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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 22 octobre 2025, n° 24/11471

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/11471

22 octobre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 22 OCTOBRE 2025

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/11471 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJUUW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juin 2024 - Tribunal de Commerce de MEAUX - RG n° 2023012664

APPELANT

M. [V], [P] [K]

De nationalité italienne

Né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 18] (PEROU)

[Adresse 2]

[Localité 12]

Représenté par Me François LA BURTHE, avocat au barreau de MEAUX, toque : 32

INTIMÉE

S.E.L.A.R.L. [17] prise en la personne de Me [R] [Y] agissant en qualité de mandataire liquidateur de la S.A.R.L. [14]

[Adresse 5]

[Localité 11]

Immatriculée au RCS de MEAUX sous le n° [N° SIREN/SIRET 4]

Représentée par Me Carole BOUMAIZA de la SCP GOMME et BOUMAIZA, avocate au barreau de PARIS, toque : J112

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Sophie MOLLAT, Présidente

Caroline TABOUROT, Conseillère

Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA

LE MINISTERE PUBLIC :

représenté par M. François VAISSETTE, avocat général, qui fait valoir ses observations orales à l'audience.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Caroline TABOUROT, Conseillère pour la présidente empêchée, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.

Exposé des faits et de la procédure

La SARL [14] a été créée le 1er juillet 2007 et exploitait deux fonds de commerce de restauration de spécialité d'Amérique du sud et un fonds de commerce de vente de produits d'alimentation d'Amérique du sud.

Son gérant était M. [V] [K].

Par jugement du 7 février 2022, le tribunal de commerce de Meaux, après enquête préalable, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [14] et a désigné la SELARL [17] en qualité de mandataire judiciaire.

La date d'état de cessation des paiements a été fixée au 8 août 2020.

Par jugement du 3 octobre 2022, le tribunal de commerce de Meaux a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire de la société [14] et a désigné la SELARL [17], en qualité de liquidateur.

L'insuffisance d'actif s'élève à 156.405,60 euros.

Suivant exploit de commissaire de justice du 11 décembre 2023, la SELARL [17] ès-qualités a assigné M. [V] [K] au visa de l'article L.651-2 du code de commerce et suivants aux fins de le voir condamner à payer la totalité de l'insuffisance d'actif, ainsi qu'à une mesure de faillite personnelle pour une durée de 6 ans.

Par jugement du 3 juin 2024, le tribunal de commerce de Meaux a :

- Débouté M. [V] [K] de l'ensemble de ses demandes,

- Dit recevable et partiellement fondée la demande de la SELARL [17], ès-qualités de liquidateur de la société [14],

Vu les articles L.651-2 du code de commerce,

- Condamné M. [V] [K] à payer à la SELARL [17], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14], la somme de 75.530,84 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société,

Vu l'article L.653-3 à L.653-8 du code de commerce,

- Prononcé à l'encontre de M. [V] [K], une sanction d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ayant une activité économique pour une durée de 4 ans.

- Ordonné 1'exécution provisoire du présent jugement,

- Condamné M. [V] [K] à payer à la SELARL [17], ès qualités, la somme de 1 000,00 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la SELARL [17], ès qualités, pour le surplus de sa demande.

Par déclaration du 20 juin 2024, M. [V] [K] a interjeté appel de la décision.

Par conclusions enregistrées et notifiées par RPVA le 11 mars 2025, Monsieur [V] [P] [K] demande à la cour de :

In limine litis :

' Vu les articles 54, 55, 855 et 112, 15 et 16 du code de procédure civile, l'article R 651-5 alinéa 2 du code de commerce,

' Vu l'article 56 du code de procédure civile,

Annuler le jugement pour défaut de communication aux débats du rapport du juge commissaire, (mentionné dans le dispositif du jugement mais dont il n'a jamais été fait mention au tribunal et aux parties avant la décision, et qui a été produit pour la première fois dans l'instance en référé-suspension, le 2 décembre 2024), et défaut de visa de ce rapport dans le bordereau qui devait être annexé à l'assignation sous peine de nullité de l'article 56 du code de procédure civile.

Ou subsidiairement

Annuler l'assignation et la procédure subséquente pour défaut de mention d'action par le représentant légal de la société agissante, empêchant le destinataire de l'acte d'être informé de ce que la société agit par son représentant légal comme la loi lui réserve pourtant l'information, et lui portant consécutivement grief,

Juger en conséquence que ces deux moyens de nullité tiennent à l'acte de saisine du tribunal.

Juger que l'exploit introductif d'instance était nul et que le concluant n'a pus être en mesure d'en avoir connaissance qu'à la lecture du jugement, et

SUBSIDIAIREMENT

Annuler l'exploit introductif d'instance,

Et enfin en tout état de cause,

Vu l'article 16 du Code de procédure civile

Juger que de nouveau en cause d'appel le principe du contradictoire ayant été violé, la demande est manifestement irrecevable ou mal fondée, et

Renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir,

Subsidiairement

' Vu l'article 32 du code de procédure civile,

Infirmer le jugement entrepris et déclarer la demande irrecevable faute par le mandataire de pouvoir agir en qualité de mandataire ' qu'elle n'a plus - seul mandat à elle conféré par la décision dont elle se prévaut expressément pour définir son mandat d'agir,

Renvoyer le demandeur à se mieux pourvoir,

Plus subsidiairement encore,

' Vu les articles L 651-2 et suivants du code de commerce

Infirmer le jugement entrepris en toutes les condamnations et interdictions prononcées comme non fondées,

Débouter la poursuivante de toutes ses prétentions, fins et conclusions,

Dans tous les cas,

Condamner la demanderesse à payer à somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens d'action et d'exécution de première instance et d'appel.

Par conclusions du 26 mars 2025, la SELARL [17] agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la société [14] demande à la cour de:

- Débouter Monsieur [K] [V] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Meaux du 3 juin 2024 en ce qu'il a :

' Débouté Monsieur [K] [V] [P] de l'ensemble de ses demandes,

' Condamné Monsieur [K] [V] [P] au paiement de la somme de 75.530,84 euros au titre de l'insuffisance d'actifs de la société [14],

' Prononcé à l'encontre de Monsieur [K] [V] [P] une mesure de sanction d'interdiction de gérer pour une durée de 4 ans,

Subsidiairement, si la Cour devait prononcer la nullité du jugement du 3 juin 2024,

- Condamner Monsieur [K] [V] [P] au paiement de la somme de 156 405,60 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la S.A.R.L. [14].

- Prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [K] [V] [P] pour une durée de 6 ans,

- Subsidiairement, en l'absence de condamnation à une mesure de faillite personnelle,

- Prononcer une mesure d'interdiction de gérer pour une période de 10 ans à l'égard de Monsieur [K] [V] [P],

En tout état de cause,

- Débouter Monsieur [K] [V] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner Monsieur [K] [V] [P] au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'instance.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux écritures déposées.

L'instruction a été clôturée le 27 mars 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur la nullité de l'acte introductif d'instance.

Deux moyens de nullité sont soulevés.

1. Sur l'absence de rapport du juge-commissaire.

M. [K] soutient qu'aucun rapport du juge-commissaire n'a été lu à l'audience, qu'il n'a eu connaissance d'aucun rapport, qui lui ait été communiqué, ou dont il ait été fait mention pendant l'audience de jugement. Il considère au visa de l'article R.651-5 alinéa 2 qu'il s'agit d'une irrégularité de fond qui fait grief car l'avis du juge commissaire a pour fonction de fournir un élément important de réflexion au ministère public et au tribunal, donc il doit être communiqué à la défense s'il est établi spontanément, comme doit s'exécuter le principe du contradictoire.

Il ajoute que ce rapport est produit pour la première fois en cause d'appel par les intimés, ce qui démontre selon lui que le contradictoire a été violé délibérément par le mandataire poursuivant en première instance afin que le tribunal statue sur des éléments dont le défendeur n'avait pas connaissance. Il a découvert l'existence de ce rapport qui n'était pas visé comme pièce communiquée au soutien de la demande dans l'assignation, pour la première fois devant la cour lorsque l'intimé a conclu (dans le référé Suspension EP) et produit enfin cette pièce incomplète le jour de l'audience devant le Premier Président et dans ce contentieux au fond. Or le rapport est une pièce obligatoire, prévue sous peine de nullité de l'assignation. Cette nullité de forme n'a jamais été corrigée par une production corrective avec bordereau avant le jugement. Les seules pièces communiquées par le mandataire aux défendeurs ont été celles visées dans le bordereau qui était manifestement incomplet.

Il en conclut à la violation flagrante du principe du contradictoire, qui a aussi affecté l'acte de saisine.

La SELARL [17] ès-qualités réplique que le rapport du juge-commissaire existe et qu'il est bien visé dans le jugement. Aucun texte ne fait obligation de communiquer le rapport du juge commissaire antérieurement à l'audience aux parties ; ce dernier est en tout état de cause consultable au greffe sur simple demande. Et elle explique que tout état de cause, la cour de cassation a rappelé que par l'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel n'est pas tenue de se décider au vu du rapport du juge-commissaire et que même en cas de nullité du jugement, la cour est en mesure de statuer sur la sanction.

Sur ce,

L'article R. 662-12 du code de commerce pose pour principe que le tribunal de commerce statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaire, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer.

En raison du caractère d'ordre public de cette disposition, le rapport du juge-commissaire constitue une formalité substantielle à laquelle il ne peut être dérogé et qui est sanctionnée par la nullité du jugement rendu. Cependant, le rapport du juge-commissaire n'affectant pas la validité de la saisine du tribunal, l'effet dévolutif de l'appel impose à la cour d'appel de statuer en cas d'absence de rapport.

En l'espèce, le premier juge a statué sur le rapport du juge-commissaire puisque ce dernier est bien visé dans le dispositif du jugement.

Aucune absence de rapport n'est ainsi établie.

Il n'est pas prévu par les textes que le rapport du juge-commissaire doit être joint à l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif ou de sanction puisque le rapport du juge-commissaire peut être oral. L'assignation ne souffre par conséquent d'aucun vice de forme, faute d'avoir été accompagnée du rapport du juge-commissaire.

Quant à l'absence de lecture du rapport à l'audience, M. [K] échoue à en rapporter la preuve. La cour souligne que, même dans cette hypothèse, cette absence de lecture n'aurait eu aucune conséquence sur la validité de l'acte introductif d'instance.

La demande de nullité de l'acte introductif pour défaut de rapport sera ainsi rejetée.

2. Sur l'absence sur l'assignation.

M. [K] soutient d'une part que l'assignation ne porte pas le rappel de l'article 54 du code de procédure civile, qui définit les conditions de forme essentielle d'une assignation et en informe la partie signifiée pour lui permettre de faire valoir ses droits à cet égard. Or, l'article 54 dispose que l'assignation doit mentionner « b) Pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l'organe qui les représente légalement ». Et d'autre part, l'assignation par ailleurs indique que c'est la société [17] qui agit par Me [Y] liquidateur, mais ne précise pas qu'elle agit en qualité de représentant légal de la société « [17] » pourtant demanderesse, ce qui viole et l'article 54 et l'article 855 du Code de procédure civile.

La SELARL [17] ès-qualités réplique qu'il apparaît clairement aux termes de l'assignation que la SELARL [17] représentée par Me [R] [Y] a agi en qualité de liquidateur de la société [14], ce que M. [K] ne peut ignorer en sa qualité de dirigeant de la société [14]. Il ne peut d'autant moins l'ignorer qu'il a fait appel du jugement de liquidation en sa qualité de dirigeant de la société [14] et que tant dans le cadre de sa déclaration d'appel que dans le cadre de ses conclusions, il vise Me [R] [Y] en qualité de liquidateur judiciaire. Il n'existe aucune confusion possible quant à la qualité de liquidateur de Me [R] [Y] et de la SELARL [17].Il n'existe donc aucun grief.

Sur ce,

M. [K] prétend que l'assignation qui lui a été délivrée par la SELARL [17] est entâchée de nullité car elle ne comporte pas certaines mentions.

Cette assignation n'est pas produite par les parties ni par M. [K] ni par la SELARL [17], de sorte que la cour est dans l'incapacité de pouvoir examiner les vices soulevés.

Le moyen est par conséquent inopérant et sa demande sera rejetée.

II. Sur la condamnation de M. [K] pour insuffisance d'actif.

Aux termes de l'article L.651-2 du code de commerce, Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

En l'espèce, la liquidation judiciaire de la société [14] fait apparaître une insuffisance d'actif à hauteur de 156 405,60 euros.

Il est reproché à M. [K], gérant de droit, cinq fautes de gestion:

- L'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal,

- Le défaut de remise au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture,

- Le défaut de tenue de la comptabilité,

- L'abus de biens sociaux,

- Une augmentation du passif postérieur à l'ouverture de la procédure.

Chacune de ces fautes sera examinée.

1. Sur l'absence de déclaration de cessation des paiements

M. [K] considère qu'il n'est pas légitime de lui faire un tel reproche dans le contexte de ce dossier où le passif déclaré n'a jamais été vérifié, après un an et trois mois de fermeture administrative et maintien des loyers et d'une partie des charges fixes en raison du Covid. Si la charge de la dette était ancienne, elle était rattrapable à condition d'une reprise d'activité forte après le Covid. Il soutient qu'à l'époque de la sortie du Covid, la question se posait même de savoir si les loyers des périodes de fermetures seraient ou non exigibles. Si des actions avaient été engagées, la clause résolutoire aurait pu être suspendue. Les dettes sociales et fiscales en cours représentaient 12 701 et 9 334 euros soit environ deux à trois mois de charge, donc un retard dans le dépôt de la déclaration de cessation des paiements, d'un mois environ, ce qui n'est pas très significatif, ni en termes de faute, ni en termes de conséquence. Concernant les dettes fournisseurs, la société était très peu en retard de ses règlements surtout pour avoir traversé une période de fermeture Covid de près d'un an avec maintien de la plupart des charges fixes notamment de loyers. Ce reproche est d'autant plus mal venu que certains de ces créanciers ([19] et [16]) ont été réglés directement par le concluant et son épouse à titre personnel pour obtenir qu'ils continuent à servir.

La SELARL [17] ès-qualités rappelle que la procédure a été ouverte sur assignation du ministère public et que cette absence de déclaration a contribué à une augmentation du passif et à l'insuffisance d'actif puisque les dettes ont augmenté pendant la période suspecte.

Sur ce,

Il est établi que M. [K] n'a déposé aucune déclaration d'état de cessation des paiements et que l'ouverture de la procédure est uniquement due à une requête du Parquet.

La date d'état de cessation des paiements retenue par le tribunal a été fixée au 8 août 2020.

La date fixée est aujourd'hui définitive.

Au cours de la période suspecte, l'aggravation du passif s'élève à 80.867,54 euros ainsi décomposée:

- créance SCI [15] (bailleur sis [Adresse 1] [Localité 10]) loyers exigibles 10/2020 à 02/2022 = 11 394,08 €

- créance [T] (bailleur sis [Adresse 7] [Localité 9]) loyers exigibles 01/09/2021 à 02/2022 = 12 298,00 €

- [H] [U] (bailleur sis [Adresse 6] - [Localité 8] 01/10/2020) à 01/01/2022 = 13 214,93 €

- URSSAF impayés du 08/2020 à 01/2022 = 12 701,56 €

- PRS du 01/2020 à 12/2021 = 1 718,00 € CFE et du 08/2020 à 02/2022 = 7 616,00 € TVA

- DELTA GEL 12/2021 à 01/2022= 5 495,35 €

- DEMARNE 01/11/2021= 2 950,00 €

- EURORUNGIS 01/01/2021 au 31/12/2021= 411,97 €

- HIODEE 09/2020 à 10/2020= 5 328,01 €

- HPS 01/10/2021= 761,69 €

- LAURANCE UNION PRIMEURS 09/2020 à 10/2020 = 1 625,34 €

- LECA MAREE 01/2021 à 06/2021= 5 352,61 €

La cour relève en outre que durant cette période la société a perdu ses baux en raison du non-paiement de ses loyers et qu'aucune cession n'a pu dès lors être réalisée. M. [K] reconnaît d'ailleurs qu'il n'a engagé aucune action pour tenter de sauver ses baux.

Ainsi, au vu des éléments susvisés, il en résulte que l'absence de déclaration de cessation des paiements a contribué à l'insuffisance d'actif de la société [14].

La faute de gestion sera retenue.

2. Sur le défaut de remise de la liste des créanciers

M. [K] soutient que dès l'ouverture il a transmis tous les éléments réclamés par le liquidateur. Il ajoute que ce n'est pas une faute ouvrant à sanction, car elle n'est pas antérieure à l'ouverture de la procédure collective du 27 avril 2022.

La SELARL [17] ès-qualités, indique que malgré plusieurs relances faites au dirigeant, la liste des créanciers ne lui a pas été remise.

Sur ce,

Si le liquidateur affirme que la liste des créanciers ne lui a pas été remise, il n'est pas établi que ce défaut de remise a contribué à l'insuffisance d'actif de la société [14].

Cette faute de gestion ne sera pas retenue.

3. Sur le défaut de tenue de comptabilité

M. [K] soutient avoir eu des difficultés à pouvoir entièrement rémunérer son expert-comptable à certaines périodes mais il a toujours fait tenir ses comptes. Le mandataire produit d'ailleurs les comptes 2020 et 2021 en pièce 12. Il précise également que le comptable a été réglé avant l'ouverture de la procédure par M. [K] à titre personnel. Il soutient que le reproche n'est ni fondé ni prouvé. Même pendant la période d'observation et après la liquidation après l'ordonnance, il a continué à faire établir des comptes d'exploitation. Enfin et surtout, le retard dans le dépôt des comptes 2021 au greffe est indifférent au sujet de l'augmentation du passif avant l'ouverture de la procédure, la procédure a été ouverte le 7 février 2022, les comptes 2021 pouvaient être encore déposés jusqu'au juin 2022.Avant l'ouverture de la procédure collective du 7 février 2022, M. [K] n'avait donc aucun retard dans le dépôt de ses comptes clos au 31 décembre de l'an précédant au greffe

La SELARL [17] ès-qualités soutient que la société n'était pas à jour de sa comptabilité depuis 2019. Un expert-comptable a été missionné durant la période d'observation, afin de reconstituer la comptabilité inexistante. Toutefois, ce dernier a refusé d'attester les comptes 2020 en raison de :

- L'impossibilité d'imputer les encaissements en espèces : aucun livre de caisse n'ayant été établi pour ces périodes.

- Le compte courant associé du gérant présentait un solde débiteur de 10 710 €.

L'expert-comptable a également refusé d'attester les comptes 2021 pour lesquels le compte- courant d'associé du dirigeant présentait un solde débiteur de 25 936 €.

Pour la comptabilité 2022, elle n'a pas été reconstituée.

Sur ce,

Les articles L.123-12 à L.123-28 et R. 123-172 à R.123-209 du Code de commerce imposent aux commerçants personnes physiques et personnes morales la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal et d'un grand livre.

Les mouvements doivent être enregistrés chronologiquement au jour le jour et non en fin d'exercice, seuls les comptes annuels étant établis à la clôture de l'exercice. Les dirigeants sont responsables de la bonne tenue et l'établissement sincère et régulier de la comptabilité de la société

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société n'était pas à jour de sa comptabilité depuis 2019; qu'aucun livre de caisse n'a été trouvé mais qu'une caisse existait en 2021; que l'expert-comptable missionné durant la période d'observation n'a pas pu attester les comptes 2020, 2021 et 2022; et qu'aucune comptabilité n'existait en 2022.

La comptabilité produite par le liquidateur en pièce 7 et 8 (et non en pièce 12) sont les bilans 2020 et 2021 établis par l'expert-comptable en 2022 qui a été missionné par le mandataire aux fins de reconstituer la comptabilité manquante. M. [K] ne peut dès lors affirmer qu'il a tenu une comptabilité conformément aux obligations en vigueur.

Par ailleurs, la cour relève que ce n'est pas l'absence de dépôt des comptes au greffe qui est reproché à M. [K] mais l'absence de tenue régulière et conforme aux règles légales de la comptabilité.

Il en ressort que M. [K] a gravement manqué aux obligations comptables en s'abstenant de tenir régulièrement une comptabilité selon les dispositions en vigueur. Cette faute d'une particulière gravité a contribué à l'insuffisance d'actif, en privant la société d'un outil de gestion qui aurait permis à son dirigeant de percevoir l'évolution réelle de la situation financière de la société et de contrôler la rentabilité ou de déceler les difficultés que celle-ci ne pouvait plus surmonter notamment en agissant en justice pour préserver ses baux.

La faute de gestion sera retenue.

4. Sur le délit d'abus de biens sociaux

M. [K] soutient qu'il n'a commis aucun abus de bien social, et que le liquidateur a retenu une mauvaise lecture des bilans. Il affirme ainsi que le bilan clos au 31 décembre 2021 fait figurer un compte-courant créditeur de 25 936 euros mais aussi un compte courant débiteur de 5 967 euros, qu'il existe donc une dette de la société à l'égard des associés correspondant à la différence, 19 969 euros, au 31 décembre 2021, et qu'il importe peu que le compte [13] ait concerné l'autre associé comme retenu par le tribunal.

Même si les comptes 2022 n'ont pu être établis en conséquence de la liquidation, l'appelant affirme avoir financé seul et personnellement le payement des loyers pour lesquels il a obtenu un protocole de transaction du bailleur, ce qui n'a pas coûté un centime à la société, alors que les établissements avaient été fermés entre la décision de liquidation et l'ordonnance de suspension de l'exécution provisoire et qu'en conséquence il n'existait plus aucun moyen de payement pour la société accessible au dirigeant.

Il expose qu'il a de même, réglé personnellement depuis son compte NICKEL personnel, certains des créanciers à hauteur de 13 174.46 euros, qu'il a réglé des sommes personnellement au comptable, qu'il a avancé des frais de procédure qui ne sont pas entrés dans les comptes de la société, que le tribunal n'a pas état dans son jugement de ses efforts pourtant détaillés et justifiés en première instance choisissant de ne pas en tenir compte, ce qui n'est pas légitime en droit et encore moins dans une matière où le texte prévoit que le montant du comblement est apprécié non seulement en fonction du lien de causalité avec les fautes mais aussi au regard des circonstances particulières de l'affaire.

La SELARL [17] ès-qualités indique qu'en 2020 le compte courant de M. [K] était débiteur de 10 710 euros et en 2021 de 25.936 euros. Elle en conclut que M. [K] a commis un délit d'abus de biens sociaux qui est également une faute de gestion au sens de l'article L.651-2 du code de commerce.

Sur ce,

Il est interdit aux termes de l'article L.223-21 du code de commerce aux gérants ou associés de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers.

En l'espèce, il ressort des deux bilans 2020 et 2021 produits par les parties que la société [14] avait un résultat déficitaire sur ces deux années; que contrairement à ce qu'affirme M.[K], il disposait en 2021 d'un compte courant débiteur à hauteur de 25.936 euros alors que son autre associé en avait un créditeur de 5967 euros. Son compte courant étant comptabilisé dans les créances que détient la société [14]. La cour relève d'ailleurs que l'expert-comptable a refusé d'attester les comptes au motif 'qu'au 31 décembre 2020, le compte courant du gérant associé présente un solde débiteur de 10 710 euros' et 'qu'au 31 décembre 2021, le compte courant du gérant-associé présente un solde débiteur de 26k€'. C'est ainsi, de mauvaise foi, que M. [K] prétend que le liquidateur a retenu une mauvaise lecture des bilans et que son compte courant était en réalité créditeur.

Les rapports mentionnent également une caisse avec un solde 16 000 euros au 31 décembre 2021, correspondant essentiellement à des retraits d'espèces non justifiés.

Il n'est pas établi que M. [K] a remboursé la société.

S'il prétend avoir payé des dettes de la société en 2022, la cour relève d'une part que les paiements dits fournisseurs à hauteur de 4450 euros ne s'accompagnent d'aucune facture, de sorte que la cour ne peut apprécier s'il s'agit de paiements faits pour la société [14], d'autant plus que ces paiements sont postérieurs à la liquidation et datent de 2023. D'autre part, concernant le paiement de la dette relative au bailleur, la SCI [15], la cour relève qu'il s'agit d'un protocole d'accord contraire aux règles de procédure collective. La société [14] en liquidation judiciaire ne peut être représentée par M. [K] et ne peut s'engager à payer la dette d'un de ses créanciers au détriment du principe de l'égalité des créanciers. Ce protocole n'a donc aucune valeur légale.

Quant aux frais de justice, qu'il a lui-même engagé dans le cadre de la liquidation judiciaire aux fins de la contester (appel, incident...), ne sont pas des dettes de la société qu'il convient de lui rembourser.

Il en résulte que M. [K] a bien disposé des fonds de la société, sans la rembourser et a dès lors commis une faute de gestion contribuant à augmenter le passif à hauteur de 25.936 euros, montant de son compte courant débiteur.

5. Sur l'augmentation du passif postérieur à l'ouverture de la procédure

La SELARL [17] ès-qualités soutient que la société a généré des dettes postérieures à l'ouverture de la procédure pour a minima 36 899,95 €. Et elle souligne que malgré la création de dettes postérieures, M. [K] a interjeté appel du jugement de liquidation judiciaire ce qui a aggravé le passif de la société. En l'absence de règlement des loyers postérieurs à l'ouverture de la procédure, le juge-commissaire a constaté la résiliation du bail sis [Adresse 6] ' [Localité 8] en date du 19/11/2022 et du bail sis [Adresse 1] ' [Localité 10] en date du 09/01/2023, soit postérieurement à la liquidation judiciaire, ce qui n'a pas permis au liquidateur de céder ces fonds de commerce qui aurait permis de désintéresser une partie des créanciers. Elle indique à la cour que Monsieur [K] est propriétaire d'un appartement de type duplex, avec un garage et un parking acquis en 2007.

M. [K] ne répond pas sur ce point.

Sur ce,

Il est admis que la faute de gestion visée par l'article L.651-2 du code de commerce doit avoir été commise avant l'ouverture de la liquidation judiciaire qui autorise l'exercice de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Il en résulte que le liquidateur ne peut faire valoir des fautes postérieures à l'ouverture de la liquidation. Il en sera débouté.

6. Sur la sanction pécuniaire.

La sanction doit être proportionnée à la gravité des fautes retenues et non en fonction du patrimoine et des revenus du dirigeant fautif.

En l'espèce, il a été établi que M. [K] a commis trois fautes de gestion importantes qui ont contribué à l'insuffisance d'actif:

- l'absence de déclaration de cessation des paiements;

- l'absence de comptabilité régulière et conforme aux règles comptables;

- l'utilisation des fonds de la société comme les siens.

Dans le cadre d'une note en délibéré autorisée par la cour, M. [K] produit un contrat de travail, en tant que chef cuisinier, du 11 septembre 2023, pour une rémunération mensuelle brute de 2274 euros/mois. Il est également père de 7 enfants dont 6 à charge et dit être en plein divorce.

Eu égard, à la gravité des fautes de gestion reprochées, la cour confirme la condamnation de M. [K] au paiement de la somme de 75.530,84 euros au titre de la responsabilité pour l'insuffisance d'actif.

III. Sur la sanction professionnelle

La cour relève qu'elle est tenue par le dispositif des conclusions des parties. Aussi, dans ses conclusions, le liquidateur demande la confirmation du jugement et uniquement en cas d'annulation du jugement, une augmentation du quantum de la sanction professionnelle. A défaut d'annulation du jugement, la cour est liée à sa première demande.

M. [K] contestant toutes les fautes soulevées par le liquidateur, demande que le liquidateur soit débouté de sa demande d'interdiction de gérer ou de faillite personnelle.

La SELARL [17] ès-qualités considère qu'il n'apparaît pas que l'interdiction de gérer prononcée pour une durée de 4 ans soit excessive au regard des fautes reprochées.

Sur ce,

Aux termes de l'article L.653-4 du code de commerce, Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

Egalement, aux termes de l'article L.653-5 du code de commerce, Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : (...)

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

Et enfin, aux termes de l'article L.653-8 du code de commerce, Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.

Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

En l'espèce, M. [K] a sciemment omis de déclarer son état de cessation des paiements alors qu'il en avait connaissance puisqu'il reconnaît être dans l'impossibilité de payer les loyers.

Ce grief sera donc retenu au sens de l'article L.653-8 du code de commerce.

Quant au défaut de comptabilité, ce grief a été précédemment caractérisé, il sera donc retenu au sens de l'article L.653-5,6°précité.

Il en est de même de l'abus de bien social, en raison de son compte courant débiteur. Ce grief sera donc retenu au sens de l'article L.653-4 précité.

L'augmentation du passif postérieur ne sera en revanche pas retenue.

Quant au défaut de remise des renseignements en application de l'article L.622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture, la liste des créanciers n'a pas été remise par M. [K], de sorte que ce grief sera retenu.

Par conséquent, il y a lieu de confirmer la mesure d'interdiction de gérer prononcée par le tribunal pour une durée de 4 ans. Cette mesure n'est pas disproportionnée en raison des nombreux griefs retenus et de leur gravité.

Sur les autres demandes

Il est inéquitable de laisser le liquidateur supporter les frais irrépétibles engagés pour sa défense et il convient à ce titre de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle lui a accordé la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner M. [K] au paiement de la somme de 1500 euros au titre des frais engagés en appel par le liquidateur au visa du même article.

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur [K].

Par ces motifs,

La Cour,

Déboute M. [K] de ses demandes d'annulation du jugement;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 4 juin 2024 rendu par le tribunal de commerce de Meaux;

Y ajoutant,

Condamne M. [K] à verser à la SELARL [17] ès-qualités de liquidateur de la société [14] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Dit que les dépens seront à la charge de M. [K].

LA GREFFIERE LA CONSEILLERE POUR LA PRESIDENTE EMPECHEE

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