CA Lyon, 8e ch., 29 octobre 2025, n° 24/05629
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 24/05629 - N° Portalis DBVX-V-B7I-PY6L
Décision du Président du TJ de [Localité 6] en référé du 01 juillet 2024
RG : 24/01082
S.C.I. JEAN BART
C/
S.A.R.L. GUSTO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 29 Octobre 2025
APPELANTE :
La SCI JEAN BART, société civile immobilière, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Evry sous le numéro 418 678 140, dont le siège social est situé [Adresse 1], représentée par son Gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106
Ayant pour avocat plaidant Me Iris NAUD, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
La société GUSTO, société à responsabilité limitée au registre du commerce et des sociétés de Lyon sous le numéro 494 893 191, dont le siège social est situé [Adresse 2], représentée par son Gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Denis QUENSON de la SELARL INCEPTO AVOCATS - DROIT DE L'ENTREPRISE, avocat au barreau de LYON, toque : 703
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 23 Septembre 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 23 Septembre 2025
Date de mise à disposition : 29 Octobre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique DRAHI, conseiller
- Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Gusto est propriétaire d'un restaurant qu'elle a acquis le 15 mars 2007 et qu'elle exploite sous l'enseigne « BalthazArt », dans un local situé [Adresse 3], selon bail commercial consenti le 20 septembre 2010 et renouvelé le 1er juillet 2020.
L'article 12 de ce bail contient une clause autorisant la cession du bail à l'acquéreur du fonds de commerce, sous réserve d'agrément par le bailleur.
La société Gusto a été informée en 2022 de l'achat des murs de son restaurant par la société Jean Bart.
Le 28 août 2023, la société Gusto a régularisé un acte de vente de son fonds de commerce au prix de 400.000 €, sous conditions suspensives d'obtention d'un financement par l'acquéreur et de l'agrément du cessionnaire par le bailleur.
La société Jean Bart n'a pas répondu aux demandes de la société Gusto et à la sommation d'huissier tendant à obtenir qu'elle agrée le cessionnaire en tant que nouveau locataire. En l'absence d'agrément, la vente n'a pas pu être réalisée. La société Gusto a fait assigner la SCI Jean Bart devant le tribunal judiciaire de Lyon en indemnisation de son préjudice à ce titre.
Le 29 avril 2024, la société Gusto a régularisé une nouvelle promesse de vente de son fonds de commerce au profit d'un nouvel acquéreur, la société Delta Society, au prix de 300.000 €, avec faculté de substitution pour le cessionnaire et sous conditions suspensives d'obtention d'un financement par l'acquéreur et d'agrément du cessionnaire par le bailleur au plus tard le 1er août 2024.
L'acte stipule qu'à défaut d'accord express et écrit du bailleur dans les 15 jours suivant une sommation signifiée au bailleur, le cédant saisira le juge des référés pour faire autoriser la vente.
Le 7 mai 2024, la société Gusto a fait signifier à la société Jean Bart une sommation d'agréer la vente de son fonds avec copie de l'acte du 29 avril 2024.
Le 24 mai 2024, la société Jean Bart a subordonné son agrément aux exigences suivantes :
- réalisation d'un état des lieux,
- réitération de la cession par acte authentique,
- communication d'éléments de nature à démontrer la solvabilité du cessionnaire,
- renonciation du cessionnaire à sa faculté de substitution.
Par courrier officiel du 28 mai 2024, le conseil de la société Gusto a donné son accord pour la réalisation d'un état des lieux et la vente en la forme authentique, produit les comptes annuels de la société Delta Society pour ses exercices clos les 31décembre 2022 et 31 décembre 2023 (1 an et 8 mois) ainsi qu'une attestation de son banquier mais s'est opposé à la renonciation par la cessionnaire de sa faculté de substitution, la société Delta Society ayant l'intention de se substituer la SAS Society Delta 2, par apport de ses titres à une société holding Dong et constitution de cette nouvelle société filiale, devant souscrire un emprunt bancaire de 350.000 €, étant rappelé la clause de solidarité entre cédant et cessionnaire stipulée au bail.
Par ordonnance sur requête du 3 juin 2024, la société Gusto a été autorisée à faire assigner d'heure à heure son bailleur.
Par acte du 5 juin 2024, la société Gusto a ainsi fait assigner la société Jean Bart devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon, pour l'audience du 10 juin 2024, afin de la voir appelée à concourir à l'acte réitératif de vente du fonds de commerce.
Par ordonnance contradictoire du 1er juillet 2024, le juge des référés a, sur le fondement de l'article 835, alinéa 2 du Code de procédure civile :
- Autorisé la société Gusto à réitérer la vente de son fonds de commerce par acte authentique au profit de la société Delta Society ou de toute personne se substituant, aux conditions prévues par l'acte de vente sous conditions suspensives signé le 29 avril 2024 ;
- Dit que, conformément à l'article 12 du bail, la société Jean Bart devra être appelée à concourir à l'acte réitératif, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au moins huit jours avant la date de signature de l'acte réitératif ;
- Dit qu'à défaut de concours à cet acte par la société Jean Bart, une copie de cet acte lui sera signifiée dans les huit jours de la date de la signature ;
- Condamné la société Jean Bart aux dépens ;
- Condamné la société Jean Bart à payer à la société Gusto la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le juge des référés retient en substance que :
- la société Jean Bart a fait un usage abusif de son droit, en refusant son agrément à la société Gusto de céder son bail, alors que la cession est prévue avec des conditions suspensives permettant de s'assurer de la solvabilité du cessionnaire (production de ses comptes annuels révélant une progression de ses résultats, fonctionnement satisfaisait de compte bancaire au LCL, conditions suspensives tenant au financement de l'acquisition, en complément d'un apport personnel, dossier prévisionnel de la société Society Delta 2 dont la prospective du restaurant est traduite en chiffres prévisionnels d'un résultat et persistance de l'obligation solidaire du cessionnaire pour le paiement des loyers),
- au regard de l'absence d'une obligation sérieusement contestable, il convient de passer outre le refus abusif de consentement du bailleur.
Par déclaration enregistrée le 9 juillet 2024, la société Jean Bart a interjeté appel de cette ordonnance.
Par courrier officiel du 11 juillet 2024 adressé au conseil de la SCI Jean Bart, le conseil de la société Gusto a sollicité le versement des condamnations prononcées par le juge des référés et informé son contradicteur de ce que la vente du fonds de commerce ne pourra pas intervenir, à défaut d'obtention d'un financement dans le délai de réalisation de cette condition suspensive, en sorte que l'appel était selon lui dépourvu d'intérêt.
Par actes des 23 juillet et 16 septembre 2024, la SCI Jean Bart a fait commandement à la société Gusto de proposer des dates pour l'état des lieux, ces commandements visant la clause résolutoire insérée au bail.
Par conclusions enregistrées au RPVA le 23 septembre 2024, la société Jean Bart demande à la cour de :
- Juger recevable et bien fondée la société Jean Bart en son appel et ses demandes ;
- Débouter la société Gusto de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Infirmer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Lyon le 1er juillet 2024 en ce qu'elle a :
* autorisé la société Gusto à réitérer la vente de son fonds de commerce par acte authentique au profit de la société Delta Society ou de toute personne se substituant, aux conditions prévues par l'acte de vente sous conditions suspensives signé le 29 avril 2024,
* dit que, conformément à l'article 12 du bail, la société Jean Bart devra être appelée à concourir à l'acte réitératif, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au moins huit jours avant la date de signature de l'acte réitératif,
* dit qu'à défaut de concours à cet acte par la société Jean Bart, une copie de cet acte lui sera signifiée dans les huit jours de la date de la signature,
* condamné la société Jean Bart aux dépens,
* condamné la société Jean Bart à payer à la société Gusto la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
- Débouter la société Gusto de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme infondées, sans objet et se heurtant à de nombreuses contestations sérieuses ;
- Condamner la société Gusto au paiement de la somme de 6.000 € au profit de la société Jean Bart au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, avec recouvrement direct au profit de Me Rose sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions enregistrées au RPVA le 23 août 2024, la société Gusto demande à la cour de :
A titre principal,
- Déclarer irrecevable la demande de la société Jean Bart tendant à l'infirmation de l'ordonnance rendue le 1er juillet 2024 par le président du tribunal judiciaire de Lyon dont appel, en toutes ses dispositions ;
- Condamner la société Jean Bart à payer une somme de 5.000 € à la société Gusto, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Jean Bart aux entiers dépens ;
Subsidiairement,
- Confirmer l'ordonnance rendue le 1er juillet 2024 par le président du tribunal judicaire de Lyon en toutes ses dispositions ;
Et, y ajoutant,
- Condamner la société Jean Bart à payer une somme de 5.000 € à la société Gusto, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Jean Bart aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des demandes de la société Jean Bart
Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'article 32 du même code prévoit qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
La cour rappelle que l'existence de l'intérêt conditionnant la recevabilité de l'appel s'apprécie au jour où celui-ci est formé.
La société Gusto explique qu'elle a été avertie, en cours de délibéré, par le conseil de la société Delta Society de ce que la réitération de la vente était devenue impossible faute d'obtention d'un financement par cette dernière, mais que la SCI Jean Bart a relevé appel de l'ordonnance le 9 juillet 2024, c'est à dire 3 jours avant que cette ordonnance lui soit signifiée, alors qu'à cette date un recours n'avait plus le moindre intérêt. Elle précise que dès qu'elle a été informée de l'appel, son conseil a informé la société Jean Bart que l'appel n'avait plus aucun intérêt, dans plusieurs correspondances officielles du 11 juillet 2024, en vain. Elle soutient qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir donné cette information plus tôt, laquelle n'aurait eu aucun intérêt si le juge des référés avait rejeté sa demande et qu'elle ne pouvait imaginer que la bailleresse allait interjeter appel avant même que l'ordonnance ne lui soit signifiée.
Elle invoque en conséquence l'irrecevabilité de l'appel interjeté le 9 juillet 2024 par la SCI Jean Bart, alors que l'ordonnance critiquée, exécutoire par provision ne pouvait plus produire aucun effet pour les parties, faute de pouvoir réaliser la vente du fonds autorisée judiciairement, la défaillance de cette condition suspensive privant l'appelante de son intérêt à faire appel.
La SCI Jean [Adresse 4] soutient qu'elle n'est pas dépourvue d'intérêt à agir et que son appel est recevable, n'ayant pas connaissance du désistement du candidat cessionnaire au moment de son appel, la société Gusto s'étant volontairement gardée de l'en informer, étant précisé que malgré ce désistement, les termes de l'ordonnance sont larges puisqu'ils autorisent la cession au profit de 'toute personne' se substituant à la société Delta Society, en sorte qu'il n'est pas impossible qu'une cession intervienne du fait d'une substitution.
Elle invoque par ailleurs le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, ce que fait néanmoins la société Gusto qui informée du départ du candidat cessionnaire par lettre officielle du 20 juin 2024, c'est à dire en cours de délibéré de première instance, procédure qui n'avait plus d'objet, n'a informé ni le juge des référés, ni la SCI [Adresse 5], préférant attendre une décision dont elle pourrait éventuellement se prévaloir ultérieurement.
Elle ajoute que la société Gusto, d'une particulière mauvaise foi a bien l'intention d'exécuter l'ordonnance déférée puisqu'elle s'est empressée de solliciter le paiement des condamnations aux frais irrépétibles et dépens aux termes de son courrier officiel du 11 juillet 2024, outre l'agressivité avec laquelle cette exécution est demandée par e-mails ultérieurs.
Sur ce,
La cour retient qu'au moment de l'appel, la société Jean Bart n'était pas dépourvue d'intérêt à agir, ignorant le retrait de la société Delta Society de la vente faute d'obtention du financement. En outre et au-delà, l'ordonnance critiquée mentionne la faculté de substitution de la société Delta Society à 'toute personne', formule qu'il appartient à la cour de prendre en compte pour statuer, de sorte que l'intérêt de la société Jean Bart à critiquer l'ordonnance du 1er juillet 2024 est caractérisé, sans qu'il y ait lieu de retenir le caractère tardif de l'information donnée par la société Gusto qui a attendu de connaître la teneur de la décision de première instance avant d'informer l'autre partie de la défaillance de la condition suspensive et du retrait du projet de la société Delta Society.
La cour déclare la société Jean Bart recevable en son appel et ses demandes.
Sur le fond
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le juge des référés peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 alinéa 1er du même code prévoit que le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L'appelante rappelle que dès lors qu'une cession de fonds de commerce est intervenue, le bailleur perd tout droit d'action à l'encontre du preneur du fait des fautes commises par le cédant, en sorte qu'il est nécessaire pour la préservation de ses droits de s'assurer du bon usage des locaux loués avant toute cession laquelle lui ferait perdre tout droit d'agir contre le cessionnaire du fait du cédant et contre le cédant si la société est liquidée postérieurement à la cession et que le délai était trop court pour réaliser le procès-verbal de constat, la société Gusto ayant volontairement ignoré sa demande de visite lors de la procédure de première instance, en ne proposant aucune date, en violation des clauses du bail.
Elle invoque à nouveau le comportement déloyal et la mauvaise foi de la société Gusto quant à la diffusion de l'information selon laquelle la société Delta Society s'était retirée du projet.
Elle soutient que la solvabilité de cette dernière se heurte à des contestations sérieuses alors que les éléments produits ne sont pas suffisants :
- malgré l'augmentation de résultat passé entre 2022 et 2023, sa solvabilité est douteuse après seulement un an et demi d'exercice et le résultat de 2023 ne couvrant que la moitié des charges locatives annuelles,
- l'attestation du banquier selon laquelle le compte 'fonctionne de manière satisfaisante' n'a aucune valeur d'attestation de solvabilité,
- il est impossible de disposer d'informations financières objectives depuis 3 exercices sur sa solvabilité du fait de son inscription au RCS depuis moins de 3 ans, ce qui ne doit pas conduire à forcer la main du bailleur par le moyen d'un référé d'heure à heure, étant ajouté qu'un apport personnel de 75.000 € ne garantit pas sa solvabilité, qu'un prêt bancaire de 350.000 € ne la garantit pas davantage, la fragilité du dossier résultant d'ailleurs de la non obtention du-dit prêt et que le dossier prévisionnel n'est pas fiable, ce que le refus des banques confirme également,
- la société Gusto ne justifie en réalité d'aucune solvabilité alors que la société Delta Society n'est pas le candidat cessionnaire, cherchant à tromper le bailleur en substituant une autre société non immatriculée au jour de la demande d'agrément et sans faire état du montage envisagé.
Elle ajoute que le seul fait de l'existence de conditions suspensives ayant vocation à s'assurer de la solvabilité du cessionnaire ne peut par elle-même remplir la condition de solvabilité alors qu'il convient d'effectuer une analyse quantitative de celle-ci ce qui n'a pas été fait en l'espèce, étant précisé qu'il est contradictoire d'affirmer qu'une condition suspensive permet de s'assurer de la solvabilité du cessionnaire et d'agréer la cession au bénéfice 'de toutes personne se substituant', y compris donc une personne qui n'est pas bénéficiaire de la promesse donc de la condition suspensive.
Elle invoque ainsi des contestations sérieuses à la solvabilité de la société Society Delta 2 laquelle a besoin d'emprunter la somme de 350.000 €, la faculté de substitution inquiétant au regard de l'absence manifeste de clarté quant à l'intuitu personae, étant en outre observé que la clause de solidarité entre cédant et cessionnaire ne garantit pas le paiement du loyer, la société Gusto ne disposant que d'un établissement et devant en conséquence être liquidée et radiée après la cession du fonds. Elle estime en conséquence que le fait de conditionner son agrément à la renonciation du cessionnaire à la substitution est classique et légitime au vu des éléments indiqués pour cette substitution.
La société Gusto soutient que la vente du fonds de commerce qui est un droit pour tout commerçant en application de l'article L 145-16, alinéa 1er du code de commerce, n'emporte aucune conséquence néfaste pour le bailleur, puisque l'activité exercée dans les lieux loués reste par définition identique et que les baux prévoient systématiquement que le cédant reste tenu de l'exécution du bail solidairement avec le cessionnaire. Elle rappelle que si la clause d'agrément qui consiste à subordonner à l'autorisation du bailleur la cession du droit au bail au profit de l'acquéreur du fonds est admise en jurisprudence, une telle clause ne confère pas au bailleur un pouvoir discrétionnaire de refuser l'agrément, dont la légitimité du refus peut être contrôlée par le juge des référés.
S'agissant de la visite des lieux, elle rappelle que selon l'article L 145-40-1 du code de commerce, en cas de cession du droit au bail dans le cadre d'une vente de fonds de commerce, un état des lieux tripartite doit être réalisé en présence du bailleur lors de l'entrée en jouissance du cessionnaire, raison pour laquelle, dès son courrier du 27 mai 2024, le conseil de la société Gusto a répondu à la SCI Jean Bart qu'il n'y avait aucune difficulté à ce que le bailleur réalise un état des lieux, tout en précisant qu'une telle demande ne pouvait évidemment pas conditionner l'agrément du cessionnaire du bail, étant en outre précisé que des dates de visite ont été proposées par le conseil de l'appelante par courrier officiel du 11 juillet auquel le conseil de l'intimé a immédiatement répondu que le bailleur pouvait contacter la société Gusto pour convenir d'une date, aucun refus n'étant rapporté et cela n'ayant rien à voir avec l'agrément sollicité.
S'agissant de la faculté de substitution, la société Gusto fait valoir qu'elle a toujours été strictement à jour des loyers et charges du bail dont l'article 12 stipule qu'elle demeurera solidairement tenue avec tout cessionnaire pour le paiement des loyers et charges postérieurs à la cession, qu'elle a communiqué les justificatifs de la solvabilité de la société Delta Society et qu'il était précisé que ses titres seraient apportés à une société Holding Dong qui constituerait une autre filiale dénommée Society Delta laquelle achèterait le fonds de commerce en souscrivant un emprunt de 350.000 €, remboursable sur 7 ans, en sorte que si un banquier considère que l'acheteur du fonds de commerce est suffisamment solvable pour rembourser 350.000 € sur 7 ans, le bailleur n'a aucune raison de s'inquiéter sur le paiement de son loyer qui est inférieur à 20.000 € par an.
Sur ce,
La cour rappelle que l'article L145-16, alinéa 1er du code de commerce prohibe les clauses interdisant la cession du bail commercial à l'acquéreur du fonds de commerce, en sorte que la mise oeuvre de la clause du bail soumettant une telle cession à l'agrément du bailleur doit être appréciée à la lumière de ce principe et ne pas être abusive.
La société Jean Bart ne saurait arguer d'une obstruction faite par la société Gusto à la visite des lieux relevant de ses obligations en vertu de l'article L 145-40-1 du code de commerce par le simple fait qu'une date précise de visite des lieux n'a pas été précisément programmée, malgré des dates proposées par le conseil du bailleur dans sa réponse à sommation. Comme indiqué par le conseil de l'intimé une demande d'état des lieux ne peut conditionner l'agrément du cessionnaire par le bailleur.
S'agissant par ailleurs des garanties de solvabilité du cessionnaire, la cour considère, comme le premier juge que la clause suspensive d'obtention par le cessionnaire d'un financement de 350.000 € (remboursable en 7 an au taux maximal de 4,5% l'an) stipulée à la promesse de vente, venant compléter un apport personnel de 75.000 €, doublée de la clause de solidarité du cédant avec le cessionnaire figurant au bail outre la communication au bailleur des résultats comptables annuels de la société Delta Society par la société Gusto révélant une progression substantielle entre 2022 et 2023, l'assurance d'un fonctionnement satisfaisant de son compte bancaire et la présentation pour la société Delta Society 2 d'un dossier prévisionnel complet établi le 4 mai 2024 par la société Cogep expert-comptable et très prometteur, dont il résulte que cette société est en cours de constitution par les trois associés de la Holding Dong lesquels ont déjà créé via la société Delta Society un restaurant traditionnel dénommé 'Art Restau' situé [Adresse 7] qu'ils exploitent ensemble et considéré comme une véritable réussite, les ayant poussés à s'agrandir, d'où un résultat prévisionnel positif et progressif tel qu'envisagé par l'expert-comptable devaient conduire le bailleur à donner son agrément.
La faculté de substitution est en effet à considérer à l'aulne de ces éléments précis et intuitu personae, le refus de financement bancaire intervenu a posteriori ne pouvant être pris en compte et ne remettant pas en cause ces données objectives et le renoncement au projet du fait de la non réalisation de la condition suspensive confirmant au demeurant l'absence de prise de risque pour le bailleur. La cour retient que ce dernier a refusé de manière abusive donc illicite son agrément source de trouble manifestement illicite pour la société Gusto.
La cour confirme l'ordonnance déférée en ses dispositions principales quand bien-même la demande de réitération de la vente avec le concours de la société Jean Bart est devenue sans objet, étant précisé que le fait de viser la société Delta Society ou 'toute personne se substituant aux conditions prévues par l'acte de vente' est strictement limité à la société Society Delta 2 et ne permet pas d'y associer d'autres cessionnaires éventuels.
Sur les mesures accessoires
La décision déférée est confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.
Succombant, la société Jean Bart supportera également les dépens d'appel.
L'équité commande en outre de la condamner à payer à la société Gusto la somme de 3.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel et de la débouter de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour d'appel,
Déclare la société Jean Bart recevable en son appel et ses demandes ;
Statuant dans les limites de l'appel,
Confirme la décision attaquée en toutes ses dispositions, sauf à constater qu'elle est devenue sans objet ;
Y ajoutant,
Condamne la société Jean Bart aux dépens d'appel ;
Condamne la société Jean Bart à payer à la société Gusto la somme de 3.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;
Déboute la société Jean Bart de sa demande sur ce fondement.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Décision du Président du TJ de [Localité 6] en référé du 01 juillet 2024
RG : 24/01082
S.C.I. JEAN BART
C/
S.A.R.L. GUSTO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 29 Octobre 2025
APPELANTE :
La SCI JEAN BART, société civile immobilière, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Evry sous le numéro 418 678 140, dont le siège social est situé [Adresse 1], représentée par son Gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106
Ayant pour avocat plaidant Me Iris NAUD, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
La société GUSTO, société à responsabilité limitée au registre du commerce et des sociétés de Lyon sous le numéro 494 893 191, dont le siège social est situé [Adresse 2], représentée par son Gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Denis QUENSON de la SELARL INCEPTO AVOCATS - DROIT DE L'ENTREPRISE, avocat au barreau de LYON, toque : 703
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Date de clôture de l'instruction : 23 Septembre 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 23 Septembre 2025
Date de mise à disposition : 29 Octobre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique DRAHI, conseiller
- Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
La société Gusto est propriétaire d'un restaurant qu'elle a acquis le 15 mars 2007 et qu'elle exploite sous l'enseigne « BalthazArt », dans un local situé [Adresse 3], selon bail commercial consenti le 20 septembre 2010 et renouvelé le 1er juillet 2020.
L'article 12 de ce bail contient une clause autorisant la cession du bail à l'acquéreur du fonds de commerce, sous réserve d'agrément par le bailleur.
La société Gusto a été informée en 2022 de l'achat des murs de son restaurant par la société Jean Bart.
Le 28 août 2023, la société Gusto a régularisé un acte de vente de son fonds de commerce au prix de 400.000 €, sous conditions suspensives d'obtention d'un financement par l'acquéreur et de l'agrément du cessionnaire par le bailleur.
La société Jean Bart n'a pas répondu aux demandes de la société Gusto et à la sommation d'huissier tendant à obtenir qu'elle agrée le cessionnaire en tant que nouveau locataire. En l'absence d'agrément, la vente n'a pas pu être réalisée. La société Gusto a fait assigner la SCI Jean Bart devant le tribunal judiciaire de Lyon en indemnisation de son préjudice à ce titre.
Le 29 avril 2024, la société Gusto a régularisé une nouvelle promesse de vente de son fonds de commerce au profit d'un nouvel acquéreur, la société Delta Society, au prix de 300.000 €, avec faculté de substitution pour le cessionnaire et sous conditions suspensives d'obtention d'un financement par l'acquéreur et d'agrément du cessionnaire par le bailleur au plus tard le 1er août 2024.
L'acte stipule qu'à défaut d'accord express et écrit du bailleur dans les 15 jours suivant une sommation signifiée au bailleur, le cédant saisira le juge des référés pour faire autoriser la vente.
Le 7 mai 2024, la société Gusto a fait signifier à la société Jean Bart une sommation d'agréer la vente de son fonds avec copie de l'acte du 29 avril 2024.
Le 24 mai 2024, la société Jean Bart a subordonné son agrément aux exigences suivantes :
- réalisation d'un état des lieux,
- réitération de la cession par acte authentique,
- communication d'éléments de nature à démontrer la solvabilité du cessionnaire,
- renonciation du cessionnaire à sa faculté de substitution.
Par courrier officiel du 28 mai 2024, le conseil de la société Gusto a donné son accord pour la réalisation d'un état des lieux et la vente en la forme authentique, produit les comptes annuels de la société Delta Society pour ses exercices clos les 31décembre 2022 et 31 décembre 2023 (1 an et 8 mois) ainsi qu'une attestation de son banquier mais s'est opposé à la renonciation par la cessionnaire de sa faculté de substitution, la société Delta Society ayant l'intention de se substituer la SAS Society Delta 2, par apport de ses titres à une société holding Dong et constitution de cette nouvelle société filiale, devant souscrire un emprunt bancaire de 350.000 €, étant rappelé la clause de solidarité entre cédant et cessionnaire stipulée au bail.
Par ordonnance sur requête du 3 juin 2024, la société Gusto a été autorisée à faire assigner d'heure à heure son bailleur.
Par acte du 5 juin 2024, la société Gusto a ainsi fait assigner la société Jean Bart devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon, pour l'audience du 10 juin 2024, afin de la voir appelée à concourir à l'acte réitératif de vente du fonds de commerce.
Par ordonnance contradictoire du 1er juillet 2024, le juge des référés a, sur le fondement de l'article 835, alinéa 2 du Code de procédure civile :
- Autorisé la société Gusto à réitérer la vente de son fonds de commerce par acte authentique au profit de la société Delta Society ou de toute personne se substituant, aux conditions prévues par l'acte de vente sous conditions suspensives signé le 29 avril 2024 ;
- Dit que, conformément à l'article 12 du bail, la société Jean Bart devra être appelée à concourir à l'acte réitératif, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au moins huit jours avant la date de signature de l'acte réitératif ;
- Dit qu'à défaut de concours à cet acte par la société Jean Bart, une copie de cet acte lui sera signifiée dans les huit jours de la date de la signature ;
- Condamné la société Jean Bart aux dépens ;
- Condamné la société Jean Bart à payer à la société Gusto la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le juge des référés retient en substance que :
- la société Jean Bart a fait un usage abusif de son droit, en refusant son agrément à la société Gusto de céder son bail, alors que la cession est prévue avec des conditions suspensives permettant de s'assurer de la solvabilité du cessionnaire (production de ses comptes annuels révélant une progression de ses résultats, fonctionnement satisfaisait de compte bancaire au LCL, conditions suspensives tenant au financement de l'acquisition, en complément d'un apport personnel, dossier prévisionnel de la société Society Delta 2 dont la prospective du restaurant est traduite en chiffres prévisionnels d'un résultat et persistance de l'obligation solidaire du cessionnaire pour le paiement des loyers),
- au regard de l'absence d'une obligation sérieusement contestable, il convient de passer outre le refus abusif de consentement du bailleur.
Par déclaration enregistrée le 9 juillet 2024, la société Jean Bart a interjeté appel de cette ordonnance.
Par courrier officiel du 11 juillet 2024 adressé au conseil de la SCI Jean Bart, le conseil de la société Gusto a sollicité le versement des condamnations prononcées par le juge des référés et informé son contradicteur de ce que la vente du fonds de commerce ne pourra pas intervenir, à défaut d'obtention d'un financement dans le délai de réalisation de cette condition suspensive, en sorte que l'appel était selon lui dépourvu d'intérêt.
Par actes des 23 juillet et 16 septembre 2024, la SCI Jean Bart a fait commandement à la société Gusto de proposer des dates pour l'état des lieux, ces commandements visant la clause résolutoire insérée au bail.
Par conclusions enregistrées au RPVA le 23 septembre 2024, la société Jean Bart demande à la cour de :
- Juger recevable et bien fondée la société Jean Bart en son appel et ses demandes ;
- Débouter la société Gusto de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Infirmer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Lyon le 1er juillet 2024 en ce qu'elle a :
* autorisé la société Gusto à réitérer la vente de son fonds de commerce par acte authentique au profit de la société Delta Society ou de toute personne se substituant, aux conditions prévues par l'acte de vente sous conditions suspensives signé le 29 avril 2024,
* dit que, conformément à l'article 12 du bail, la société Jean Bart devra être appelée à concourir à l'acte réitératif, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au moins huit jours avant la date de signature de l'acte réitératif,
* dit qu'à défaut de concours à cet acte par la société Jean Bart, une copie de cet acte lui sera signifiée dans les huit jours de la date de la signature,
* condamné la société Jean Bart aux dépens,
* condamné la société Jean Bart à payer à la société Gusto la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
- Débouter la société Gusto de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme infondées, sans objet et se heurtant à de nombreuses contestations sérieuses ;
- Condamner la société Gusto au paiement de la somme de 6.000 € au profit de la société Jean Bart au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, avec recouvrement direct au profit de Me Rose sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions enregistrées au RPVA le 23 août 2024, la société Gusto demande à la cour de :
A titre principal,
- Déclarer irrecevable la demande de la société Jean Bart tendant à l'infirmation de l'ordonnance rendue le 1er juillet 2024 par le président du tribunal judiciaire de Lyon dont appel, en toutes ses dispositions ;
- Condamner la société Jean Bart à payer une somme de 5.000 € à la société Gusto, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Jean Bart aux entiers dépens ;
Subsidiairement,
- Confirmer l'ordonnance rendue le 1er juillet 2024 par le président du tribunal judicaire de Lyon en toutes ses dispositions ;
Et, y ajoutant,
- Condamner la société Jean Bart à payer une somme de 5.000 € à la société Gusto, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Jean Bart aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des demandes de la société Jean Bart
Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'article 32 du même code prévoit qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
La cour rappelle que l'existence de l'intérêt conditionnant la recevabilité de l'appel s'apprécie au jour où celui-ci est formé.
La société Gusto explique qu'elle a été avertie, en cours de délibéré, par le conseil de la société Delta Society de ce que la réitération de la vente était devenue impossible faute d'obtention d'un financement par cette dernière, mais que la SCI Jean Bart a relevé appel de l'ordonnance le 9 juillet 2024, c'est à dire 3 jours avant que cette ordonnance lui soit signifiée, alors qu'à cette date un recours n'avait plus le moindre intérêt. Elle précise que dès qu'elle a été informée de l'appel, son conseil a informé la société Jean Bart que l'appel n'avait plus aucun intérêt, dans plusieurs correspondances officielles du 11 juillet 2024, en vain. Elle soutient qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir donné cette information plus tôt, laquelle n'aurait eu aucun intérêt si le juge des référés avait rejeté sa demande et qu'elle ne pouvait imaginer que la bailleresse allait interjeter appel avant même que l'ordonnance ne lui soit signifiée.
Elle invoque en conséquence l'irrecevabilité de l'appel interjeté le 9 juillet 2024 par la SCI Jean Bart, alors que l'ordonnance critiquée, exécutoire par provision ne pouvait plus produire aucun effet pour les parties, faute de pouvoir réaliser la vente du fonds autorisée judiciairement, la défaillance de cette condition suspensive privant l'appelante de son intérêt à faire appel.
La SCI Jean [Adresse 4] soutient qu'elle n'est pas dépourvue d'intérêt à agir et que son appel est recevable, n'ayant pas connaissance du désistement du candidat cessionnaire au moment de son appel, la société Gusto s'étant volontairement gardée de l'en informer, étant précisé que malgré ce désistement, les termes de l'ordonnance sont larges puisqu'ils autorisent la cession au profit de 'toute personne' se substituant à la société Delta Society, en sorte qu'il n'est pas impossible qu'une cession intervienne du fait d'une substitution.
Elle invoque par ailleurs le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, ce que fait néanmoins la société Gusto qui informée du départ du candidat cessionnaire par lettre officielle du 20 juin 2024, c'est à dire en cours de délibéré de première instance, procédure qui n'avait plus d'objet, n'a informé ni le juge des référés, ni la SCI [Adresse 5], préférant attendre une décision dont elle pourrait éventuellement se prévaloir ultérieurement.
Elle ajoute que la société Gusto, d'une particulière mauvaise foi a bien l'intention d'exécuter l'ordonnance déférée puisqu'elle s'est empressée de solliciter le paiement des condamnations aux frais irrépétibles et dépens aux termes de son courrier officiel du 11 juillet 2024, outre l'agressivité avec laquelle cette exécution est demandée par e-mails ultérieurs.
Sur ce,
La cour retient qu'au moment de l'appel, la société Jean Bart n'était pas dépourvue d'intérêt à agir, ignorant le retrait de la société Delta Society de la vente faute d'obtention du financement. En outre et au-delà, l'ordonnance critiquée mentionne la faculté de substitution de la société Delta Society à 'toute personne', formule qu'il appartient à la cour de prendre en compte pour statuer, de sorte que l'intérêt de la société Jean Bart à critiquer l'ordonnance du 1er juillet 2024 est caractérisé, sans qu'il y ait lieu de retenir le caractère tardif de l'information donnée par la société Gusto qui a attendu de connaître la teneur de la décision de première instance avant d'informer l'autre partie de la défaillance de la condition suspensive et du retrait du projet de la société Delta Society.
La cour déclare la société Jean Bart recevable en son appel et ses demandes.
Sur le fond
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le juge des référés peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 alinéa 1er du même code prévoit que le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L'appelante rappelle que dès lors qu'une cession de fonds de commerce est intervenue, le bailleur perd tout droit d'action à l'encontre du preneur du fait des fautes commises par le cédant, en sorte qu'il est nécessaire pour la préservation de ses droits de s'assurer du bon usage des locaux loués avant toute cession laquelle lui ferait perdre tout droit d'agir contre le cessionnaire du fait du cédant et contre le cédant si la société est liquidée postérieurement à la cession et que le délai était trop court pour réaliser le procès-verbal de constat, la société Gusto ayant volontairement ignoré sa demande de visite lors de la procédure de première instance, en ne proposant aucune date, en violation des clauses du bail.
Elle invoque à nouveau le comportement déloyal et la mauvaise foi de la société Gusto quant à la diffusion de l'information selon laquelle la société Delta Society s'était retirée du projet.
Elle soutient que la solvabilité de cette dernière se heurte à des contestations sérieuses alors que les éléments produits ne sont pas suffisants :
- malgré l'augmentation de résultat passé entre 2022 et 2023, sa solvabilité est douteuse après seulement un an et demi d'exercice et le résultat de 2023 ne couvrant que la moitié des charges locatives annuelles,
- l'attestation du banquier selon laquelle le compte 'fonctionne de manière satisfaisante' n'a aucune valeur d'attestation de solvabilité,
- il est impossible de disposer d'informations financières objectives depuis 3 exercices sur sa solvabilité du fait de son inscription au RCS depuis moins de 3 ans, ce qui ne doit pas conduire à forcer la main du bailleur par le moyen d'un référé d'heure à heure, étant ajouté qu'un apport personnel de 75.000 € ne garantit pas sa solvabilité, qu'un prêt bancaire de 350.000 € ne la garantit pas davantage, la fragilité du dossier résultant d'ailleurs de la non obtention du-dit prêt et que le dossier prévisionnel n'est pas fiable, ce que le refus des banques confirme également,
- la société Gusto ne justifie en réalité d'aucune solvabilité alors que la société Delta Society n'est pas le candidat cessionnaire, cherchant à tromper le bailleur en substituant une autre société non immatriculée au jour de la demande d'agrément et sans faire état du montage envisagé.
Elle ajoute que le seul fait de l'existence de conditions suspensives ayant vocation à s'assurer de la solvabilité du cessionnaire ne peut par elle-même remplir la condition de solvabilité alors qu'il convient d'effectuer une analyse quantitative de celle-ci ce qui n'a pas été fait en l'espèce, étant précisé qu'il est contradictoire d'affirmer qu'une condition suspensive permet de s'assurer de la solvabilité du cessionnaire et d'agréer la cession au bénéfice 'de toutes personne se substituant', y compris donc une personne qui n'est pas bénéficiaire de la promesse donc de la condition suspensive.
Elle invoque ainsi des contestations sérieuses à la solvabilité de la société Society Delta 2 laquelle a besoin d'emprunter la somme de 350.000 €, la faculté de substitution inquiétant au regard de l'absence manifeste de clarté quant à l'intuitu personae, étant en outre observé que la clause de solidarité entre cédant et cessionnaire ne garantit pas le paiement du loyer, la société Gusto ne disposant que d'un établissement et devant en conséquence être liquidée et radiée après la cession du fonds. Elle estime en conséquence que le fait de conditionner son agrément à la renonciation du cessionnaire à la substitution est classique et légitime au vu des éléments indiqués pour cette substitution.
La société Gusto soutient que la vente du fonds de commerce qui est un droit pour tout commerçant en application de l'article L 145-16, alinéa 1er du code de commerce, n'emporte aucune conséquence néfaste pour le bailleur, puisque l'activité exercée dans les lieux loués reste par définition identique et que les baux prévoient systématiquement que le cédant reste tenu de l'exécution du bail solidairement avec le cessionnaire. Elle rappelle que si la clause d'agrément qui consiste à subordonner à l'autorisation du bailleur la cession du droit au bail au profit de l'acquéreur du fonds est admise en jurisprudence, une telle clause ne confère pas au bailleur un pouvoir discrétionnaire de refuser l'agrément, dont la légitimité du refus peut être contrôlée par le juge des référés.
S'agissant de la visite des lieux, elle rappelle que selon l'article L 145-40-1 du code de commerce, en cas de cession du droit au bail dans le cadre d'une vente de fonds de commerce, un état des lieux tripartite doit être réalisé en présence du bailleur lors de l'entrée en jouissance du cessionnaire, raison pour laquelle, dès son courrier du 27 mai 2024, le conseil de la société Gusto a répondu à la SCI Jean Bart qu'il n'y avait aucune difficulté à ce que le bailleur réalise un état des lieux, tout en précisant qu'une telle demande ne pouvait évidemment pas conditionner l'agrément du cessionnaire du bail, étant en outre précisé que des dates de visite ont été proposées par le conseil de l'appelante par courrier officiel du 11 juillet auquel le conseil de l'intimé a immédiatement répondu que le bailleur pouvait contacter la société Gusto pour convenir d'une date, aucun refus n'étant rapporté et cela n'ayant rien à voir avec l'agrément sollicité.
S'agissant de la faculté de substitution, la société Gusto fait valoir qu'elle a toujours été strictement à jour des loyers et charges du bail dont l'article 12 stipule qu'elle demeurera solidairement tenue avec tout cessionnaire pour le paiement des loyers et charges postérieurs à la cession, qu'elle a communiqué les justificatifs de la solvabilité de la société Delta Society et qu'il était précisé que ses titres seraient apportés à une société Holding Dong qui constituerait une autre filiale dénommée Society Delta laquelle achèterait le fonds de commerce en souscrivant un emprunt de 350.000 €, remboursable sur 7 ans, en sorte que si un banquier considère que l'acheteur du fonds de commerce est suffisamment solvable pour rembourser 350.000 € sur 7 ans, le bailleur n'a aucune raison de s'inquiéter sur le paiement de son loyer qui est inférieur à 20.000 € par an.
Sur ce,
La cour rappelle que l'article L145-16, alinéa 1er du code de commerce prohibe les clauses interdisant la cession du bail commercial à l'acquéreur du fonds de commerce, en sorte que la mise oeuvre de la clause du bail soumettant une telle cession à l'agrément du bailleur doit être appréciée à la lumière de ce principe et ne pas être abusive.
La société Jean Bart ne saurait arguer d'une obstruction faite par la société Gusto à la visite des lieux relevant de ses obligations en vertu de l'article L 145-40-1 du code de commerce par le simple fait qu'une date précise de visite des lieux n'a pas été précisément programmée, malgré des dates proposées par le conseil du bailleur dans sa réponse à sommation. Comme indiqué par le conseil de l'intimé une demande d'état des lieux ne peut conditionner l'agrément du cessionnaire par le bailleur.
S'agissant par ailleurs des garanties de solvabilité du cessionnaire, la cour considère, comme le premier juge que la clause suspensive d'obtention par le cessionnaire d'un financement de 350.000 € (remboursable en 7 an au taux maximal de 4,5% l'an) stipulée à la promesse de vente, venant compléter un apport personnel de 75.000 €, doublée de la clause de solidarité du cédant avec le cessionnaire figurant au bail outre la communication au bailleur des résultats comptables annuels de la société Delta Society par la société Gusto révélant une progression substantielle entre 2022 et 2023, l'assurance d'un fonctionnement satisfaisant de son compte bancaire et la présentation pour la société Delta Society 2 d'un dossier prévisionnel complet établi le 4 mai 2024 par la société Cogep expert-comptable et très prometteur, dont il résulte que cette société est en cours de constitution par les trois associés de la Holding Dong lesquels ont déjà créé via la société Delta Society un restaurant traditionnel dénommé 'Art Restau' situé [Adresse 7] qu'ils exploitent ensemble et considéré comme une véritable réussite, les ayant poussés à s'agrandir, d'où un résultat prévisionnel positif et progressif tel qu'envisagé par l'expert-comptable devaient conduire le bailleur à donner son agrément.
La faculté de substitution est en effet à considérer à l'aulne de ces éléments précis et intuitu personae, le refus de financement bancaire intervenu a posteriori ne pouvant être pris en compte et ne remettant pas en cause ces données objectives et le renoncement au projet du fait de la non réalisation de la condition suspensive confirmant au demeurant l'absence de prise de risque pour le bailleur. La cour retient que ce dernier a refusé de manière abusive donc illicite son agrément source de trouble manifestement illicite pour la société Gusto.
La cour confirme l'ordonnance déférée en ses dispositions principales quand bien-même la demande de réitération de la vente avec le concours de la société Jean Bart est devenue sans objet, étant précisé que le fait de viser la société Delta Society ou 'toute personne se substituant aux conditions prévues par l'acte de vente' est strictement limité à la société Society Delta 2 et ne permet pas d'y associer d'autres cessionnaires éventuels.
Sur les mesures accessoires
La décision déférée est confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.
Succombant, la société Jean Bart supportera également les dépens d'appel.
L'équité commande en outre de la condamner à payer à la société Gusto la somme de 3.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel et de la débouter de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour d'appel,
Déclare la société Jean Bart recevable en son appel et ses demandes ;
Statuant dans les limites de l'appel,
Confirme la décision attaquée en toutes ses dispositions, sauf à constater qu'elle est devenue sans objet ;
Y ajoutant,
Condamne la société Jean Bart aux dépens d'appel ;
Condamne la société Jean Bart à payer à la société Gusto la somme de 3.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;
Déboute la société Jean Bart de sa demande sur ce fondement.
LE GREFFIER LE PRESIDENT