CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 27 février 2014, n° 13/12761
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
SA CREDIT DU NORD
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franchi
Conseiller :
M. Picque
Conseiller :
Mme Picard
Avocats :
Me Malka, Me Elmaleh Wininger
Avocats :
Me El Assaad Ali, Me El Assaad Maryvonne
La SARL LES DELICES DU ROI était titulaire d'un compte dans les livres de la banque CREDIT DU NORD. Elle a bénéficié de trois prêts entre 2007 et 2010 pour des montants de 210.000 euros le 2 janvier 2007, 67.000 euros le 8 juillet 2008 et 65.000 euros le 17 décembre 2009 ainsi qu'une facilité de caisse de 45.000 euros.
Monsieur J. E., gérant de la SARL LES DELICES DU ROI et son épouse Madame Karine E. se sont portés cautions solidaires de la société.
La société LES DELICES DU ROI a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 5 avril 2012 et le CREDIT DU NORD a assigné Monsieur E. en paiement de la somme de 242.525, 21 euros et solidairement Monsieur et Madame E. en paiement de la somme de 53.000 euros.
Par jugement rendu le 3 juin 2013 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Créteil a :
- dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par Mme Karine E. et, s'est déclaré incompétent au profit du TGI de Créteil,
- s'est déclaré compétent pour connaître des demandes formulées à l'encontre de M. J. E.,
- constaté la nullité de l'acte de cautionnement du 15 décembre 2006 au profit du CREDIT DU NORD, dit la demanderesse mal fondée en sa demande de paiement de la somme de 59.248,02 euros au titre du prêt de 210.000,00 euros et l'en a débouté,
- constaté la validité des actes de cautionnement des 8 juillet 2008 et 11 mars 2009 au profit du CREDIT DU NORD et débouté M. J. E. de ses demandes d'en prononcer la nullité,
- dit que le CREDIT DU NORD n'a pas exigé des garanties disproportionnées aux crédits accordés, qu'il n'a pas abusivement soutenu la société LES DELICES DU ROI et débouté M. J. E. de sa demande de prononcer la nullité des actes de cautionnement à ce titre,
- dit que le CREDIT DU NORD n'a pas failli à son devoir de conseil et de mise en garde à l'égard de la caution et débouté M. J. E. de sa demande de prononcer la nullité des actes de cautionnement à ce titre,
- dit que le CREDIT DU NORD peut, hormis celui souscrit le 15 décembre 2006, se prévaloir des cautionnements souscrits par M. J. E.. leurs montants n'étant pas disproportionnés au moment de leur conclusion,
- condamné M. J. E.. au titre du solde débiteur du compte, à payer au CREDIT DU NORD la somme de 56.787,30 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2012 et débouté la demanderesse du surplus de sa demande,
- condamné M. J. E.. au titre du prêt de 67.000,00 euros, à payer au CREDIT DU NORD la somme de 40.499,05 euros. outre intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2012,
- et débouté la demanderesse du surplus de sa demande,
- condamné M. J. E.. au titre du prêt de 65.000,00 euros à payer au CREDIT DU NORD la somme de 52.743,49 euros outre intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2012 et débouté la demanderesse du surplus de sa demande,
- et ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 30 mai 2012 conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil.
Le tribunal a notamment considéré que dès lors que le paraphe accompagnait la mention manuscrite et était placé en dessous, le paraphe valait signature et l'acte de cautionnement était donc valide, que le CREDIT DU NORD n'a pas exigé des garanties disproportionnées aux crédits accordés et qu'il n'a pas abusivement soutenu la société, que le CREDIT DU NORD n'a pas failli à son devoir de conseil et de mise en garde à l'égard de la caution, les prêts ayant été remboursés normalement pendant plusieurs années, que au vu des fiches de renseignement remplies par Monsieur E. pour les différents actes de cautionnement des prêts ses engagements n'apparaissaient pas disproportionnés et enfin le tribunal a calculé le montant dû pour chacun des prêts et pour le solde débiteur du compte.
Monsieur E. a interjeté appel de ce jugement le 25 juin 2013.
Dans ses dernières conclusions transmises par RPVA le 16 septembre 2013 Monsieur E. demande à la cour de :
- Constater que l'acte de caution en date du 15/12/2006 ne contient pas la mention manuscrite de Monsieur E. ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement rendu le 3 juin 2013 en ce qu'il a constaté la nullité de l'acte de cautionnement en date du 15 décembre 2006 au profit du Crédit du Nord et l'a débouté de sa demande en paiement de 59 248,02 euros.
- Infirmer le Jugement du 3 juin 2013 en toutes ses autres dispositions
Statuant à nouveau,
- Constater que les actes de caution en date des 08 juillet 2008 et 11 mars 2009 ne revêtent pas la
signature de Monsieur E. ;
- Constater que la mention manuscrite exigée par les textes ne précède pas le paraphe ;
En conséquence,
- Déclarer nuls et de nul effet les actes de caution en date des 08 juillet 2008 et 11 mars 2009,
- Constater que le CREDIT DU NORD qui a exigé des garanties disproportionnées aux crédits accordés, a soutenu abusivement l'activité de la société Les Délices du Roi ;
- Constater que les cautionnements souscrits par Monsieur et Madame E. étaient manifestement disproportionnés à leur facultés de remboursement tant au moment de leur signature qu'à l'heure actuelle.
En conséquence,
- Déclarer nuls et de nul effet tous les actes de cautionnement souscrits par Monsieur E.
Ce faisant,
- Débouter le CREDIT DU NORD de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner le CREDIT DU NORD à payer à Monsieur E. la somme de 4000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Dans ses dernières conclusions transmises par RPVA le 14 novembre 2013 la banque CREDIT DU NORD demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce qu'il a statué sur les demandes du CREDIT DU NORD à l'égard de Monsieur J. E.
Y ajoutant :
- Condamner Monsieur J. E. à payer au CREDIT DU NORD la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC
SUR CE,
Sur la nullité des actes de cautionnement
La cour relève à titre liminaire qu'aucune des parties ne conteste la décision du tribunal de commerce en ce qu'elle a annulé l'engagement de caution relatif au prêt de 210.000 euros.
Monsieur E. fait valoir que s'il est exact que les deux actes de cautionnement des 8 juillet 2008 et 11 mars 2009 comportent bien la mention manuscrite obligatoire, ils ne portent pas sa signature mais seulement un paraphe, ce qui n'équivaut pas à une signature. De plus il apparaît que le paraphe a été apposé avant la mention manuscrite.
Le Crédit du nord fait valoir qu'un paraphe vaut signature et que les paraphes sont placés en dessous ou à coté de la mention manuscrite.
L'examen des deux documents litigieux montre qu'ils ont tous deux été paraphés de la main de Monsieur E. et qu'ils comportent tous deux la mention manuscrite obligatoire. Sur l'acte de cautionnement du 8 juillet 2008, le paraphe est placé à coté de la mention manuscrite et la cour relève qu'il a été apposé après la mention puisque l'écriture le contourne.
La cour rappelle que l'apposition de la mention manuscrite et de sa signature par la caution est nécessaire afin d'établir sa volonté explicite et non équivoque quant à la nature et à l'étendue de son engagement. En l'espèce, la cour considère que dès lors que la caution reconnaît avoir apposé son paraphe, qui équivaut à une signature et avoir écrit elle même la mention manuscrite où figure son engagement, peu importe qu'elle n'ait pas signé l'engagement et peu importe que ce paraphe ait été apposé avant la mention manuscrite.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement attaqué sur ce point.
Sur le soutien abusif
Subsidiairement, Monsieur E. soutient que compte tenu de l'aspect déficitaire de l'exploitation de la société LES DELICES DU ROI , la banque n aurait jamais du accorder à la société la moindre ouverture de crédit.
Le CREDIT DU NORD fait valoir en premier lieu que Monsieur E. n'établit pas que la situation de la société était irrémédiablement compromise au jour de la signature des engagements de caution et qu'aux termes de l'article L650-1 du code de commerce une action en responsabilité contre le banquier ne peut être engagée qu'en cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur et de garanties prises en contrepartie des concours accordés, disproportionnées à ceux ci et non sur le fondement du soutien abusif.
La cour rappelle que les créanciers bénéficient d'une immunité pour les concours consentis au débiteur en amont de l'ouverture d'une procédure collective.
Par contre, contrairement à ce que soutient Monsieur E. les prêts n'étaient pas consentis systématiquement à la suite d'une position déficitaire de la société dans les comptes de la banque. De plus les comptes de la société n'ont été déficitaires sur de longues périodes qu'à compter de l'année 2010 ainsi qu'il résulte des positions du compte de la société LES DELICES DU ROI au CREDIT DU NORD pour les années 2006, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011 qui sont produites aux débats. En 2009 le solde était positif pendant tous les mois hormis les mois de septembre, novembre et décembre. En revanche en 2008 le solde était négatif toute l'année sauf au mois d'avril.
La cour relève que seul le mandataire peut engager l'action en soutien abusif et que Monsieur E. est caution de prêts octroyés à la société dont il ne rapporte pas la preuve qu'ils étaient irrégulièrement octroyés. Au surplus il ne peut invoquer sa propre turpitude.
Enfin, la cour note avec la banque que cette dernière a pris les garanties habituelles, soit des inscriptions de nantissement de fonds de commerce pour chacun des prêts et des engagements de caution et que la société a honoré ses engagements jusqu'en novembre 2011.
Sur le caractère disproportionné des engagements de caution
Monsieur E. fait valoir que la banque n'a pas pris la peine de s'informer sur ses ressources et celles de son épouse, que les fiches de renseignement sont postérieures aux actes souscrits, et que les engagements que la banque lui a fait prendre sont manifestement disproportionnés à ses revenus et à ceux de son épouse et qu'il faut prendre en compte la totalité des engagements de caution pour apprécier la disproportion.
Le CREDIT DU NORD fait valoir que selon les fiches de renseignements recueillies sur la solvabilité de Monsieur E. ce dernier a déclaré être propriétaire d'une résidence de 450.000 euros au Kremlin Bicetre et d'un bien donné en location d'une valeur de 150.000 euros, avoir une épargne de 200.000 euros et des revenus annuels de 40.000 euros. Enfin, les époux E. sont propriétaires d'une SCI EJK propriétaire d'un bien évalué à 300.000 euros.
La cour constate en premier lieu que Monsieur E. n'énumère pas les autres engagements de caution qu'il dit avoir consentis en dehors de la société LES DELICES DU ROI et n'est donc pas à même d'apprécier la disproportion alléguée. Il produit deux jugements, le premier en date du 18 mars 2013 le condamnant à payer en qualité de caution de la société JEST FOOD une somme de 130.000 euros et le second en date du 10 juillet 2012 le condamnant à payer en qualité de caution de la société ELN la somme de 13.000 euros. Au total les engagements de caution pris par Monsieur E. et sa femme se montent à 678.000 euros, y compris la caution du prêt de 210.000 euros qui a été annulée par le tribunal de commerce et non à plus de un million d'euros comme il le soutient.
Au regard de ces sommes, la cour constate que les revenus déclarés par Monsieur E. à la banque CREDIT DU NORD pour obtenir les prêts s'élevaient à environ 40.000 euros par an selon les années, ceux de sa femme à 1.500 euros par mois. Il tirait également des revenus d'une location et avait un patrimoine immobilier évalué selon les fiches de renseignement de 450.000 euros à 600.000 euros et un compte sur livret de 200.000 euros. Enfin, il dirigeait deux sociétés dont il pouvait retirer des revenus grâce aux concours financiers de la banque.
Il résulte de ces éléments que les engagements de caution pris par Monsieur E. ne sont pas disproportionnés aux biens et revenus qu'il a déclaré.
Le jugement du tribunal de commerce de Créteil sera en conséquence confirmé.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
La société CREDIT DU NORD sollicite le paiement de la somme de 2.000 euros à ce titre.
Il paraît équitable de lui accorder la somme de 1.000 euros sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil le 3 juin 2013,
Condamne Monsieur J. E. à payer à la société CREDIT DU NORD la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne J. E. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.