CA Nîmes, 4e ch. com., 1 décembre 2021, n° 19/04564
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
SA BANQUE CIC NORD OUEST
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseiller :
Mme Strunk
Conseiller :
Mme Ougier
Avocats :
Me Laplace Treyture, Me Vajou - SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES, Me Martinot, SELARL VIVALDI AVOCATS
Avocat :
Me Eydoux
EXPOSE
Vu l'appel interjeté le 4 décembre 2019 par Z A à l'encontre du jugement prononcé le 15 novembre 2019 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance RG n°2018 10712;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 12 août 2020 par l'appelant et le bordereau de pièces qui y est annexé;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 26 mai 2020 par la Sa Banque Cic Nord Ouest, intimée et appelante à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé;
Vu l'ordonnance du1er juillet 2021 de clôture de la procédure à effet différé au 14 octobre 2021 avec fixation de la date de plaidoiries au 28 octobre 2021.
Par acte du 23 avril 1999, Monsieur Z A s'est porté caution solidaire à hauteur de 550.000 Francs, soit 83 846,63 €, au profit de la Banque Scalbert Dupont , Cic Nord Ouest , et en garantie de tous les engagements présents ou à venir que le Cic Nord Ouest consentait ou consentirait à la Sa Imprimerie Havet, que Monsieur A dirigeait et contrôlait. Cet engagement a été souscrit pour une durée illimitée.
La Sa Imprimerie Havet s'était notamment portée caution solidaire de la société HV Print, au profit du Cic Nord Ouest , et ce en garantie d'un prêt d'un montant en capital de 165.000 €, ainsi que d'un découvert en compte courant.
Une procédure de sauvegarde de justice a été ouverte à l'encontre de la Sa Imprimerie Havet.
Le 10 août 2007, le Cic a déclaré sa créance entre les mains de Me Rouvroy, mandataire judiciaire , pour un total de 153.286,74 euros. Ces créances ont été admises le 6 juin 2008.
Suite à la liquidation judiciaire de la Sa Imprimerie Havet après résolution de plan de sauvegarde et conversion d'un redressement judiciaire, par jugement du tribunal de commerce d'Arras du 14 février 2018, le Cic Nord Ouest comptabilisait une créance globale de 172.001,89€ .
Après mises en demeure infructueuses, le Cic Nord Ouest a assigné en paiement Monsieur A, dans la limite de son engagement, soit 83.846,63 €, par acte extrajudiciaire du 18 juillet 2018.
Par jugement du 15 novembre 2019, le tribunal de commerce d'Avignon a condamné Monsieur A en paiement de la somme de 83.846,00 €, outre la capitalisation des intérêts échus pour une année entière, 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les frais et dépens.
Le tribunal de commerce a rejeté la demande de nullité de l'acte de cautionnement sollicitée par Monsieur A retenant que l'acte signé en 1999 échappe aux dispositions de la loi du 1er août 2003 et que les mentions prescrites à l'article L 331-1 du code de la consommation ne trouvent pas à s'appliquer. Sur ce, la juridiction a considéré que la mention manuscrite est valable et suffisante pour répondre aux exigences de l'article 2015 du code civil.
Cette juridiction a rejeté la demande de nullité fondée sur un manquement au devoir d'information ne justifiant que la déduction des intérêts qu'il a retenue, la banque ne démontrant avoir satisfait à cette obligation.
Z A a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, Z A demande à la cour, en application des dispositions des articles 2011 et suivants du code civil , 1326 du code civil, 1135 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause et l'article L.313-22 du code monétaire et financier, de:
- Recevoir Monsieur Z A en son appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 15 novembre 2019 par le tribunal de commerce d'Avignon,
- Infirmer le jugement querellé en ce qu'il a :
- Condamné Monsieur Z A à payer à la banque Cic Nord Ouest la somme de
83.846,00€ outre les intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement au titre de son engagement de caution pour la Sa Imprimerie Havet ;
- Ordonné la capitalisation des intérêts échus pour une année entière, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
- Condamné Monsieur Z A à payer la banque Cic Nord Ouest la somme de 500,00 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné Monsieur Z A aux dépens, dont frais de greffe, taxés et liquidés à la somme de 73,22 € TTC ;
Le réformant, statuant à nouveau :
- Dire et juger que l'acte de cautionnement signé par Monsieur Z A le 23 avril 1999 au profit du Cic Nord Ouest est nul, faute de contenir une mention manuscrite ayant permis à Monsieur A d'avoir pris conscience de la durée illimitée de son engagement ;
- Dire et juger que la nullité de l'acte de cautionnement est d'autant plus justifiée que le Cic Nord Ouest n'a pas respecté son obligation d'information annuelle ;
En conséquence
- Débouter le Cic Nord Ouest de toutes ses demandes ;
- Débouter le Cic Nord Ouest de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires et de plus fort de son appel incident.
- Condamner le Cic Nord Ouest à payer Monsieur Z A la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Le condamner aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de son appel, Monsieur A considère que l'acte de cautionnement ne comporte pas une mention manuscrite suffisamment claire et précise pour lui permettre de prendre conscience de l'étendue de son engagement dans la durée qui était illimitée. Ainsi, la seule mention de la somme garantie sans aucune précision de la durée de l'engagement ne lui permettait pas de prendre conscience de la portée de son engagement.
Ainsi, il prétend n'avoir jamais eu l'intention de garantir les dettes de la Sa Imprimerie Havet au delà de la durée de ses fonctions. Il considère que s'il avait eu conscience de la durée de son engagement, il l'aurait dénoncé en 2011 lorsqu'il a quitté la société pour partir à la retraite. La volonté des parties ne se retrouvant pas dans l'acte de cautionnement, la nullité doit être prononcée.
Il dénonce enfin le non respect de l'obligation annuelle d'information par le Cic quant à la durée illimitée de l'engagement de Monsieur A étant précisé que les lettres annuelles d'information comportent en principe une mention rappelant la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle ci est exercée lorsque l'engagement est à durée illimitée. L'absence d'envoi de ces lettres puis l'envoi de courriers d'information omettant cette faculté de révocation constituent un manquement de la banque à son devoir d'information.
Le préjudice est pour lui est évident car s'il avait été informé de cette faculté de révocation , il aurait pu mettre un terme à son engagement en 2011 au moment où la situation de la Sa Imprimerie Havet était encore saine.
Dans ses dernières conclusions, le Cic Nord Ouest demande à la cour, en application des articles 1134, 1315 et 1147 du code civil, des articles 2288 et suivants du code civil, de:
- Recevoir le Cic Nord Ouest en son appel incident,
- Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a augmenté les sommes mises à la charge de Monsieur A des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement et jusqu'à parfait paiement ;
En conséquence,
- Condamner Monsieur Z A à payer au Cic Nord Ouest la somme de 83.846,00 euros, outre intérêt au taux contractuel de 4,50% à compter du 1er juin 2018 et jusqu'à parfait paiement
- Confirmer le jugement dont appel pour le surplus en ce qu'il a :
* Condamné Monsieur Z A à payer au Cic Nord Ouest la somme principale de 83.846,00 euros ;
* Ordonné sur le fondement de l'article 1154 du code civil la capitalisation des intérêts;
* Débouté Monsieur A de toutes ses demandes, fins et prétentions contraires,
Subsidiairement,
- Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
En tout état de cause,
- Condamner Monsieur Z A à verser la somme de 3.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses écritures, la Cic Nord Ouest souligne le défaut de fondement juridique à la demande de nullité et considère que l'acte de cautionnement est parfaitement valable pour respecter les dispostions de l'article 2292 du code civil et celles de l'article 1376 du même code dans la mesure où l'étendue de l'engagement de Monsieur A est parfaitement établie.
Considérant qu'aucune mention obligatoire prescrite à peine de nullité n'est omise dans l'acte litigieux, la demande de nulluité ne peut être accueillie. Plus précisement, la banque indique que lors de la signature de l'acte , aucune mention n'était légalement obligatoire.
Pour finir, elle considère qu'en sa qualité de président de la Sa Imprimerie Havet , l'appelant avait une parfaite connaissance de la portée de son cautionnement , ceui ci étant parfaitement informé des engagements du cautionné et du montant des encours de la société garantie. Ayant reçu une information complète de ses droits et obligations et faute de dénonciation de l'acte de cautionnement, Monsieur A est tenu par ses engagements.
Sur l'obligation d'information, elle prétend l'avoir respectée et produit les lettres qui le confirment. A titre subsidiaire, elle rappelle que seule la déchéance du droit aux intérêts est prévue.
Sur le taux d'intérêt, la banque réclame l'application du taux contractuel à compter du 1er juin 2018.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
- Sur la nullité de l'acte de cautionnement:
A titre liminaire, il sera dit que cet acte conclu en 1999 n'a pas à répondre aux exigences posées par l'article L341-4 du code de la consommation et sa validité doit s'apprécier au regard des articles 1326 et 2015 du code civil.
L'article 1326 (ancien) énonce que l'acte juridique par lequel une partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent... doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention manuscrite écrite par lui même de la somme due.
L'article 2015 (ancien) dispose que le cautionnement ne se présume point; il doit être exprès et on ne peut l'étendre au delà des limites dans lesquelles il a été contracté.
Il est de jurisprudence constante que la mention manuscrite apposée sur un acte de cautionnement pour une somme ou une durée indéterminée doit exprimer de façon explicite et non équivoque la conscience qu'a la caution de la nature et de l'étendue de son engagement en tenant compte outre des termes employés, de la qualité, des fonctions et des connaissances de la caution ainsi que des éléments extrinsèques susceptibles d'apporter une pareille preuve.(1erchbre civile 2511/1997 n°95-19.985).
Au cas présent, Monsieur A s'est engagé aux termes d'un cautionnement solidaire signé le 23 avril 1999 garantissant l'ensemble des engagements de la société Imprimerie Havet avec une limite en son montant, la somme garantie étant fixée à hauteur de 550.000 frs, et illimitée en durée à défaut de précision d'un terme.
La mention manuscrite appposée par Monsieur A est conforme aux dispositions légales et ne comporte pas , pas plus que dans le corps de l'acte lui même, de mention relative à une durée.
L'absence de mention de la durée de l'engagement ne suffit à elle seule à motiver la nullité de l'engagement si la caution a conscience du caractère illimité de son engagement.
La mention manuscrite apposée par la caution est claire et précise; par ailleurs, Monsieur A, intervenant en qualité de gérant de la société cautionnée, est à même d'apprécier l'étendue de son engagement dans le temps en sorte que la caution ne pouvait ignorer que son engagement ne comportait aucune limite en dehors d'un plafond fixé à la somme de 550.000 frs.
Pour finir, l'article III - a) de l'acte de cautionnement précise bien que la modification ou la disparition des liens ou des rapports de fait ou de droit susceptibles d'exister entre la caution et le cautionné n'emportera pas à elle seule le dégagement de la caution.
Enfin, ce même article précise sous l'alinéa b) que ' si le présent engagement est de durée illimitée, il garantira les obligations énoncées ci dessus jusqu'à ce que la caution décide d'y mettre fin par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à la banque. Cette décision, dont les conséquences sont énoncées sous le c) qui suit, prendra effet 90 jours après réception de la lettre susisée et seulement à l'égard de son auteur...'.
Aussi, il peut être dit que l'engagement de Monsieur A emportant exécution d'une obligation contenait une mention manuscrite de sa part exprimant de façon explicite et non équivoque la connaissance qu'il avait de la nature et de l'étendue de l'obligation souscrite étant précisé que l'acte de cautionnement lui même le renseignait sur les modalités de dénonciation en sorte que Monsieur A ne peut faire grief à la banque d'avoir omis de lui rappeler dans le cadre de l'information annuelle la possibilité de dénoncer son engagement.
Monsieur A est donc tenu par un cautionnement conclu pour une durée indéterminée , ce dernier n'ayant pas dénoncé son engagement avant l'introduction de la présente instance.
La créance étant fondée en son principe et en son montant au regard des documents contractuels produits et de la déclaration de créance, le jugement déféré sera confirmé.
- Sur l'information annuelle de la caution :
L'article L313-22 du code monétaire et financier (anciennement article 48 de la loi du 1er mars 1984) dispose que :
'les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle ci est exercée ».
La banque est soumise à cette formalité jusqu'à l'extinction de la dette, quand bien même une mise en demeure serait intervenue ou une assignation de la caution en paiement ou une admission de la créance au passif du redressement judiciaire du débiteur principal. Ces événements ne sauraient en effet constituer un obstacle à l'application de la sanction de la déchéance des intérêts.
Par application de l'alinéa deux de l'article L313-22 du code précité, la sanction du non respect de l'obligation d'information est ainsi prévue :
« le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement de tenus à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette'.
Il incombe à l'établissement de crédit de démontrer l'accomplissement effectif de ses obligations d'information annuelle étant constant que l'obligation d'information de la caution perdure tout le cours de la procédure.
Si l'établissement de crédit n'est pas tenu de justifier de la réception de la lettre d'information qu'elle aurait envoyée à la caution, il lui appartient aussi de faire la démonstration de cet envoi qui s'impose à lui jusqu'au remboursement de l'obligation garantie, nonobstant la procédure collective ouverte à l'égard de la débitrice principale.
Les parties reprennent en cause d'appel les moyens soulevés en première instance auxquels le tribunal de commerce a répondu par des motifs pertinents et exempts d'insuffisance que la cour fait siens.
Il sera relevé en effet que la banque ne justifie nullement de l'envoi de lettres à la caution sur le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente, ni sur la faculté de révocation de sorte que le manquement de la banque à cette obligation est manifeste.
Il sera fait droit à la demande de déchéance du droit aux intérêts.
Il sera précisé que l'absence d'information donnée à la caution sur la faculté de révoquer son engagement ne peut justifier la nullité de l'acte de cautionnement comme le réclame Monsieur A dans le cadre de ses conclusions et peut au mieux justifier l'allocation d'une indemnisation pour perte de chance de ne pas avoir révoquer cet engagement ce qui n'est pas sollicité par l'appelant.
Il conviendra en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait application de la déchéance du droit aux intérêts qui est la sanction prévue en cas de violation de l'obligation d'information annuelle de la caution et en ce qu'il a condamné Monsieur A au paiement de la somme de 83.846,00 €, outre la capitalisation des intérêts échus pour une année entière.
- Sur les frais de l'instance :
Monsieur A, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance et payer à la banque une somme équitablement arbitrée à 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Z A aux dépens d'appel et à payer à la Sa Banque Cic Nord Ouest une somme de 1500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile .