemment décidé de ne pas lui payer.
Infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] la somme de 21447,72 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
Sur l'obligation de prévention et de sécurité :
L'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
L'article L 4121-1 du code du travail énonce que :
L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et (version avant le 24 septembre 2017 : de la pénibilité au travail) (version ultérieure au 24 septembre 2017 : y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1);
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article L 4121-2 du code du travail prévoit que :
L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L'article L 4121-3 du même code dispose que :
L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe.
A la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement.
Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l'application du présent article doivent faire l'objet d'une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat après avis des organisations professionnelles concernées.
L'article R4121-1 du code du travail précise que :
L'employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.
L'article R4121-2 du même code prévoit que :
La mise à jour du document unique d'évaluation des risques est réalisée :
1° Au moins chaque année ;
2° Lors de toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l'article L. 4612-8 ;
3° Lorsqu'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie.
L'article R 4121-4 du code du travail prévoit que :
Le document unique d'évaluation des risques est tenu à la disposition :
1° Des travailleurs ;
(version avant le 1er janvier 2018 : 2° Des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou des instances qui en tiennent lieu) ; (version après le 1er janvier 2018 : 2° Des membres de la délégation du personnel du comité social et économique)
3° Des délégués du personnel ;
4° Du médecin du travail ;
5° Des agents de l'inspection du travail ;
6° Des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale ;
7° Des agents des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail mentionnés à l'article L. 4643-1 ;
8° Des inspecteurs de la radioprotection mentionnés à l'article L. 1333-17 du code de la santé publique et des agents mentionnés à l'article L. 1333-18 du même code, en ce qui concerne les résultats des évaluations liées à l'exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants, pour les installations et activités dont ils ont respectivement la charge.
Un avis indiquant les modalités d'accès des travailleurs au document unique est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail. Dans les entreprises ou établissements dotés d'un règlement intérieur, cet avis est affiché au même emplacement que celui réservé au règlement intérieur.
L'article 2.1 de l'accord du 14 décembre 2001 relatif à l'ARTT impose un repos de 11 heures au minimum pour les salariés travaillant selon un forfait jours.
En l'espèce, l'employeur ne produit aucun document unique d'évaluation des risques professionnels.
En outre, il n'établit aucunement le respect des durées maximales de travail et des repos minimum.
La société Echirolles distribution invoque de manière inopérante la circonstance que la salariée n'a jamais revendiqué de surcharge de travail alors même qu'il n'a assuré aucun suivi à ce titre et tente d'inverser la charge de la preuve en soutenant que Mme [P] ne produit aucune pièce aux débats ; ce qui est au demeurant inexact puisqu'il ressort de l'analyse de sa pièce n°19 des données précises quant à l'amplitude des journées de travail au cours des trois dernières années dépassant largement les plafonds imposés par la convention collective.
Le préjudice subi par la salariée est à la fois moral mais encore caractérisé par des conditions de travail anormalement pénibles et ce pendant de nombreuses années.
Les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi en allouant à Mme [P] la somme de 7500 euros net au titre du manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité, prenant également en compte le préjudice résultant du non-respect des durées maximales de travail et des repos minima, de sorte que le jugement entrepris est confirmé de ce chef, et que le surplus de la demande dans le cadre de l'appel incident n'est pas accueilli.
Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail :
Sous couvert d'une exécution déloyale du contrat de travail au visa de l'article L 1222-1 du code du travail, Mme [P] développe en réalité des moyens identiques à ceux soulevés au titre du manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité s'agissant de sa charge de travail et elle ne saurait obtenir sous un fondement juridique distinct la double indemnisation d'un même préjudice.
En outre, Mme [P] soutient avoir perdu ses jours de RTT au titre de l'année 2019. Or, il s'agit de l'année au cours de laquelle le contrat de travail a été rompu et elle n'a formulé aucune demande à ce titre.
Elle ne chiffre pas même le nombre allégué comme perdu.
Une exécution fautive du contrat de travail à ce titre n'est en conséquence par caractérisée.
Infirmant le jugement entrepris, il convient de débouter Mme [P] de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution fautive du contrat de travail.
Sur le licenciement :
L'employeur peut invoquer dans la lettre de licenciement plusieurs motifs de rupture inhérents à la personne du salarié dès lors qu'ils procèdent de faits distincts et à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement (Cass. soc., 23 sept. 2003, n° 01-41.478 ; Cass. soc., 6 juill. 2004, n°02-41.578 ; Cass. soc., 21 avr. 2022, n°20-14.408).
En revanche, l'insuffisance professionnelle est exclusive de toute faute disciplinaire, a fortiori grave.
(Cass. soc., 2 oct. 2001, n°99-42.459 ; Cass. soc., 7 janv. 1998, n°95-42.586 ; Cass. soc., 21 févr. 1990, n°87-40.167 ; Cass. soc., 17 févr. 2004, n°01-44.543).
Au cas d'espèce, l'employeur a notifié à la salariée par courrier en date du 16 mai 2019 son licenciement pour faute grave en lui reprochant une série des griefs et plus précisément :
- des ruptures dans ses rayons les 17, 19 janvier, les 06, 07, 18 mars et 04 avril 2019,
- d'avoir adopté un comportement inapproprié à l'égard d'une salariée au vu du signalement d'une cliente du 14 mars 2019 et de manière générale, de ne pas s'adresser de manière courtoise à ses collaborateurs en infraction avec l'article 4-7 du règlement intérieur
- d'avoir omis le 22 mars 2019 de remettre une convocation à la médecine du travail à l'une de ses subordonnées
- un résultat d'un pointage de mètre à mètre de son rayon réalisé le 13 avril 2019 révélant que celui-ci était mal tenu
- des relations difficiles avec les fournisseurs
- la non-communication dans les délais du planning à son équipe pour la semaine 17 du 22 au 28 avril 2019
- la modification des plannings du personnel du rayon charcuterie coupe pour la semaine 17
- l'absence de prix dans les bacs des allées centrales constatée le 23 avril 2019
- d'avoir laissé travailler le 23 avril 2019 un intérimaire sans contrat
- de refuser de rendre compte de son activité au directeur en ne répondant pas à ses mails
- le constat par le directeur d'une mauvaise tenue du rayon et des difficultés dans la gestion des équipes le 18 janvier 2019
- des ruptures sur des produits le 19 mars 2019
- le constat d'une mauvaise tenue du rayon lors d'une analyse mètre par mètre le 23 avril 2019
Mme [P] soutient expressément que les manquements suivants relèvent tout au plus d'une insuffisance professionnelle et non d'une faute :
Défaut d'approvisionnement des rayons
Défaut de remise d'une convocation d'un salarié à une visite médicale
Problématiques d'implantation dans les rayons
Défaut de remise des horaires pour la semaine 17
Défaut d'affichage de prix dans l'allée centrale
Défaut de signature et de remise d'un contrat de travail à un intérimaire
Défaut de réponse aux mails du directeur.
Elle met à juste titre en exergue que l'employeur se fonde, notamment pour démontrer l'existence d'une faute grave alléguée, sur une pièce n°27 correspondant à un suivi personnalisé de Mme [P].
Or, en préambule de ce document détaillant de manière précise les manquements de la salariée les 18 janvier, 19, 23 mars, 06, 13, 17, 18 et 23 avril 2019 il est indiqué : « Dossier pour faute/insuffisance professionnelle : aujourd'hui, Mme [P] ne remplit pas de façon satisfaisante les attendus de sa fonction de cadre responsable de l'ultra frais. »
L'employeur, qui supporte la charge exclusive de la preuve de la faute grave, ne démontre pas le caractère intentionnel des manquements imputés à la salariée dont elle estime qu'ils relèvent tout au plus d'une insuffisance professionnelle, alors même que la société Echirolles distribution a elle-même qualifié, de manière concurrente, ceux-ci de faute et d'insuffisance professionnelle.
L'employeur se prévaut d'actions d'adaptation et de formation au poste dont le contenu et la fréquence sont ignorés puisque tout au plus l'avenant du 1er janvier 2012 fait état d'une formation au poste de manager sans que la nature précise de celle-ci ne soit connue.
Au demeurant, compte tenu de l'étendue de la délégation de pouvoirs consentie à la salariée dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité, de la législation sociale et de la législation économique et commerciale, il apparaissait clairement indispensable que l'employeur effectuât des remises à niveau régulières, dont il n'est absolument pas justifié par les seules pièces produites aux débats.
Il n'est aucunement acquis que Mme [P] disposait des compétences et savoirs nécessaires pour assurer la gestion des plannings, des congés, des intérimaires et des visites médicales conformément à la législation et à la réglementation ainsi que pour garantir le garnissage optimal du rayon.
Il est ainsi intéressant de noter que sur ce même document, il est observé lors de l'entretien du 18 janvier 2019 par l'employeur que Mme [P] « ne connait pas ses résultats, ne regarde pas son chiffre d'affaires, les marges crèmerie et surgelés sont dans les plus basses de la Socara », que lors du suivant du 19 mars 2019, l'employeur a manifestement conscience des carences de la salariée puisqu'il est noté que « le Directeur a redonné le sens à Mme [P] de l'intérêt de pointer une gamme. Lors de l'entretien il lui a été remis des dossiers réimplantation, avec explication et demande d'un planning d'actions ». Plus loin, l'employeur a déploré que les achats ont été faits sans aucune analyse des ventes. Concernant la gestion des équipes, la direction a estimé nécessaire de faire « un point sur les responsabilités que Mme [P] a à attribuer à son équipe afin de l'aider dans la délégation et pour son organisation » ; ce dont il se déduit des carences managériales manifestes. La direction a également relevé, suite à la modification sans respect du délai de prévenance des congés payés de Mme [U], en s'adressant à la salariée : « Vous n'avez toujours pas compris le tenant et l'aboutissement de votre décision. » Il est également relevé « un niveau d'exigence qui n'est pas au rendez-vous des attentes », « un commerce pas dynamique et pas callé : problème de ruptures, de gammes, de respect des règles de balisage'accompagnement des équipes : inexistant, turn-over très important dans l'équipe crèmerie, pas de gestion : résultats économiques en-dessous de la centrale (') ». S'agissant de la fiche de visite à la médecine du travail non remise à une salariée, le compte-rendu met en évidence que Mme [P] ne comprend pas l'importance de cette obligation de l'employeur puisqu'elle indique avoir oublié. Lors du point du 23 mars 2019, l'employeur a observé les mêmes lacunes qu'auparavant dans la tenue du rayon et la gestion des équipes. Il en sera ainsi jusqu'à la mise à pied disciplinaire.
Il s'ensuit que ces manquements ne sauraient revêtir la qualification de faute intentionnelle et constituent tout au plus une insuffisance professionnelle exclusive de toute faute, a fortiori grave si bien que le licenciement n'est pas valablement fondé sur ce motif.
S'agissant des griefs rattachables à des comportements fautifs à savoir de s'être adressée de manière inappropriée à une salariée devant des clients et plus généralement de manquer de courtoisie dans sa communication à l'égard des membres de son équipe et d'avoir des relations difficiles avec les fournisseurs, la preuve d'une faute n'est pas suffisamment établie par l'employeur.
S'agissant de la réclamation de la cliente du 14 mars 2019 d'après laquelle « une responsable est venue dire à une employée qui se trouvait en charcuterie de retourner immédiatement au rayon fromage sur un ton et une agressivité que je ne tolère pas. Comment peut-on parler à des personnes qui travaillent de cette façon. C'est honteux. Je suis cliente Leclerc depuis + de 10 ans et je me dois de le signaler. », la société Echirolles distribution ne justifie d'aucune investigation pour connaître l'identité de la salariée concernée et le contexte du comportement prêté à Mme [P].
Concernant le courriel de l'agence d'intérim Crit du 26 mars 2019 à la société Echirolles distribution aux termes duquel la première a informé la seconde de ses difficultés à trouver des intérimaires acceptant de travailler en crémerie, ceux-ci demandant à être affectés à d'autres rayons, la cause de cette désaffection n'est pas explicitée et il ne peut ispo facto en être déduit que la responsabilité de cette situation incombe à Mme [P].
Le niveau de rupture de périodes d'essai à l'initiative des salariés sur ce rayon n'est pas non plus à lui-seul déterminant puisque d'autres causes sont possibles et notamment des conditions de travail difficiles inhérentes au poste, indépendamment de l'encadrant.
Il ressort de la pièce n°29 de l'employeur, qui n'est pas son registre du personnel mais une exploitation libre qu'il en a faite sans possibilité pour l'autre partie et la cour d'en contrôler la véracité et l'exhaustivité, que les ruptures de période d'essai à l'initiative de salariés se sont prolongées après la mise à pied à titre conservatoire de la salariée et son licenciement.
Enfin, s'agissant des relations difficiles avec les fournisseurs, il n'est versé aux débats aucune plainte ni réclamation.
Concernant le refus de la salariée de répondre à des courriels de la direction, la société Echirolles distribution ne justifie pas des nombreuses correspondances adressées à la salariée auxquelles elle n'aurait pas donné suite.
Ces comportements fautifs prêtés à la salariée ne sont en conséquence pas suffisamment démontrés.
En définitive, dans la mesure où l'essentiel des manquements reprochés à la salariée relèvent non d'une faute mais d'une insuffisance professionnelle et que ceux de nature à caractériser un comportement fautif ne sont pas suffisamment établis, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le licenciement de Mme [P] sans cause réelle et sérieuse sauf à le préciser expressément au dispositif de la décision.
Sur les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail :
Dès lors que le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse et par voie de conséquence la mise à pied à titre conservatoire est injustifiée, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
577,50 euros brut à titre de rappel de la lise à pied conservatoire,
57,75 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,
14 596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7 149,24 euros brut au titre du préavis,
714,92 euros brut au titre des congés payés afférents.
Concernant le préavis et les congés payés afférents, Mme [P] demande en effet dans le dispositif de ses conclusions qui seul lie la cour d'appel par application de l'article 954 du code de procédure civile de confirmer les montants alloués par les premiers juges alors qu'elle sollicite dans le corps des conclusions des montants supérieurs équivalents à 3 mois de préavis auquel elle aurait eu droit en tant que cadre.
Au visa de l'article L 1235-3 du code du travail, au jour de la rupture injustifiée du contrat de travail, Mme [P] avait lors de son licenciement injustifié 15 ans d'ancienneté, préavis de 3 mois non exécuté compris, ainsi que d'une rémunération de l'ordre de 3574 euros brut et ce, sans même prendre en compte les heures supplémentaires réalisées de manière régulière.
Elle a retrouvé un emploi le 1er octobre 2019 en qualité d'auxiliaire de vie à temps plein moyennant un salaire de 2116,32 euros brut, soit avec une baisse notable de revenus.
Infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Echirolles distributions à payer à Mme [P] la somme de 42876 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la débouter du surplus de sa demande à ce titre.
Sur les demandes accessoires :
L'équité et la situation économique respective des parties commandent par confirmation du jugement entrepris et y ajoutant de condamner la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] une indemnité de procédure de 1500 euros et celle de 1500 euros à hauteur d'appel.
Le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejeté.
Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la société Echirolles distribution, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS ;
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société Echirolles distribution au titre des prétentions nouvellement présentées à hauteur d'appel par Mme [P] concernant les repos compensateurs
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :
- condamné la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
14 596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7 149,24 euros brut au titre du préavis,
714,92 euros brut au titre des congés payés afférents,
577,50 euros brut à titre de rappel de la lise à pied conservatoire,
57,75 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,
7 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, sauf à préciser qu'il s'agit d'un montant net
1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Echirolles distribution aux dépens.
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE privée d'effet la convention de forfait en jours
DÉCLARE sans cause réelle et sérieuse le licenciement
CONDAMNE la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
Soixante-cinq mille quatre cent huit euros et cinquante centimes (65408,50 euros) brut à titre de rappel d'heures supplémentaires
Six mille cinq cent quarante euros et quatre-vingt-cinq centimes (6540,85 euros) brut au titre des congés payés afférents
Trente-trois mille huit cent vingt-et-un euros et vingt centimes (33821,20 euros) brut à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateurs non pris
Trois mille trois cent quatre-vingt-deux euros et douze centimes (3382,12 euros) brut au titre des congés payés afférents
Outre intérêts au taux légal sur ces quatre sommes à compter du 17 octobre 2019
Quarante-deux mille huit cent soixante-seize euros (42876 euros) brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Vingt-et-un mille quatre cent quarante-sept euros et soixante-douze centimes (21447,72 euros) net à titre d'indemnité pour travail dissimulé
Outre intérêts au taux légal sur ces deux sommes à compter du prononcé de l'arrêt
DÉBOUTE Mme [P] du surplus de ses prétentions au principal
CONDAMNE la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] une indemnité complémentaire de procédure de 1500 euros
REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la société Echirolles distribution aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président
N° RG 23/00244
N° Portalis DBVM-V-B7H-LVFI
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SARL DEPLANTES AVOCATE
la SELARL FOURNIER AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale - Section B
ARRÊT DU JEUDI 23 OCTOBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG F 19/00864)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 15 décembre 2022
suivant déclaration d'appel du 12 janvier 2023
APPELANTE :
S.A.S. ECHIROLLES DISTRIBUTION prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Gilberte DEPLANTES de la SARL DEPLANTES AVOCATE, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,
et par Me Marie-Pascale VALLAIS, avocat plaidant au barreau de NANTES substituée par Me Julia AURIAULT de la SELEURL Julia AURIAULT AVOCAT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [K] [P]
née le 04 Août 1982 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Virginie FOURNIER de la SELARL FOURNIER AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section,
Mme Marie GUERIN, Conseillère,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 septembre 2025,
Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de président, assisté de Mme Carole COLAS, Greffière, en présence de [F] [B], greffière stagiaire a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 23 octobre 2025, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 23 octobre 2025.
EXPOSE DU LITIGE :
La société par actions simplifiée (SAS) Echirolles distribution est spécialisée dans le secteur d'activité des hypermarchés ; elle exploite notamment l'enseigne Leclerc Comboire.
Mme [K] [P] a été engagée le 09 août 2004 sous contrat à durée déterminée, en qualité d'employée commerciale niveau I échelon B moyennant une rémunération de 1184 euros brut mensuel pour un horaire de travail effectif hebdomadaire de 35 heures.
La convention collective nationale applicable est celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Ce contrat à durée déterminée, a fait l'objet d'un renouvellement par avenant en date du 19 février 2005, puis s'est transformé en contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2005.
Par avenant du 1er janvier 2012 au contrat de travail, Mme [P] a été nommée manager de rayon stagiaire pendant une durée d'une année avec une rémunération portée à 2 550 euros brut mensuels, un statut de cadre autonome au forfait de 216 jours annuels et 2 demi-journées de repos hebdomadaires.
Par ailleurs, il lui était attribué une délégation de pouvoir en matière de :
- hygiène et sécurité,
- législation sociale,
- législation économique et commerciale.
Elle a été confirmée dans ce poste à la suite de la période probatoire.
Par courrier en date du 24 avril 2019, la société Echirolles distribution a convoqué Mme [P] à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement le 02 mai 2019, avec mise à pied à titre conservatoire immédiate.
Par lettre en date du 16 mai 2019, l'employeur a notifié à Mme [P] son licenciement pour faute grave en lui reprochant de :
- nombreuses ruptures dans les rayons, constatées les 17 et 19 janvier 2019, les 6, 7 et 18 mars 2019 et le 4 avril 2019,
- sa façon peu courtoise de s'adresser à ses collaborateurs,
- une omission de transmission d'un rendez-vous de visite médicale pour l'une de ses collaboratrices,
- ses mauvaises relations avec les fournisseurs,
- des modifications de plannings de ses collaborateurs sans respecter de délai de prévenance,
- absences d'affichage de prix,
- mauvaise gestion d'équipe,
- un intérimaire en place sans contrat de travail,
- un non-respect de la législation sociale,
- la tenue des rayons.
Par requête en date du 15 octobre 2019, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins d'obtenir que la convention de forfait en jours soit privée d'effet, des rappels d'heures supplémentaires, une indemnité pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité ainsi que pour défaut d'exécution loyale du contrat de travail et que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse avec des demandes afférentes.
La société Echirolles distribution a conclu au débouté des prétentions adverses.
Par jugement en date du 15 décembre 2022, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :
- condamné la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
14 596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7 149,24 euros brut au titre du préavis,
714,92 euros brut au titre des congés payés afférents,
18 000,00 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
577,50 euros brut à titre de rappel de la lise à pied conservatoire,
57,75 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,
86 158,21 euros brut au titre du paiement des heures supplémentaires,
8 615,82 euros brut au titre des congés payés sur heures supplémentaires,
7 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
5000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit nonobstant appel et sans caution, en application de l'article R.1454-28 du code du travail, étant précisé que ces sommes sont assorties des intérêts de droit à compter du jour de la demande, la moyenne des trois derniers mois étant de 3574,62 euros,
- ordonné la remise d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi rectificatifs,
- débouté Mme [P] de ses autres demandes,
- débouté la société Echirolles distribution de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Echirolles distribution aux dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception distribuées le 17 décembre 2022 à la société Echirolles distribution et le 20 décembre 2022 à Mme [P].
Par déclaration en date du 12 janvier 2023, la société Echirolles distribution a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
La société Echirolles distribution s'en est remise à des conclusions transmises le 22 novembre 2024 et entend voir :
INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble en date du 15 décembre 2022 en ce qu'il a :
- condamné la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
14596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7149,24 euros brut au titre du préavis,
714,92 euros brut au titre des congés payés afférents,
18000,00 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
577,50 euros brut a titre de rappel de la mise à pied conservatoire,
57,75 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,
86158,21 euros brut au titre du paiement des heures supplémentaires,
8615,82 euros brut au titre des congés payés sur heures supplémentaires,
7500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
5000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
1500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de 1'exécution provisoire de droit nonobstant appel et sans caution, en application de l'article R.1454-28 du code du travail, étant précisé que ces sommes sont assorties des intéréts de droit à compter du jour de la demande, la mo enne des trois derniers mois étant de 3574,62 euros
- ordonné la remise d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi rectificatifs,
- débouté la société Echirolles distribution de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Echirolles distribution aux dépens.
STATUANT A NOUVEAU,
- juger irrecevable la demande de Mme [P] au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé,
- juger irrecevable la demande de Mme [P] en condamnation de la société Echirolles distribution a un rappel de salaire et de congés payés afférents, au titre du dépassement du contingent d'heures supplémentaires,
- juger non fondées les demandes de Mme [P],
- débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [P] à verser à la société Echirolles distribution une somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
- condamner Mme [P] à verser à la société Echirolles distributions une somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Mme [P] s'en est rapportée à des conclusions transmises le 25 novembre 2024 et demande à la cour d'appel de :
CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes du 15 décembre 2022 en ce qu'il a :
DIT que le licenciement pour faute grave de Mme [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et par conséquent CONDAMNER la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
14 596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7 149,24 euros brut au titre du préavis, outre 714,92 euros brut de congés payés afférents,
JUGER que le forfait jours de Mme [P] est privé d'effet,
JUGER que la société Echirolles distribution a manqué à son obligation de sécurité,
JUGER que la société Echirolles distribution a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de Mme [P],
INFIRMER sur le quantum le jugement du conseil de prud'hommes du 15 décembre 2022 en ce qu'il a condamné la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
18000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
86158,21 euros brut au titre du paiement des heures supplémentaires, outre 8 615,82 euros brut de congés payés afférents,
7500 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité,
5 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de loyauté,
1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes du 15 décembre 2022 en ce qu'il a dit que la société Echirolles distribution ne s'est pas rendue coupable de travail dissimulé et a débouté Mme [P] de sa demande de 21 447,72 euros net à titre de dommages et intérêts.
STATUANT A NOUVEAU
CONDAMNER la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes:
60 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
90 438,97 euros brut au titre du paiement des heures supplémentaires, outre 9 043,90 euros brut de congés payés afférents,
49 562,99 euros brut au titre du paiement de rappel de salaire au titre du dépassement du contingent d'heures supplémentaires, outre 4 956,30 euros brut de congés payés afférents,
21 447,72 euros net à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé
15 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité,
10 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de loyauté,
3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et la même somme en cause d'appel.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.
La clôture a été prononcée le 12 décembre 2024.
EXPOSE DES MOTIFS :
Sur la recevabilité des prétentions au titre du repos compensateurs à raison du dépassement du contingent annuel :
L'article 564 du code de procédure civile dispose que :
A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 du même code énonce que :
Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
L'article 566 du code de procédure civile précise que :
Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, les prétentions nouvellement formées à hauteur d'appel au titre de la privation des repos compensateurs à raison du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires sont la conséquence de la demande au titre des heures supplémentaires d'ores et déjà présentée devant les premiers juges.
Il convient en conséquence de rejeter la fin de non-recevoir soulevée à ce titre par la société Echirolles distribution et de déclarer recevable la demande de Mme [P] au titre des repos compensateurs.
Sur l'opposabilité de la convention de forfait en jours :
L'article 5.7.2. Forfait défini en jours de la convention collective applicable tel que modifié par avenant n°52 du 17 septembre 2015 énonce que :
A défaut d'application d'un accord d'entreprise relatif au forfait jours, ce forfait peut être mis en 'uvre dans les conditions suivantes :
Salariés concernés
Le forfait annuel en jours peut être convenu avec les cadres autonomes, c'est-à-dire qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein du service ou de l'équipe à laquelle ils sont rattachés, conformément à l'article L. 3121-43 du code du travail.
Le forfait annuel en jours est prévu au contrat de travail, ou dans un avenant à celui-ci, fixant le nombre annuel de jours sur la base duquel le forfait est défini. Le bulletin de paie doit faire apparaître que la rémunération est calculée selon un nombre annuel de jours de travail, et indiquer ce nombre.
L'existence à des périodicités diverses de certaines contraintes, en particulier liées à des réunions, à des rendez-vous, ou rendues nécessaires par le bon fonctionnement de l'entreprise, est inhérente à toute activité professionnelle exercée au sein d'une collectivité de travail et n'est pas constitutive d'une autonomie insuffisante au regard du forfait en jours. Toutefois, ces contraintes ne doivent pas être permanentes.
La rémunération doit tenir compte des responsabilités confiées au salarié dans le cadre de sa fonction.
Durée annuelle de travail
Le nombre de jours de travail ne peut être supérieur, pour 5 semaines de congés payés, à 216 jours par an (jour de solidarité inclus). Ce nombre est ajusté chaque année en fonction des jours de congés auquel le salarié peut effectivement prétendre et du nombre de jours positionnés sur la période lorsque celle-ci ne coïncide pas avec la période de prise des congés.
Les modalités de prise des jours de repos ou jours non travaillés (ou des demi-journées) seront fixées au niveau de l'entreprise ou de l'établissement après consultation du comité d'entreprise ou d'établissement, s'il en existe.
Pour un cadre à temps complet, la valeur d'une journée entière de travail sera calculée en divisant le salaire mensuel par 22, et la valeur d'une demi-journée en le divisant par 44.
En cas de renonciation par le salarié, en accord avec son employeur, à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de salaire en application de l'article L. 3121-45 du code du travail, les modalités sont fixées par écrit entre les parties. Le nombre de jours travaillés dans l'année en application de cet accord ne peut excéder 229 jours. Cette limite se substitue à la limite de 235 jours prévue par l'article L. 3121-45 du code du travail. Les jours travaillés dans le cadre de cet accord sont rémunérés en sus et assortis d'une majoration de salaire d'au moins 15 %.
Temps de repos quotidien et hebdomadaire. ' Jours fériés
Afin de garantir une amplitude raisonnable de ses journées d'activité, le salarié en forfait jours bénéficie d'un repos quotidien d'une durée de 12 heures consécutives.
Il bénéficie d'un repos hebdomadaire d'une durée de 1 journée entière, en principe le dimanche (sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur), à laquelle s'ajoute (nt) 1 journée ou 2 demi-journées supplémentaires, en principe prise (s) chaque semaine ; dans le cas où l'activité ne permettrait pas la prise des demi-journées supplémentaires, ou ne la permettrait pas en totalité, le salarié devra néanmoins bénéficier de 36 heures consécutives de repos au cours de la semaine, et la ou les demi-journées manquantes devront être prises dans les 3 mois suivants.
Le repos hebdomadaire doit être attribué à raison de 2 journées entières pour au minimum 20 semaines dans l'année.
Le salarié en forfait jours bénéficie chaque année du chômage de 6 jours fériés en sus du 1er Mai, au prorata en cas d'année incomplète.
Décompte de la durée du travail
Le temps de travail peut être réparti sur certains ou sur tous les jours ouvrables de la semaine, et se décompte en journées et demi-journées.
Pour être considérée comme comportant une demi-journée non travaillée, la journée doit ne pas comporter d'heure de nuit au sens de l'article 5.12.1 de la présente convention. En outre, en cas de travail le matin, celui-ci doit se terminer au plus tard à 13 h 30 et être suivi d'un repos quotidien d'une durée d'au moins 18 heures ; en cas de travail l'après-midi, celui-ci doit être précédé d'un repos quotidien d'une durée d'au moins 18 heures et débuter au plus tôt à 13 h 30. A défaut, il est décompté 1 journée entière.
Suivi de l'amplitude et de la charge de travail
Le forfait en jours s'accompagne d'un suivi du nombre de jours ou demi-journées travaillés et du respect du repos quotidien et hebdomadaire prévu par le présent accord, ainsi que de la charge de travail. Ce suivi peut s'effectuer à l'aide d'un document tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur. Ce document fait apparaître la qualification de chacune des journées ou demi-journées du mois, répartie en quatre catégories au minimum : travail, repos, congé payé, autre absence ; afin d'identifier les éventuelles difficultés en matière d'amplitude des journées de travail, le document indique également, lorsqu'un repos quotidien a été inférieur à 12 heures consécutives, quelle en a été la durée. Il doit également comporter la possibilité pour le salarié d'ajouter toute information complémentaire qu'il jugerait utile d'apporter. Signé par le salarié, le document de décompte est remis mensuellement à sa hiérarchie, responsable de son analyse et des suites à donner, ainsi que de sa conservation. Un récapitulatif annuel est remis au salarié, dans les 3 mois suivant la fin de la période.
Au moins une fois par an, le salarié en forfait jours bénéficie à l'initiative de sa hiérarchie d'un entretien portant sur sa charge et son amplitude de travail, sur l'organisation du travail dans l'entreprise ou l'établissement, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération.
Un entretien doit également être proposé par la hiérarchie du salarié lorsque le document mensuel de décompte visé ci-dessus fait apparaître des anomalies répétées mettant en évidence des difficultés en matière de temps de travail. Cet entretien a pour objet d'examiner les mesures correctives à mettre en 'uvre.
Un entretien supplémentaire peut en outre avoir lieu à tout moment de l'année à l'initiative du salarié si celui-ci rencontre des difficultés d'organisation de sa charge de travail l'amenant à des durées de travail trop importantes. Cette alerte doit aboutir à des décisions concrètes.
Lorsqu'un entretien a été rendu nécessaire en raison de difficultés en matière de temps de travail, un bilan est effectué 3 mois plus tard afin de vérifier que la charge de travail présente bien un caractère raisonnable.
L'entreprise peut mettre en place d'autres modalités de suivi que le document ci-dessus, à condition de présenter les mêmes garanties.
Il a été jugé que :
Mais attendu qu'il incombe à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a respecté les stipulations de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours ; qu'ayant relevé qu'il n'était pas établi par l'employeur que, dans le cadre de l'exécution de la convention de forfait en jours, le salarié avait été soumis à un moment quelconque à un contrôle de sa charge de travail et de l'amplitude de son temps de travail, la cour d'appel, qui en a déduit que la convention de forfait en jours était sans effet, en sorte que le salarié était en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ;
(Soc., 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-18.725)
En l'espèce, l'employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'avoir mis en place un entretien annuel portant sur la charge et l'amplitude de travail de Mme [P], sur l'organisation du travail dans l'entreprise ou l'établissement, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération.
De manière plus générale, il n'est pas établi un suivi par l'employeur de la charge de travail de la salariée soumise à un forfait en jours.
Il convient, par infirmation du jugement entrepris, qui n'a pas statué dans le dispositif sur cette demande mais uniquement dans les motifs, de déclarer la convention de forfait en jours privée d'effet.
Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires :
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
En conséquence, il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Il appartient à la juridiction de vérifier si les heures supplémentaires revendiquées ont été rendues nécessaires par le travail confié au salarié, l'opposition à l'exécution de celle-ci de l'employeur se trouvant alors indifférente.
Le salarié peut revendiquer le paiement d'heures supplémentaires à raison de l'accord tacite de l'employeur.
Cet accord tacite peut résulter de la connaissance par l'employeur de la réalisation d'heures supplémentaires par le biais de fiche de pointage et l'absence d'opposition de l'employeur à la réalisation de ces heures.
En l'espèce, Mme [P] produit un décompte suffisamment précis des heures supplémentaires qu'elle dit avoir réalisées et qui ne lui ont pas été payées dans la mesure où elle a été soumise à un forfait jours qui a été jugé privé d'effet puisqu'elle verse aux débats, en pièce n°19, un décompte sur la période du 15 juin 2016 au 23 avril 2019 des heures supplémentaires qu'elle considère avoir effectuées chaque semaine.
La société Echirolles distribution ne justifie pas des horaires effectivement réalisés par la salariée par un système d'enregistrement fiable du temps de travail.
Elle invoque également de manière inopérante le fait que ces heures supplémentaires n'étaient pas nécessaires ou ne lui avaient pas été demandées dans la mesure où elle a laissé travailler Mme [P] dans le cadre d'un forfait jours sans le moindre contrôle de ses horaires de travail et ne saurait désormais a posteriori venir considérer que la salariée a pu travailler au-delà de la charge et des missions requises par son poste.
Mme [P] verse aux débats ses horaires de travail allégués sur la période du 15 mai 2016 au 23 avril 2019.
Elle produit également un témoignage de Mme [I], qui n'a aucune valeur probante particulière s'agissant de la demande de rappel d'heures supplémentaires puisque le témoin indique elle-même avoir travaillé dans le magasin jusqu'en 2015, soit avant la période concernée par le rappel.
Elle verse en outre aux débats le témoignage de M. [Y], ancien responsable du rayon liquide du magasin qu'il a quitté le 14 décembre 2018.
Celui-ci indique que : « Je confirme que les horaires de Mme [P] [K], que cette personne commençait tous les mercredis, jeudis, vendredis à 5h du matin jusqu'à 12h et ensuite reprenait à 13h jusqu'à 19h, que les lundis et mardis, elle commençait à 5h du matin jusqu'à 14h et les samedis, elle commençait à 5h du matin jusqu'à 12h et ensuite elle reprenait à 14h jusqu'à 22h. Dès la prise de possession de son magasin en tant que PDG, M. [W] nous a imposé une ouverture et une fermeture sur la semaine qui changeait constamment entre le lundi et samedi à tous les responsables de rayons, qui incombait en des heures en plus non rémunérées. Nous avons travaillé 6 jours par semaine avec le dimanche en jour de repos. Il nous faisait comprendre qu'il fallait toujours rester plus tard que notre horaire prévu sinon on risquait d'avoir un avertissement ou une sanction (en nous trouvant quelque chose dans le rayon qui n'allait pas). »
De son côté, l'employeur produit une attestation de M. [C], manager de rayon depuis le 25 mai 2015, qui indique que dans le cadre de leurs attributions, les managers de rayon devaient faire des permanences par roulements et qu'il s'agit d'une pratique qui avait déjà été mise en 'uvre sous l'ancienne direction de M. [S], où certains cadres effectuaient cette tâche.
L'employeur verse également aux débats la main courante de l'entreprise de sécurité pour les 27 octobre 2017 et le 24 janvier 2018.
Les informations pertinentes figurant sur ces documents mettent en évidence qu'à la première date les agents de sécurité ont ouvert le magasin à 4h et l'ont fermé à 21h30 et que pour le second jour, l'ouverture s'est faite à 4h05 le matin et la fermeture à 21h.
Ces horaires sont compatibles avec ceux mentionnés par Mme [P] qui a indiqué avoir travaillé le 27 octobre 2017 de 5h à 14h et le 24 janvier 2018 de 5h à 12h et 13h à 19h.
Les horaires d'ouverture du magasin au public ne sauraient être déterminants puisque le descriptif des fonctions de Mme [P] et le fait que l'employeur ait lui-même admis un système de permanences impliquent des horaires de travail excédants cette plage horaire.
Mme [P] s'était en particulier vu confier la gestion et l'organisation de la réception des marchandises, la gestion, l'organisation et l'approvisionnement du rayon crèmerie et la participation aux opérations d'inventaire.
Il est intéressant d'observer que dans sa pièce n°27 que l'employeur dénomme 'suivi personnalisé de la salariée', il est indiqué que celle-ci avait reçu pour consigne de faire le tour de son rayon à 8h15, soit avant l'ouverture au public et que lors de l'entretien du 6 avril 2019, il est reproché à la salariée de n'avoir pas dégagé son rayon à 8h30 ; ce qui implique un travail préalable.
Plus avant, lors d'un point du 23 avril 2019, il est abordé le fait que Mme [P] a demandé à un intérimaire de venir travailler la semaine suivante à 6h du matin ; ce qui implique nécessairement qu'elle soit présente sur des plages horaires excédant les heures d'ouverture du magasin dans le cadre de sa mission de gestion du personnel.
L'employeur indique de son côté à juste titre que Mme [P] énonce des horaires de travail relativement standardisés procédant d'une reconstitution approximative et a postériori dans le cadre du présent contentieux.
En revanche, le décompte de la salariée est conforme s'agissant des deux-demies journées de repos les lundis et mardis après-midi.
L'employeur se prévaut également à tort concernant le taux horaire à prendre en compte des minima conventionnels alors qu'il y a lieu d'effectuer le calcul de celui-ci par rapport à la rémunération brute effectivement perçue par la salariée correspondant à un temps plein à 151h67.
Le taux horaire s'établit dès lors à 17,99 euros brut.
Au vu des éléments versés par l'une et l'autre parties, il est retenu pour l'année 2016 la réalisation par Mme [P] de 700 heures supplémentaires dont 259 majorées à 25 % et 441 majorées à 50 %, en 2017 900 heures supplémentaires dont 353 heures majorées à 25 % et 547h à 50 %, en 2018 800 heures supplémentaires dont 327 heures majorées à 25 % et 473 heures à 50 % et en 2019 200 heures supplémentaires dont 120 heures majorées à 25 % et 80 heures majorées à 50 %.
Infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] la somme de 65408,50 euros brut à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre celle de 6540,85 euros brut au titre des congés payés afférents, le surplus des prétentions de ces chefs étant rejeté.
Sur les repos compensateurs non pris :
Les parties s'accordent sur le fait que le contingent annuel d'heures supplémentaires prévu par la convention collective est effectivement de 180 heures.
D'après, le nombre d'heures supplémentaires non payées reconnues, il convient de condamner la société Echirolles distributions, qui a un effectif supérieur à 20 salariés, à payer à Mme [P] la somme de 33821,20 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateurs non pris, outre celle de 3382,12 euros brut au titre des congés payés afférents, le surplus des demandes à ce titre étant rejeté.
Sur le travail dissimulé :
Au visa des articles L 8221-5 et L 8223-1 du code du travail, l'élément matériel du travail dissimulé est établi dans la mesure où l'employeur est condamné à un rappel d'heures supplémentaires non payées.
L'élément intentionnel est également suffisamment démontré puisque la société Echirolles distribution ne justifie du respect d'aucune de ses obligations en termes de suivi de la convention de forfait jours si bien qu'elle ne pouvait qu'avoir conscience du fait qu'elle s'en trouvait privée d'effet.
Par ailleurs, eu égard à la circonstance que la salariée travaillait 6 jours sur 7, qu'elle se voyait imposer une permanence par roulements et que les missions détaillées dans son contrat de travail nécessitaient une présence très tôt le matin, avec une délégation de pouvoirs très étendue rendant impossible leur accomplissement selon un volume hebdomadaire de 35 heures, l'employeur avait nécessairement conscience de la réalisation régulière par Mme [P] d'heures supplémentaires selon un volume très important qu'il a sciemment décidé de ne pas lui payer.
Infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] la somme de 21447,72 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
Sur l'obligation de prévention et de sécurité :
L'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
L'article L 4121-1 du code du travail énonce que :
L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et (version avant le 24 septembre 2017 : de la pénibilité au travail) (version ultérieure au 24 septembre 2017 : y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1);
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article L 4121-2 du code du travail prévoit que :
L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L'article L 4121-3 du même code dispose que :
L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe.
A la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement.
Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l'application du présent article doivent faire l'objet d'une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat après avis des organisations professionnelles concernées.
L'article R4121-1 du code du travail précise que :
L'employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.
L'article R4121-2 du même code prévoit que :
La mise à jour du document unique d'évaluation des risques est réalisée :
1° Au moins chaque année ;
2° Lors de toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l'article L. 4612-8 ;
3° Lorsqu'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie.
L'article R 4121-4 du code du travail prévoit que :
Le document unique d'évaluation des risques est tenu à la disposition :
1° Des travailleurs ;
(version avant le 1er janvier 2018 : 2° Des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou des instances qui en tiennent lieu) ; (version après le 1er janvier 2018 : 2° Des membres de la délégation du personnel du comité social et économique)
3° Des délégués du personnel ;
4° Du médecin du travail ;
5° Des agents de l'inspection du travail ;
6° Des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale ;
7° Des agents des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail mentionnés à l'article L. 4643-1 ;
8° Des inspecteurs de la radioprotection mentionnés à l'article L. 1333-17 du code de la santé publique et des agents mentionnés à l'article L. 1333-18 du même code, en ce qui concerne les résultats des évaluations liées à l'exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants, pour les installations et activités dont ils ont respectivement la charge.
Un avis indiquant les modalités d'accès des travailleurs au document unique est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail. Dans les entreprises ou établissements dotés d'un règlement intérieur, cet avis est affiché au même emplacement que celui réservé au règlement intérieur.
L'article 2.1 de l'accord du 14 décembre 2001 relatif à l'ARTT impose un repos de 11 heures au minimum pour les salariés travaillant selon un forfait jours.
En l'espèce, l'employeur ne produit aucun document unique d'évaluation des risques professionnels.
En outre, il n'établit aucunement le respect des durées maximales de travail et des repos minimum.
La société Echirolles distribution invoque de manière inopérante la circonstance que la salariée n'a jamais revendiqué de surcharge de travail alors même qu'il n'a assuré aucun suivi à ce titre et tente d'inverser la charge de la preuve en soutenant que Mme [P] ne produit aucune pièce aux débats ; ce qui est au demeurant inexact puisqu'il ressort de l'analyse de sa pièce n°19 des données précises quant à l'amplitude des journées de travail au cours des trois dernières années dépassant largement les plafonds imposés par la convention collective.
Le préjudice subi par la salariée est à la fois moral mais encore caractérisé par des conditions de travail anormalement pénibles et ce pendant de nombreuses années.
Les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi en allouant à Mme [P] la somme de 7500 euros net au titre du manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité, prenant également en compte le préjudice résultant du non-respect des durées maximales de travail et des repos minima, de sorte que le jugement entrepris est confirmé de ce chef, et que le surplus de la demande dans le cadre de l'appel incident n'est pas accueilli.
Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail :
Sous couvert d'une exécution déloyale du contrat de travail au visa de l'article L 1222-1 du code du travail, Mme [P] développe en réalité des moyens identiques à ceux soulevés au titre du manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité s'agissant de sa charge de travail et elle ne saurait obtenir sous un fondement juridique distinct la double indemnisation d'un même préjudice.
En outre, Mme [P] soutient avoir perdu ses jours de RTT au titre de l'année 2019. Or, il s'agit de l'année au cours de laquelle le contrat de travail a été rompu et elle n'a formulé aucune demande à ce titre.
Elle ne chiffre pas même le nombre allégué comme perdu.
Une exécution fautive du contrat de travail à ce titre n'est en conséquence par caractérisée.
Infirmant le jugement entrepris, il convient de débouter Mme [P] de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution fautive du contrat de travail.
Sur le licenciement :
L'employeur peut invoquer dans la lettre de licenciement plusieurs motifs de rupture inhérents à la personne du salarié dès lors qu'ils procèdent de faits distincts et à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement (Cass. soc., 23 sept. 2003, n° 01-41.478 ; Cass. soc., 6 juill. 2004, n°02-41.578 ; Cass. soc., 21 avr. 2022, n°20-14.408).
En revanche, l'insuffisance professionnelle est exclusive de toute faute disciplinaire, a fortiori grave.
(Cass. soc., 2 oct. 2001, n°99-42.459 ; Cass. soc., 7 janv. 1998, n°95-42.586 ; Cass. soc., 21 févr. 1990, n°87-40.167 ; Cass. soc., 17 févr. 2004, n°01-44.543).
Au cas d'espèce, l'employeur a notifié à la salariée par courrier en date du 16 mai 2019 son licenciement pour faute grave en lui reprochant une série des griefs et plus précisément :
- des ruptures dans ses rayons les 17, 19 janvier, les 06, 07, 18 mars et 04 avril 2019,
- d'avoir adopté un comportement inapproprié à l'égard d'une salariée au vu du signalement d'une cliente du 14 mars 2019 et de manière générale, de ne pas s'adresser de manière courtoise à ses collaborateurs en infraction avec l'article 4-7 du règlement intérieur
- d'avoir omis le 22 mars 2019 de remettre une convocation à la médecine du travail à l'une de ses subordonnées
- un résultat d'un pointage de mètre à mètre de son rayon réalisé le 13 avril 2019 révélant que celui-ci était mal tenu
- des relations difficiles avec les fournisseurs
- la non-communication dans les délais du planning à son équipe pour la semaine 17 du 22 au 28 avril 2019
- la modification des plannings du personnel du rayon charcuterie coupe pour la semaine 17
- l'absence de prix dans les bacs des allées centrales constatée le 23 avril 2019
- d'avoir laissé travailler le 23 avril 2019 un intérimaire sans contrat
- de refuser de rendre compte de son activité au directeur en ne répondant pas à ses mails
- le constat par le directeur d'une mauvaise tenue du rayon et des difficultés dans la gestion des équipes le 18 janvier 2019
- des ruptures sur des produits le 19 mars 2019
- le constat d'une mauvaise tenue du rayon lors d'une analyse mètre par mètre le 23 avril 2019
Mme [P] soutient expressément que les manquements suivants relèvent tout au plus d'une insuffisance professionnelle et non d'une faute :
Défaut d'approvisionnement des rayons
Défaut de remise d'une convocation d'un salarié à une visite médicale
Problématiques d'implantation dans les rayons
Défaut de remise des horaires pour la semaine 17
Défaut d'affichage de prix dans l'allée centrale
Défaut de signature et de remise d'un contrat de travail à un intérimaire
Défaut de réponse aux mails du directeur.
Elle met à juste titre en exergue que l'employeur se fonde, notamment pour démontrer l'existence d'une faute grave alléguée, sur une pièce n°27 correspondant à un suivi personnalisé de Mme [P].
Or, en préambule de ce document détaillant de manière précise les manquements de la salariée les 18 janvier, 19, 23 mars, 06, 13, 17, 18 et 23 avril 2019 il est indiqué : « Dossier pour faute/insuffisance professionnelle : aujourd'hui, Mme [P] ne remplit pas de façon satisfaisante les attendus de sa fonction de cadre responsable de l'ultra frais. »
L'employeur, qui supporte la charge exclusive de la preuve de la faute grave, ne démontre pas le caractère intentionnel des manquements imputés à la salariée dont elle estime qu'ils relèvent tout au plus d'une insuffisance professionnelle, alors même que la société Echirolles distribution a elle-même qualifié, de manière concurrente, ceux-ci de faute et d'insuffisance professionnelle.
L'employeur se prévaut d'actions d'adaptation et de formation au poste dont le contenu et la fréquence sont ignorés puisque tout au plus l'avenant du 1er janvier 2012 fait état d'une formation au poste de manager sans que la nature précise de celle-ci ne soit connue.
Au demeurant, compte tenu de l'étendue de la délégation de pouvoirs consentie à la salariée dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité, de la législation sociale et de la législation économique et commerciale, il apparaissait clairement indispensable que l'employeur effectuât des remises à niveau régulières, dont il n'est absolument pas justifié par les seules pièces produites aux débats.
Il n'est aucunement acquis que Mme [P] disposait des compétences et savoirs nécessaires pour assurer la gestion des plannings, des congés, des intérimaires et des visites médicales conformément à la législation et à la réglementation ainsi que pour garantir le garnissage optimal du rayon.
Il est ainsi intéressant de noter que sur ce même document, il est observé lors de l'entretien du 18 janvier 2019 par l'employeur que Mme [P] « ne connait pas ses résultats, ne regarde pas son chiffre d'affaires, les marges crèmerie et surgelés sont dans les plus basses de la Socara », que lors du suivant du 19 mars 2019, l'employeur a manifestement conscience des carences de la salariée puisqu'il est noté que « le Directeur a redonné le sens à Mme [P] de l'intérêt de pointer une gamme. Lors de l'entretien il lui a été remis des dossiers réimplantation, avec explication et demande d'un planning d'actions ». Plus loin, l'employeur a déploré que les achats ont été faits sans aucune analyse des ventes. Concernant la gestion des équipes, la direction a estimé nécessaire de faire « un point sur les responsabilités que Mme [P] a à attribuer à son équipe afin de l'aider dans la délégation et pour son organisation » ; ce dont il se déduit des carences managériales manifestes. La direction a également relevé, suite à la modification sans respect du délai de prévenance des congés payés de Mme [U], en s'adressant à la salariée : « Vous n'avez toujours pas compris le tenant et l'aboutissement de votre décision. » Il est également relevé « un niveau d'exigence qui n'est pas au rendez-vous des attentes », « un commerce pas dynamique et pas callé : problème de ruptures, de gammes, de respect des règles de balisage'accompagnement des équipes : inexistant, turn-over très important dans l'équipe crèmerie, pas de gestion : résultats économiques en-dessous de la centrale (') ». S'agissant de la fiche de visite à la médecine du travail non remise à une salariée, le compte-rendu met en évidence que Mme [P] ne comprend pas l'importance de cette obligation de l'employeur puisqu'elle indique avoir oublié. Lors du point du 23 mars 2019, l'employeur a observé les mêmes lacunes qu'auparavant dans la tenue du rayon et la gestion des équipes. Il en sera ainsi jusqu'à la mise à pied disciplinaire.
Il s'ensuit que ces manquements ne sauraient revêtir la qualification de faute intentionnelle et constituent tout au plus une insuffisance professionnelle exclusive de toute faute, a fortiori grave si bien que le licenciement n'est pas valablement fondé sur ce motif.
S'agissant des griefs rattachables à des comportements fautifs à savoir de s'être adressée de manière inappropriée à une salariée devant des clients et plus généralement de manquer de courtoisie dans sa communication à l'égard des membres de son équipe et d'avoir des relations difficiles avec les fournisseurs, la preuve d'une faute n'est pas suffisamment établie par l'employeur.
S'agissant de la réclamation de la cliente du 14 mars 2019 d'après laquelle « une responsable est venue dire à une employée qui se trouvait en charcuterie de retourner immédiatement au rayon fromage sur un ton et une agressivité que je ne tolère pas. Comment peut-on parler à des personnes qui travaillent de cette façon. C'est honteux. Je suis cliente Leclerc depuis + de 10 ans et je me dois de le signaler. », la société Echirolles distribution ne justifie d'aucune investigation pour connaître l'identité de la salariée concernée et le contexte du comportement prêté à Mme [P].
Concernant le courriel de l'agence d'intérim Crit du 26 mars 2019 à la société Echirolles distribution aux termes duquel la première a informé la seconde de ses difficultés à trouver des intérimaires acceptant de travailler en crémerie, ceux-ci demandant à être affectés à d'autres rayons, la cause de cette désaffection n'est pas explicitée et il ne peut ispo facto en être déduit que la responsabilité de cette situation incombe à Mme [P].
Le niveau de rupture de périodes d'essai à l'initiative des salariés sur ce rayon n'est pas non plus à lui-seul déterminant puisque d'autres causes sont possibles et notamment des conditions de travail difficiles inhérentes au poste, indépendamment de l'encadrant.
Il ressort de la pièce n°29 de l'employeur, qui n'est pas son registre du personnel mais une exploitation libre qu'il en a faite sans possibilité pour l'autre partie et la cour d'en contrôler la véracité et l'exhaustivité, que les ruptures de période d'essai à l'initiative de salariés se sont prolongées après la mise à pied à titre conservatoire de la salariée et son licenciement.
Enfin, s'agissant des relations difficiles avec les fournisseurs, il n'est versé aux débats aucune plainte ni réclamation.
Concernant le refus de la salariée de répondre à des courriels de la direction, la société Echirolles distribution ne justifie pas des nombreuses correspondances adressées à la salariée auxquelles elle n'aurait pas donné suite.
Ces comportements fautifs prêtés à la salariée ne sont en conséquence pas suffisamment démontrés.
En définitive, dans la mesure où l'essentiel des manquements reprochés à la salariée relèvent non d'une faute mais d'une insuffisance professionnelle et que ceux de nature à caractériser un comportement fautif ne sont pas suffisamment établis, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le licenciement de Mme [P] sans cause réelle et sérieuse sauf à le préciser expressément au dispositif de la décision.
Sur les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail :
Dès lors que le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse et par voie de conséquence la mise à pied à titre conservatoire est injustifiée, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
577,50 euros brut à titre de rappel de la lise à pied conservatoire,
57,75 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,
14 596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7 149,24 euros brut au titre du préavis,
714,92 euros brut au titre des congés payés afférents.
Concernant le préavis et les congés payés afférents, Mme [P] demande en effet dans le dispositif de ses conclusions qui seul lie la cour d'appel par application de l'article 954 du code de procédure civile de confirmer les montants alloués par les premiers juges alors qu'elle sollicite dans le corps des conclusions des montants supérieurs équivalents à 3 mois de préavis auquel elle aurait eu droit en tant que cadre.
Au visa de l'article L 1235-3 du code du travail, au jour de la rupture injustifiée du contrat de travail, Mme [P] avait lors de son licenciement injustifié 15 ans d'ancienneté, préavis de 3 mois non exécuté compris, ainsi que d'une rémunération de l'ordre de 3574 euros brut et ce, sans même prendre en compte les heures supplémentaires réalisées de manière régulière.
Elle a retrouvé un emploi le 1er octobre 2019 en qualité d'auxiliaire de vie à temps plein moyennant un salaire de 2116,32 euros brut, soit avec une baisse notable de revenus.
Infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Echirolles distributions à payer à Mme [P] la somme de 42876 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la débouter du surplus de sa demande à ce titre.
Sur les demandes accessoires :
L'équité et la situation économique respective des parties commandent par confirmation du jugement entrepris et y ajoutant de condamner la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] une indemnité de procédure de 1500 euros et celle de 1500 euros à hauteur d'appel.
Le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejeté.
Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la société Echirolles distribution, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS ;
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société Echirolles distribution au titre des prétentions nouvellement présentées à hauteur d'appel par Mme [P] concernant les repos compensateurs
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :
- condamné la société Echirolles distribution à verser à Mme [P] les sommes suivantes :
14 596,35 euros à titre d'indemnité de licenciement,
7 149,24 euros brut au titre du préavis,
714,92 euros brut au titre des congés payés afférents,
577,50 euros brut à titre de rappel de la lise à pied conservatoire,
57,75 euros brut au titre des congés payés sur mise à pied conservatoire,
7 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, sauf à préciser qu'il s'agit d'un montant net
1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Echirolles distribution aux dépens.
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE privée d'effet la convention de forfait en jours
DÉCLARE sans cause réelle et sérieuse le licenciement
CONDAMNE la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
Soixante-cinq mille quatre cent huit euros et cinquante centimes (65408,50 euros) brut à titre de rappel d'heures supplémentaires
Six mille cinq cent quarante euros et quatre-vingt-cinq centimes (6540,85 euros) brut au titre des congés payés afférents
Trente-trois mille huit cent vingt-et-un euros et vingt centimes (33821,20 euros) brut à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateurs non pris
Trois mille trois cent quatre-vingt-deux euros et douze centimes (3382,12 euros) brut au titre des congés payés afférents
Outre intérêts au taux légal sur ces quatre sommes à compter du 17 octobre 2019
Quarante-deux mille huit cent soixante-seize euros (42876 euros) brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Vingt-et-un mille quatre cent quarante-sept euros et soixante-douze centimes (21447,72 euros) net à titre d'indemnité pour travail dissimulé
Outre intérêts au taux légal sur ces deux sommes à compter du prononcé de l'arrêt
DÉBOUTE Mme [P] du surplus de ses prétentions au principal
CONDAMNE la société Echirolles distribution à payer à Mme [P] une indemnité complémentaire de procédure de 1500 euros
REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la société Echirolles distribution aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président