CA Grenoble, ch. com., 11 avril 2024, n° 23/01294
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
S.A.S. BECM
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseiller :
M. Bruno
Conseiller :
Mme Faivre
Avocats :
Me Medina - SELARL CDMF AVOCATS, Me Djerbi
Avocats :
Me Kanedanian - SELARL BRUN KANEDANIAN, Me Riemain
Exposé des faits et de la procédure
La SAS JML Holding Distribution, dont M.[X] [R] était le dirigeant, était titulaire d'un compte courant professionnel ouvert dans les livres de la société Banque Européenne du Crédit Mutuel.
Par acte sous seing privé du 14 novembre 2014, M. [X] [R] s'est porté caution solidaire, dans la limite de 240.000 euros, en garantie d'une facilité de caisse de 200.000 euros accordée par la société Banque Européenne du Crédit Mutuel à la société JML Holding Distribution.
Par acte sous seing privé du 16 septembre 2015, M. [X] [R] s'est porté également caution solidaire, dans la limite de 300.000 euros, en garantie d'un prêt de 1.000.000 euros consenti à la société JML Holding Distribution par la société Banque Européenne du Crédit Mutuel.
Par acte sous seing privé du 28 mai 2018, M. [X] [R] s'est porté aussi caution solidaire, dans la limite de 348.000 euros, en garantie d'un prêt de 576.000 euros accordé à la SAS JML Holding Distribution par la société Banque Européenne du Crédit Mutuel.
Suivant courrier recommandé avec accusé de réception du 11 octobre 2019, la société Banque Européenne du Crédit Mutuel a informé la SAS JML Holding Distribution de la clôture de son compte courant professionnel compte tenu du solde débiteur qu'il présente.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 janvier 2020, la société Banque Européenne du Crédit Mutuel a informé la SAS JML Holding Distribution de la résiliation de ses contrats de prêts et l'a mise en demeure d'avoir à lui régler la somme de 1.655.573,11 euros avant le 28 janvier 2020.
Par une seconde lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 janvier 2020, la société Banque Européenne du Crédit Mutuel a mis en demeure M. [X] [R] d'avoir à lui régler la somme de 724.038,12 euros en sa qualité de caution solidaire de la société JML Holding Distribution.
Suivant jugement du 11 février 2020, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société JML Holding Distribution.
La société Banque Européenne du Crédit Mutuel a déclaré ses créances pour un montant global de 1.769. 658,37 euros par courrier recommandé avec accusé de réception du 16 mars 2020 et suivant avis du greffe du tribunal de commerce de Grenoble en date du 17 juin 2020, lesdites créances ont toutes été admises.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 13 juillet 2020, la société Banque Européenne du Crédit Mutuel a rappelé à Monsieur [X] [R] ses engagements de caution solidaire de la société JML Holding Distribution.
Suivant jugement du 8 septembre 2020, le tribunal de commerce de Grenoble a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 novembre 2020, la société Banque Européenne du Crédit Mutuel a mis en demeure M. [X] [R] d'avoir à lui régler la somme de 724.308,12 euros avant le 23 novembre 2020 au titre de ses engagements de caution solidaire de la société JML Holding Distribution.
En l'absence de règlement ou de proposition de règlement de la part de M. [X] [R], la société Banque Européenne du Crédit Mutuel l'a assigné devant le tribunal de commerce de Grenoble par acte d'huissier du 15 février 2021.
Par jugement du 16 janvier 2023, le tribunal de commerce de Grenoble a :
- débouté M. [X] [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement souscrit le 14 novembre 2014,
- condamné en conséquence M. [X] [R] à payer à la société la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 76.308,12 euros jusqu'à parfait paiement au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire du 14 novembre 2014,
- débouté M. [X] [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement souscrit le 30 septembre 2015,
- condamné en conséquence M. [X] [R] à payer à la société la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 300.000 euros jusqu'à parfait paiement au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire en date du 30 septembre 2015,
- prononcé la déchéance de tout droit aux intérêts concernant l'acte de cautionnement du 14 novembre 2014 et l'acte de cautionnement du 30 septembre 2015 compte tenu du non-respect de l'obligation d'information annuelle des cautions,
- ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter du 15 février 2021,
- jugé que le cautionnement souscrit par M. [X] [R] au profit de la société la Banque Européenne du Crédit Mutuel le 28 mai 2018 est manifestement disproportionné,
- débouté en conséquence la demande de condamnation de M. [X] [R] à payer à la société la Banque Européenne Du Crédit Mutuel la somme de 348.000 euros outre intérêts au taux d'intérêt contractuel à compter de la mise en demeure du 20 janvier 2020 et jusqu'à parfait paiement, au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire du 28 mai 2018,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- fait masse des dépens qui sont supportés pour 50% par M. [X] [R] et pour 50% par la Banque Européenne Du Crédit Mutuel et liquidé les dépens.
Par déclaration du 28 mars 2023, la société Banque Européenne du Crédit Mutuel interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [X] [R] de ses demandes de nullité des actes de cautionnement des 14 novembre 2014 et 30 septembre 2015 et l'a condamné en conséquence au paiement des sommes afférentes.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 janvier 2024.
Prétentions et moyens de la société Banque Européenne du Crédit Mutuel
Dans ses conclusions remises le 9 octobre 2023, elle demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée la société Banque Européenne du Crédit Mutuel en ses demandes,
- rejeter toutes les demandes de M. [X] [R] puisqu'elles sont malfondées,
- confirmer le jugement du 16 janvier 2023 en ce qu'il a :
* débouté M. [X] [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement souscrit le 14 novembre 2014,
* condamné en conséquence M. [X] [R] à payer à la société la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 76.308,12 euros jusqu'à parfait paiement au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire du 14 novembre 2014,
* débouté M. [X] [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement souscrit le 30 septembre 2015,
* condamné en conséquence M. [X] [R] à payer à la société la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 300.000 euros jusqu'à parfait paiement au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire du 30 septembre 2015,
* ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter du 15 février 2021,
- réformer le jugement du 16 janvier 2023 du tribunal de commerce de Grenoble,
Et statuant à nouveau,
- condamner M [X] [R] à payer à la société Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 348.000 euros, outre intérêts au taux d'intérêts contractuels à compter de la mise en demeure en date du 20 janvier 2020 et jusqu'à parfait paiement, au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire en date du 28 mai 2018,
- débouter M. [X] [R] de toutes ses demandes puisqu'elles sont mal fondées,
- condamner M. [X] [R] à payer à la société Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la même aux entiers dépens de l'instance, dont distraction sera faite au profit de la SELARL CDMF-Avocat, Maître Jean-Luc Médina, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Sur l'opposabilité de l'acte de cautionnement du 28 mai 2018, elle fait valoir que :
- l'article L.332-1 du code de consommation n'impose pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement et il incombe à la caution de démontrer que son engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus,
- le créancier professionnel peut se prévaloir des déclarations de la caution personne physique dont il n'a pas à vérifier l'exactitude en l'absence d'anomalies apparentes,
- préalablement à son engagement du 28 mai 2018, la caution avait déjà régularisé deux fiches d'informations patrimoniales, l'une en date du 3 décembre 2013 et l'autre en date du 26 juin 2015,
- en vertu de l'article 1415, l'épouse de M. [R] a également engagé ses revenus et ses biens,
- au vu des dernières informations patrimoniales connues, la caution percevait des salaires et des revenus locatifs mensuels de 94.800 euros, soit 1.137.600 euros par an, et disposait de trois immeubles, de propriété et d'autres valeurs pour un montant global de 952.000 euros,
- le passif de M. [R] était constitué de deux crédits immobiliers, d'un crédit à la consommation, de deux actes de cautionnement personnel et des actes de cautionnement litigieux pour un montant total de 1.234.207 euros d'où un actif net déficitaire de 282.207 euros,
- les crédits immobiliers dont se prévaut M. [R] ont été consentis par la Caisse de Crédit Mutuel de Crolles qui est une personne juridique différente de l'appelante et deux de ces crédits visent à financer de nouveaux immeubles, immeubles que M. [R] ne reprend pas dans sa situation patrimoniale, le troisième crédit dont fait mention l'intimé visait à remplacer un crédit déjà existant du fait d'un meilleur taux d'intérêt de sorte que sa situation patrimoniale n'a pu que s'améliorer,
- l'intimé ne produit aucun élément concernant sa situation patrimoniale au 28 mai 2018 puisque ses avis d'imposition ne concernent que ses revenus pour les années 2015 et 2017, l'intimé est toujours propriétaire d'un actif immobilier comprenant sa résidence principale d'une valeur de 450.000 euros, un appartement à [Localité 6] d'une valeur de 182.000 euros grevé d'un prêt restant dû à hauteur de 150.000 euros, un autre appartement à [Localité 6] d'une valeur de 214.000 euros grevé d'un prêt restant dû à hauteur de 204 000 euros, des terrains à [Localité 6] pour plus d'un hectare et un appartement à [Localité 8] d'une valeur de 180.000 euros grevé d'un prêt restant dû à hauteur de 140.000 euros, outre un patrimoine financier estimé en 2015 à 90.000 euros et des revenus du couple de 98.400 euros ainsi qu'une plus-value de 50.000 euros réalisée sur la vente d'une maison à Valras, sans même tenir compte des participations de M. [R] dans ses sociétés,
- M. [R] était ainsi l'associé unique de la société JML Holding Distribution ayant un capital social de 93.500 euros au sein de laquelle il avait un compte courant d'associé de 911.277 euros au 30 avril 2018, il était aussi l'associé unique de la société Eaux Claires Distribution ayant un capital social de 20.000 euros,
Sur la déchéance des intérêts, elle fait remarquer qu'elle a régulièrement informé la caution personne physique du montant et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement comme il en résulte des procès-verbaux de constat d'huissier, certaines lettres ayant même été envoyées par courrier recommandé avec accusé de réception.
Sur la validité de l'acte de cautionnement du 14 novembre 2014, elle indique que la simple omission d'une virgule dans la mention manuscrite prévue par l'article L.341-2 du code de la consommation n'est qu'un simple oubli matériel et ne peut fonder la nullité de l'acte de cautionnement puisqu'elle ne révèle pas de problème de compréhension de la part de la caution, la jurisprudence citée par l'intimé ne trouvant pas application en l'espèce dès lors qu'il n'y a pas d'accumulation d'irrégularités mais simplement l'omission d'une virgule et qu'il n'y a pas non plus de mention à recopier mot à mot dans des encarts.
Sur la validité de l'acte de cautionnement du 16 septembre 2015, elle relève que :
- la simple omission du terme « mois » après le nombre « 108 » dans la mention manuscrite prévue par l'article L.341-2 du code de la consommation est un simple oubli matériel qui ne suffit pas à démontrer que la caution n'avait pas conscience du sens et de la portée de son engagement,
- deux clauses du contrat de prêt professionnel précisent que la durée de l'acte de cautionnement litigieux est de 108 mois,
- les parties ont conclu un avenant du contrat de prêt professionnel et l'intimé a inscrit une nouvelle mention précisant bien la nouvelle date d'échéance de son engagement de caution,
- le contrat de prêt n'a pas été régularisé ultérieurement à l'acte de cautionnement puisqu'ils sont tous deux contenus dans un acte unique,
- le contrat de prêt, le cautionnement et l'avenant, forment un tout indivisible qui permet à l'intimé de comprendre le sens et la portée de son engagement,
- M. [R] est associé unique de la société JML Holding Distribution et, en cette qualité, c'est lui qui a rédigé le procès-verbal des décisions de l'associé unique du 14 septembre 2015 qui reprend la durée de son cautionnement.
Prétentions et moyens de Monsieur [X] [R]
Dans ses conclusions d'intimé avec appel incident remises le 25 juillet 2023, il demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* débouté M. [X] [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement souscrit le 14 novembre 2014,
* condamné en conséquence M. [X] [R] à payer à la société la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 76.308,12 euros jusqu'à parfait paiement au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire en date du 14 novembre 2014,
* débouté M. [X] [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement souscrit le 30 septembre 2015,
* condamné en conséquence M. [X] [R] à payer à la société la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 300.000 euros jusqu'à parfait paiement au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire en date du 30 septembre 2015,
* ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil à compter du 15 février 2021,
Et statuant à nouveau,
- déclarer la Banque Européenne du Crédit Mutuel irrecevable en ses demandes en raison de la nullité des cautionnements souscrits par M. [X] [R] les 14 novembre 2014 et 16 septembre 2015,
- débouter la Banque Européenne du Crédit Mutuel de ses demandes de condamnations formées à l'encontre de M. [X] [R] sur le fondement de ces actes de cautionnement,
- confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions,
En tout état de cause,
- condamner la Banque Européenne du Crédit Mutuel à verser à M. [X] [R] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Sur la nullité de l'acte du 14 novembre 2014, il fait valoir que :
- sauf à faire la démonstration d'une erreur matérielle, le cautionnement doit être annulé dès lors que la formule prévue par l'article L.331-1 du code de la consommation n'est pas identique à celle consacrée, notamment si l'altération de la formule en affecte lourdement le sens et la portée,
- dans la mention manuscrite portée par ses soins, il manque la virgule entre « principal » et « des intérêts » prévue dans la formule légale, ce qui modifie complètement le sens et la portée de son engagement puisque cela ne constitue que l'engagement de prise en charge du « principal des intérêts » et non pas du capital emprunté,
- l'erreur dans la mention manuscrite ne lui a pas permis de prendre pleinement conscience de l'ampleur de son engagement de caution.
Sur la demande de nullité de l'acte du 16 septembre 2015, il fait observer que :
- dans la mention manuscrite portée par ses soins dans l'acte du 16 septembre 2015, il manque l'indication précise de la durée du cautionnement exigée aux termes de la formule légale puisque « 108 » ne constitue pas une mention convenable de durée d'engagement d'autant que ce nombre ne correspond à aucune autre mention de l'acte,
- cette omission est conforme au modèle proposé par l'appelante,
- elle modifie complètement le sens et la portée de son engagement de caution et ne constitue qu'un engagement de caution à durée déterminée dont la durée n'est pas fixée,
- selon le mot accolé au chiffre « 108 » l'engagement pris n'a pas la même portée,
- le contrat de prêt, dont le cautionnement constitue la garantie, n'a pas pu lui permettre de prendre conscience de la durée de son engagement car il n'a été signé que le 30 septembre 2015,
- il appartenait à l'appelante, en sa qualité de professionnelle, de s'assurer de la parfaite information et conscience de la caution en vérifiant la bonne rédaction de la clause de cautionnement.
- l'acte du 28 mai 2018, modifiant la durée du crédit et du cautionnement, ne saurait régulariser rétroactivement la nullité du cautionnement initial.
S'agissant de la disproportion manifeste du contrat du 28 mai 2018, il relève que :
- l'ensemble des engagements, notamment des autres cautionnements souscrits antérieurement, doivent être pris en considération lors de l'appréciation du caractère disproportionné du cautionnement,
- en 2018, le dernier cautionnement a porté ses engagements à hauteur de 888.000 euros rien qu'au titre des cautionnements souscrits auprès de la Banque Européenne du Crédit Mutuel ce que cette dernière ne pouvait ignorer,
- les revenus indiqués sur la fiche patrimoniale du 29 juin 2015 se porte à la somme de 94.800 euros annuels et non pas mensuels,
- la fiche patrimoniale régularisée en juin 2015 comporte plusieurs incohérences manifestes et l'appelante aurait dû procéder aux vérifications qui lui aurait permis de s'assurer de la réalité de la situation de la caution,
- les revenus étaient indiqués en périodicité mensuelle alors que le total des revenus était indiqué en périodicité annuelle sans que les premiers ne soient multipliés par douze,
- les revenus mentionnés comme mensuels sont incohérents avec la situation déclarée car un gérant de superette ne peut percevoir 59.000 euros par mois, sa femme ne peut percevoir 25.000 euros par mois alors qu'elle ne percevait que 1.750 euros en 2013 et deux appartements acquis 180.000 euros et 182.000 euros ne peuvent générer plus de 10.000 euros de revenus locatifs par mois,
- il disposait d'un actif net en 2015 de 522.000 euros et de revenus annuels nets de 68.300 euros,
- avec les deux cautionnements déjà souscrits pour un montant global de 540.000 euros, le nouveau cautionnement du 28 mai 2018 dépassait très largement ses facultés financières et patrimoniales,
- la banque n'a pas vérifié la situation financière de la caution alors qu'elle ne disposait que d'éléments datant de plus de trois ans,
- il ressort de son avis d'imposition de 2018 sur les revenus de 2017 que son revenu annuel s'élevait à 78.682 euros,
- il ne pouvait être pris en considération les revenus de 2018 dans la mesure où ceux-ci étaient inconnus au 28 mai 2018,
- il s'est engagé le 18 mars 2016, en qualité de caution de la société Tendis, à hauteur de 200.000 euros au profit de la société Le Mistral,
- il a souscrit deux nouveaux prêts immobiliers auprès d'une banque issue du même groupe que l'appelante, le premier à hauteur de 220.813 euros en avril 2016 et le second pour 152.915 euros en juin 2016,
- le troisième cautionnement du 28 mai 2018 portait ses engagements de caution à plus de 1.088.000 euros, soit plus du double de son patrimoine net et de ses revenus annuels,
- depuis 2018, il connaît des problèmes de santé importants antérieurs à la décision de son placement en invalidité, le docteur [Z] ayant certifié le 29 novembre 2019 que son état de santé nécessitait une mise en invalidité,
- son état de santé nécessite une assistance quotidienne ne lui permettant plus de travailler et il perçoit une rente mensuelle qui est de moins de 1.500 euros nets,
- il doit encore plus de 320.000 euros au titre des prêts immobiliers, qui plus est, pour des biens ayant fait l'objet d'une saisie conservatoire par la banque,
- la société JML Holding Distribution supportait plus de 1.600.000 euros de dette en mai 2018, ce qui a conduit à son placement en redressement judiciaire en février 2020, redressement converti en liquidation judiciaire en septembre 2020, ses parts sociales ne valent donc plus 93.000 euros et il n'a aucune chance de récupérer son compte courant d'associé.
Subsidiairement, sur la déchéance du droit aux intérêts, il fait observer que:
- la banque se contente de produire des lettres qu'elle prétend lui avoir adressée sans établir la réalité de leur envoi,
- les éléments produits par l'appelante sont insuffisants pour établir la preuve du respect de l'obligation légale d'information annuelle,
- contrairement à ce qu'affirme l'appelante, il n'y a eu qu'un seul envoi par courrier recommandé avec accusé de réception le 4 mars 2020 sans que le courrier ne soit identifié ou identifiable,
- la banque ne produit pas de lettre d'information annuelle au titre des années 2017 à 2019 concernant le cautionnement de novembre 2014.
Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
Motifs de la décision
1/ Sur la nullité de l'acte de cautionnement du 14 novembre 2014
L'article L.341-2 du code de la consommation, dans sa version applicable à l'espèce, prévoit l'obligation pour la caution personne physique qui s'engage envers un créancier professionnel, à peine de nullité de son engagement, de faire précéder sa signature de la mention suivante :
« En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même ».
En l'espèce, la mention manuscrite apposée par M. [R] est la suivante :
« en me portant caution de la SARL JML Holding distribution, dans la limite de la somme de 240 000 € (deux cent quarante mille euros) couvrant le paiement du principal des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 120 mois, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si JML Holding Distribution n'y satisfait pas lui-même ».
Il est constant qu'il manque à la mention manuscrite retranscrite par l'intimé une virgule entre les mots « principal » et « des intérêts ».
Toutefois, la nullité n'est pas encourue lorsque la différence existant entre la formule légale et la mention manuscrite constitue une simple erreur matérielle et n'affecte pas le sens ou la portée de la mention.
Il ressort de l'acte du 14 novembre 2014 que l'oubli de la virgule constitue la seule omission à l'exclusion de toute autre erreur . Elle ressort comme étant une erreur de retranscription de la formule imprimée sur l'acte de cautionnement proposée à la signature et contenant bien une telle virgule.
Cette seule omission, simple erreur matérielle, n'est pas de nature à obérer la compréhension de la caution sur le sens et la portée de son engagement, celle-ci qui s'engage à garantir une facilité de caisse comprenant nécessairement qu'il y a un principal, des intérêts et le cas échéant des pénalité ou intérêts de retard à garantir.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement du 14 novembre 2014.
2/ Sur la nullité de l'acte de cautionnement du 16 septembre 2015
La durée de l'engagement constituant un élément essentiel de la formule légale permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, cette mention doit être exprimée précisément sans qu'il soit nécessaire de se reporter aux clauses de l'acte.
En l'espèce, il est constant qu'il manque à la mention manuscrite de l'acte du 30 septembre 2015 l'indication précise de la durée du cautionnement, cette mention étant la suivante :
« en me portant caution de la JML Holding distribution, dans la limite de la somme de 300 000,00 € (trois cent mille euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 108, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si JML Holding Distribution n'y satisfait pas lui-même ».
Au demeurant, cette mention est identique au modèle qui en était proposé par la banque, celle-ci omettant également de préciser la durée du cautionnement en indiquant seulement « 108 ». Ce faisant, il ne peut donc pas s'agir d'une simple erreur matérielle de l'intimé lors de la retranscription dudit modèle.
La banque ne peut soutenir utilement que la caution avait conscience de la portée de son engagement par référence à l'acte de prêt et à l'avenant alors que ces actes ont été signés postérieurement au cautionnement, soit respectivement les 30 septembre 2015 et 28 mai 2018, et alors que la durée étant un élément essentiel de la formule légale, elle doit y figurer de manière précise sans avoir à se référer à un autre acte. Toute référence au procès-verbal des décisions de l'associé unique du 14 septembre 2015 est donc aussi inopérante.
La mention rédigée par M. [R] ne lui permettait pas de connaître au moment de son engagement le sens et la portée de son engagement à défaut d'indication précise de sa durée.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement du 16 septembre 2015 et de prononcer cette nullité.
3/ Sur la disproportion de l'acte de cautionnement du 28 mai 2018
L'article L.332-1 du code de la consommation, dans sa version applicable à l'espèce, dispose :
« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
Il appartient à la caution, qui l'invoque, de démontrer l'existence de la disproportion de son engagement au moment de sa conclusion.
Dans le cas où le créancier n'a pas fait remplir de fiche de renseignement à la caution, celle-ci est libre de rapporter la preuve de la disproportion.
Est pris en compte, dans l'appréciation de la disproportion, l'endettement global de la caution à la date de son engagement, ce qui inclut les engagements de caution, fussent-ils eux même disproportionnés, mais exclut les engagements postérieurs et les engagements antérieurs que le juge a déclaré nuls et qui sont ainsi anéantis rétroactivement.
En l'espèce, il est constant que la banque n'a pas fait remplir de fiche de renseignement à l'intimé lors de son engagement de caution du 28 mai 2018 pour la somme de 348.000 euros.
Les fiches de renseignement du 3 décembre 2013 et du 29 juin 2015 ne portent pas sur ledit engagement mais sur des cautionnements antérieurs contractés plusieurs années auparavant. La caution n'est donc pas tenue par les déclarations y figurant et les développements relatifs aux prétendues anomalies manifestes contenues dans ces fiches sont inopérants.
M. [R] est marié sous le régime de la communauté. Tant ses revenus que ceux de sa femme doivent donc être pris en considération.
M. [R] justifie des revenus perçus lors de son engagement en produisant son avis d'imposition de 2018 établi sur ses revenus de 2017 duquel il résulte que le couple a perçu des salaires et assimilés d'un montant annuel de 89.924 euros.
Il ressort de ses propres déclarations, des actes de prêt produit aux débats et de la requête en vue d'une inscription d'hypothèque que lors de son engagement de caution du 28 mai 2018, il était propriétaire :
- de sa résidence principale d'une valeur de 450.000 euros sans passif,
- d'un appartement situé à [Localité 6] acheté en juin 2015 d'une valeur de 182.000 euros pour lequel il restait dû en mai 2018 un capital de 150.627 euros, d'où une valeur nette de 31.373 euros,
- d'un appartement situé à [Localité 5] d'une valeur de 180.000 euros pour lequel il restait dû en mai 2018 un capital de 141.358 euros, d'où une valeur nette de 38.642 euros,
- d'un appartement acheté en avril 2016 d'une valeur de 214.000 euros pour lequel il restait dû en mai 2018 un capital de 204.896 euros, d'où une valeur nette de 9.104 euros,
- de placements financiers pour un montant de 90.000 euros,
- d'un compte courant d'associé au sein de la société JML Holding Distribution dont le montant était de 911.277 euros au 30 avril 2018, outre le montant des parts sociales des sociétés JML Holding Distribution et Eaux Claires Distribution.
M. [R] disposait donc au titre de ses revenus, de son patrimoine immobilier net et de son épargne financière de la somme de 709.043 euros outre son compte courant de 911.277 euros et la valeur de ses parts sociales.
Le montant de ses engagements de caution constitués du cautionnement du 14 novembre 2014 à hauteur de 240.000 euros, du cautionnement du 18 mars 2016 à hauteur de 200.000 euros et de celui litigieux du 28 mai 2018 à hauteur de 348.000 euros s'élève à la somme de 788.000 euros, étant relevé que le cautionnement du 30 septembre 2015 ne peut être pris en considération en ce qu'il est nul et que M. [R] ne justifie pas d'engagements de caution antérieurs autre que ceux précédemment énoncés.
Il se déduit de ces éléments que l'engagement de caution du 28 mai 2018 n'était pas manifestement disproportionné aux biens et revenus de M. [R].
En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en ce qu'il a jugé que le cautionnement était manifestement disproportionné et en ce qu'il a débouté la banque de sa demande de condamnation au titre de cet engagement de caution.
En conséquence, M. [R] sera condamné à payer à la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 348.000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2020.
4/ Sur la déchéance du droit aux intérêts
Aux termes des articles L.313-22 du code monétaire et financier, L.333-2 et L.343-6 du code la consommation, anciennement L.341-6, dans leur rédaction applicable à l'espèce, le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution, avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal, des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation cautionnée ainsi que le terme de son engagement.
Le défaut d'accomplissement de cette formalité emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement de crédit, la déchéance des pénalités et des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle et les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, à l'égard de la caution, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
Il appartient à la banque tenue d'informer la caution de justifier de l'accomplissement des formalités légalement prévues.
Il est de principe que la seule production de la copie d'une lettre informant la caution ne suffit pas à justifier de son envoi. Néanmoins, la preuve de l'envoi de l'information peut être suffisamment rapportée si les copies des lettres sont complétées par d'autres éléments tels que des procès-verbaux d'huissier de justice attestant globalement des envois annuels.
En l'espèce, s'agissant du cautionnement du 14 novembre 2014, la banque produit la copie des lettres d'information envoyées en 2015, 2016 et 2020. La lettre du 26 février 2020 est accompagnée du justificatif de l'envoi en recommandé avec accusé de réception en date du 5 mars 2020. La concomitance des dates permet de relier effectivement cet envoi à la lettre d'information du 26 février 2020. Les copies des lettres des années 2015 et 2016 sont complétées par les procès-verbaux d'huissier de justice attestant globalement des envois annuels pour ces années là. Il est ainsi justifié de l'envoi de l'information en 2015, 2016 et 2020.
Dès lors, la déchéance des intérêts ne peut être ordonnée que pour la période du 18 février 2016 au 26 février 2020.
S'agissant du cautionnement du 28 mai 2018, la banque produit la copie des lettres d'information envoyées en 2019 et 2020. La lettre de 2019 n'est complétée par aucun élément, les constats d'huissier produits ne concernant pas cette année-là. La lettre du 26 février 2020 est accompagnée du justificatif de l'envoi en recommandé avec accusé de réception en date du 5 mars 2020. La concomitance des dates permet de relier effectivement cet envoi à la lettre d'information du 26 février 2020.
Dès lors, la déchéance des intérêts ne peut être ordonnée que pour la période du 31 mars 2019 au 26 février 2020. La cour relève toutefois que la déchéance du droit aux intérêts pour cette période est sans conséquence sur le montant des sommes réclamées à la caution en raison du montant de son engagement bien inférieur au montant déclaré.
5/ Sur les demandes accessoires
Selon l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts, dus pour au moins une année entière, ne peut intervenir qu'en cas de disposition conventionnelle applicable ou de décision judiciaire.
Compte tenu de la demande de l'appelante, il y a lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné la capitalisation des intérêts.
Chacune des parties succombant pour partie en appel conservera la charge de ses dépens.
Dès lors, il n'y a pas lieu d'allouer une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 16 janvier 2023 en ce qu'il a :
- débouté M. [X] [R] de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement souscrit le 14 novembre 2014,
- condamné en conséquence M. [X] [R] à payer à la société la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 76.308,12 euros au titre de son acte de cautionnement personnel et solidaire du 14 novembre 2014,
- ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,
- fait masse des dépens qui sont supportés pour 50% par Monsieur [X] [R] et pour 50% par la Banque Européenne du Crédit Mutuel et liquidé les dépens,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'infirme dans le surplus de ses dispositions.
Statuant à nouveau et ajoutant,
Prononce la nullité du cautionnement en date du 30 septembre 2015.
Déboute en conséquence la Banque Européenne du Crédit Mutuel de sa demande de condamnation au titre de l'engagement de caution du 30 septembre 2015.
Dit que la Banque Européenne du Crédit Mutuel peut se prévaloir de l'engagement de caution du 28 mai 2018.
Condamne M. [R] à payer à la Banque Européenne du Crédit Mutuel la somme de 348.000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2020 au titre de son engagement de caution du 28 mai 2018.
Prononce la déchéance du droit aux intérêts du 18 février 2016 au 26 février 2020 concernant l'acte de cautionnement du 14 novembre 2014.
Prononce la déchéance du droit aux intérêts du 31 mars 2019 au 26 février 2020 concernant l'acte de cautionnement du 28 mai 2018.
Dit que chacune des parties gardera la charge de ses dépens d'appel.
Déboute les parties de leur demande au titre des frais irrépétibles d'appel.