CA Douai, 2e ch. sect. 2, 20 juin 2016, n° 15/01845
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fontaine
Conseiller :
Mme Andre
Conseiller :
Mme Cordier
Avocats :
Me Laurent, Me Mattout
Avocats :
Me Coquelet, Me Lemer
FAITS ET PROCEDURE
Par acte du 30 mai 2008, la Caisse de crédit agricole mutuel Nord de France (la banque) a consenti à l'EURL Center Sculpt tonic (la société) un prêt professionnel d'un montant de 23 000 euros, remboursable en 60 mensualités au taux de 5,20%.
Par un acte sous seing privé du même jour, M. T. , dirigeant de la société, s'est porté caution solidaire dans la limite de 23 000 euros.
La société a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par un jugement du 30 mai 2011.
Le 28 juin 2011, la banque a mis M. T. en demeure de lui régler les échéances impayées, soit 436, 49 euros, avant, le 27 juillet 2011, de lui demander de lui adresser une proposition d'amortissement.
Elle lui a ensuite notifié la déchéance du terme, le 26 août 2011, le mettant en demeure de régler la somme de 11 185, 34 euros outre les intérêts.
Le tribunal de commerce de Valenciennes, par jugement du 17 février 2015, a notamment :
- rejeté l'exception de nullité de l'acte de cautionnement,
- dit que la Caisse de crédit agricole ne pouvait se prévaloir de cet acte de cautionnement en raison de la disproportion de l'engagement,
- en conséquence,
- débouté la Caisse de crédit agricole de ses demandes,
- condamné la Caisse de crédit agricole à payer 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. T. de sa demande de dommages et intérêts,
- dit le jugement commun et opposable à Me Pantou, notaire à Valenciennes.
La banque a interjeté appel (total) de ce jugement par une déclaration d'appel du 25 mars 2015, mais n'a intimé que M. T..
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 15 mai 2015, la banque demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- débouter M. T. de ses demandes,
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle ne pouvait pas se prévaloir de l'acte de cautionnement en raison de la disproportion de l'engagement,
- par conséquent,
- condamner M. T. à lui payer la somme de 11 185, 34 euros avec intérêts au taux contractuel majoré de 9,20% à compter du 26 août 2011 jusqu'à parfait paiement,
- condamner M. T. à lui payer 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que le moyen présenté par M. T., tenant à la nullité de l'engagement en application de l'article L. 341-2 du code de la consommation, comme ne contenant pas une indication précise de la durée du cautionnement, déjà écarté par les premiers juges, devra l'être à nouveau ; que, selon la jurisprudence, une erreur ou une omission matérielle affectant la mention manuscrite de la caution n'en affecte pas la validité lorsqu'elle ne permet pas de douter de la connaissance qu'avait la caution de la nature et de la portée de son engagement ; qu'en l'espèce, M. T. a seulement omis d'écrire 'mois' après les mots 'pour la durée de 84" ; que l'article 1161 du code civil dispose que toutes le clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier ; qu'en l'espèce, un renvoi est opéré vers une note (2), invitant la caution à indiquer la durée du prêt augmentée de deux ans ; que le prêt a été conclu pour 60 mois.
Sur la proportion entre les biens et revenus de M. T. et son engagement, après avoir rappelé le texte de l'article L. 341-4 du code de la consommation, elle fait valoir que l'appréciation de la disproportion se fait au vu des déclarations de la caution quant à ses biens et revenus ; qu'en l'absence d'anomalies apparentes, le créancier n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations de la caution ; qu'en l'espèce elle a fait remplir la fiche de renseignements habituellement exigée ; que M. T. y a seulement indiqué, pour ses charges, un prêt souscrit auprès du Crédit agricole et à échéance au 17 décembre 2012, laissant en blanc la rubrique 'autres charges' ; que l'appréciation de la disproportion, qui relève du pouvoir souverain des juges du fond, doit aussi tenir compte des perspectives de développement de l'entreprise créée par le dirigeant caution et les revenus escomptés ; qu'en l'espèce, le montant des mensualités était de 436,15 euros, alors qu'il déclarait percevoir un revenu mensuel de 1 316, 75 euros et devoir verser 266 euros par mois pour le prêt auprès du Crédit agricole ; qu'il disposait ainsi d'un solde disponible de 614,60 euros dans l'hypothèse où il aurait été amené à devoir exécuter son engagement de caution ; que la disproportion n'est pas établie, ce d'autant que la somme garantie était modeste - 29 900 euros - et que l'intéressé avait la qualité de dirigeant.
Elle souligne ensuite que M. T. n'avait pas révélé l'ensemble de son patrimoine, puisqu'il est associé d'une SCI, constituée antérieurement (le 24 septembre 2007) ; qu'il était ainsi indirectement propriétaire d'un bien immobilier d'une valeur de 150 000 euros, ainsi que d'un immeuble de rapport, composé de six appartements entièrement rénovés ; que, selon les documents communiqués par lui, leur valeur totale est de 427 386 euros ; que la somme de 11.185, 34 euros due à la banque représente 2,6 % de ce patrimoine immobilier - sans même prendre en compte l'immeuble de la société civile immobilière ; que M. T. a admis en page 9 de ses conclusions qu'il perçoit des revenus fonciers ; qu'en 2012 M. T. percevait un salaire d'environ 1 800 euros ; qu'il est donc en mesure de faire face à ses obligations.
Elle ajoute qu'elle n'a pas à subir un préjudice en raison des choix opérés par l'appelant postérieurement à son engagement envers elle, qu'il peut exécuter en vendant au besoin l'un de ses immeubles ou ses parts dans la SCI ; qu'elle sollicite un taux d'intérêt de 9,2%, l'acte de prêt comportant un article prévoyant pour les intérêts de retard une majoration de 4 points du taux contractuel.
Par ses conclusions signifiées par voie électronique le 10 juillet 2015, M. T. sollicite de la cour qu'elle :
Vu l'article L 313-22 du Code monétaire et financier ;
Vu les articles L 313-10, L 341-2, L 341-3, L 341-4 et L 341-6 du Code de la consommation,
A titre principal,
Constate la nullité du cautionnement souscrit par Monsieur T.,
En conséquence,
Déboute la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France de l'intégralité de ses demandes,
Condamne la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamne la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France en tous les frais & dépens de première instance et d'appel,
Déclare l'Arrêt à intervenir commun et opposable à Maître PANTOU,
A titre subsidiaire,
Constate que Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France ne saurait se prévaloir du cautionnement souscrit par Monsieur T., ses engagements étant disproportionnés,
En conséquence,
Prononce la nullité du cautionnement souscrit par Monsieur T.
Condamne la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France au paiement de la somme de 2 000 €uros à titre de dommages et intérêts,
Condamne la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France au paiement de la somme de 1 500 €uros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamne la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France en tous les frais & dépens de première instance et d'appel,
A titre infiniment subsidiaire,
Dise que Monsieur T. ne saurait être tenu qu'au paiement de la somme de 10 362.01 €uros,
Prononce la déchéance du droit aux intérêts échus, intérêts et pénalités de retard,
Accorde les plus larges délais de paiement à Monsieur T.,
Déboute la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuelle Nord de France du surplus de ses demandes.
Sur la nullité de son engagement, il se réfère aux articles L. 341-2 et 341-3 du code de la consommation et soutient que peu importe que la caution soit avertie ou non ; qu'en l'espèce les mentions qu'il a rédigées ne contiennent pas d'indication précise quant à la durée du cautionnement, ce qui n'a pas pu lui permettre de mesurer la portée de son engagement ; qu'en outre le contrat n'est pas daté, ce qui ne permet pas à la cour d'être certaine que le cautionnement a été accordé postérieurement au prêt ; que l'arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2013, invoqué par la banque, n'est pas transposable en l'espèce, puisqu'il n'a jamais procédé à un quelconque remboursement.
Sur la disproportion de ses engagements, et en application des articles L. 313-10 et L. 341-4 du code de la consommation, après avoir rappelé la jurisprudence en la matière, il fait valoir que les mensualités étaient de 436, 15 euros ; que la banque ne justifie pas avoir vérifié objectivement sa situation personnelle au moment de la signature de son engagement ; qu'il produit des documents sur ses revenus de 2008 et 2009 - 1 200 euros en moyenne par mois - ; que son engagement était donc manifestement disproportionné à ses biens et revenus ; que la cour ne manquera pas de constater que ses revenus actuels ne lui permettent pas de faire face au remboursement du prêt souscrit par la société ; que, depuis le 1er janvier 2012, il perçoit en moyenne 1 750 euros par mois ; qu'il doit faire face au remboursement d'autres emprunts précédemment contractés, soit 897, 44 euros (Caisse d'Epargne) et 1749 euros (Crédit agricole) ; que la banque n'ignore rien de ses capacités financières limitées.
Il explique que le logement précédemment loué à Mme B. est inoccupé depuis le 1er décembre 2012 et que lui même va bientôt s'y installer ; que, des six appartements de l'immeuble de rapport, entièrement rénové par ses soins, seuls quatre sont actuellement loués, lui rapportant la somme de 1763, 85 euros - de laquelle il convient de déduire les charges mensuelles, de plus de 2 000 euros ; qu'il n'est détenteur que de 1% des parts sociales de la SCI. et que la valeur de son patrimoine n'est aucunement des 427 386 euros estimés par la banque ; qu'il justifie donc ne pas avoir un patrimoine lui permettant de rembourser le prêt souscrit par la société Center Sculpt tonic.
À titre infiniment subsidiaire, sur la déchéance du droit aux intérêts, au visa des articles L. 313-22 du code monétaire et financier et L. 341-6 du code de la consommation, il considère que la banque ne justifie pas avoir rempli son obligation d'information annuelle ; qu'il ne saurait donc être tenu au delà du seul capital de 10 362, 01 euros.
Enfin, 'sur la mise en jeu de la responsabilité de Me Pantou, rédacteur de l'acte de cession de parts', il signale qu'il l'a appelé en intervention forcée devant le tribunal de commerce, que par son jugement du 18 mars 2014 le tribunal a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par le notaire et a fait droit à la demande tendant à ce que le jugement soit déclaré commun et opposable à ce dernier ; qu'en conséquence l'arrêt à intervenir devra être déclaré commun et opposable à Me Pantou.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la procédure
Quoique la banque ait interjeté un appel total, elle n'a cependant intimé que M. T., lequel n'a pas mis en cause Me Patou, partie au jugement.
En conséquence, la cour ne peut que constater que sa saisine est limitée aux relations entre les deux parties en cause devant elle.
Dès lors, il ne saurait être statué sur la demande de M. T. tendant à 'déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à Me Pantou'.
Sur la validité de l'engagement de caution
¤ Toute personne physique, qu'elle soit ou non avertie, doit, dès lors qu'elle s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, faire précéder sa signature, à peine de nullité de son engagement, qu'il soit commercial ou civil, des mentions manuscrites exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation.
¤ Selon l'article L.341-2 du code de la consommation, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle ci : 'en me portant caution de X, dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant , des pénalités ou intérêts de retard pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X n'y satisfait pas lui même'.
L'article L 341-3 du même code précise que, lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : 'en renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X..., je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X...'.
Le formalisme imposé par l'article L. 341-2 du code de la consommation vise à assurer l'information complète de la caution quant à la portée de son engagement et les mentions manuscrites conformes à ce formalisme l'emportent nécessairement sur les clauses imprimées de l'acte de caution.
La première irrégularité dont excipe M. T. est celle qui résulte de la définition de la durée de son engagement, dans la mesure où le paragraphe manuscrit comprend la phrase suivante : 'en me portant caution de la SARL unipersonnelle CENTER SCULPT TONIC dans la limite de vingt neuf mille euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard pour la durée de 84"( souligné par la cour).
Il prétend que l'absence de précision sur cette durée l'a empêché de mesurer la portée de son engagement, tandis que la banque soutient que l'acte de caution doit être examiné dans son ensemble, que le renvoi et la référence à la durée du contrat augmentée de deux ans signifiaient nécessairement qu'il s'agissait de 60 + 24 mois et que la caution ne pouvait avoir aucun doute sur la durée de 84 mois pour laquelle elle s'engageait.
Or, selon une jurisprudence constante, la durée de l'engagement de caution est un élément essentiel, qui, permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, doit donc être exprimé sans qu'il soit nécessaire de se reporter aux clauses du contrat ou à tout autre document, ou déterminé sans se référer aux mentions non manuscrites de l'acte.
En l'espèce, dès lors que la seule mention des '84" pouvait viser aussi bien des semaines que des mois voire même des trimestres, que l'étendue de l'engagement - soit 84 mois - ne pouvait être définie que par une analyse du contrat ou d'une mention dactylographiée de l'acte de cautionnement, il s'agit d'une omission ne permettant pas à la caution de mesurer la durée de son engagement, ce qui justifie l'annulation de ce cautionnement.
Le jugement sera en conséquence réformé de ce chef et la banque déboutée de sa demande en paiement à l'encontre de M. T., sans qu'il soit utile de répondre aux autres moyens et arguments exposés par les parties.
Sur les demandes accessoires
Succombant en ses prétentions, la société appelante sera condamnée aux entiers dépens, en application de l'article 696 du code de procédure civile et dès lors déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Enfin, il est équitable d'allouer à M. T. une somme de 1 000 euros en application de ce texte, en sus de celle déjà octroyée par les premiers juges.
PAR CES MOTIFS,
REFORME le jugement, sauf en ses dispositions relatives aux dépens, à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et à l'opposabilité du jugement à Me Pantou, notaire,
STATUANT à nouveau des chefs réformés,
DECLARE nul l'engagement de caution souscrit le 30 mai 2008 par M. T. en garantie du prêt professionnel d'un montant de 23 000 euros,
DEBOUTE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France de ses demandes en paiement,
CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à payer à M. T. une somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France aux dépens d'appel.