CA Caen, 1re ch. civ., 28 octobre 2025, n° 24/01127
CAEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Terrena (SCA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barthe-Nari
Conseillers :
Mme Delaubier, Mme Gauci Scotte
Avocats :
Me Villenave, Me Dubreil
FAITS ET PROCEDURE
M. [D] [I] était associé coopérateur au sein de la société coopérative agricole Normandie Bovins.
Le 30 juin 2017, la société coopérative Normandie Bovins a été absorbée par la société coopérative agricole Terrena. M. [I] est devenu associé coopérateur de cette société.
M. [I] dispose d'un compte courant d'associé coopérateur. Les avances sur production et approvisionnements fournis par la société Terrena sont portées au débit de ce compte. Les produits de l'activité de M. [I], vendus à la société Terrena, sont portés au crédit du compte.
Le 13 juin 2019, la SCA Terrena a adressé à M. [I] une mise en demeure d'avoir à lui régler la somme de 62 208,76 euros, au vu du solde débiteur de son compte courant d'associé.
Le 9 décembre 2020, la société Terrena a adressé à M. [I] une seconde mise en demeure d'avoir à régler la somme de 74 437,79 euros, au vu du solde débiteur de son compte courant d'activité.
Par acte du 20 décembre 2021, la société Terrena a fait assigner M. [I] devant le tribunal judiciaire de Caen afin qu'il soit condamné à lui payer la somme de 74 437,79 euros en principal, outre les intérêts conventionnels au taux de 12 % par an à compter du 13 juin 2019, date de la première mise en demeure.
Par jugement du 22 mars 2024 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a :
condamné M. [I] à payer à la société Terrena la somme de 19 188,80 euros en principal, outre les intérêts conventionnels au taux de 12 % par an à compter du 20 décembre 2021,
condamné M. [I] à payer à la société Terrena la somme de 2 878,32 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de la délivrance de l'assignation, soit le 20 décembre 2021,
débouté la société Terrena de sa demande de capitalisation des intérêts,
condamné M. [I] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Villenave, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
débouté M. [I] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [I] à payer à la société Terrena la somme de 1200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
dit que le jugement est assorti de l'exécution provisoire.
Par déclaration du 3 mai 2024, la SCA Terrena a formé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 2 août 2024, la SCA Terrena demande à la cour de :
infirmer le jugement du 22 mars 2024 du tribunal judiciaire de Caen en ce qu'il a :
condamné M. [I] à lui payer la somme de 19 188,80 euros en principal, outre les intérêts conventionnels au taux de 12 % par an à compter du 20 décembre 2021,
condamné M. [I] à lui payer la somme de 2 878,32 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de la délivrance de l'assignation, soit le 20 décembre 2021,
débouté la société Terrena de sa demande de capitalisation des intérêts,
Et, statuant à nouveau,
condamner M. [I] à lui verser la somme de 74 437,79 euros en principal outre les intérêts conventionnels au taux de 12 % sur cette somme à compter du 30 novembre 2020,
condamner M. [I] à lui verser la somme de 11 165,67 euros au titre de la clause pénale, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 20 décembre 2021,
ordonner la capitalisation des intérêts,
confirmer le jugement n°21/04402 du 22 mars 2024 du tribunal judiciaire de Caen pour le surplus,
condamner M. [I] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [I] aux dépens de l'appel.
La déclaration et les conclusions d'appel ayant été régulièrement signifiées, M. [I] n'a pas constitué avocat en cause d'appel.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 28 mai 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application de l'article 472 du code de procédure civile, en appel, si l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, mais la cour ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où elle les estime réguliers, recevables et bien-fondés. Ainsi, la cour examine, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels le tribunal s'est déterminé.
Sur la demande en paiement :
La société Terrena demande l'infirmation du jugement entrepris l'ayant déboutée de sa demande de condamnation de M. [I] à lui payer la somme de 74 437,79 euros au titre du solde débiteur du compte courant d'activité ouvert à son nom.
Elle estime que c'est à tort que le premier juge a rejeté sa demande, ayant mal interprété les documents transmis par elle.
La SCA Terrena fait valoir que les extraits du grand livre comptable relatifs au compte de M. [I] retenus par le premier juge ne concernaient que les exercices des années 2014 à 2017, mais qu'ils ne relataient pas les exercices ultérieurs et donc ne constituaient pas le solde actualisé du compte courant de M. [I].
La SCA Terrena expose que le montant de 19 188,80 euros retenu par le premier juge correspond en réalité au solde du compte de M. [I] au 31 décembre 2017 mais que le solde actualisé du compte courant de M. [I] au 12 janvier 2023 était de 74 437,79 euros, solde arrêté au 30 novembre 2020, date à laquelle le compte a été gelé.
Elle précise que dans le fonctionnement de la coopérative, elle procède à des avances de fonds aux associés pour leur permettre l'acquisition de bovins, dont elle se fait rembourser par l'apport des animaux à la coopérative. Lorsque ces animaux ne sont pas apportés à la coopérative, une ligne « remboursement avance » est portée au débit du compte de l'associé.
La SCA Terrena indique qu'elle a ainsi porté au compte de M. [I] le 7 mai 2019 une ligne remboursement avance reprenant la liste des animaux non remboursés par l'associé.
Elle estime ainsi suffisamment justifier du montant de sa créance pour 74 437,79 euros.
M. [I], qui n'a pas constitué avocat en cause d'appel, contestait en première instance les opérations imputées sur son compte courant d'associé au mois de mai 2019 au titre des remboursements d'avances financières et estimait que diverses opérations portées sur son compte courant d'associé l'avaient été de façon erronée.
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Selon l'article 1343-1 du code civil, lorsque l'obligation de somme d'argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. Le paiement partiel s'impute d'abord sur les intérêts. L'intérêt est accordé par la loi ou stipulé dans le contrat. Le taux de l'intérêt conventionnel doit être fixé par écrit. Il est réputé annuel par défaut.
Enfin, l'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
A titre liminaire, il doit être observé qu'il n'est pas contesté que M. [I] a la qualité d'associé coopérateur au sein de la société Terrena.
Il s'en déduit que l'ensemble des documents établis par la société Terrena, à savoir les statuts, le règlement intérieur et les relevés de compte-courant d'activité, sont opposables à M. [I].
L'article 5 intitulé 'Compte courant d'activité-associé coopérateur' du règlement intérieur de la société Terrena prévoit que chaque associé coopérateur a un compte courant ouvert dans les livres de la coopérative. Ce compte enregistre l'ensemble des opérations effectuées par l'associé coopérateur avec la coopérative. Il fonctionne comme un compte de compensation dont seul le solde est exigible.
Il est ajouté que 'à la date du dernier jour de chaque mois, la coopérative procède à un arrêté de compte et adresse dans un délai de 15 jours de la date d'arrêté mensuel, à chaque associé coopérateur :
un relevé de son compte courant d'activité :
reprenant l'ensemble des opérations d'apports, approvisionnements, services et mouvements financiers effectués au cours du mois avec la coopérative,
lui permettant ainsi de contrôler les opérations enregistrées et de tenir sa comptabilité,
et, sur demande, un relevé d'échéance qui constitue une annexe du compte-courant et classe les opérations effectuées en fonction de leurs dates d'échéances respectives.
A défaut de contestation du relevé de compte dans le délai de 15 jours de réception, le solde du compte sera présumé définitivement accepté par l'associé coopérateur. (...)
Lorsque le compte courant d'activité d'un associé coopérateur ne fonctionne pas normalement, il pourra être exigé :
le paiement comptant des nouvelles opérations d'approvisionnement,
en cas de défaut de paiement dans les 15 jours suivant une mise en demeure préalable effectuée par lettre recommandée avec avis de réception, le paiement immédiat de toutes les sommes dues par l'associé coopérateur.'
La société Terrena se prévaut d'une créance d'un montant de 74 437,79 euros au titre du solde du compte 'exploitation' de M. [I] (n°100-COOP-30541-01) arrêté au 30 novembre 2020.
Elle verse aux débats les relevés mensuels et détaillés de juillet 2017 à novembre 2020 mentionnant toutes les opérations enregistrées sur le compte d'activité de M. [I], lesquels reprennent en débit, les factures d'approvisionnement, les éventuels chèques ou prélèvements émis par le coopérateur et revenus impayés ainsi que les intérêts de retard en cas de solde débiteur, et en crédit, les factures d'apports de produits par l'associé, les règlements effectués par celui-ci ainsi que les intérêts en cas de solde créditeur.
Le dernier relevé mensuel de novembre 2020 fait état d'un solde de 74 437,79 euros.
Il sera précisé que chaque relevé mensuel de l'activité de M. [I] reprend le solde indiqué au dernier jour du relevé du mois précédent, ce qui permet de s'assurer de la cohérence de ces relevés et du solde mentionné à la date du 30 novembre 2020.
M. [I] n'a pas contesté avoir été destinataire chaque mois de ces documents, lesquels indiquent que 'sans observation de votre part sous quinzaine, nous vous considérons d'accord sur ce compte', aucune protestation n'ayant été émise de sa part à réception.
La société Terrena produit par ailleurs des extraits de son grand livre comptable qui, contrairement à ce qui a été retenu en première instance, ne reprennent que les opérations enregistrées pour les années 2014 à 2017.
Ces extraits justifient des opérations imputées au compte-courant d'associé de M. [I].
Le document produit par la société Terrena intitulé 'remboursement avance n°546895" en date du 7 mai 2019 reprend la liste des animaux qui ont fait l'objet d'un financement au profit de M. [I] et qui n'ont pas été remboursés par ce dernier.
Il ressort de l'analyse de ces différentes pièces que l'ensemble des avances de trésorerie sollicitées par M. [I] ont bien été reportées sur son compte d'activité, et que les débits portés au compte-courant de M. [I] sont justifiés.
M. [I] a accusé réception le 10 décembre 2020 de la lettre recommandée datée du 9 décembre précédent par laquelle la société Terrena le mettait en demeure de lui payer la somme de 74 737,79 euros au titre de son 'compte courant d'activité débiteur' tel qu'arrêté au 30 novembre 2020 et l'associé coopérateur n'allègue d'aucun paiement intervenu de sa part depuis lors.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande en paiement formée par la société Terrena, laquelle, à hauteur d'appel, justifie suffisamment du bien-fondé de sa créance d'un montant de 74 437,79 euros au titre du solde débiteur du compte courant d'activité de M. [I] en sa qualité d'associé coopérateur.
Statuant à nouveau, M. [I] sera donc condamné au paiement de la somme de 74 437,79 euros.
Sur les intérêts :
La société Terrena demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [I] au paiement des intérêts conventionnels de 12 % mais demande son infirmation en ce qu'il a fixé le point de départ de ces intérêts à la date de l'assignation.
La société Terrena demande également l'infirmation de cette décision en ce qu'elle a été déboutée de sa demande de capitalisation des intérêts, le premier juge ayant considéré que la preuve de l'ancienneté de la créance n'était pas rapportée.
Il résulte des dispositions de l'article 5 du règlement intérieur que 'les associés coopérateurs dont le compte courant présente un solde débiteur supportent des intérêts débiteurs journaliers dont le taux communiqué aux associés coopérateurs est calculé selon la formule suivante :
Taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre civil précédent par les établissements de crédit pour les découverts en compte aux entreprises majoré de 0 à 2,5 points de %. (...)
Sauf forte fluctuation des marchés financiers entraînant une révision des taux à l'initiative du conseil d'administration, les taux d'intérêt seront révisés au début de chaque semestre civil par le conseil d'administration dans les conditions suivantes : les intérêts ...sont calculés quotidiennement (...) suivant la formule taux annuel/36500 (...) en fonction du solde du compte en date de valeur'.
La société Terrena communique l'extrait du procès-verbal de son conseil d'administration du 30 janvier 2020 ayant décidé de limiter à 12% l'an (soit un taux journalier de 0,003288%) le taux d'intérêt applicable aux comptes courants débiteurs calculé selon ces modalités.
Il peut également être souligné que les relevés détaillés du compte d'activité communiqués chaque mois à M. [I] mentionnent au recto, en bas de page, le taux d'intérêt tel que décidé et applicable sur la période considérée.
Il s'en suit que le taux d'intérêt conventionnel prévu par le règlement intérieur, décidé selon les modalités de calcul prévues au dit règlement par le conseil d'administration de la société coopérative le 30 janvier 2020, et communiqué à M. [I] au moyen de ses relevés mensuels de compte d'associé coopérateur, est opposable à ce dernier au regard de sa qualité d'adhérent à la coopérative Terrena, et applicable à la somme dont il est redevable.
Les intérêts de retard seront en conséquence calculés à ce taux de 12% à compter du 30 novembre 2020 date à laquelle le solde du compte débiteur a été arrêté, et non à compter de la première mise en demeure.
Enfin, la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière sera ordonnée, conformément à l'article 1343-2 du code civil.
Sur la clause pénale :
La société Terrena demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu le principe de la clause pénale mais demande son infirmation au motif que le premier juge a retenu une valeur erronée en reprenant la somme de 19 188,80 euros en lieu et place de la somme de 74 437,79 euros.
En l'espèce, l'article 5 précité du règlement intérieur stipule en son dernier alinéa que : 'En cas de recouvrement par voie contentieuse ou judiciaire, il sera fait application d'une clause pénale de 15 % sur le montant des sommes restant dues en compensation forfaitaire des préjudices subis et ce sans mise en demeure préalable'.
Il résulte de ce qui précède que pour calculer le montant de la clause pénale, le premier juge a retenu la somme de 19 188,80 euros.
Or, cette somme est erronée et ne correspond pas à la créance de la société Terrena.
Dès lors, l'appelante est fondée à réclamer le paiement de la somme de 11 165,67 euros au titre de la clause pénale (74 437,79 euros x 15 %).
Cependant, les éléments de la cause tendent à considérer que ce montant est manifestement excessif, de sorte qu'il convient de réduire à la somme de 3 000 euros la clause pénale due par M. [I].
Les intérêts de retard sur cette somme seront calculés au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La solution apportée au présent litige conduit la cour à infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [I], partie qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et de la procédure d'appel, et sa demande présentée au titre de ses frais irrépétibles sera rejetée.
Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée par la société Terrena et de condamner M. [I] au paiement de la somme de 2 500 euros sur ce fondement, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par décision par défaut, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [D] [I] à payer à la SCA Terrena la somme de 74 437,79 euros au titre du solde débiteur de son compte d'activité d'associé coopérateur arrêté au 30 novembre 2020 avec, à compter de cette date, intérêts de retard au taux conventionnel de 12% l'an,
Condamne M. [D] [I] à payer à la SCA Terrena la somme de 3 000 euros au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,
Condamne M. [D] [I] à payer à la SCA Terrena la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [D] [I] aux entiers dépens de première instance et de la procédure d'appel et autorise le conseil de la société Terrena à les recouvrir dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.