CA Douai, 2e ch. sect. 2, 28 mars 2024, n° 22/05731
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
SA CIC Nord Oues, SAS Steam Store
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbot
Conseiller :
Mme Cordier
Conseiller :
Mme Soreau
Avocat :
Me Theolas
Avocat :
Me Vandenbussche
EXPOSE DES FAITS
M. [C] est le représentant légal de la société Steam Store dont l'objet est la vente de cigarettes électroniques, articles pour fumeurs et accessoires.
Par contrat de crédit n°30027 17005 00020824903 du 21 octobre 2016 la société Steam Store a obtenu de la société CIC Nord-Ouest un prêt d'un montant de 50.000 euros destiné au financement de matériel et d'équipement (prêt n°903), remboursable par 60 mensualités successives de 887,37 euros.
M. [C] s'est rendu caution solidaire de ce prêt dans la limite de 60 000 euros et Mme [C], son épouse, a donné son consentement.
Par contrat non daté n°30027 17005 0002824904, la société Steam Store a obtenu, pour des besoins de trésorerie, un deuxième prêt de la banque CIC Nord-Ouest d'un montant de 35 000 euros, remboursable en 60 mensualités successibles de 610,41 euros (prêt 904).
M. [C] s'est rendu caution solidaire de ce deuxième prêt à hauteur de 42.000 euros
Par avenant du 18 février 2020, les parties ont augmenté la durée de chacun de ces prêts de 4 mois, en fixant les modalités de remboursement du crédit à compter de l'échéance du 15 mars 2020 pour le premier prêt, du 5 mars 2020 pour le deuxième.
A la suite d'impayés et après mises en demeure, la banque a prononcé la déchéance du terme le 20 janvier 2021.
Le 14 juin 2021, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert la liquidation judiciaire simplifiée de la société Steam Store et désigné la société [L] [S] comme liquidateur.
Par actes des 31 mai et 4 juin 2021, la banque a assigné M. [C] et la société Steam Store devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, en paiement des sommes restant dues au titre des deux prêts.
Par un jugement du 18 octobre 2022 le tribunal de commerce de Lille Métropole a:
- débouté M.[C] de ses demandes de nullité des deux actes de cautionnement en litige ;
- débouté M.[C] de ses demandes au titre de la disproportion dans son engagement en tant que caution du premier prêt souscrit en 2016 ainsi que du deuxième prêt souscrit en 2017 ;
- débouté M.[C] de sa demande de déchéance totale du droit aux intérêts de la banque ;
- débouté la banque de sa demande en paiement des indemnités conventionnelles pour chacun des deux prêts, soit respectivement 1452,64 euros pour le prêt de 2016 et 1519,29 euros pour le prêt de 2017 ;
En conséquence,
*condamné M.[C] en sa qualité de caution au paiement des sommes suivantes au profit de la banque :
- 21 738,77 euros (soit 23 191,41 ' 1 452,64 euros) au titre du prêt d'un montant initial de 50 000 euros et sous réserve des intérêts conventionnels de 2,50% l'an à compter du 7 mai 2021 sur un principal de 20 752,04 euros ;
- 22 396,94 euros (soit 23 916,23-1 519,29) au titre du prêt de 35 000 euros et sous réserve des intérêts conventionnels de 1,80 % l'an à compter du 7 mai 2021 sur un principal de 21.704,10 euros ;
*condamné M.[C] à payer la somme de 1 000 euros à la banque à titre d'indemnité selon les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
*condamné M.[D] [C] aux entiers dépens ;
Par déclaration du 14 décembre 2022 M. [C] a interjeté appel de ce jugement, sauf en ce qu'il a débouté la banque de sa demande en paiement des indemnités conventionnelles pour chacun des deux prêts.
PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions transmises par voie électronique le 8 mars 2023, M. [C] demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris et, sur le fondement des articles 1108 et suivants du code civil dans leur rédaction applicable au litige, des articles L.341-1 et L.341-4 du code de la consommation dans leur rédaction applicable au litige, des articles 514 et suivants, 695 et suivants et 700 du code de procédure civile
et, statuant à nouveau
*à titre principal de :
- juger que l'acte de cautionnement du 21 octobre 2016 visant le prêt 2824903 est nul ainsi que son avenant en date du 18 février 2020 ;
- juger que l'acte de cautionnement annexé au contrat de crédit pour le prêt n°30027170050002824904 est nul ainsi que son avenant du 18 février 2020 ;
- juger que la banque ne peut se prévaloir de ces actes de cautionnement ;
*A titre subsidiaire de :
- juger que la banque CIC Nord-Ouest ne peut se prévaloir des actes de cautionnements en date du 21 octobre 2016 et de celui annexé au contrat de crédit pour le prêt n°30027 17005 0002824904 lesquels étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus au jour de la souscription ;
*à titre infiniment subsidiaire de :
- dire et juger que la banque CIC Nord-Ouest ne peut se prévaloir des sommes suivantes:
821,85 euros au titre des intérêts ;
1.452,64 euros au titre de l'indemnité conventionnelle ;
568,68 euros au titre des intérêts ;
1.519,29 euros au titre de l'indemnité conventionnelle ;
en tout état de cause de :
- condamner la banque CIC Nord-Ouest à lui verser à la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la banque CIC Nord-Ouest aux entiers dépens et frais de l'instance
Par conclusions notifiées le 7 juin 2023 par voie électronique, la société CIC Nord-Ouest demande à la cour, sur le fondement des articles 2288, 1103, 1104, 1193 et 1342 du code civil de:
- débouter M.[C] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement ;
- condamner M.[C] à une indemnité de procédure devant la cour d'appel d'un montant de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers frais et dépens ;
MOTIFS
1/ Sur la nullité des actes de cautionnement
Monsieur [C] fait valoir que les deux actes de cautionnement discutés doivent, pour être valables, contenir les mentions manuscrites obligatoires prévues aux articles L.331-1 et L.331-2 du code de la consommation, suivies de la signature de la caution, alors que, en l'espèce :
l'acte de cautionnement 904 n'est pas signé et ne permet pas de caractériser son accord à se porter caution ;
sur l'acte de cautionnement 903, sa signature précède la mention manuscrite au lieu de lui succéder ; que son paraphe ne suit pas immédiatement la mention manuscrite ; que le texte de la mention n'est pas conforme aux dispositions légales ; qu'y est ajoutée une ligne supplémentaire relative « aux sociétés en cours de formation », ajout qui interpelle sur le caractère effectivement éclairé du consentement donné ;
En réponse aux arguments adverses, il souligne :
que les engagements de l'emprunteur et de la caution sont parfaitement distincts et que le fait qu'il ait signé l'acte de prêt en sa qualité de dirigeant de la société Steam Store ne permet pas de considérer que les formalités prescrites par l'article L.331-1 du code de la consommation sont remplies, d'autant plus que la signature de la société Steam Store ne concernait que le prêt en lui-même et n'était pas apposée sur la même page que l'acte de cautionnement ;
que si la nullité prévue par l'article L.343-1 du code de la consommation est une nullité relative sur la base des articles 1181 et 1182 du code civil, les deux avenants aux contrats de prêt ne peuvent régulariser un vice affectant l'acte de cautionnement initial, dès lors que la banque, qui avait connaissance du vice affectant les deux prêts bancaires, s'est bien gardée de l'en informer.
La banque CIC Nord Ouest conclut pour sa part à l'absence de nullité des cautionnements donnés par Monsieur [C] en garantie des deux prêts.
Sur l'acte de cautionnement n°903, elle souligne :
- que M. [C], qui prétend que son cautionnement n'était pas éclairé, a certes apposé sa signature avant la mention manuscrite, mais a ajouté son paraphe juste au-dessous de cette mention, si bien que le cautionnement est valable comme a pu le décider la cour de cassation le 22 septembre 2016 (n°15-19.543) dans une affaire similaire ;
- que la mention manuscrite visée aux articles L.331-1 et L.331-2 du code de la consommation a bien été reproduite, et même deux fois, de sorte que le paraphe se trouve bien sous la mention manuscrite obligatoire, contrairement à ce que prétend M. [C], pour la première fois en appel ;
- que le fait d'avoir, sans réfléchir, reproduit en plus de la mention obligatoire, un avertissement informatif de la banque pour les sociétés en formation, peut expliquer qu'il ait recopié une deuxième fois la mention, et n'implique pas, en tout cas, qu'il n'était pas en mesure de comprendre la portée de ses engagements ;
- que l'engagement de caution n'est pas compliqué et que M. [C], qui a dirigé plusieurs entreprises, ne s'est probablement pas porté caution pour la première fois lorsqu'il a créé Steam Store ;
- que l'acte de cautionnement en cause était inclus dans le même instrumentum que le prêt lui-même, lequel rappelle en page 2, qu'au titre des garanties, la banque recueille le cautionnement solidaire de M. [C] ; que cette page est paraphée par M. [C] sous sa casquette de dirigeant et qu'il ne peut soutenir qu'en qualité de caution, il n'a pas compris ce qu'en qualité de président de la société Steam Store il a consenti en garantie du prêt ;
- que M. [C] a réitéré sa volonté de garantir ce prêt par la régularisation le 18 février 2020 d'un avenant qui, n'emportant pas novation, avait pour seul objet d'augmenter la durée du prêt afin de tenir compte des difficultés de la société Steam Store.
Sur l'acte de cautionnement 904 elle fait valoir :
que si l'irrégularité du cautionnement tient ici à l'absence de signature, elle est fondée à reprendre le principe selon lequel le formalisme prévu aux dispositions de l'article L.331-1 et L.331-2 du code de la consommation n'est prévu que dans le but de protéger la caution, et donc dans l'intérêt individuel de la caution ; que la sanction en cas d'irrégularité est une nullité relative ;
qu'en régularisant un avenant de l'acte de prêt en sa double qualité de dirigeant de la société et de caution, pour confirmer précisément les engagements pris ultérieurement, M. [C] a couvert la nullité relative dont il ne peut plus se prévaloir.
Réponse de la cour
L'article L.331-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au présent litige, dispose que toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci :
'En me portant caution de X................., dans la limite de la somme de ................couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X................ n'y satisfait pas lui-même'.
L'article L.331-2 du même code, dans sa version applicable au présent litige dispose que lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante: 'En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X'.
L'article L.343-1 du même code, dans sa version applicable au présent litige, précise que les formalités définies à l'article L.331-1 sont prévues à peine de nullité.
Il ressort de l'étude du contrat de crédit 903 du 26 octobre 2016, et plus précisément de l'acte de cautionnement en page 11, que Monsieur [C] a apposé sa signature juste sous la mention dactylographiée prévue à l'article L.331-1 du code de la consommation à recopier.
Il a ensuite retranscrit de façon manuscrite, et ce par deux fois, la mention exigée aux articles L.331-1et L.343-2 du code de la consommation précités.
Si la première mention ajoute une instruction de la banque qui n'avait pas à être recopiée, il apparaît qu'elle est immédiatement suivie d'une deuxième apposition de la mention, cette fois-ci totalement conforme à celle prévue à l'article L.331-1 du code de la consommation.
Cette deuxième mention est suivie du 'bon pour consentement au cautionnement' signé de Mme [C] dans un encart, dédié au conjoint de la caution, puis du paraphe de chacun des époux en bas de page.
Il apparaît ainsi que le paraphe de M.[C], qui se trouve en tout bas de page et fait suite au « bon pour consentement » de Mme [C], ne peut être directement rattaché aux mentions manuscrites exigées par les articles L.331-1 et L.343-2 du code de la consommation reproduites plus haut. Ce paraphe, s'il devait valoir signature, n'a cependant pas été réitéré sous les mentions manuscrites elles-mêmes, mais en bas de page de l'entier contrat de crédit.
Il ne permet pas de s'assurer que M.[C] a bien mesuré le contenu exact et la portée de son engagement.
Dans le contrat de crédit 904, non daté, la mention manuscrite, si elle reprend bien les dispositions exigées aux articles L.331-1 et L.343-2 précités, n'est toutefois ni précédée, ni suivie de la signature de M.[C].
Par ailleurs, rien ne permet de dire que le paraphe de bas de page se rapporte à la mention manuscrite de la caution et non au contrat de prêt en lui-même.
La signature exigée aux articles L.331-1 et L.331-2 précités y fait donc totalement défaut.
Ainsi, ces dispositions d'ordre public du code de la consommation qui, dans un souci de protection de la caution et pour veiller à ce que son engagement soit parfaitement éclairé, exigent que les mentions manuscrites des articles L.331-1 et L.331-2 précèdent la signature de la caution, n'ont donc pas été respectées dans les deux actes de cautionnement litigieux, ce qui ne permet pas de s'assurer que M. [C] a consenti à ces cautionnements en toute connaissance de cause.
Pour les deux contrats de cautionnement, il est vain de prétendre que M. [C] avait approuvé son engagement comme caution dans le corps du contrat, en sa qualité de représentant légal de la société Steam Store, débitrice principale, le texte ne faisant pas de distinction entre les personnes physiques tenues de reproduire les mentions obligatoires, qu'elles dirigent ou non la société cautionnée, entre les personnes profanes ou averties. En outre, les clauses imprimées dans l'acte, même si elles reprennent la portée du cautionnement, ne peuvent remplacer la mention manuscrite prévue aux articles L.331-1 et L.331-2 par laquelle la caution s'implique réellement.
Par ailleurs, les avenants établis pour chacun des contrats de prêt 903 et 904 ne portent la signature de la caution, le 26 février 2020, que pour le rééchelonnement du contrat. Ils ne font aucune référence aux mentions des articles L.331-1 et L.331-2 du code de la consommation, qui ne sont pas reproduites, ni au contenu de l'engagement de caution. Ces avenants ne permettent pas plus d'établir que M. [C] avait mesuré la portée de son engagement de caution et ne régularisent en rien les premiers engagements de caution.
Il convient donc d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions, de déclarer nuls les actes de cautionnement des prêts n°903 et 904 ainsi que les modifications apportées à ces cautionnements par les avenants signés par la caution le 26 février 2020, pour chacun des prêts, et de rejeter l'ensemble des demandes de la banque CIC Nord-Ouest au titre de ces deux contrats de cautionnement.
2/ Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La banque CIC Nord-Ouest, qui succombe, assumera les entiers dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande d'indemnité procédurale
Elle sera condamnée à verser à M. [C] une indemnité de procédure en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions
Et statuant de nouveau,
Déclare nul l'acte de cautionnement du 21 octobre 2016 visant le prêt n°30027 17005 00020824903 ainsi que l'avenant à ce cautionnement en date du 26 février 2020 ;
Déclare nul l'acte de cautionnement afférent au prêt n°30027 17005 00020824904 ainsi que l'avenant à ce cautionnement signé par la caution le 26 février 2020 ;
Rejette les demandes de la société Banque CIC Nord-Ouest tendant à la condamnation de M.[C] en qualité de caution ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SA Banque CIC Nord Ouest et la condamne à verser à Monsieur [D] [C] la somme de 3 500 euros ;
Condamne la SA Banque CIC Nord-Ouest aux dépens de première instance et d'appel.