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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 octobre 2025, n° 25/00966

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Solustil (SA), Stalobrex (Sté)

Défendeur :

Trane Technologies International Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouarin

Conseillers :

M. Richaud, Mme Ranoux-Julien

Avocats :

Me Tiourtite, Me Raducault, SCP GRV Associes, Me Ceccalo

Paris, du 15 févr. 2023, n° 20/18966

15 février 2023

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La société anonyme à conseil d'administration Solustil est spécialisée dans la production de tôleries industrielles et des équipements y afférents.

La société de droit étranger Stalobrex Limited Liability Company (la société Stalobrex), dont l'intégralité des parts sociales est détenue par la société Solustil, a pour activité la production de sous-ensembles pour la fabrication de machines agricoles, pour travaux publics, chariots élévateurs, voitures et autres constructions en acier ainsi que des services d'oxydécoupage, de découpage plasma, de traitement mécanique, de pliage, de soudage et de découpage laser.

La société de droit étranger Trane Technologies International Limited (la société TTI), anciennement dénommée Ingersoll Rand International, est spécialisée dans l'industrie du chauffage, de la ventilation et de la climatisation ainsi que dans la conception d'outils pneumatiques et hydrauliques et de produits pour le blindage des rayonnements radiofréquence, champs électromagnétiques et électrostatiques.

Les sociétés Solustil et Ingersoll Rand International sont entrées en relation d'affaires en 2009.

Par acte sous signature privée du 25 octobre 2017 intitulé «'Master Procurement Agreement'», la société Ingersoll Rand International a confié à la société Solustil la production dans son usine située à [Localité 4] des éléments métalliques du refroidisseur CGAX (l'activité CGAX) effectuée jusqu'alors dans son usine située à [Localité 3], pour une durée de trois ans.

Suivant courriel du 28 novembre 2017, la société Ingersoll Rand International a informé la société Solustil de sa décision de «'réintégrer temporairement'» l'activité CGAX pour la période du premier trimestre 2018 dans son usine de [Localité 3], décision confirmée lors d'une rencontre entre les parties le 11 décembre suivant.

Le 11 avril 2018, les parties ont convenu que les produits CGAX en stock au sein de la société Solustil seraient livrés et facturés à la société Ingersoll Rand International jusqu'en juillet 2018.

Estimant abusive la rupture de leurs relations commerciales, la société Solustil a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 8 avril 2019, mis en demeure la société Ingersoll Rand International d'indemniser son préjudice à hauteur de la somme de 3.245.690 euros.

Le 29 juillet 2019, la société Solustil a assigné la société Ingersoll Rand International devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins, notamment, de voir condamner cette dernière à réparer le préjudice résultant pour elle de la rupture abusive de leur relation commerciale et pour résiliation contractuelle fautive.

Par jugement du 30 novembre 2020, le tribunal de commerce de Lyon':

- s'est déclaré compétent pour juger du litige,

- a condamné la société Ingersoll Rand International à payer à la société Solustil la somme de 483.552 euros au titre de la perte de marge brute pendant le délai de préavis de huit mois non respecté,

- a débouté la société Solustil du surplus de ses demandes,

- a condamné la société Ingersoll Rand International à payer à la société Solustil la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité de procédure,

- a ordonné l'exécution provisoire de sa décision,

- a condamné la société Ingersoll Rand International aux entiers dépens de l'instance.

Selon déclaration du 18 décembre 2020, la société TTI a relevé appel de cette décision.

Le 3 juin 2021, la société Stalobrex est intervenue volontairement à l'instance.

Par arrêt du 15 février 2023, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Ingersoll Rand International, devenue la société TTI, à payer à la société Solustil la somme de 483.552 euros au titre de la perte de marge brute pendant

le délai de préavis de huit mois non respecté, celle de 5.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens, l'a confirmé pour le surplus et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant, a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la société Stalobrex, débouté la société TTI de sa fin de non-recevoir tirée du principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, débouté la société Solustil de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société TTI venant aux droits de la société Ingersoll Rand International, condamné la société Solustil aux dépens de première instance et d'appel, à payer à la société TTI la somme de 10.000 euros à titre d'indemnité de procédure et a rejeté toute autre demande.

Par arrêt du 16 octobre 2024, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la société Stalobrex Limited Liability Company et a renvoyé l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Le 9 décembre 2024, les sociétés Solustil et Stalobrex ont saisi cette cour statuant comme cour de renvoi.

Par conclusions n°1 du 20 février 2025, les sociétés Solustil et Stalobrex demandent à la cour d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté la société Solustil du surplus de ses demandes, de déclarer recevable la demande d'indemnisation formée par celle-ci, de déclarer recevable l'intervention volontaire de la société Stalobrex, statuant à nouveau, de juger que la société Ingersoll Rand a rompu de mauvaise foi le contrat conclu le 25 octobre 2017, d'écarter la clause 33-1 du contrat conclu le 25 octobre 2017 considérant la faute lourde commise par la société Ingersoll Rand, de réputer non écrite la clause 33-1 du contrat conclu le 25 octobre 2017 en ce qu'elle vide de sa substance l'obligation essentielle de la société Ingersoll Rand, de condamner en conséquence la société Ingersoll Rand à verser à la société Solustil la somme de 2.175.972 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables sur le contrat à durée déterminée conclu le 25 octobre 2017 jusqu'au 31 août 2020, de juger que les sociétés Stalobrex et Ingersoll Rand ont entretenu des relations commerciales établies entre les années 2004 et 2018, de juger qu'eu égard à la nature et la durée de ces relations d'affaires la durée du préavis précédant la rupture des relations commerciales aurait dû être de vingt-quatre mois, de juger que la société Ingersoll Rand a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Stalobrex, de fixer en conséquence le préjudice de la société Stalobrex à la perte de marge sur coûts variables sur la totalité du préavis de vingt-quatre mois non respecté par la société Ingersoll Rand et de condamner cette dernière à payer à la société Stalobrex la somme de 615.211 euros, montant à parfaire, au titre de la perte de marge sur coûts variables pendant le délai de préavis de vingt-quatre mois non respecté et, en tout état de cause, de condamner la société Ingersoll Rand à leur verser la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.

Par conclusions n°1 du 20 juin 2025, la société TTI demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes d'indemnisation formées par la société Solustil, subsidiairement, de les juger mal fondées, de déclarer irrecevables les demandes de la société Stalobrex, subsidiairement, de les déclarer mal fondées et de les rejeter et, en tout état de cause, de condamner les sociétés Solustil et Stalobrex à lui payer la somme de 15.000 euros chacune à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.

La mise en état a été clôturée le 10 septembre 2025 à 10 heures.

Suivant conclusions n°2 du 10 septembre 2025 à 15 heures 57, les sociétés Solustil et Stalobrex ont déposé de nouvelles conclusions sur le fond et communiqué trois nouvelles pièces n°31 à 34.

Par conclusions n°3 du 19 septembre 2025, les sociétés Solustil et Stalobrex demandent à la cour de révoquer l'ordonnance de clôture prononcée le 10 septembre 2025 et de prononcer la clôture à la date d'ouverture des débats le 24 septembre 2025 et reprennent leurs précédentes conclusions au fond.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.

MOTIFS

1. Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et la recevabilité des conclusions déposées par les sociétés Solustil et Stalobrex les 10 et 19 septembre 2025.

Moyens des parties

Les sociétés Solustil et Stalobrex exposent que':

- le 10 septembre à 9h19, la société Stalobrex, par l'intermédiaire de M. [B] [K], a communiqué à ses conseils des éléments et pièces complémentaires afin de répliquer aux conclusions de l'intimée'; que ces éléments ont été préalablement sollicités par M. [T] auprès de ses interlocuteurs de la société Stalobrex, laquelle est une société de droit polonais située en Pologne, de sorte que la transmission d'informations a pris un certain délai allongé durant la période estivale';

- que les concluantes n'ont eu d'autre choix que de notifier leur second jeu de conclusions et leurs trois nouvelles pièces n°31 à 33 le 10 septembre à 15h57, après la clôture de la mise en état';

- que les pièces 31 et 32 visent à répondre au grief de l'intimée selon lequel la société Solustil serait à l'origine de la rupture des relations commerciales entre les parties, de sorte que les demandes de la société Stalobrex devraient être rejetées, au motif que M. [T] n'aurait pas répondu à deux appels d'offres'; que la pièce n°33 contient l'historique des différentes gammes de produits facturées par la société Stalobrex à la société Ingersoll Rand entre 2004 et 2018 ainsi que le chiffre d'affaires réalisé par la société Stalobrex sur cette période'; que la production de cette pièce est donc cruciale en ce qu'elle permet d'étayer le préjudice subi par la société Stalobrex';

- que ces nouveaux éléments sont déterminants dans la solution du litige et leur admission permettrait d'assurer le principe du contradictoire, de sorte qu'ils constituent une cause grave de révocation de l'ordonnance de clôture.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 914-4 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue'; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l'instruction, l'ordonnance de clôture n'est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout.

L'ordonnance de clôture peut être révoquée d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats, par décision du tribunal.

En l'espèce, les appelantes ne justifient de la survenance d'aucune cause grave depuis le prononcé de l'ordonnance de clôture, le 10 septembre 2025.

En effet, ne saurait constituer une cause grave survenue depuis le prononcé de la clôture de la mise en état la transmission tardive, au demeurant non établie, le 10 septembre 2025 par les sociétés appelantes à leur conseil de trois pièces nouvelles consistant en un article de presse paru en 2017, la réponse à un appel d'offres de 2018 et l'historique des commandes passées par la société Ingersoll Rand à la société Stalobrex entre 2004 et 2018 dont, compte tenu de leur date, disposaient les appelantes antérieurement à la clôture de la mise en état le 10 septembre 2025 et qui pouvaient être transmises avant cette date en réponse aux conclusions de l'intimée déposées le 20 juin 2025.

La demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par les sociétés Solustil et Stalobrex sera donc rejetée.

Les conclusions sur le fond signifiées par les appelantes les 10 et 19 septembre 2025 ainsi que les pièces n°31 à 34 seront donc déclarées irrecevables car tardives comme ayant été déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture, en application des dispositions de l'article 914-3 du code de procédure civile.

2. Sur la recevabilité des prétentions de la société Solustil

Moyens de parties

La société TTI soutient que les demandes formées par la société Solustil devant la cour de renvoi sont irrecevables en ce qu'elles tendent à remettre en cause des dispositions non atteintes par la cassation de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 15 février 2023, dès lors que la société Solustil sollicite la même indemnisation, fondée sur la même cause, à savoir la rupture du contrat conclu le 25 octobre 2017, à l'encontre de la même partie.

La société Solustil réplique qu'il résulte de la combinaison des articles 565, 566, 625 alinéa 1er et 633 du code de procédure civile que, devant la cour d'appel de renvoi après cassation, les prétentions nouvelles sont recevables si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, ou si elles en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Elle expose qu'en première instance elle sollicitait l'indemnisation de son préjudice tiré de la rupture anticipée du contrat du 25 octobre 2017 au motif que la clause de résiliation ne lui était pas opposable car potestative et créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties mais que, devant la cour de renvoi, elle entend engager la responsabilité de la société TTI pour rupture anticipée du même contrat au motif que la clause de résiliation vide de sa substance l'obligation essentielle de cette dernière sur le fondement de l'article 1170 du code civil, que cette demande tend aux mêmes fins que sa demande présentée en première instance et présente une finalité identique consistant en l'indemnisation de son préjudice causé par la rupture anticipée dudit contrat.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 632 du code de procédure civile, les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions.

Suivant l'article 633, la recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée.

Selon l'article 638, l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi, à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

S'il résulte de la combinaison des articles 565, 566, 625, alinéa 1, et 633 du code de procédure civile que devant la cour d'appel de renvoi après cassation, les prétentions nouvelles sont recevables si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, ou si elles en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire et s'il appartient, dès lors, à la cour d'appel de renvoi après cassation de rechercher, même d'office, si les demandes qui lui sont soumises ne tendent pas aux mêmes fins que la demande initiale sur laquelle il avait été statué par le chef de l'arrêt atteint par la cassation ou n'en constituent pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire (Civ. 2, 28 mars 2024, n°22-13.419), une telle faculté de former des prétentions nouvelles et d'invoquer des moyens nouveaux ne porte que sur les dispositions atteintes par la cassation.

Or, devant la cour de renvoi, la société Solustil forment des demandes indemnitaires à l'encontre de la société TTI, alors que, par arrêt du 16 octobre 2024, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par cette cour le 15 février 2023 mais seulement en ce qu'il avait déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la société Stalobrex et non en ce qu'il avait partiellement infirmé le jugement entrepris, avait débouté la société Solustil de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société TTI et avait condamné celle-ci aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure, de sorte que ces chefs de l'arrêt en cause ne sont pas atteints par la cassation.

Les demandes formées par la société Solustil à l'encontre de la société TTI seront donc déclarées irrecevables.

3. Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la société Stalobrex

La société TTI soutient que les demandes formées par la société Stalobrex devant la cour de renvoi sont irrecevables en ce qu'elles tendent à l'indemnisation d'un préjudice personnel, ne procèdent pas de la demande originaire de la société Solustil et soumettent à cette cour un nouveau litige n'ayant pas fait l'objet d'un examen en première instance.

Elle relève que, devant la cour d'appel ayant statué le 15 février 2023, les sociétés Solustil et Stalobrex sollicitaient par des conclusions communes la condamnation de la société TTI à leur payer la somme de 1.487.688 euros en réparation de leur préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie par le groupe Solustil avec celle-ci, mais que, devant la cour d'appel de renvoi, la société Stalobrex demande la condamnation de la société TTI à réparer son préjudice personnel causé par la rupture brutale de la relation commerciale établie par elle avec cette dernière, la société Solustil poursuivant quant à elle l'indemnisation de la rupture brutale du contrat conclu avec la société TTI le 25 octobre 2017.

La société Stalobrex réplique que, devant la cour d'appel de Paris dont l'arrêt a été cassé sur ce point, elle était intervenue volontairement pour se joindre à la demande d'indemnisation de sa société mère, la société Solustil, que cette cour avait justement retenu qu'elle justifiait d'un intérêt à intervenir et que sa prétention avait un lien avec celle de la société Solustil motif pris d'une relation commerciale établie entre la société TTI et le groupe auquel appartiennent les sociétés Solustil et Stalobrex.

Réponse de la cour

En application de l'article 325 du code de procédure civile, l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.

Suivant l'article 329, l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme.

Selon l'article 554, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

Il résulte de ces dispositions que l'intervenant volontaire peut présenter à la cour d'appel des demandes pour lui soumettre des prétentions nécessairement nouvelles, sous réserve qu'elles se rattachent aux demandes initiales par un lien suffisant.

Il ressort des énonciations du jugement entrepris que la société Solustil poursuivait devant le tribunal de commerce de Lyon, sur le fondement des articles L. 442-6 et D. 442-3 anciens du code de commerce, la condamnation de la société TTI au paiement des sommes de 1.450.654 euros au titre de la perte de marge brute pendant le délai de préavis de vingt-quatre mois non respecté, de 2.175.972 euros au titre de la perte de marge brute sur le contrat à durée déterminée conclu le 25 octobre 2017 jusqu'au 31 août 2020 et de 1.102.384 euros au titre des investissements et autres frais engagés par ses soins pour les besoins de son client.

Devant la cour d'appel, la société Solustil, d'une part, demandait, au visa des articles 1171 et 1212 du code civil, la condamnation de la société TTI au paiement de la somme de 2.175.972 euros au titre de sa responsabilité contractuelle pour rupture anticipée du contrat à durée déterminée, au titre de la perte de marge sur coûts variables sur le contrat conclu le 25 octobre 2017 jusqu'au 31 août 2020.

D'autre part, les sociétés Solustil et Stalobrex sollicitaient, sur le fondement des dispositions du code de commerce relatives à la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la condamnation de la société TTI à leur payer la somme de 1.487.688 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables pendant le délai de préavis de vingt-quatre mois non respecté et à la société Solustil la somme de 1.102.384 euros au titre des investissements et autres frais engagés par celle-ci pour les besoins de son client.

Devant la cour d'appel de renvoi statuant après cassation, d'une part, la société Stalobrex sollicite, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5 du code de commerce la condamnation de la société TTI au paiement de la somme de 615.211 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables pendant le délai de préavis de vingt-quatre mois non respecté.

D'autre part, la société Solustil poursuit l'indemnisation de son préjudice propre résultant de la rupture brutale du contrat conclu avec la société TTI le 25 octobre 2017.

Le renvoi du litige par la Cour de cassation devant une cour d'appel de renvoi n'introduisant pas une nouvelle instance, la recevabilité d'une intervention volontaire en cause d'appel est appréciée par la cour d'appel de renvoi non pas au regard des conclusions de l'intervenant remises devant elle et éventuellement modifiées compte tenu de l'évolution du litige mais en considération des conclusions d'intervention déposées devant la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.

En l'espèce, les prétentions de la société Stalobrex, intervenante volontaire et principale devant la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé, se rattachent par un lien suffisant aux demandes initiales formées par la société Solustil devant le tribunal en ce qu'elles sont également formées à l'encontre de la société TTI prise en sa qualité de partenaire commercial tant de la société mère que de la filiale et fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et qu'elles tendent aussi à l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant pour elle de la rupture brutale de sa relation commerciale établie avec la société TTI, rompue concomitamment à celle unissant cette dernière et sa société mère.

L'intervention volontaire de la société Stalobrex sera donc déclarée recevable.

4. Sur la rupture de la relation commerciale établie entre les sociétés TTI et Stalobrex

Sur l'existence d'une relation commerciale établie

Moyens des parties

Les sociétés Solustil et Stalobrex soutiennent que les relations commerciales entre la société Stalobrex et la société TTI ont débuté en 2004 lorsque la société TTI commandait régulièrement auprès de la société Stalobrex des produits issus des gammes RTWD-RTAC-RTAD. Elles expliquent que la société Stalobrex a réalisé avec la société TTI un chiffre d'affaires trois fois supérieur à celui réalisé par la société Solustil atteignant 9.899.104 euros sur la période de 2004 à 2018. Elles relèvent, outre le fait que la société Stalobrex pouvait raisonnablement anticiper une continuité du flux d'affaires dès lors qu'après la réunion du 11 avril 2018 entre les sociétés TTI et Solustil il avait été décidé que les stocks à la fabrication de la société TTI et les encours de production seraient rachetés par cette dernière et que la société Stalobrex avait formulé deux nouvelles offres à l'intention de la société TTI et lui avait adressé le 30 avril suivant ses tarifs réactualisés au premier trimestre 2018, si bien que la relation commerciale entre la société Stalobrex et la société TTI a duré quatorze années.

La société TTI conteste l'existence d'une relation commerciale établie, relevant que la société Stalobrex fonde le caractère établi de la relation commerciale sur un simple tableau, sans aucun justificatif de facture, et dont il ressort que le chiffre d'affaires allégué depuis 2015 était substantiellement décroissant, en sorte que le caractère établi n'est pas justifié.

Réponse de la cour

L'article L. 442-6, I, 5° ancien du code de commerce, applicable au litige, dispose': «'Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers': [...] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. ['] Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.'»

Une relation commerciale est établie lorsque la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l'interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire (Com., 16 décembre 2008, n°07-15.589).

Le caractère établi d'une relation commerciale est révélé par la régularité, le caractère significatif et la stabilité de celle-ci (Com., 15 septembre 2009, n°08-19.200).

Le caractère suivi d'une relation n'implique pas que celle-ci soit formalisée, organisée dans un accord-cadre. Une relation commerciale établie peut résulter d'une succession de contrats ponctuels.

La victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies n'a pas à démontrer qu'elle se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de l'auteur de la rupture (Com., 23 janvier 2007, n°04-16.779 et 04-17.951).

Est indifférente l'existence d'une garantie de chiffre d'affaires ou d'une clause d'exclusivité (Com'., 6 septembre 2011, n°10-30.679'; Com., 14 mai 2025, n°24-10.834 à 836).

A l'appui de ses prétentions, la société Stalobrex produit d'abord un tableau récapitulatif intitulé «'Chiffre d'affaires réalisé en euros par Solustil auprès de la société Trane'», annexe 1 d'un rapport intitulé «'Conséquences pour Solustil SA de la rupture, par Ingersoll Rand/Trane, du contrat commercial qui les liait'», établi le 30 juillet 2021 par le cabinet d'expertise comptable Orial (pièce 19 appelantes).

Or ce rapport amiable a pour objet l'analyse de la relation contractuelle unissant les sociétés TTI et Solustil depuis le 25 octobre 2017, date à laquelle la société Ingersoll Rand International a confié à la société Solustil la production dans son usine située à [Localité 4] des éléments métalliques du refroidisseur CGAX. Il ne comprend aucun élément circonstancié sur la relation commerciale alléguée entre les sociétés TTI et Stalobrex, laquelle expose avoir fourni des produits issus des gammes RTWD-RTAC-RTAD, distinctes de la gamme CGAX.

En outre, le tableau constituant l'annexe 1 de ce rapport, dont son auteur n'indique aucunement qu'il se fonde sur des documents comptables de la société Stalobrex, a été réalisé unilatéralement dans le cadre de l'élaboration de ce rapport amiable et n'est corroboré par la production d'aucun document comptable de nature à établir la réalité d'une relation commerciale établie entre les sociétés Stalobrex et TTI, qui est contestée par cette dernière, étant relevé que seuls figurent en annexes dudit rapport les comptes de résultat de la société Solustil pour le site de production de [Localité 4] entre 2017 et 2020.

Il y a lieu de relever que les chiffres d'affaires réalisés par la société Stalobrex avec la société Ingersoll Rand mentionnés sur cette annexe pour les années 2010 (906.904 euros), 2011 (782.068 euros), 2014 (743.751 euros) et 2017 (317.958 euros) ne correspondent pas à ceux figurant sur le compte-rendu de la réunion du 11 avril 2018 tenue entre les parties et rédigé par la société Solustil (pièce 15 appelante) pour les mêmes années 2010 (899.000 euros), 2011 (682.000 euros), 2014 (457.000 euros) et 2017 (224.000 euros) et que ce dernier document ne mentionne aucun chiffre d'affaires réalisé avec la société Ingersoll Rand pour les années 2013, 2015 et 2016.

Enfin, si les courriels échangés entre le 30 avril et le 25 mai 2018 démontrent l'existence d'un courant d'affaires courant 2017 et jusqu'au 25 mai 2018 entre la société Ingersoll Rand et la société Stalobrex (pièce 26 appelante), aucune des pièces produites n'est propre à établir son caractère suivi, stable et habituel, ni que la société Stalobrex pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire.

En effet, il n'est aucunement fait état dans ces courriels de volumes commandés, livrés, facturés et la société Ingersoll Rand informe la société Stalobrex le 25 mai 2018 qu'elle va diminuer ses commandes en raison de l'augmentation des tarifs 2018 par rapport à ceux de 2017.

Ainsi, la société Stalobrex échoue à rapporter la preuve, dont la charge lui incombe, de la réalité d'une relation commerciale établie avec la société TTI.

Les demandes formées par la société Stalobrex à l'encontre de la société TTI seront donc rejetées.

5. Sur les demandes accessoires

Il n'y a pas lieu de statuer sur les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 février 2023 relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, non atteintes par la cassation.

Les sociétés Solustil et Stalobrex, qui succombent, seront condamnées aux dépens d'appel, déboutées de sa demande d'indemnité de procédure et condamnées à payer à la société TTI la somme de 3.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant comme cour de renvoi, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 février 2023';

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 2024';

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par les sociétés Solustil et Stalobrex';

Déclare irrecevables les conclusions sur le fond déposées par les sociétés Solustil et Stalobrex les 10 et 19 septembre 2025 ainsi que les pièces n°31 à 34 communiquées par celles-ci ;

Déclare irrecevables les demandes formées par la société Solustil à l'encontre de la société Trane Technologies International Limited';

Déclare recevable l'intervention volontaire de la société Stalobrex';

Rejette les demandes formées par la société Stalobrex à l'encontre de la société Trane Technologies International Limited';

Condamne les sociétés Solustil et Stalobrex aux dépens d'appel et à payer à la société Trane Technologies International Limited la somme de 3.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

Rejette les demandes d'indemnité de procédure formées par les sociétés Solustil et Stalobrex.

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