CA Versailles, 16e ch., 6 mai 2014, n° 13/01549
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE - PAYS DE LOIRE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Avel
Conseiller :
Mme Massuet
Conseiller :
Mme Lelievre
Avocats :
Me Dupuis - SCP LISSARRAGUE DUPUIS & ASSOCIES, Me Cressard - SELARL CRESSARD LE GOFF, AVOXA
Avocats :
Me Guttin, Me Lecocq
FAITS ET PROCEDURE,
Vu l'appel interjeté le 21 février 2014 par la CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE (ci après la CAISSE D'ÉPARGNE) du jugement rendu le 30 novembre 2012 par le tribunal de grande instance de NANTERRE qui a :
- déclaré nul l'engagement de caution de Catherine R. envers elle,
- l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
- a dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire,
- l'a condamnée à payer à Catherine R. la somme de 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 12 septembre 2013 par lesquelles la CAISSE D'ÉPARGNE, appelante, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour, statuant à nouveau, de :
- condamner Catherine R. au paiement de la somme de 347.923,28 € , montant de la créance au 13 juillet 2010 après déduction de la somme perçue au titre de l'adjudication, à majorer des intérêts au taux contractuel du 14 juillet 2010 jusqu'à parfait paiement,
- dire que les intérêts seront capitalisés sur le fondement de l'article 1154 du code civil,
- condamner Catherine R. à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- dire que dans l'hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier sera supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 16 juillet 2013 par lesquelles Catherine R., intimée, demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- à titre infiniment subsidiaire, constater le caractère disproportionné du cautionnement qu'elle a conclu et prononcer la déchéance des droits du créancier à son égard,
- condamner la CAISSE D'ÉPARGNE au paiement de dommages intérêts à hauteur des sommes que cette dernière pourrait lui réclamer et ordonner leur compensation, de sorte que la banque soit déboutée de l'intégralité de ses demandes,
- en tout état de cause, condamner la CAISSE D'ÉPARGNE à lui payer la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu l'ordonnance de clôture du 21 janvier 2014 ;
SUR CE, LA COUR
Par acte sous seing privé en date du 15 décembre 2006, LA CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DES PAYS DE LA LOIRE, aux droits de laquelle est venue la CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE (ci après la CAISSE D'ÉPARGNE), a consenti à la SARL MEDICIS, représentée par Catherine R., un prêt de 608.796 € , remboursable en 100 échéances trimestrielles de 9.822,72 € , au taux effectif global de 4,29% l'an.
Par acte sous seing privé du même jour, Catherine R. s'est portée caution solidaire des engagements de la SARL MEDICIS à hauteur de la somme de 791.434,80 € couvrant le principal, les intérêts et le cas échéant les pénalités ou intérêts de retard.
Des échéances étant demeurées impayées par la SARL MEDICIS, la banque a prononcé la déchéance du terme le 13 février 2009 et a réclamé à la caution le paiement de la somme de 547.313,80 € au titre du capital restant dû, des échéances impayées, des intérêts et des indemnités contractuelles.
Par acte d'huissier en date du 30 août 2010, la CAISSE D'ÉPARGNE a fait assigner Catherine R., aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 588.460,72 € , à majorer des intérêts au taux contractuel du 14 juillet 2010 jusqu'à parfait règlement, au titre de son engagement de caution, et celle de 1.000 € au titre de ses frais irrépétibles, ainsi que la capitalisation des intérêts et le prononcé de l'exécution provisoire.
C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement entrepris.
Le tribunal a déclaré nul le cautionnement souscrit par Catherine R. sur le fondement de l'article L 341-2 du code de la consommation, en retenant que la mention écrite par la caution ne comporte pas la durée de son engagement.
SUR LA VALIDITE DU CAUTIONNEMENT
Considérant qu'il ressort de l'article L. 341-2 du code de la consommation que toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle ci : "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui même" ;
Que la nullité d'un engagement de caution souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel est encourue du seul fait que la mention manuscrite portée sur l'engagement de caution n'est pas identique aux mentions prescrites par les articles L. 341-2 et L. 341-3 ;
Que la mention écrite par Catherine R. sur l'acte de cautionnement en date du 15 décembre 2006 ne comporte pas la durée de son engagement ;
Considérant que la CAISSE D'ÉPARGNE a sollicité l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré nul le cautionnement susvisé ;
Qu'au soutien de ce recours, elle fait valoir d'une part que Catherine R. en tant que gestionnaire de patrimoine et gérante de la SARL MEDICIS, société emprunteuse, avait une exacte connaissance du projet financé, des opérations financières effectuées et de l'étendue de son propre engagement de caution ; que l'absence de mention de sa durée ne peut alors s'analyser comme une irrégularité de fond, puisqu'elle n'a pas nui à la conscience qu'avait la caution de la portée de son engagement ;
Que, d'autre part, l'exigence d'identité entre la mention manuscrite et celle des mentions précitées reçoit exception dans l'hypothèse où le défaut résulterait d'une erreur matérielle ; que tel est le cas en l'espèce ;
Considérant toutefois que la disposition susvisée s'applique à toute caution personne physique, sans avoir à considérer sa qualité de profane, professionnel, ou même ses éventuels liens avec l'emprunteur ; qu'au surplus, l'omission ne peut être qualifiée d'erreur matérielle en ce qu'elle ne porte pas sur un seul mot mais sur l'entière proposition circonstancielle de temps ; que, dès lors, ce moyen est inopérant ;
Mais considérant que le formalisme à caractère informatif prescrit par le code de la consommation a pour finalité la protection des intérêts de la caution ; que sa violation est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle la caution peut renoncer de manière expresse ou tacite, la confirmation de son engagement pouvant intervenir dès lors que sa connaissance du vice est établie et qu'elle le couvre par une régularisation ultérieure comme cela a été le cas en l'espèce;
Qu'en effet, par télécopie en date du 19 décembre 2006, la CAISSE D'ÉPARGNE a avisé Catherine R. du caractère incomplet de la mention manuscrite ; que celle ci lui a adressé par retour de fax l'acte de cautionnement comportant la mention manuscrite dûment complétée, notamment quant à la durée de son engagement ;
Qu'il est sans incidence qu'elle n'ait pas retourné l'original de l'acte par voie postale, ainsi que la CAISSE D'EPARGNE le lui a également demandé, dès lors que Catherine R. ne conteste pas que le fax comportant la mention manuscrite conforme aux exigences des textes susvisés, émane d'elle ; que la régularisation intervenue démontre incontestablement sa connaissance de la portée de son engagement en toutes ses modalités et sa volonté de le confirmer; qu'elle a ainsi renoncé à toute action en nullité relative, à la forme de son engagement ;
Qu'en conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a décidé que l'acte de cautionnement était nul ;
SUR LA DISPROPORTION DE L'ENGAGEMENT DE LA CAUTION
Considérant qu'il ressort de l'article L. 341-4 du code de la consommation qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ;
Que le caractère disproportionné de l'engagement s'apprécie à la date de sa souscription;
Considérant que l'intimée fait valoir que si, en 2006, ses revenus étaient de 115.892 € , ceux ci étaient bien moindres en 2004 (40.000 € ) et en 2005 (60.173 € ) ; qu'elle n'avait donc pas, les deux années précédentes, la capacité financière de s'engager pour le montant visé à l'acte de cautionnement ; que la dette garantie, au jour de la conclusion du cautionnement, était de 608.796 € , soit plus de 5,25 fois ses revenus déclarés en 2006, et plus de 9,93 fois ses revenus déclarés en 2007 ; qu'elle était certes propriétaire d'une maison estimée à 323.400 € , mais qu'elle devait également rembourser les échéances d'un prêt immobilier d'un montant de 1.725 € par mois ;
Qu'elle affirme donc que le cautionnement était disproportionné par rapport à ses ressources ;
Considérant que pour l'appréciation du patrimoine et des revenus de la caution, il ne doit pas être tenu compte des perspectives de succès de l'opération, ni des revenus escomptés de l'opération garantie ; que l'argument de la CAISSE D'ÉPARGNE selon lequel Catherine R. devait percevoir, dans le cadre du financement de l'opération portée par la SARL MEDICIS et à titre prévisionnel, la somme de 199.588,73 € , ne saurait prospérer ;
Mais considérant que, pour l'application de l'article L. 341-4 précité, la disproportion doit être manifeste, c'est-à- dire flagrante ou évidente pour un professionnel raisonnablement diligent ; qu'elle ne saurait résulter du seul fait que le montant du cautionnement excède la valeur du patrimoine de la caution ;
Qu'il résulte des pièces versées aux débats que, lors de la conclusion du contrat de cautionnement, Catherine R. a déclaré :
- être titulaire de deux comptes ouverts auprès de la CAISSE D'ÉPARGNE, dont le solde au 24 novembre 2006 était de 106.352,47 € ,
- être propriétaire d'une maison évaluée à 323.400 € ,
- percevoir un revenu annuel imposable de 170.000 € ;
Que la banque soutient que le remboursement du prêt cautionné s'élevait à 39.290 € par an, la première échéance étant fixée au 10 octobre 2008 ; que, si Catherine R. maintenait son niveau de revenus, soit même seulement 115.000 € selon ses propres écritures, un solde annuel de 76.000 € environ devait revenir à Catherine R. après règlement des échéances, lui permettant de rembourser le prêt immobilier, exigible à hauteur de 20.700 € par an ;
Que, s'agissant de ses revenus inférieurs en 2004 et 2005, Catherine R. n'a pas remis les déclarations correspondantes à la CAISSE D'ÉPARGNE ; que, dans l'hypothèse contraire, la banque n'aurait pu que constater l'évolution constante et importante de ses revenus ; que, si l'intimée déplore une diminution de ses revenus pour l'année 2007, les pièces qu'elle a fournies lors de la demande de prêt ne permettaient pas de prévoir cette baisse ;
Considérant au surplus, que c'est au moment de la conclusion du cautionnement, soit en décembre 2006, que les ressources, comprenant l'intégralité des revenus et du patrimoine, doivent s'apprécier ; qu'il n'y a pas non plus lieu de tenir compte de l'appauvrissement ultérieur de la caution ; que, dès lors, ces données ne sont pas pertinentes ;
Que le créancier souligne à juste titre que l'intimée produisait, en novembre 2006, un contrat de travail à durée indéterminée signé fin juin 2006, au titre duquel elle percevait, en tant que directrice commerciale, une rémunération de 3.000 € par mois versée sur treize mois outre un intéressement trimestriel au chiffre d'affaires ; que, si, comme elle l'énonce dans ses écritures, Catherine R. n'était plus salariée en décembre 2006, la banque n'en a pas été informée et n'avait donc aucune raison de douter que le contrat était toujours en cours lors de la souscription du cautionnement ;
Qu'en outre, les documents remis ne présentaient pas d'anomalies apparentes ; qu'en pareil cas, il est reconnu au créancier la possibilité de s'en tenir aux déclarations de la caution sans avoir à en vérifier l'exactitude ;
Qu'eu égard à tout ce qui précède, Catherine R. n'établit pas le caractère manifestement disproportionné de son engagement ;
Qu'en conséquence, le créancier ne saurait être déchu du droit de se prévaloir du contrat de cautionnement souscrit le 15 décembre 2006 ;
SUR LES SOMMES DUES
Considérant que, selon l'article 2288 du code civil, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à exécuter cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui même ;
Qu'en l'espèce, la SARL MEDICIS, débitrice d'un prêt consenti par la CAISSE D'ÉPARGNE en date du 16 décembre 2006, n'a pu faire face au règlement des échéances ;
Qu'il a été démontré que le contrat de cautionnement litigieux est valable et proportionné aux ressources de Catherine R. ;
Que, selon décompte de la banque en date du 13 juillet 2010, la créance s'élevait à un total de 588.460,72 € ; que, dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière diligentée par la CAISSE D'ÉPARGNE, les biens immobiliers appartenant à la société MEDICIS ont été vendus le 8 décembre 2011 pour une somme de 240.534,44 € ;
Qu'en conséquence, il y a lieu de condamner Catherine R., en sa qualité de caution, au paiement du solde, soit 347.923,28 € , à majorer des intérêts au taux contractuel du 30 août 2010, date de l'acte introductif d'instance, jusqu'à parfait paiement ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 1154 du code civil que les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; qu'il convient d'accueillir la demande formée par la CAISSE D'ÉPARGNE de capitalisation des intérêts échus sur cette somme, à compter de la première demande en ce sens ;
SUR LA DEMANDE EN DOMMAGES INTÉRÊTS
Considérant qu'en l'absence d'éléments caractérisant une quelconque faute imputable à la banque et susceptible d'ouvrir droit à réparation, Catherine R. sera déboutée de sa demande de dommages intérêts à hauteur des sommes qui pourraient lui être réclamées par la CAISSE D'ÉPARGNE ;
SUR LES FRAIS D'HUISSIER
Considérant que la CAISSE D'ÉPARGNE sollicite, dans l'hypothèse où Catherine R. ne réglerait pas spontanément les condamnations prononcées par l'arrêt à intervenir, rendant nécessaire une exécution forcée, que la débitrice soit condamnée à supporter les frais d'huissier qui en résulteraient ;
Mais considérant que cette demande repose sur un fondement purement hypothétique ; qu'au surplus, elle relève de l'exécution forcée et ne pourra être étudiée qu'à ce stade, au cours d'une éventuelle procédure devant le juge de l'exécution ; qu'en conséquence, la cour ne peut y répondre favorablement ;
SUR L'INDEMNITÉ DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS
Considérant qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour faire valoir ses droits ; que la somme de 2.000 € lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance et de l'instance d'appel ;
Que Catherine R., partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens ;
Qu'en conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare valable le cautionnement souscrit le 15 décembre 2006 par Catherine R. au bénéfice de la CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE,
Condamne Catherine R. à payer à la CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE la somme de 347.923,28 € , avec intérêts au taux contractuel à compter du 30 août 2010 ,
Ordonne la capitalisation des intérêts dus à la CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE , conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, à compter de la première demande en ce sens,
Condamne Catherine R. à payer à la CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE PAYS DE LOIRE la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,
Condamne Catherine R. aux dépens de première instance ainsi qu'à ceux d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.