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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 octobre 2025, n° 22/03537

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Proxymarket Holding (SAS)

Défendeur :

My Auchan (SAS), Auchan Supermarche (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Vice-président :

M. Gouarin

Conseiller :

M. Douvreleur

Avocats :

Me Guyonnet, Me Syed, Me Teytaud, Me Fournier

T. com. Paris, du 8 déc. 2021, n° 202100…

8 décembre 2021

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

A compter de 2011, le groupe Auchan a entendu développer une activité de commerce de détail de proximité sous le concept A2Pas, exploité soit directement par la société My Auchan anciennement dénommée Sodipar, soit à travers un réseau de franchisés.

La société Auchan supermarché, anciennement dénommée ATAC, est chargée de l'approvisionnement des franchisés.

La société Proxymarket holding est dirigée par M. [C] [V].

Des contrats de franchise ont été conclus par la société My Auchan dans les conditions suivantes';

- le 8 janvier 2014 avec comme franchisé la société Proxymarket holding qui a acquis les parts de la société Eurodis le 14 mars 2014, laquelle s'est substituée à la société Proxymarket holding comme franchisé à compter de cette date, et avec la société Sedad comme associé, exploitant un magasin situé [Adresse 2] à [Localité 12] ouvert le 24 mars 2014,

- le 8 janvier 2014 avec comme franchisé la société Proxymartin et la société Proxymarket holding comme associé, exploitant un magasin situé [Adresse 4] à [Localité 9] ouvert le 20 février 2014,

- le 4 mai 2017 avec la société Proxysèvres comme franchisé et la société Proxymarket holding comme associé, exploitant un magasin situé [Adresse 1] à [Localité 11] ouvert le 11 décembre 2015,

- le 4 mai 2017 avec la société Proxycole comme franchisé et la société Proxymarket holding comme associé, exploitant un magasin situé [Adresse 3] à [Localité 10] ouvert le 20 janvier 2016.

Le 21 février 2019, un protocole d'accord a été conclu entre la société My Auchan et les sociétés Eurodis et Proxymarket holding.

Les 22 février, 31 janvier, 20 février et 18 mars 2019, les sociétés Proxymartin, Eurodis, Proxysèvres et Proxycole ont respectivement cédé leurs créances à l'égard de la société My Auchan au profit de la société Proxymarket holding.

Le 12 avril 2019, la société Proxymarket holding a informé la société My Auchan de ces cessions de créances.

Estimant que la société My Auchan avait commis un dol à l'encontre des sociétés Eurodis, Proxymartin, Proxycole et Proxysèvres lors de la conclusion des contrats de franchise et que le réseau de franchise n'était pas rentable, la société Proxymarket holding a, respectivement les 29 avril, 21 avril et 6 mai 2019, assigné les sociétés My Auchan et Auchan supermarché devant le tribunal de commerce de Paris aux fins, notamment, de voir condamner solidairement celles-ci au paiement de diverses sommes au titre de la restitution des redevances de franchise versées et des investissements réalisés.

Par jugement du 8 décembre 2021 rectifié le 1er juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a':

- joint les affaires 2019/025712, 2019/025714, 2019/027788 et 2019/27793,

- dit que les demandes de la société Proxymarket holding sont recevables,

- débouté la société Proxymarket holding de sa demande d'indemnité pour dol relative aux quatre contrats de franchise souscrits par Eurodis, Proxymartin, Proxycole et Proxysèvres,

- condamné la société Proxymarket holding à payer solidairement aux sociétés My Auchan et Auchan supermarché en deniers ou quittances la somme de 195.852,58 euros au titre des impayés,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné la société Proxymarket holding à payer solidairement aux sociétés My Auchan et Auchan supermarché la somme de 8.000 euros à titre d'indemnité de procédure,

- condamné la société Proxymarket holding aux dépens dont les frais de greffe liquidés à la somme de 91,98 euros TTC.

Selon déclaration au greffe du 25 février 2022, la société Proxymarket holding a relevé appel de cette décision.

Par conclusions n°4 du 16 juin 2025, l'appelante, outre des demandes de «'juger'» ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, de la déclarer recevable et bien-fondée en toutes ses demandes, de juger irrecevables et de rejeter toutes les demandes principales et reconventionnelles formées par les intimées, en conséquence, de juger que ses demandes relatives aux préjudices subis par le magasin Proxymartin et la société Eurodis ne sont pas prescrites et de déclarer irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par les intimées, de déclarer irrecevables comme nouvelles en appel la demande de nullité de la cession des titres de la société Eurodis du 28 septembre 2021, la demande de donner avis sans délai au procureur de la République de l'inexactitude de la déclaration de bénéficiaire effectif réalisé par MM. [V] et [Z] [D] et la société Eurodis ainsi que la demande de paiement de la somme de 173.800 euros au titre de l'application de la clause pénale prévue à l'article 17.3 du contrat de franchise relatif au magasin Proxymartin.

Subsidiairement, la société Proxymarket holding demande à la cour de débouter les intimées de leur demande de nullité de la cession des titres de la société Eurodis du 28 septembre 2021, de leur demande de donner avis sans délai au procureur de la République de l'inexactitude de la déclaration de bénéficiaire effectif réalisé par MM. [V] et [Z] [D] et la société Eurodis ainsi que de leur demande de paiement de la somme de 173.800 euros au titre de l'application de la clause pénale prévue à l'article 17.3 du contrat de franchise relatif au magasin Proxymartin.

L'appelante sollicite, au titre des gains manqués et des pertes de chance, la condamnation de la société My Auchan à lui payer la somme de 975.000 euros correspondant au préjudice subi au titre du magasin Proxymartin avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de l'acte introductif, celle de 1.638.000 euros correspondant au préjudice subi au titre du magasin Eurodis avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de l'acte introductif, celle de 1.511.000 correspondant au préjudice subi au titre du magasin Proxysèvres avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de l'acte introductif et celle de 1.958.000 euros correspondant au préjudice subi au titre du magasin Proxycole avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter de l'acte introductif.

L'appelante demande, au titre du manque à gagner sur la valeur des fonds de commerce, la condamnation de la société My Auchan au paiement de la somme de 403.093 euros correspondant au préjudice subi au titre du manque à gagner sur la valeur du fonds de commerce du magasin Proxymartin, celle de 560.532 euros correspondant à la perte de valeur du fonds de commerce du magasin Eurodis, celle de 823.130 euros correspondant à la perte de valeur du fonds de commerce du magasin Proxysèvres et celle de 921.440 euros correspondant à la perte de valeur du fonds de commerce du magasin Proxycole.

En tout état de cause, la sopciété Proxymarket holding entend voir condamner les intimées à lui payer la somme de 100.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions n°5 du 14 avril 2025, les sociétés My Auchan et Auchan supermarché demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les demandes formées par la société Proxymarket holding, statuant à nouveau, de déclarer ces demandes irrecevables comme prescrites et faute de droit d'agir de l'appelante.

Subsidiairement, elles demandent à la cour, outre des demandes de «'juger'» ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, de juger nulle la cession des titres de la société Eurodis par la société Proxymarket à la société holding Eurodis intervenue en 2021 en fraude du droit de préemption de la société My Auchan stipulé à l'annexe 11 du contrat de franchise concernant le magasin Eurodis, en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Proxymarket holding de sa demande d'indemnité pour dol relative aux quatre contrats de franchise en cause, d'infirmer ce jugement quant aux sommes dues par la société Proxymarket holding en raison de l'évolution du litige et, statuant à nouveau, de les déclarer recevables et bien fondées en l'ensemble de leurs prétentions, de déclarer irrecevable et de débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes principales, subsidiaires et reconventionnelles, de condamner la société Proxymarket holding, solidairement avec la société Eurodis, à payer à la société My Auchan la somme de 210.922,70 euros TTC au titre des factures échues, assortie de la pénalité contractuelle de retard calculée sur la base de trois fois le taux d'intérêt légal, majoré de la TVA, à compter de l'échéance de chaque facture et des intérêts à compter de la mise en demeure du 18 avril 2023 et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, soit la somme de 23.560 euros TTC, celle de 57.904,70 euros TTC au titre du remboursement du budget d'ouverture et celle de 116.840,42 euros TTC au titre de la perte de redevances.

En tout état de cause, les intimées demandent à la cour de donner avis sans délai au procureur de la République de l'inexactitude de la déclaration de bénéficiaire effectif réalisée par MM. [V] et [D] et la société Eurodis et de transmettre à celui-ci tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs, en particulier les pièces des concluantes n°85 à 88 et de condamner l'appelante à leur verser la somme de 100.000 euros chacune à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de leur conseil.

Par conclusions n°6 du 4 juillet 2025, les sociétés My Auchan et Auchan supermarché demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les demandes formées par la société Proxymarket holding, statuant à nouveau, de déclarer ces demandes irrecevables comme prescrites et faute de droit d'agir de l'appelante.

Subsidiairement, elles demandent à la cour, outre des demandes de «'juger'» ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, de déclarer irrecevable comme nouvelle en appel la demande de la société Proxymarket holding relative au manque à gagner sur la valeur des fonds de commerce des magasins Proxymartin, Eurodis, Proxysèvres et Proxycole, de juger nulle la cession des titres de la société Eurodis par la société Proxymarket à la société holding Eurodis intervenue en 2021 en fraude du droit de préemption de la société My Auchan stipulé à l'annexe 11 du contrat de franchise concernant le magasin Eurodis, en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Proxymarket holding de sa demande d'indemnité pour dol relative aux quatre contrats de franchise en cause, d'infirmer ce jugement quant aux sommes dues par la société Proxymarket holding en raison de l'évolution du litige et, statuant à nouveau, de les déclarer recevables et bien fondées en l'ensemble de leurs prétentions, de déclarer irrecevable et de débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes principales, subsidiaires et reconventionnelles, de condamner la société Proxymarket holding, solidairement avec la société Eurodis, à payer à la société My Auchan la somme de 210.922,70 euros TTC au titre des factures échues, assortie de la pénalité contractuelle de retard calculée sur la base de trois fois le taux d'intérêt légal, majoré de la TVA, à compter de l'échéance de chaque facture et des intérêts à compter de la mise en demeure du 18 avril 2023 et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, soit la somme de 23.560 euros TTC, celle de 57.904,70 euros TTC au titre du remboursement du budget d'ouverture et celle de 116.840,42 euros TTC au titre de la perte de redevances.

En tout état de cause, les intimées demandent à la cour de donner avis sans délai au procureur de la République de l'inexactitude de la déclaration de bénéficiaire effectif réalisée par MM. [V] et [D] et la société Eurodis et de transmettre à celui-ci tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs, en particulier les pièces des concluantes n°85 à 88 et de condamner l'appelante à leur verser la somme de 100.000 euros chacune à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de leur conseil.

La mise en état a été clôturée le 7 juillet 2025.

Par conclusions du 24 juillet 2025, la société Proxymarket holding a demandé au à titre principal de révoquer l'ordonnance de clôture et de fixer une nouvelle date de clôture équivalente ou postérieure à celle de signification de ses conclusions sur le fond signifiées le même jour. Subsidiairement, elle a demandé de rejeter des débats les conclusions signifiées par les intimées le 4 juillet 2025.

Le 24 juillet 2025, l'appelante a signifié de nouvelles conclusions sur le fond.

Par conclusions du 26 août 2025, les intimées ont demandé de rejeter la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, d'écarter des débats les conclusions signifiées le 24 juillet 2025, de déclarer recevables leurs conclusions du 4 juillet 2025 et de condamner l'appelante aux dépens de l'incident.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.

MOTIVATION

1. Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et la recevabilité des dernières conclusions

Aux termes de l'article 914-4 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue'; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l'instruction, l'ordonnance de clôture n'est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout.

L'ordonnance de clôture peut être révoquée d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats, par décision du tribunal.

En l'espèce, l'appelante ne justifie de la survenance d'aucune cause grave depuis le prononcé de l'ordonnance de clôture, le 7 juillet 2025.

La demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par la société Proxymarket holding sera donc rejetée.

Les conclusions sur le fond signifiées par l'appelante le 24 juillet 2025 seront donc déclarées irrecevables car tardives comme ayant été déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture, en application des dispositions de l'article 914-3 du code de procédure civile.

Les conclusions n°6 remises en réplique aux conclusions n°4 déposées le 16 juin 2025 par l'appelante, ont été signifiées le vendredi 4 juillet 2025, soit trois jours dont deux non utiles avant le prononcé de l'ordonnance de clôture le lundi 7 juillet 2025, comportent sept pages supplémentaires par rapport au jeu de conclusions n°5 signifiées le 14 avril 2025 sans que les nouveaux moyens invoqués ne soient présentés de manière formellement distincte comme exigé par l'article 954 du code de procédure civile.

Ainsi, l'appelante n'a pas été en mesure de prendre connaissance et de s'expliquer, le cas échéant, sur ces développements supplémentaires, de sorte que le principe de la contradiction prévu par l'article 16 du code de procédure civile n'a pas été respecté.

A cet égard, il importe peu que l'appelante n'ait pas sollicité en temps utile le report de la clôture, étant relevé que la jurisprudence citée par les intimées s'applique exclusivement aux conclusions d'appel incident prévues à l'article 550 du code de procédure civile (Chambre mixte, 3 février 2006, n°03-16.203).

Les conclusions n°6 signifiées le 4 juillet 2025 par les intimées seront donc déclarées irrecevables.

2. Sur la recevabilité des demandes de la société Proxymarket holding

2-1 Sur la recevabilité des fins de non-recevoir

Les fins de non-recevoir pouvant être invoquées en tout état de cause en vertu de l'article 123 du code de procédure civile et le principe de concentration des prétentions prévu à l'article 910-4 ancien du même code ne s'appliquant qu'aux prétentions sur le fond, les fins de non-recevoir tirées par les intimées du défaut de qualité à agir de l'appelante et de la prescription des demandes indemnitaires formées par cette dernière concernant les sociétés Proxymartin et Eurodis seront déclarées recevables.

2.2 Sur le défaut de qualité à agir

Les intimées soutiennent au visa des articles 31 et 32 du code de procédure civile que les demandes indemnitaires fondées sur le dol formées par l'appelante sont irrecevables au motif que la société Proxymarket holding n'a pas qualité pour agir faute d'être la victime du dol invoqué et en l'absence de tout litige concernant un éventuel dol à la date des cessions de créances au profit de celle-ci. Elles exposent qu'aucune réclamation n'avait été formulée par les franchisés avant la date des assignations, que les créances invoquées n'ont pas fait l'objet d'écriture comptable et que le prix de cession de ces créances est dérisoire par rapport au montant des demandes formées dans le cadre de la présente instance.

L'appelante répond qu'elle forme une demande indemnitaire et non en nullité des contrats de franchise.

Réponse de la Cour

Selon l'article 1321 du code civil, la cession de créance peut porter sur une ou plusieurs créances présentes ou futures, déterminées ou déterminables, de sorte que l'absence de réclamation des franchisés antérieurement aux cessions de créances en cause ne prive pas le cessionnaire de sa qualité à agir.

Il résulte de ces dispositions que la cession de créance a pour effet d'emporter de plein droit transfert de tous les accessoires de ladite créance, notamment des actions en justice qui lui sont attachées.

Les actes de cession de créances conclus entre les sociétés Eurodis, Proxysèvres, Proxymartin, Proxycole et la société Proxymarket holding, dont la régularité et l'opposabilité ne sont pas discutées par les intimées, mentionnent que ces cessions portent sur toutes les créances détenues par les sociétés cédantes, franchisées, à l'encontre des sociétés My Auchan, franchiseur, et Auchan supermarché dont le fait générateur est antérieur à la cession de leurs titres.

Ainsi, les cessions de créances en cause portent sur des créances futures ou éventuelles suffisamment identifiées.

À cet égard, il importe peu que les créances cédées n'aient pas donné lieu à des réclamations de la part du cédant antérieurement à leur cession, que les créances cédées ne figurent pas dans la comptabilité des cédants et que le prix de la cession de créances ne corresponde pas à l'intégralité du montant des créances cédées, ce prix résultant de la libre négociation entre les parties et une créance pouvant être cédée à titre gratuit en vertu des dispositions précitées.

Il résulte des articles 1615 et 1692 anciens et 1321 dans sa rédaction issue du décret n°2016-131 du 10 février 2016 applicable au litige que la cession de créance transfère au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée et, notamment, sauf stipulation contraire, l'action en responsabilité contractuelle ou délictuelle, qui en est l'accessoire, fondée sur la faute antérieure d'un tiers, dont est résultée la perte ou la diminution de la créance, à l'exclusion des actions extra-patrimoniales, incessibles ou strictement personnelles au cédant (Civ. 1, 24 octobre 2006, n°04-10.231).

L'action en nullité relative pour dol étant réservée à celui des contractants dont le consentement a été vicié, l'acquéreur à titre particulier d'un bien est sans qualité pour engager une action en nullité à raison du dol dont aurait été victime le vendeur, en dépit de la subrogation générale qu'il détient en vertu des actes de vente (Civ. 3, 18 oct. 2005, n°04-16.832).

En l'espèce, l'action indemnitaire engagée par la société Proxymarket holding, fondée tant sur les articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce que sur les articles 1134, devenu 1112-1 du code civil et 1116 du même code dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable au litige, tend à la réparation du préjudice causé par une réticence dolosive et s'analyse ainsi en une action strictement personnelle aux cédants en ce qu'elle est réservée à celui des contractants dont le consentement a été vicié.

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point et, la cour statuant à nouveau, les demandes formées par la société Proxymarket holding seront déclarées irrecevables.

3. Sur la recevabilité de certaines des demandes des sociétés My Auchan et Auchan supermarché

Moyens des parties

L'appelante soutient que les demandes reconventionnelles des intimées tendant à l'annulation de la cession des titres de la société Eurodis et à la transmission d'un avis au ministère public sur l'inexactitude de la déclaration de bénéficiaire effectif de la société Eurodis sont irrecevables en ce qu'elles n'ont aucun lien avec l'instance en cours et les prétentions des intimées et qu'elles concernent des entités non parties à l'instance.

Les intimées répondent que ses demandes reconventionnelles sont recevables au regard des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile car faisant suite à la révélation en cours de procédure de la cession des titres de la société Eurodis au profit de la société holding Eurodis dirigée par M. [D] en violation de son droit de préemption figurant au contrat de franchise.

Réponse de la cour

Si les demandes reconventionnelles sont recevables en appel en vertu de l'article 567 du code de procédure civile, de telles demandes ne sont recevables, selon l'article 70, que si elles se rattachent aux prétentions initiales par un lien suffisant.

Or, en l'espèce, les demandes reconventionnelles des intimées tendant à l'annulation de la cession des titres de la société Eurodis intervenue en 2021 au profit de la société holding Eurodis et à la transmission d'un avis au ministère public sur l'inexactitude de la déclaration de bénéficiaire effectif de la société Eurodis faite par le dirigeant de cette dernière ne se rattachent pas aux prétentions originaires par un lien suffisant dès lors que ladite cession de titres, non produite, a été conclue au profit d'une société non partie à l'instance et que l'éventuelle inexactitude de la déclaration de bénéficiaire effectif de la société Eurodis n'a pas de lien avec les demandes relatives aux contrats de franchise en cause.

Ces demandes seront donc déclarées irrecevables.

4. Sur les demandes reconventionnelles des sociétés My Auchan et Auchan supermarché

Moyens des parties

Concernant le magasin situé [Adresse 13] à [Localité 12], les intimées soutiennent que la société Eurodis, compte tenu d'une résolution injustifiée et abusive du contrat de franchise, leur est redevable de diverses sommes au titre des factures de marchandises impayées, au titre du solde non amorti des participations de mise au concept et au titre de la perte des redevances jusqu'au terme initial du contrat.

La société Proxymarket holding fait valoir qu'elle n'est pas tenue des dettes de la société Eurodis, qu'aucune solidarité n'existe entre M. [V] et la société Eurodis, que la société My Auchan n'ayant pas répondu à la lettre conforme de notification de la cession et n'ayant par conséquent pas exercé son droit de préemption, ses prétentions sont infondées.

Réponse de la Cour

En premier lieu, le 8 janvier 2014, la société My Auchan a conclu un contrat de franchise avec comme franchisé la société Proxymarket holding qui a acquis les parts de la société Eurodis le 14 mars 2014, laquelle s'est substituée à la société Proxymarket holding comme franchisé à compter de cette date, et avec la société Sedad comme associé, exploitant un magasin situé [Adresse 2] à [Localité 12].

Il s'ensuit que la société Proxymarket holding n'est redevable, ni en qualité de franchisé ni en qualité d'associé, des sommes dues au titre de ce contrat de franchise et de l'exploitation de ce magasin depuis le 14 mars 2014.

Or aucune des pièces produites par les intimées n'est de nature à établir que des redevances ou des marchandises commandées et livrées sur la période antérieure au 14 mars 2014 demeurent impayées.

Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le protocole d'accord transactionnel du 21 février 2019, s'il est signé par la société Proxymarket holding, comprend des stipulations concernant le magasin de la [Adresse 13] prévoyant la compensation des sommes réciproquement dues par les sociétés My Auchan et Eurodis sans mettre aucune obligation à la charge de la société Proxymarket holding à ce titre (pièce 34 intimées, page 5).

Le 23 juillet 2018, un contrat de franchise concernant ce même magasin entre les sociétés Eurodis et My Auchan afin de le faire passer sous l'enseigne My Auchan a été signé seulement par M. [V] après suppression manuscrite de la mention prévoyant son engagement solidarité en sa qualité d'associé, sans avoir été signé par la société My Auchan.

C'est à tort que le tribunal a retenu qu'en vertu du protocole d'accord transactionnel du 21 février 2019 «'le contrat par lequel Eurodis adhère au réseau My Auchan, non signé par My Auchan du fait des mentions manuscrites du franchisé (réduisant de fait les engagements de l'associé) trouvait sa pleine validité hors ces mentions'»

En effet, aucune des stipulations du protocole d'accord transactionnel du 21 février 2019 ni des pièces produites ne permet d'affirmer, comme le font les intimées, que «'dans le cadre [de ce protocole] seul le contrat My Auchan était désormais applicable, dans sa version d'origine, sans les mentions manuscrites de M. [V]'».

Ainsi, les sociétés My Auchan et Auchan supermarché échouent à établir que la société Proxymarket holding est solidairement tenue des sommes dont serait redevable la société Eurodis au titre de l'exploitation du magasin situé [Adresse 2] à [Localité 12] ou de la résiliation du contrat de franchise concernant ce magasin.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Proxymarket holding à payer solidairement aux sociétés My Auchan et Auchan supermarché la somme de 14.403,17 euros et, la cour statuant à nouveau de ce chef, les intimées seront déboutées de toutes leurs demandes reconventionnelles concernant les sommes dues au titre de l'exploitation du magasin du [Adresse 2] à [Localité 12] et de la résiliation du contrat de franchise relatif à ce magasin.

En second lieu, il est relevé que les sociétés My Auchan et Auchan supermarché ne forment plus à hauteur d'appel aucune demande à l'encontre de la société Proxymarket holding au titre du magasin Proxysèvres.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Proxymarket holding à payer solidairement aux sociétés My Auchan et Auchan supermarché la somme de 181.449,41 euros.

5. Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.

La société Proxymarket holding, qui succombe en ses demandes principales, sera condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée à payer aux sociétés My Auchan et Auchan supermarché, unies d'intérêts, la somme globale de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 7 juillet 2025';

Déclare irrecevables les conclusions n°6 signifiées par les intimées le 4 juillet 2025';

Déclare irrecevables les conclusions signifiées par l'appelante le 24 juillet 2025';

Déclare recevables les fins de non-recevoir soulevées par les sociétés My Auchan et Auchan supermarché tirées du défaut de qualité et intérêt à agir de la société Proxymarket holding et de la prescription des demandes indemnitaires formées par celle-ci concernant les sociétés Proxymartin et Eurodis';

Infirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens';

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes formées par la société Proxymarket holding';

Déclare irrecevables les demandes reconventionnelles des sociétés My Auchan et Auchan supermarché tendant à l'annulation de la cession des titres de la société Eurodis intervenue en 2021 au profit de la société holding Eurodis et à la transmission d'un avis au ministère public sur l'inexactitude de la déclaration de bénéficiaire effectif de la société Eurodis';

Rejette toutes les demandes formées par les sociétés My Auchan et Auchan supermarché à l'encontre de la société Proxymarket holding concernant les sommes dues au titre de l'exploitation du magasin du [Adresse 2] à [Localité 12] et de la résiliation du contrat de franchise relatif à ce magasin';

Condamne la société Proxymarket holding aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Me François Teytaud, de l'AARPI Teytaud-Saleh, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer aux sociétés My Auchan et Auchan supermarché la somme globale de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

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