Livv
Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 29 octobre 2025, n° 23/05996

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

La Marquise (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubois-Stevan

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Ferreira, Me Boubal, Me Yon, Me Baboin-Jaubert, Me Boell

TJ Versailles, 3e ch., du 25 juill. 2023…

25 juillet 2023

Exposé du litige

Par acte authentique du 28 juin 2004, Mme [J], aux droits de laquelle se trouve Mme [G] [S], a donné à bail commercial à la société Kanel, pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2004, des locaux situés [Adresse 4] à [Localité 5] (78), moyennant un loyer annuel de 25.611,44 euros.

Le 30 juin 2013, le bail s'est poursuivi par tacite prolongation.

Par jugement du 6 septembre 2018, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Kanel et, par ordonnance du 17 décembre 2018, le juge commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce de la société Kanel à la société La Marquise, qui exploitait déjà un fonds de commerce de prêt-à-porter au [Adresse 3] à [Localité 5]. Le 14 mai 2019, Mme [S] a consenti à l'opération et la cession de fonds de commerce a été régularisée le 28 mai 2019.

Par acte extra-judiciaire du 19 avril 2021, la société La Marquise a demandé le renouvellement de son bail à compter du 1er juillet 2021, moyennant un loyer fixé à la valeur locative estimée à 15.620 euros par an.

Par acte en réponse signifié le 23 juin 2021, Mme [S] a refusé le renouvellement du bail et le paiement d'une indemnité d'éviction sur le fondement de l'article L.145-8 du code de commerce, faute d'une durée d'exploitation du fonds suffisante.

Par acte du 1er avril 2022, Mme [S] a assigné la société La Marquise devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins de reconnaissance du bien-fondé du refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction et d'expulsion du preneur des locaux loués.

Par jugement du 25 juillet 2023, le tribunal a :

- constaté le refus de renouvellement du bail commercial signifié par Mme [S] à la société La Marquise à effet du 30 juin 2021 à 24h ;

- invalidé le recours, par Mme [S], aux dispositions des articles L.145-8 et L.145-17 du code de commerce ;

- dit que Mme [S] est redevable du paiement d'une indemnité d'éviction à la société La Marquise ;

- dit que la société La Marquise est redevable, à compter du 1er juillet 2021 et jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, du paiement d'une indemnité d'occupation statutaire à Mme [S] ;

- avant dire droit, ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [O] [W], avec pour mission notamment de rechercher tous éléments utiles à l'estimation de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation ;

- condamné Mme [S] à payer à la société La Marquise la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés pour la défense de ses droits à ce stade de la procédure ainsi qu'aux dépens ;

- rejeté les autres demandes des parties ;

- rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit ;

- ordonné la radiation de l'affaire.

Par déclaration d'appel du 10 août 2023, Mme [S] a interjeté appel du jugement en chacune de ses dispositions sauf en ce qu'il a dit que la société La Marquise est redevable, à compter du 1er juillet 2021 et jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, du paiement d'une indemnité d'occupation statutaire à Mme [S].

Par dernières conclusions n°2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 2 janvier 2025, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

- de valider le refus de renouvellement sans indemnité d'éviction fondé sur l'article L.145-8 du code de commerce ;

- de juger que le bailleur est fondé à refuser le renouvellement du bail en justifiant de l'application de l'article L.145-8 du code de commerce, sans avoir à adresser préalablement une mise en demeure au preneur de cesser l'infraction auquel il n'aurait pas obtempéré, suivant les dispositions de l'article L.145-17 du code de commerce ;

- de juger qu'aucun motif légitime de non-exploitation effective du fonds ne justifie l'absence d'exploitation du fonds entre la date de l'ordonnance autorisant la cession du fonds de commerce à la société La Marquise (le 17 décembre 2018) et la date de commencement de l'exploitation du fonds apparaissant sur le Kbis (le 7 décembre 2019) et inscrite rétroactivement le 17 septembre 2020 ;

- de juger que le bail tacitement renouvelé a pris fin au jour indiqué dans la demande de renouvellement, soit le 1er juillet 2021 ;

- d'ordonner l'expulsion de la société La Marquise ;

- de condamner la société La Marquise au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

- de juger que la somme de 2.500 euros qu'elle a versée à titre de provision à valoir sur les honoraires de l'expert doit lui être remboursée.

Mme [S] soutient que son refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction est fondé sur le seul article L.145-8 du code de commerce, de sorte que pour se prévaloir, au soutien de ce refus, d'une durée d'exploitation insuffisante de son fonds de commerce par la société La Marquise au cours des trois années précédant la date d'expiration du bail, elle n'a pas à apporter la preuve qu'elle a préalablement envoyé au preneur une mise en demeure restée sans effet.

Elle prétend que la société La Marquise ne peut invoquer un quelconque droit au renouvellement du bail en raison d'une absence d'exploitation effective du fonds de commerce entre le 17 décembre 2018 et le 7 décembre 2019, d'autant qu'aucun motif légitime valable ne justifie cette non-exploitation.

Elle fait valoir que la période entre le transfert de jouissance du bien (ordonnance du 17 décembre 2018 autorisant la cession du fonds) et le transfert de propriété (acte de cession du fonds du 28 mai 2019) ne constitue pas un motif légitime de non-exploitation du fonds.

Elle conteste les deux motifs légitimes de non-exploitation relevés dans le jugement en soulignant que le premier n'a jamais été soutenu par la société La Marquise en première instance. S'agissant de ce premier motif, elle affirme qu'il n'y a jamais eu d'engagement de la société La Marquise de ne pas entreprendre les travaux avant la signature du contrat de cession du fonds de commerce ; qu'en tout état de cause les éventuels engagements du cessionnaire, qui n'apparaissent pas dans l'ordonnance de cession du fonds, lui sont inopposables en sa qualité de cédé. S'agissant du second motif, elle fait valoir que les deux documents censés prouver la préparation des travaux n'ont été suivis d'aucun commencent de travaux ; que le constat d'huissier du 12 février 2019 valant état des lieux d'entrée, réalisé de manière non contradictoire et sans qu'elle en soit informée, ne lui est pas opposable et ne peut justifier une absence d'exploitation durant 5 mois ; que le seul devis du 18 février 2019, qui ne porte pas sur des travaux dans l'espace de vente, n'a jamais été suivi de facture et ne peut pas non plus constituer un motif légitime de non-exploitation du fonds entre le 17 décembre 2018 et le 28 mai 2019 ; qu'en outre, elle a transmis le rapport de diagnostic technique un mois après la première demande du preneur.

Concernant la période du 28 mai au 7 décembre 2019, elle fait observer que les travaux ont été entrepris après la signature, le 10 octobre 2019, du contrat de commission-affiliation avec la société La Fée et se sont terminés en juillet 2020, soit après l'exploitation du fonds ayant officiellement commencé le 7 décembre 2019 ; que s'agissant de travaux de mise en conformité du local avec les exigences du commettant, la sécurité du public n'était pas menacée comme allégué et ce motif n'est pas un motif légitime de non-exploitation.

Elle considère enfin, au visa des articles R.123-66 et R.123-67 du code de commerce, que l'inscription au registre du commerce et des sociétés de l'établissement secondaire de la société La Marquise n'est pas valide et que la période antérieure à la date de commencement d'activité, le 7 décembre 2019, ne peut être regardée comme une période d'exploitation effective du fonds.

Elle soutient que le bail tacitement renouvelé a pris fin au jour indiqué dans la demande de renouvellement, soit le 1er juillet 2021. Elle sollicite l'expulsion de la société La Marquise des locaux, en indiquant que cette demande n'est pas nouvelle dès lors qu'elle figurait dans l'assignation et les conclusions de première instance, qu'en tout état de cause, le prononcé de l'expulsion de la locataire est la conséquence ou le complément nécessaire pour permettre l'exécution de l'arrêt reconnaissant le bien-fondé du refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction et l'extinction du bail depuis le 1er juillet 2021.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 8 février 2024 par RPVA, la société La Marquise demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner Mme [S] à lui verser la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société La Marquise soutient que Mme [S] ne peut lui dénier, sur le fondement de l'article L.145-8 du code de commerce, le droit au renouvellement du bail et au paiement d'une indemnité d'éviction, dès lors qu'elle justifie d'un motif légitime faisant obstacle à l'exploitation effective du fonds pour la période du 17 décembre 2018 au 7 décembre 2019, date d'ouverture de sa boutique.

Pour la période du 17 décembre 2018 (date de l'ordonnance du juge-commissaire) au 28 mai 2019 (date de l'acte de cession du fonds), elle fait valoir qu'elle s'était engagée à ne pas commencer de travaux avant la régularisation de l'acte de cession du fonds, comme le démontre le courrier du conseil de Mme [S] du 21 février 2019 ; que le transfert de propriété n'est intervenu que le 28 mai 2019 ; que le retard pris dans la signature de l'acte de cession et son agrément comme preneur du bail l'ont empêchée d'effectuer les travaux et d'exploiter sereinement les locaux, ce qui est constitutif d'un motif légitime d'interruption temporaire d'exploitation.

Pour la période du 28 mai au 7 décembre 2019, elle soutient qu'elle a été diligente et a mis en 'uvre tous les moyens afin de pouvoir ouvrir sa boutique dans les meilleurs délais mais qu'au regard du mauvais état des locaux, constaté par huissier le 12 février 2019, elle a dû engager d'importants travaux d'agencement et de remise en état pour transformer les locaux, les adapter à la nouvelle activité envisagée et se conformer au cahier des charges de son franchiseur, ce qui justifie qu'elle n'ait pu débuter l'exploitation de son fonds de commerce avant le 7 décembre 2019. Elle souligne que la sécurité du public était en jeu.

Pour la période du 7 décembre 2019 au 17 septembre 2020, elle fait valoir que l'évaluation de la durée d'exploitation peut remonter à une date antérieure à l'immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés ; que dès le 7 novembre 2019, elle a déposé une déclaration de création d'un établissement secondaire, démontrant ainsi sa volonté d'exploiter le fonds dans les meilleurs délais ; que le nouvel établissement secondaire apparait sur son Kbis avec un commencement d'activité au 7 décembre 2019 ; que l'ensemble de ces éléments constituent des indices permettant de démontrer l'exploitation effective du fonds dès le mois de décembre 2019.

Elle soutient par ailleurs que Mme [S] ne peut valablement se prévaloir des dispositions de l'article L.145-17 du code de commerce pour lui refuser le paiement d'une indemnité d'éviction, faute de justifier de la signification d'une mise en demeure conforme aux prescriptions légales.

Elle fait observer que la bailleresse a modifié le motif de son refus de renouvellement puisque l'acte de refus du 23 juin 2021 vise une absence d'exploitation temporaire du fonds de commerce entre le 28 mai 2019 et le 17 septembre 2020 tandis que dans ses conclusions d'appel, Mme [S] lui dénie désormais le bénéfice du statut des baux commerciaux pour ne pas avoir exploité le fonds au cours des trois années précédant la demande de renouvellement du bail ou avoir fait disparaître le fonds ; que ces motifs ne sont pas soumis au même formalisme ; qu'en l'espèce, c'est bien une cessation temporaire d'exploitation du fonds qui est reprochée au preneur, nécessitant une mise en demeure préalable.

Elle en déduit que le refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction est inopérant et qu'elle est en droit de se maintenir dans les lieux aux charges et conditions du bail expiré, jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 23 janvier 2025.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Il n'a pas été relevé appel du jugement en ce qu'il a dit que la société La Marquise était redevable à compter du 1er juillet 2021 d'une indemnité d'occupation, de sorte que la cour n'est pas saisie de ce chef du jugement.

Si Mme [S] a interjeté appel du jugement en ce qu'il a ordonné une expertise, elle ne sollicite pas le rejet de la demande de désignation d'un expert judiciaire, la cour observant au demeurant qu'en première instance, les parties s'accordaient sur la réalisation d'une telle mesure. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur le droit du preneur au renouvellement du bail

Le propriétaire du fonds de commerce qui est exploité dans les lieux objet d'un bail commercial bénéficie en vertu de l'article L.145-8 du code de commerce d'un droit au renouvellement dudit bail, à condition que le fonds ait, sauf motifs légitimes, fait l'objet d'une exploitation effective au cours des trois années précédant la date d'expiration du bail.

Selon l'article L.145-14 de ce code, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, il doit payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, sauf exceptions prévues aux articles L.145-17 et suivants.

En l'espèce, la société La Marquise a, suivant exploit du 19 avril 2021, demandé le renouvellement de son bail pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2021.

Par acte d'huissier délivré au locataire le 23 juin 2021 et intitulé « Refus de renouvellement du bail ' Article L.145-8 du code de commerce », Mme [S] a refusé le renouvellement du bail et le paiement d'une indemnité d'éviction, au motif que le fonds de commerce n'a pas fait l'objet d'une exploitation effective entre le 28 mai 2019 et le 17 septembre 2020.

Le refus de renouvellement du bail signifié par Mme [S] est explicitement fondé sur le seul article L.145-8 du code de commerce, l'article L.145-17 du même code étant cité seulement en ce qu'il énonce la possibilité pour le bailleur de refuser le renouvellement du bail en cas de cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds compte tenu des dispositions de l'article L.145-8. Il s'ensuit qu'en toute hypothèse le jugement sera infirmé, par voie de retranchement, en ce qu'il a invalidé le recours, par Mme [S], aux dispositions de l'article L.145-17 du code de commerce.

La demande de renouvellement du bail ayant été faite à compter du 1er juillet 2021, la société La Marquise doit, en application de l'article L.145-8 précité, justifier d'une exploitation effective de son fonds de commerce au cours des trois années précédentes, soit du 1er juillet 2018 au 30 juin 2021, ou à défaut d'un motif légitime n'ayant pas permis une telle exploitation.

- Concernant la période du 1er juillet au 17 décembre 2018

La période s'étendant du 1er juillet au 6 septembre 2018 correspond à l'exploitation du fonds de commerce par le précédent preneur, la société Kanel, et celle courant du 6 septembre au 17 décembre 2018 correspond aux opérations de liquidation judiciaire ouvertes à l'encontre de la société Kanel à la suite du jugement d'ouverture du 6 septembre 2018 jusqu'à l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la cession du fonds de commerce à la société La Marquise.

Pour cette période, le bailleur n'invoque pas un défaut d'exploitation du fonds sans motif légitime.

- Concernant la période du 17 décembre 2018 au 28 mai 2019

Cette période s'étend de la date de l'ordonnance du juge commissaire autorisant la cession du fonds de commerce jusqu'à la date de signature de l'acte de cession du fonds.

Selon un courrier que le conseil de Mme [S] a adressé à la société La Marquise le 21 février 2019 :

- le 19 décembre 2018, Mme [S] a visité le local commercial mais le magasin ne lui est pas apparu « nécessiter 250.000 à 300.000 euros de travaux », tel qu'estimé par la société La Marquise au moment de l'offre de reprise ;

- le 9 janvier 2019, M. [P], époux de la gérante de la société La Marquise, a indiqué à Mme [S] qu'il n'avait pas l'autorisation de commencer les travaux ;

- le 10 janvier 2019, Mme [S] a contacté le liquidateur qui l'a informée que « les loyers sont dus à partir de la date de l'ordonnance, le bailleur n'est pas tenu d'accepter de prendre en charge le montant des rénovations, les 46.000 euros sont bloqués jusqu'à la signature des actes de cession et les cessionnaires se sont engagés à ne pas effectuer de travaux avant la signature des actes de cession » (souligné par la cour).

Le 12 février 2019, la société La Marquise a fait procéder à l'état des lieux du local commercial ; le procès-verbal de constat d'huissier, certes non contradictoire, révèle que des travaux, à tout le moins de rénovation, s'avéraient nécessaires.

La société La Marquise a effectué des démarches au cours de la période du 17 décembre 2018 au 28 mai 2019, en vue de la rénovation des locaux loués. Elle produit un devis de la société Actuabat du 18 février 2019 portant sur des travaux d'électricité, de peinture, de pose de faux-plafond, de doublage des cloisons, etc. Les courriers et courriels versés aux débats témoignent également de ses échanges avec Mme [S] relativement à l'état des locaux et aux travaux qu'ils nécessitent ainsi qu'aux visites des responsables travaux des enseignes contactées par la société La Marquise pour mener à bien son projet de boutique de prêt-à-porter. Lors de ses échanges avec la bailleresse, la société La Marquise a sollicité avec insistance la production de documents (diagnostics DPE, métrage des locaux) indispensables à la réalisation des travaux, preuve supplémentaire de sa volonté d'ouvrir sa boutique dans les meilleurs délais.

S'il est ainsi établi qu'entre le 17 décembre 2018 et le 28 mai 2019, le fonds n'a pas fait l'objet d'une exploitation effective, il ressort des constats qui précèdent que les locaux loués nécessitaient des travaux importants qui ne pouvaient être entrepris tant que l'acte de cession du fonds de commerce n'était pas signé, ce dont la bailleresse était parfaitement informée, et que la société La Marquise a effectué de nombreuses démarches afin d'être en mesure de démarrer ces travaux dès que l'acte de cession serait signé, ce qui constitue pour la société preneuse un motif légitime de non-exploitation du fonds pendant cette période.

- Concernant la période du 28 mai au 7 décembre 2019

Cette période s'étend de la signature de l'acte de cession du fonds de commerce jusqu'à l'ouverture du commerce à la clientèle.

Une fois l'acte de cession du fonds signé le 28 mai 2019, la société La Marquise a procédé à de nombreux travaux de rénovation des locaux loués (réfection des sols et des murs, peintures, travaux d'électricité et de menuiserie, pose de radiateurs) ainsi qu'en atteste la facture émise par la société Actuabat le 31 décembre 2019.

En juillet 2019, elle a déposé en mairie une demande d'autorisation préalable en vue de la modification de la devanture et de l'enseigne du magasin, ce dont elle a informé Mme [S].

La société La Marquise produit plusieurs devis portant notamment sur la fourniture et pose d'une porte et d'un store sur commerce, le remplacement d'une vitrine sur commerce, l'installation d'un système de surveillance électronique d'articles antivol, ainsi que des factures justifiant de la réalisation des travaux sur cette période.

Le 10 octobre 2019, elle a conclu avec la société La Fée un contrat de commission-affiliation en vue de vendre des articles de prêt-à-porter sous la marque La Fée maraboutée. Aux termes de ce contrat, la société La Marquise s'est engagée notamment à faire procéder à l'aménagement de son magasin en conformité avec la charte du réseau La Fée maraboutée, ce qui confirme que l'exploitation du fonds de commerce ne pouvait débuter avant la réalisation des travaux de rénovation et d'adaptation des locaux loués.

Entre le 28 mai et le 7 décembre 2019, le fonds de commerce n'a donc pas fait l'objet d'une exploitation effective.

Cependant, il ressort des constats qui précèdent que la société La Marquise a fait réaliser des travaux en vue de la rénovation des locaux loués et de leur adaptation à sa nouvelle activité, ce qui constitue un motif légitime de non-exploitation du fonds.

La société preneuse justifie par ailleurs du dépôt le 12 novembre 2019, auprès du centre de formalités des entreprises de [Localité 6], d'une demande d'immatriculation d'un nouvel établissement secondaire à l'adresse des locaux loués. Si l'enregistrement de cet établissement n'a été effectif que le 17 septembre 2020 en raison d'une erreur dans l'annonce légale liée à la procédure de cession du fonds de commerce, le Kbis de la société La Marquise mentionne bien un commencement d'activité au 7 décembre 2019, qui est la date qui doit être retenue comme date de début d'exploitation effective du fonds de commerce.

Ainsi, à la date de la demande de renouvellement du bail, le 1er juillet 2021, la condition d'immatriculation de l'établissement secondaire de la société preneuse au registre du commerce et des sociétés était satisfaite, conformément à l'article L.145-1 du code de commerce.

En définitive, compte tenu de l'existence de motifs légitimes de non-exploitation du fonds pour la période du 17 décembre 2018 au 7 décembre 2019, la société La Marquise a droit au renouvellement du bail en application de l'article L.145-8 précité du code de commerce.

Dans la mesure où le fonds de commerce n'a pas été exploité pour des motifs légitimes, le refus de renouvellement du bail opposé par la bailleresse sur le fondement de l'article L. 145-8 du code de commerce n'était pas régulier, peu important que ce refus n'ait pas été précédé d'une mise en demeure adressée au preneur.

En application de l'article L.145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail, ce qu'il a fait le 23 juin 2021, et en conséquence de ce refus de renouvellement, la société La Marquise est fondée à solliciter le paiement d'une indemnité d'éviction.

Il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté le refus de renouvellement du bail commercial à effet du 30 juin 2021 à 24h, invalidé le recours, par Mme [S], aux dispositions de l'article L.145-8 du code de commerce et dit que Mme [S] était redevable du paiement d'une indemnité d'éviction à la société La Marquise.

En application de l'article L.145-28 du code de commerce, le locataire a droit, jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du bail expiré, de sorte qu'à ce stade, son expulsion ne peut être prononcée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Partie perdante, Mme [S] supportera les dépens d'appel. Elle ne peut de ce fait prétendre à une indemnité procédurale et sera condamnée à verser à la société La Marquise une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles que celle-ci a exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans la limite de sa saisine,

Infirme par voie de retranchement le jugement entrepris en ce qu'il a invalidé le recours, par Mme [G] [S], aux dispositions de l'article L.145-17 du code de commerce ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions déférées à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [G] [S] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [G] [S] à payer à la société La Marquise la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [G] [S] de sa demande de ce chef.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site