CA Rouen, 2e ch., 13 mai 2022, n° 19/01600
ROUEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
SARL LE CHARABANC SOCIETE NOUVELLE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Christien, M. Jobard
Conseiller :
Mme Barthe Nari
Avocats :
Me Demidoff - SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Me De Cadenet - SELARL LE CAB'AVOCATS
Avocats :
Me Renaudin - SCP GUILLOU RENAUDIN, SCP CUIEC
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat du 11 avril 2014, la société Le Charabanc Société nouvelle a vendu à la société Charabanc 29 un fonds de commerce de restaurant, traiteur et débit de boissons, moyennant le prix de 60 000 euros payable à hauteur de 5 000 euros à la signature de l'acte, et de 55 000 euros au moyen d'un crédit vendeur au taux de 4,20 % l'an remboursable en 60 mensualités de 1 017,88 euros.
Par acte sous signature privée du 11 avril 2014, M. A s'est porté caution solidaire de la société Charabanc 29 en garantie de ce crédit vendeur dans la limite de 61 072,82 euros et 'pour la durée du prêt + 2 ans'.
Par jugement du 6 janvier 2015, le tribunal de commerce de Brest a prononcé la liquidation judiciaire de la société Charabanc 29.
Après avoir déclaré sa créance pour un montant de 45 839,08 euros, la Le Charabanc Société nouvelle a, par lettre recommandée du 16 juin 2015, mis la caution en demeure d'honorer son engagement puis, par acte du 6 juillet 2015, elle l'a fait assigner en paiement devant le tribunal de commerce de Brest.
Par jugement du 24 juin 2016, la juridiction consulaire s'est déclarée incompétente au profit du tribunal de grande instance de Brest, après avoir constaté que M. A n'était pas le gérant de la société cautionnée et n'avait même pas d'intérêts dans celle ci.
Par jugement du 10 janvier 2018, le tribunal de grande instance a déclaré la société Le Charabanc Société nouvelle recevable à agir et ordonné la réouverture des débats en invitant celle ci à produire la décision d'admission de sa créance à la liquidation judiciaire de la société Charabanc 29.
Enfin, par jugement du 5 décembre 2018, le tribunal de grande instance a :
- condamné M. A à payer à la société Le Charabanc Société nouvelle la somme de 48 858,24 euros, avec intérêts au taux contractuel de 4,20 % l'an à compter de la mise en demeure du 16 juin 2015,
- condamné M. A aux dépens, comprenant les frais d'exécution et ceux de l'article 10 du tarif des huissiers de justice, ainsi qu'à payer à la société Le Charabanc Société nouvelle la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, ordonné l'exécution provisoire.
M. A a relevé appel de ce dernier jugement le 7 mars 2019.
Par ordonnance du 7 mai 2019, le premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formée par M. A, mais a autorisé la consignation des condamnations entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations.
Par ordonnance 31 mai 2019, le conseiller de la mise en état, saisi d'une demande de radiation de l'appel pour non exécution du jugement attaqué formée par la société Le Charabanc Société nouvelle, a constaté que cette demande était devenue sans objet du fait de la consignation ordonnée par le premier président.
M. A demande à la cour de :
- réformer le jugement attaqué, à titre principal, prononcer la nullité de l'acte de cautionnement du 11 avril 2014, à titre subsidiaire, dire que M. A est déchargé de son engagement de caution, débouter en conséquence la société Le Charabanc Société nouvelle de ses demandes, à titre très subsidiaire, prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la société Le Charabanc Société nouvelle,
- à titre infiniment subsidiaire, accorder à M. A les plus larges délais de paiement, en tout état de cause, réattribuer à M. A la somme de 56 045,14 euros consignée à la Caisse des dépôts et consignation au titre de l'exécution provisoire du jugement attaqué, outre les intérêts produits par la somme consignée,
- condamner la société Le Charabanc Société nouvelle au paiement d'une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Le Charabanc Société nouvelle demande quant à elle à la cour de :
- déclarer la demande d'annulation de l'acte de cautionnement irrecevable comme nouvelle en cause d'appel,
- débouter en tous cas M. A de toutes ses demandes, confirmer le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a débouté la société Le Charabanc Société nouvelle de sa demande en paiement de dommages intérêts pour 'procédure' abusive,
- condamner à ce titre M. A au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts,
- condamner M. A au paiement d'une indemnité de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour M. A le 3 septembre 2021 et pour la société Le Charabanc Société nouvelle le 9 octobre 2019, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 13 janvier 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Pour solliciter l'annulation de son engagement de caution, M. A fait valoir que la mention manuscrite indiquant qu'il s'engage 'pour la durée du prêt + 2 ans' ne satisfait pas au formalisme de l'article L. 341-2 du code de la consommation.
Contrairement à ce que prétend la société Le Charabanc Société nouvelle, une telle demande, même formée pour la première fois en cause d'appel est recevable.
Il s'agit en effet, dès lors qu'elle est exprimée par le défendeur à une action en paiement engagée par le créancier, d'une prétention destinée à faire écarter les prétentions adverses au sens de l'article 564 du code de procédure civile, ainsi d'ailleurs que d'une demande reconventionnelle se rattachant à la demande initiale par un lien étroit au sens des articles 70 et 567 du code de procédure civile.
D'autre part, aux termes de l'article L. 341-2 devenu L. 331-1 du code de la consommation, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle ci :
'En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retord et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui même'.
La société Le Charabanc Société nouvelle soutient erronément que ces dispositions légales ne lui seraient pas applicables au seul motif qu'elle n'avait pas la qualité d'établissement de crédit, dès lors qu'elle est commerçante, qu'elle a sollicité un cautionnement afin de garantir la cession de son fonds de commerce, et que, partant, sa créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, ce qui lui confère la qualité de créancier professionnel.
Elle prétend en outre tout aussi erronément que ces dispositions légales ne seraient applicables qu'aux cautionnements garantissant des crédits à la consommation ou des crédit immobiliers, dès lors que, si les dispositions voisines de l'article L. 313-7 devenu L. 314-15 du code de la consommation ne concernent en effet que la garantie de ce type d'opérations de crédit, celles de l'article L. 331-1 s'appliquent à tout cautionnement consenti par une personne physique en faveur d'un créancier professionnel.
Il est par ailleurs de jurisprudence établie que, si les dispositions de ce texte ne précisent pas la manière dont la durée de l'engagement de caution doit être exprimée dans la mention manuscrite, il n'en demeure pas moins que, s'agissant d'un élément essentiel permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, cette mention doit être exprimée sans qu'il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l'acte ou tout autre document extrinsèque.
Or, en mentionnant manuscritement qu'il s'engageait pour 'la durée du prêt + 2 ans', M. A ne pouvait, sans se référer aux mentions dactylographiées de l'acte rappelant que la société Charabanc 29 avait bénéficié d'un prêt de 55 000 euros remboursable en 60 mensualités, déterminer que la durée de son engagement était de sept ans.
Il convient donc, après réformation du jugement attaqué, de prononcer l'annulation de cet acte de cautionnement du 11 avril 2014.
En conséquence de quoi, les demandes en paiement de la société Le Charabanc Société nouvelle, fondée sur un contrat nul, ne pourront qu'être rejetées.
Le présent arrêt infirmatif vaut titre de restitution au profit de M. A des fonds consignés à la Caisse des dépôts et consignation en exécution de l'ordonnance du premier président en date du 7 mai 2019 ainsi que des intérêts produits par la somme consignée s'il en est, sans que la cour ait à statuer expressément sur ce point.
La demande de la société Le Charabanc Société nouvelle en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive est dénuée de fondement puisque M. A C devant la cour.
Elle sera donc rejetée.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de M. A l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 5 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Brest en toutes ses dispositions ;
Déclare la demande d'annulation de l'acte de cautionnement recevable ;
Prononce la nullité de l'acte de cautionnement de M. A du 11 avril 2014 ;
Déboute la société Le Charabanc Société nouvelle de ses demandes ;
Condamne la société Le Charabanc Société nouvelle à payer à M. A une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Le Charabanc Société nouvelle aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.