CA Metz, 6e ch., 29 septembre 2022, n° 21/00673
METZ
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
S.A. SOCIETE GENERALE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flores
Conseiller :
Mme Devignot
Conseiller :
Mme Dussaud
Avocats :
Me Belhamici, Me Haxaire, Me Salavane, Me Vanmansart, Me Episcopo
Avocat :
Me Rozenek
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Le jardin d'Emmanuelle dont M. [O] [C] est le gérant, a été placée en redressement judiciaire le 29 août 2017 puis en liquidation judiciaire le 23 janvier 2018.
Par acte d'huissier du 25 février 2019, la SA Société Générale a assigné M. [C] au titre des engagements de caution qu'il avait souscrits au bénéfice de la SARL Le jardin d'Emmanuelle devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines. La SA Société Générale a demandé au tribunal de :
- condamner M. [C] à lui payer une somme de 18.480,17 euros, outre intérêts au taux de 6,5 % à compter du 29 janvier 2019,
- ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,
- condamner le défendeur aux dépens ainsi qu'à lui payer une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire.
En réponse, M. [C] a demandé au tribunal de :
- dire et juger nul et de nul effet l'acte de caution solidaire,
En conséquence,
- débouter la SA Société Générale de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- à titre subsidiaire, débouter la SA Société Générale de sa demande d'intérêt au taux de 8,1 %,
- condamner la SA Société Générale aux dépens ainsi qu'à lui payer une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 9 février 2021, le tribunal judiciaire de Sarreguemines a :
- condamné M. [C] à payer à la SA Société Générale une somme de 18.480,17 euros au titre de son engagement de caution, outre intérêts au taux de 6,5 % l'an à compter du 29 janvier 2019,
- ordonné la capitalisation annuelle des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,
- condamné M. [C] aux entiers dépens,
- condamné M. [C] à payer à la SA Société Générale une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz le 11 mars 2021, M. [C] a interjeté appel aux fins d'infirmation de ce jugement du tribunal judiciaire de Sarreguemines du 9 février 2021 en ce qu'il l'a : condamné à payer à la SA Société Générale une somme de 18 480,17 euros au titre de son engagement de caution, outre intérêts au taux de 6,5 % l'an à compter du 29 janvier 2019 ; ordonné la capitalisation annuelle des intérêts ; l'a condamné aux entiers dépens ainsi qu'à payer à la SA Société Générale une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; l'a débouté de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement et à titre subsidiaire de sa demande tendant à voir déboutée la SA Société Générale de sa demande d'intérêts formulée au taux de 8,10 % ; l'a débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 10 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, M. [C] demande à la cour de :
- dire et juger son appel recevable et bien fondé
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau, vu les articles L. 331-1 et L. 343-1 du code de la consommation et l'arrêt de la Cour de cassation du 9 juillet 2015,
- dire l'acte de caution solidaire qu'il a signé en décembre 2016 pour garantir un emprunt de 75.000 euros consenti à la SARL Le jardin d'Emmanuelle, limité à la somme de 29.250 euros maximum, nul et de nul effet,
En conséquence,
- débouter la SA Société Générale de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la SA Société Générale à lui payer une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SA Société Générale aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [C] soutient que le cautionnement qu'il a conclu n'est pas conforme aux dispositions impératives de l'article L. 331-1 du code de la consommation. Il expose que selon ce texte, la durée de l'engagement de cautionnement doit être rédigée avec la mention « pour la durée de... », ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Ainsi, il explique que le point de départ de la durée de son cautionnement n'est indiqué ni sur la première page du contrat, ni par la clause faisant référence au second acte de cautionnement, pour lequel la durée n'est également pas précisée contractuellement. Il ajoute au surplus que la mention doit exprimer précisément la durée sans qu'il soit nécessaire de se référer à une autre clause ou à un autre acte. La durée du cautionnement étant un élément essentiel permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, il en conclut qu'en l'absence d'une telle mention, le cautionnement encourt la nullité.
Par conclusions du 9 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SA Société Générale demande à la cour de :
- rejeter l'appel,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner M. [C] au paiement de la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers frais et dépens.
La SA Société Générale soutient que le contrat de cautionnement est valable en ce qu'il fixe une durée déterminée précise et qu'il se conforme aux dispositions de l'article L. 331-1 du code de la consommation. Elle indique que le point de départ de l'engagement de M. [C] dépendait de la date de décaissement des fonds par la SARL Le jardin d'Emmanuelle, et que l'appelant en sa qualité de gérant de la société, ne pouvait ignorer la date de décaissement. De plus, elle indique que les dispositions de l'article L. 331-1 du code de la consommation ne précisent pas la manière dont la durée de l'engagement doit être exprimée dans la mention manuscrite. Elle en déduit que le cautionnement est licite dès lors que la caution peut mesurer la portée dans le temps de son engagement, ce qui est le cas en l'espèce. Elle rappelle en ce sens que les deux cautionnements ont été conclus simultanément, le second prenant effet directement à la suite du premier.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la validité de l'engagement de caution
L'ancien article L331-1 du code de la consommation créé par l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 et applicable en l'espèce dispose :
« Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci :
" En me portant caution de X...................., dans la limite de la somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X.................... n'y satisfait pas lui-même. " »
L'ancien article L343-1 du code de la consommation précise que « les formalités définies à l'article L333-1 sont prévues à peine de nullité ».
Les dispositions de l'article L341-2 susvisé ne précisent pas la manière dont la durée de l'engagement de caution doit être exprimée dans la mention manuscrite, toutefois, la durée doit être exprimée suffisamment clairement, sans qu'il soit nécessaire de se reporter à d'autres clauses ou à un autre acte, pour permettre à la caution de mesure la portée exacte de son engagement.
L'engagement de caution de M. [C] objet du litige garantit un prêt de 75.000 euros accordé le même jour à la SARL Le jardin d'Emmanuelle.
Il comporte la mention manuscrite suivante : « en me portant caution de la société Le jardin d'Emmanuelle dans la limite de la somme de 29.250 euros (vingt-neuf mille deux cent cinquante euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 51 mois (cinquante et un mois) à compter de la date d'échéance de l'acte de cautionnement solidaire de 97.500 euros (quatre-vingt-dix sept mille cinq cents euros) signé en date du 2 décembre 2016, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si la société Le jardin d'Emmanuelle n'y satisfait pas elle-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec la société Le jardin d'Emmanuelle je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement la société Le jardin d'Emmanuelle ».
Il y a lieu de constater que la durée de l'engagement est précisée (51 mois). En revanche, le point de départ de ce délai n'est pas clairement mentionné, en effet, il renvoie à « la date d'échéance » d'un autre acte de cautionnement de 97.500 euros signé le même jour par M. [C].
La SA Société Générale indique dans ses conclusions que « le point de départ de l'engagement de M. [C] dépendait de la date de décaissement des fonds par le débiteur principal ». La mention manuscrite de l'engagement de caution souscrit le même jour par M. [C] dans la limite de 97.500 euros précise que cet autre engagement est souscrit pour une durée de « 9 mois mais à compter de la date de décaissement de l'obligation garantie ». Aucune date précise n'est donc indiquée.
L'emploi, dans la mention manuscrite relative au cautionnement de la somme de 29.250 euros, de cette notion de « date d'échéance » d'un autre engagement de caution n'est ni claire, ni précise et ne permet pas d'établir que M. [C] était en mesure d'apprécier la portée exacte de son engagement lorsqu'il a rédigé et signé cette mention manuscrite qui doit suffire à elle-même pour éclairer le consentement de la caution.
Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de prononcer la nullité de cet engagement de caution portant sur la somme de 29.250 euros.
Dès lors, la SA Société Générale sera déboutée de l'intégralité de ses demandes formées contre M. [C] dans la mesure où elles concernent le paiement des sommes dues au titre du prêt de 75.000 euros consenti à la SARL Le jardin d'Emmanuelle qui était garanti par l'engagement de caution annulé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement entrepris sera également infirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau, et la SA Société Générale succombant, il y a lieu de la condamner aux dépens de première instance.
Par application de l'article 700 du code de procédure civile, chacune des parties conservera la charge des frais engagés par elle en première instance et non compris dans les dépens.
La SA Société Générale succombant également en appel, elle sera condamnée aux dépens.
L'équité commande également de laisser à chacune des parties les frais engagés par elle en appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Sarreguemines du 9 février 2021 dans toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
Prononce la nullité de l'engagement de caution consenti par M. [O] [C] le 2 décembre 2016 pour la somme de 29.250 euros et garantissant le prêt de 75.000 euros accordé à la SARL Le jardin d'Emmanuelle par la SA Société Générale ;
Déboute la SA Société Générale de l'intégralité de ses demandes formées contre M. [O] [C] ;
Condamne la SA Société Générale aux dépens de première instance ;
Laisse à chacune des parties la charge des frais engagés par elle en première instance et non compris dans les dépens ;
Y ajoutant,
Condamne la SA Société Générale aux dépens d'appel ;
Laisse à chacune des parties les frais engagés par elle en appel et non compris dans les dépens.