CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 octobre 2025, n° 25/07089
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Visiondistri (SARL)
Défendeur :
Distribution Casino France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseiller :
M. Richaud
Avocats :
Me Teytaud, Cabinet Marc Egyg& Co, Me Fromantin, Cabinet Lexcase
FAITS ET PROCÉDURE
1. La SAS Distribution Casino France (ci-après, « la SAS DCF ») exploite, sous les enseignes Le Petit Casino, Vival, Spar, Casino Shop et Casino Shopping, un réseau de commerces de proximité principalement alimentaires. Elle a cessé son activité dans la branche des hypermarchés et des supermarchés entre 2023 et 2024 à raison des difficultés financières du groupe Casino auquel elle appartient mais continue à commercialiser parallèlement ses produits directement auprès des consommateurs via un service de drive.
2. La SARL Visiondistri, dont le gérant, monsieur [O] [T], était franchisé du groupe Casino depuis 2003, notamment sous l'enseigne Vival, exploitait, un fonds de commerce alimentaire à [Localité 5] :
- de décembre 2018 à juillet 2020, en vertu d'un contrat de location-gérance et d'un contrat d'affiliation « Le Petit Casino » conclus le 18 décembre 2018, le fonds appartenant alors à la SAS DCF ;
- de juillet 2020 à février 2023, ce dernier lui ayant été cédé par acte du 15 juillet 2020, en vertu d'un contrat d'affiliation conclu le 15 juillet 2020 pour une durée de 5 ans et modifié par avenants du même jour et du 14 octobre 2021.
3. Ce second contrat d'affiliation stipule en son article 13 une clause résolutoire et en son article 1.4 une clause d'approvisionnement exclusif pour les produits de marque de distributeur (ci-après, « MDD ») ainsi qu'une obligation d'approvisionnement à hauteur de 75 % en produits de marque nationale. Toutefois, l'avenant du 15 juillet 2020, régularisé le jour de la signature de la convention, substitue à cette dernière une obligation d'approvisionnement prioritaire auprès de la SAS DCF qui exerce dans ce cadre une activité de centrale d'achats.
4. Par courrier de son conseil du 29 mars 2022, la SARL Visiondistri informait la SAS DCF qu'elle entendait céder son fonds de commerce aux enfants de son gérant, projet qui n'aboutira finalement pas, et déplorait que les prix pratiqués par la SAS DCF dans le cadre de sa distribution directe via le canal drive fussent inférieurs à ses prix d'achat, par ailleurs élevés au regard de ceux fixés par les concurrents du secteur.
5. Pour étayer son propos qu'elle estimait confirmé par d'autres affiliés, elle faisait dresser par un commissaire de justice :
- le 22 novembre 2022 un procès-verbal de constat sur le site internet casino.fr sur lequel la SAS DCF propose un service de vente en livraison ou à emporter ainsi que sur le site prt.groupe-casino.fr réservé aux affiliés du groupe ;
- le 24 novembre 2022, un second procès-verbal sur l'application Casino Max exploitée par la SAS DCF pour proposer à sa clientèle des promotions diverses sur des commandes en ligne.
6. Entretemps, par courrier du 25 octobre 2022, la SAS DCF mettait la SARL Visiondistri en demeure de lui rembourser le montant des pénalités logistiques qu'elle avait d'initiative compensées avec ses propres créances. Par lettre du 13 décembre 2022, elle lui proposait d'organiser une rencontre pour évoquer les difficultés qui émaillaient la relation contractuelle.
7. Cependant, par courrier du 16 décembre 2022 visant la clause résolutoire du contrat d'affiliation, la SARL Visiondistri, qui imputait à la SAS DCF des agissements déloyaux tirés de sa pratique, dans la cadre de sa double distribution, de ciseau tarifaire aggravée par l'imposition d'une clause d'approvisionnement exclusif, l'a mise en demeure d'y mettre un terme sous quinze jours. Par lettre du 30 décembre 2022, la SAS DCF contestait les fautes qui lui étaient reprochées et proposait à nouveau une rencontre le 26 janvier 2023.
8. Par courrier du 13 février 2023, la SARL Visiondistri, qui avait fait dresser le 6 janvier 2023 par commissaire de justice deux nouveaux procès-verbaux de constat, d'une part, sur les sites casino.fr et prt.groupe-casino.fr, et d'autre part, sur l'application Casino Max, et dénonçait la poursuite des fautes qu'elle imputait à la SAS DCF, notifiait à celle-ci la résiliation du contrat d'affiliation et lui enjoignait de lui restituer son dépôt de garantie (53 107,34 euros) ainsi que la somme de 48 437,54 euros au titre de la remise de fidélité.
9. Le 15 février 2023, la SAS DCF faisait constater par commissaire de justice le remplacement de l'enseigne Le Petit Casino par une enseigne Utile du groupe Coopérative U sur le fonds de commerce exploité par la SARL Visiondistri.
10. Par arrêt du 12 octobre 2023, la cour d'appel de Paris a infirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 17 mars 2023 par le président du tribunal de commerce de Lyon statuant en référé d'heure à heure ayant ordonné sous astreinte à la SARL Visiondistri la reprise des relations contractuelles avec la SAS DCF.
11. Le 7 mars 2023, la SARL Visiondistri assignait la SAS DCF devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne en indemnisation des préjudices causés par ses fautes contractuelles (pratique de prix abusif, mauvaise foi dans l'exécution du contrat d'affiliation tenant à son occultation sur l'application Casino Max). Elle se désistait cependant de cette instance par conclusions du 15 mai 2023.
12. C'est dans ces circonstances que la SAS DCF a, par acte de commissaire de justice du 31 mars 2023, assigné la SARL Visiondistri devant le tribunal de commerce de Lyon en sollicitant, à titre principal, la poursuite des relations contractuelles et, subsidiairement, l'indemnisation des préjudices causés par la rupture anticipée du contrat d'affiliation et, à défaut, par la rupture brutale des relations commerciales établies.
13. Par jugement du 18 mars 2025, le tribunal de commerce de Lyon a :
- jugé que le contrat d'affiliation liant les sociétés DCF et Visiondistri n'était pas nul et rejeté en conséquence les demandes de la SARL Visiondistri à ce titre ;
- rejeté les demandes de restitution à hauteur de 88 845 euros de la SARL Visiondistri au titre de la nullité du contrat de franchise ;
- rejeté les demandes d'indemnisation à hauteur de 356 888,06 euros de la SARL Visiondistri au titre de la nullité du contrat d'affiliation ;
- jugé que la SARL Visiondistri ne pouvait mettre en 'uvre la clause résolutoire et résilier le contrat aux torts exclusifs de la SAS DCF, sa faute grave n'étant pas prouvée ;
- jugé que, du fait de la rupture anticipée du contrat aux torts exclusifs de la SARL Visiondistri, la SAS DCF avait subi un préjudice réparable ;
- condamné la SARL Visiondistri à payer à la SAS DCF la somme de 1 129 780 euros au titre du manque à gagner et celle de 31 170 euros au titre du remboursement du budget d'enseigne ;
- jugé que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture des relations commerciales devait donner lieu à réparation et condamné en conséquence la SARL Visiondistri à payer à la SAS DCF la somme de 60 000 euros au titre de la perte de marge brute pendant deux mois et demi de préavis ;
- condamné la SARL Visiondistri à payer à la SAS DCF la somme de 146 985,24 euros au titre des impayés, outre intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2023 ;
- rejeté les autres demandes des parties ;
- condamné la SARL Visiondistri à payer à la SAS DCF la somme de 40 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
14. Par déclaration reçue au greffe le 15 avril 2025, la SARL Visiondistri a interjeté appel de ce jugement. Et, autorisée à assigner à jour fixer par ordonnance du délégataire du premier président du 8 avril 2025, la SARL Visiondistri a assigné la SAS DCF devant la cour d'appel de Paris.
15. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 octobre 2010, la SARL Visiondistri demande à la cour, au visa des articles 42, 46 et 100 du code de procédure civile, 1103, 1104, 1137, 1164, 1231-2 et 1240 du code civil, L 420-1 et L 442-1 II du code de commerce et 101 TFUE :
- de recevoir la SARL Visiondistri en son appel ;
- d'infirmer et d'annuler le jugement du tribunal des activités économiques de Lyon du 18 mars 2025 en toutes ses dispositions ;
- statuant à nouveau, sur le fond, à titre principal, de :
o juger que la clause d'approvisionnement exclusif ou prioritaire associée au ciseau tarifaire pratiqué par la SAS DCF est une entente anticoncurrentielle contraire aux articles 101 TFUE et L 420-1 du code de commerce imposée par la SAS DCF ;
o juger que la clause d'approvisionnement exclusif ou prioritaire associée au ciseau tarifaire pratiqué par la SAS DCF est un abus de position dominante contraire aux articles 102 TFUE et L 420-2 du code de commerce imposée par la SAS DCF ;
o juger que la clause d'approvisionnement exclusif ou prioritaire associée à une pratique de ciseau tarifaire de la part de l'enseigne caractérise un déséquilibre significatif affectant la validité du contrat d'affiliation litigieux ;
o en conséquence, juger que le contrat d'affiliation est nul ;
- à titre subsidiaire, de juger que la clause résolutoire a été mise en 'uvre par la SARL Visiondistri de manière légitime et que le contrat d'affiliation à a été résilié pour faute grave de la SAS DCF à ses torts exclusifs ;
- à titre reconventionnel, à titre principal, sur les conséquences des pratiques illicites ayant entrainé la nullité du contrat, de :
o condamner la SAS DCF à payer à la SARL Visiondistri au titre des restitutions après nullité, la somme de 88 845 euros au titre des redevances payées pour accéder à une centrale d'achat qui a pratiqué massivement un ciseau tarifaire ;
o condamner la SAS DCF à verser à la SARL Visiondistri la somme de 356 888,06 euros ;
- subsidiairement sur les conséquences des fautes contractuelles de la SAS DCF, de condamner la SAS DCF à verser à la SARL Visiondistri la somme de 356 888,06 euros ;
- en tout état de cause :
o de débouter la SAS DCF de toutes ses demandes ;
o de condamner la SAS DCF à restituer à la SARL Visiondistri la somme de 53 107,34 euros correspondant au dépôt de garantie ;
o d'annuler la condition de demeurer dans l'enseigne au 31 dé cembre de l'année civile qui affecte la prime de fidélité, et de condamner la SAS DCF à restituer à la SARL Visiondistri la somme de 48 437 euros correspondant à la remise de fidélité ;
o de condamner la SAS DCF à payer à la SARL Visiondistri la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
o de condamner la SAS DCF aux dépens.
16. En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 octobre 2025, la SAS DCF demande à la cour, au visa des articles 9, 484 et 488 du code de procédure civile, 1103, 1104, 1212 et 1224 du code civil et L 420-1 et L 442-1 du code de commerce, de :
- à titre principal, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal des activités économiques de Lyon du 18 mars 2025 ;
- à titre subsidiaire et en tout état de cause, sur la parfaite validité du contrat d'affiliation :
o dire et juger que la SARL Visiondistri ne démontre pas que le comportement de la SAS DCF aurait été constitutif d'une entente anticoncurrentielle justifiant la nullité du contrat d'affiliation signé le 15 juillet 2020 ;
o dire et juger que la SARL Visiondistri ne démontre pas que le comportement de la SAS DCF aurait été constitutif d'un abus de position dominante justifiant la nullité du contrat d'affiliation signé le 15 juillet 2020 ;
o dire et juger que le contrat de franchise du 15 juillet 2020 n'est pas entaché d'un quelconque déséquilibre significatif ;
o dire et juger que la SARL Visiondistri ne démontre absolument pas que son consentement aurait été vicié pour dol ;
o dire que le contrat d'affiliation et ses avenants conclus le 15 juillet 2020 par les sociétés DCF et Visiondistri sont valides et n'encourent aucune nullité ;
o en conséquence, débouter la SARL Visiondistri de ses demandes de nullité du contrat de franchise ;
o débouter la SARL Visiondistri de ses demandes de restitutions à hauteur de 88 845 euros au titre de la prétendue nullité du contrat de franchise ;
o débouter la SARL Visiondistri de ses demandes d'indemnisation à hauteur de 356 888,06 euros au titre de la nullité du contrat d'affiliation ;
- sur la mise en 'uvre de mauvaise foi de la clause résolutoire stipulée au contrat d'affiliation par la SARL Visiondistri :
o dire et juger que le contrat d'affiliation Le Petit Casino conclu entre la SARL Visiondistri et la SAS DCF du 15 juillet 2020 contient une clause de résiliation libellée de la manière suivante :
article 13 ' conditions de résiliation - résiliation après mise en demeure :
en cas d'inexécution totale ou partielle de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie pourra résilier de plein droit le contrat, sans indemnité ni préavis, après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse pendant 15 (quinze) jours.
['] La résiliation prendra effet par l'envoi d'une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception, la date d'envoi faisant foi.
o dire et juger que dans sa mise en demeure en date du 16 décembre 2022 reçu le 21 décembre, la SARL Visiondistri visait expressément l'article 13 du contrat ;
o dire et juger que le grief invoqué par la SARL Visiondistri dans la mise en demeure, à savoir la pratique tirée d'un prétendu ciseau tarifaire fautif ne se rattache à aucune obligation contractuelle précise de la SAS DCF ;
o dire et juger que, en tout état de cause, dès le 30 décembre suivant, la SAS DCF a répondu à cette mise en demeure en contestant le grief tiré d'une prétendue pratique de ciseau tarifaire invoqué et en proposant, sinon confirmant, une réunion entre les parties le 26 janvier 2023 ;
o dire et juger que la SARL Visiondistri n'a jamais contesté les termes de la lettre du 30 décembre 2022 de la SAS DCF, sauf à demander le report à une date ultérieure de la réunion fixée par les parties à l'origine le 26 janvier 2023 ;
o dire, en conséquence, qu'à l'évidence non seulement la SARL Visiondistri ne pouvait mettre en 'uvre la clause résolutoire et encore moins résilier le contrat sur le seul fondement revendiqué d'une prétendue pratique de ciseau tarifaire d'autant que la SAS DCF avait répondu à la mise en demeure qui lui avait été adressée de sorte que celle-ci n'était pas restée « infructueuse » au sens de l'article 13 du contrat ;
- sur la réparation du préjudice subi par la SAS DCF du fait de la rupture anticipée du contrat de franchise aux torts exclusifs de l'affilié, de :
o à titre principal, sur les conséquences pécuniaires de la rupture anticipée du contrat, condamner la SARL Visiondistri à payer à la SAS DCF des sommes de 37 710 euros HT au titre du remboursement du budget d'enseigne et de 1 280 626 euros HT au titre du manque à gagner ;
o à titre subsidiaire, sur la réparation du préjudice résultant du caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies, condamner la SARL Visiondistri à payer à la SAS DCF les sommes de 31 710 euros HT au titre du remboursement du budget d'enseigne (remboursement prorata temporis du fait de la rupture) au 13 février 2023 et de 144 977 euros au titre de la perte de marge brute ;
- en tout état de cause :
o débouter la SARL Visiondistri de l'ensemble de ses demandes ;
o condamner la SARL Visiondistri au paiement de la somme de 146 985,24 euros TTC selon situation d'encours au 22 mars 2023 au titre des impayés, outre intérêts au taux légale à compter du 16 juin 2023 ;
o condamner la SARL Visiondistri au paiement d'une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
o condamner la SARL Visiondistri à payer à la SAS DCF, en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, au paiement d'une indemnité équivalente au droit proportionnel mis à la charge du créancier par l'huissier instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001 ;
o condamner la SARL Visiondistri aux entiers dépens de l'instance.
17. Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
MOTIVATION
I - Sur la validité du contrat
1°) Sur l'entente
Moyens des parties
18. La SARL Visiondistri, qui soutient que l'exclusivité de l'approvisionnement n'est pas nécessaire à la démonstration de sa captivité, critère déterminant de la caractérisation de la pratique du ciseau tarifaire qu'elle impute à la SAS DCF, expose que l'article 1.4 du contrat d'affiliation stipule une clause d'approvisionnement exclusif pour les produits MDD et, dans sa version modifiée le 15 juillet 2020, pour les produits de marque nationale, une clause d'approvisionnement prioritaire se substituant à celle d'approvisionnement à hauteur de 75 % mais dissimulant en réalité une obligation d'approvisionnement quasi exclusif puisque, dans les faits, risquant à défaut d'engager sa responsabilité contractuelle expressément évoquée par la clause, elle ne pouvait s'approvisionner auprès d'un autre fournisseur, y compris pour les produits non vendus par cette dernière ou commercialisés à moindre prix par des concurrents. Elle situe l'entente qu'elle invoque sur le marché national « amont intermédiaire de l'approvisionnement des distributeurs sur lequel les enseignes approvisionnent en gros leurs distributeurs ». Concédant qu'une clause d'approvisionnement exclusif ou prioritaire stipulée dans un contrat de franchise n'est pas nulle per se tout en précisant que, portant sur des produits de marque nationale, elle « devrait être nulle » et emporter l'anéantissement du contrat à raison de son caractère essentiel, elle explique que son illicéité est évidente quand elle est couplée à une pratique de prix abusifs. Elle précise à ce titre que la moitié des 2 500 références qui ne sont pas des fruits et légumes, dont celles qui sont les plus vendues aux consommateurs finaux, est commercialisée sur le site casino.fr au client final à un prix inférieur au prix de vente que lui consent la SAS DCF ou à un prix à ce point voisin que la différence ne lui permet pas de couvrir ses frais et de respecter la marge de 10 % imposée par la loi Egalim 2. Critiquant plus spécifiquement la motivation du tribunal, elle observe que :
- l'absence de communication de ses procès-verbaux de constat lors de l'envoi de sa mise en demeure visant la clause résolutoire est indifférente, aucune obligation légale ou contractuelle n'imposant la production de preuve à ce stade précontentieux ;
- outre le fait que le tribunal a omis 46 références explicitement cités dans les procès-verbaux de constat, la preuve d'une pratique généralisée ne suppose pas une démonstration de sa réalisation pour chaque produit, un échantillonnage suffisant ainsi que le commande le principe d'effectivité. Elle ajoute que ces preuves sont complétées par d'autres, telles des attestations et des correspondances, une attestation d'expert-comptable, une attestation d'expert-comptable, un relevé de prix de 1 500 références et un enregistrement sonore ;
- l'infraction commise par la SAS DCF étant une pratique anticoncurrentielle par objet, ses effets n'ont pas à être démontrés. Elle ajoute cependant que ceux-ci existent en ce que la pratique de ciseau tarifaire consiste à priver les affiliés, qui ne peuvent quitter le réseau par un jeu cumulé de clauses anticoncurrentielles, de la possibilité de revendre les produits en pratiquant des prix concurrentiels par rapport à la tête du réseau, pratique qui explique que les prix du réseau soient les moins compétitifs du marché. Elle indique en outre que le prix d'acquisition de son fonds de commerce et celui de sa cession envisagée, qui ne dit rien de sa rentabilité, ne sont pas des indicateurs pertinents, le premier ne tenant de surcroît pas compte des stocks intégrés par le second qui a en outre valorisé le droit au bail.
19. En réponse, la SAS DCF, qui précise à titre liminaire que les difficultés économiques du groupe Casino et les contentieux l'opposant à des tiers ainsi que les articles de presse communiqués sont sans pertinence pour apprécier le litige, observe que les pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence désormais opposées n'étaient pas évoquées dans l'assignation délivrées devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne, ce dont elle déduit le caractère opportuniste des moyens de la SARL Visiondistri. Elle ajoute que cette dernière invoque une clause d'approvisionnement exclusif pour les produits de marque nationale qui est inexistante puisqu'elle a été remplacée le 15 juillet 2020 par une clause d'approvisionnement prioritaire. Elle précise que ni sa lettre, qui ne mentionne pas les cas imaginés par la SARL Visiondistri, ni la pratique des parties, aucun grief la concernant n'ayant été formulé pendant l'exécution du contrat d'affiliation, ne permettent de l'assimiler à la stipulation à laquelle elle s'est substituée, l'article 1.4 autorisant en outre l'affilié à s'approvisionner librement en matière de produits locaux. Elle indique qu'une clause d'approvisionnement exclusif, qui organise le contrôle indispensable à la préservation de l'identité et de la réputation du réseau, ne constitue pas une restriction de concurrence.
20. Elle expose que la pratique de ciseaux tarifaires qu'elle lui impute dans le cadre de son argumentation sur l'entente suppose une position dominante sur un marché et qu'elle ne relève ainsi pas de la logique du droit des ententes, le marché pertinent n'étant en outre pas défini. Concédant qu'un contrat d'affiliation puisse caractériser un accord de volontés, elle lui dénie, en soulignant la carence probatoire et argumentative de la SARL Visiondistri à ce titre, tout effet anticoncurrentiel, peu important que l'approvisionnement prioritaire soit ou non assimilé à un approvisionnement exclusif puisque celui-ci n'emporte pas par nature une restriction de concurrence lorsqu'il nécessaire à la préservation de l'identité et de la réputation du réseau et que sa durée n'excède pas celle de l'accord. Elle ajoute que les stipulations et les pratiques litigieuses n'ont d'effet qu'entre les parties au contrat d'affiliation et n'affectent aucun marché. Elle conteste par ailleurs toute pratique de ciseaux tarifaires au motif que :
- les attestations d'autres affiliés sont par nature sans pertinence et que l'enregistrement produit, non daté et réalisé à l'insu d'un interlocuteur non identifié, a été obtenu de manière déloyale ;
- les procès-verbaux de constat n'établissent pas les pratiques alléguées. Elle précise à ce titre que le modèle économique du site internet du groupe Casino, qui est à destination des consommateurs, ne correspond pas à celui applicable à ses partenaires et affiliés, et que l'analyse de 30 références sur les 26 000 mises à la disposition de la SARL Visiondistri qui en commandait annuellement plus de 8 250 (soit au total 0,01 % des produits qu'elle propose) est très insuffisante pour établir un comportement général et systématique, le tableau produit en pièce 20 ne palliant pas cette carence faute d'être certifié et étayé ;
- son système de double distribution est licite et implique des différences de prix liées aux structures des coûts, aux politiques promotionnelles et à la qualité des publics visés, la comparaison faite par la SARL Visiondistri avec les prix pratiqués via le drive n'intégrant ainsi pas les frais logistiques, les remises accordées et les conditions particulières négociées entre les parties ;
- la SARL Visiondistri ne prouve pas que les pratiques qu'elle dénonce auraient un effet anticoncurrentiel réel ou potentiel.
Réponse de la cour
21. La SARL Visiondistri fonde cumulativement son action sur les dispositions des articles 101 du TFUE et L 420-1 du code de commerce.
22. Conformément à l'article 101 du TFUE :
1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,
c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,
d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.
3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :
- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,
- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et
- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées
qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
23. Et, en application de l'article L 420-1 du code de commerce, sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :
1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
24. Aux termes de l'article 3§1 du règlement UE 1/2003 du 16 décembre 2002, lorsque les autorités de concurrence des Etats membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à des accords, des décisions d'associations d'entreprises ou des pratiques concertées au sens de l'article 81 du traité (devenu 101 du TFUE) susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres au sens de cette disposition, elles l'appliquent également à ces accords, décisions ou pratiques concertées.
25. Aussi, l'entente est régie cumulativement par les dispositions internes et du droit de l'Union européenne si l'abus est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, mais exclusivement par l'article L 420-1 du code de commerce si cette condition fait défaut et que seul le marché national français est concerné. Néanmoins, en vertu de l'article 3§1 de ce règlement, l'application du droit national ne peut entraîner l'interdiction d'accords, de décisions d'associations d'entreprises ou de pratiques concertées susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres qui n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 101 du TFUE ou qui satisfont aux conditions énoncées par ce texte ou qui sont couverts par un règlement ayant pour objet son application.
26. Aux termes de la jurisprudence de la CJUE (CJCE, 30 juin 1966, Société Technique Minière, C-56/65 ; CJCE, 13 juillet 1966, Consten & Grundig, C-56 et 58-64 ; CJCE, 25 octobre 2001, Glöckner, C-475/99 ; CJCE, 14 juillet 1981, Züchner, C-172/80) et de la communication de Commission portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du TFUE (ci-après, « les lignes directrices de la Commission »), trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres de l'Union européenne, critère déterminant de l'applicabilité du droit de l'Union et des interdictions posées par ces normes : l'existence d'un courant d'échanges entre Etats membres portant sur les produits en cause, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette affectation. La détermination de l'affectation du commerce entre Etats membres est ainsi une question distincte et préalable à celles de la définition du marché en cause et de l'analyse de la restriction de concurrence elle-même.
27. Les lignes directrices de la Commission précisent à cet égard que les accords verticaux couvrant l'ensemble d'un Etat membre sont notamment susceptibles d'affecter les courants d'échanges entre Etats membres lorsqu'ils rendent plus difficile aux entreprises d'autres Etats membres la pénétration du marché national en cause, soit au moyen d'exportations, soit au moyen de l'établissement (effet d'éviction), et que, lorsque de tels accords produisent ce genre d'effet d'éviction, ils contribuent à un cloisonnement de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité (§86). Elles ajoutent qu'il peut y avoir éviction, entendue comme l'absence, en raison des accords, de possibilités réelles et concrètes d'avoir accès au marché, lorsque des fournisseurs imposent aux acheteurs des obligations d'achat exclusif (§87).
28. Le caractère sensible de l'affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire introduit un élément quantitatif apprécié à travers un ensemble de critères comprenant notamment la nature des pratiques et des produits concernés ainsi que la position de marché des entreprises en cause (en ce sens, Com. 31 janvier 2012, n° 10-25772). Moins décisive pour l'entente que pour l'abus de position de dominante, la délimitation préalable du marché pertinent demeure nécessaire pour apprécier, en cas d'insuffisance des chiffres d'affaires considérés en termes absolus et de recours aux parts de marché des entreprises en cause, l'aptitude de l'accord à affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et à restreindre ou fausser le jeu de la concurrence au sein de l'Union (CJCE, 11 juillet 2013, Gosselin c. Commission, C-440/11, §101). Le marché pertinent à considérer dans ce cadre est néanmoins exclusivement celui des produits et services sans égard pour sa dimension géographique car le commerce entre Etats membres peut être affecté par une entente n'ayant pour objet que la commercialisation de produits dans un Etat membre (CJUE, Super Bock Bebidas, 29 juin 2023, C-211/22, §62).
29. Les parties ne débattent pas de l'application cumulative du droit interne et du droit de l'Union et n'abordent pas la condition d'affectation du commerce entre Etats membres. La cour observe néanmoins que :
- le litige implique deux sociétés dont l'une, la SARL Visiondistri, exerce certes son activité dans une zone locale réduite (commerce de proximité) mais a vocation à se fournir sur tout le territoire national et au-delà de ses frontières en l'absence de clause d'approvisionnent exclusif qui couvre l'intégralité du premier, et l'autre, la SAS DCF, est un acteur d'importance dans la distribution de produits principalement alimentaires sur l'ensemble du territoire national, produits qui sont substituables. Le risque d'un cloisonnement du marché européen et d'une affectation du commerce entre Etats membres est ainsi avéré ;
- le montant total des achats en cause avoisine en 2021 et 2022 deux millions d' euros. L'affectation du commerce qui peut résulter de la pratique n'est ainsi pas insignifiante en valeur absolue.
30. Aussi, en l'absence de toute contestation sur ce point et d'éléments propres à définir précisément la position des entreprises sur le marché des produits en cause, ces éléments suffisent à établir que l'entente dénoncée est susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre Etat membre, constat qui fonde l'application du droit de l'Union combinée au droit interne.
31. Par ailleurs, le sujet de la norme posée par l'article 101 du TFUE et par l'article L 420-1 du code de commerce est, en droit interne, ainsi que l'induit la combinaison des articles L 420-1 et L 464-2 du code de commerce pour l'entente, comme en droit de l'Union, l'entreprise. Notion autonome, elle est définie, au titre de l'entente comme de l'abus de position de dominante, comme toute entité exerçant sur un marché une activité économique indépendamment de son statut juridique, y compris de sa personnalité juridique, et de son mode de financement (CJCE, 23 avril. 1991, [W] [X] et Fritz Elser c/ Macrotron GmbH, C-41/90, §21). Cette condition, qui n'est pas en débat, est remplie, les parties ne contestant pas être des entreprises au sens du droit de l'Union.
32. En outre, la caractérisation d'une entente suppose celle d'un accord de volontés exprès ou tacite (pratique concertée) mais librement consenti entre plusieurs entreprises (au sens de CJUE, 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, §94, il suffit que les entreprises expriment leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée). La SAS DCF admet que le contrat d'affiliation puisse caractériser un accord vertical. Cette reconnaissance n'évacue cependant pas une difficulté majeure suscitée par l'argumentation de la SARL Visiondistri.
33. En effet, cette dernière ne définit pas clairement l'entente qu'elle dénonce puisqu'elle invoque une clause d'approvisionnement exclusif ou prioritaire, qui repose effectivement sur une rencontre des volontés, « couplée » à une pratique de ciseau tarifaire, qui par hypothèse est le fruit d'un comportement unilatéral de la SAS DCF. Or, cette pratique, dont la SARL Visiondistri prétend qu'elle la subit, n'exprime aucune volonté tacite ou expresse commune des entreprises en cause. De fait, quand elle évoque les effets anticoncurrentiels, d'abord pour souligner l'absence de nécessité de leur preuve puis pour les caractériser positivement, la SARL Visiondistri ne se réfère plus qu'à une pratique illicite non concertée de ciseau tarifaire, aussi dite de compression des marges (§36 et 37 de ses écritures).
34. Celle-ci est pourtant, en droit, appréhendée à travers la notion de pratique restrictive de concurrence ou, plus usuellement, d'abus de position dominante en ce qu'elle suppose la caractérisation préalable d'une telle position occupée par un opérateur qui pratique des prix sur les marchés amont et aval tels qu'une entreprise concurrente aussi efficace sur le marché aval n'est pas en mesure de pratiquer un prix compétitif à moins de consentir des pertes (en ce sens, Cons. conc., n° 04-D-45, 16 septembre 2004, §65). Aussi, seule la clause d'approvisionnement exclusif peut être considérée sous le concept d'entente, le fait que la SARL Visiondistri y ait participé étant indifférent puisque la nullité de l'engagement se rapportant à une entente est absolue et peut être invoquée par tous (en ce sens, CJCE, 20 septembre 2001, Courage, C-453/99, §22, et 13 juillet 2006, Manfredi, C-295/04 à C-298/04, §59).
35. Mais, la SARL Visiondistri admet dans ses écritures que la clause d'approvisionnement exclusif ou prioritaire n'est pas critiquable en elle-même (§26 : « il ne serait pas contestable d'imposer une clause d'approvisionnement exclusif ou prioritaire de manière isolée dans un contrat de franchise. Le but de l'exposante n'est pas ici de faire annuler cette clause de manière isolée »), raisonnement pertinent au regard des articles 2 et 3 du règlement d'exemption 330/2010.
36. En effet, au sens de ces textes, une clause d'approvisionnement exclusif constitue une obligation de non-concurrence, entendue notamment comme toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur l'obligation d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise qu'il désigne plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou services contractuels (article 1d du règlement). Et, ainsi que le précisent les lignes directrices de la Commission européenne, une obligation de non-concurrence prévue dans un contrat de franchise ne relève pas de l'article 101§1 du TFUE lorsqu'elle est nécessaire au maintien de l'identité commune et de la réputation du réseau franchisé, à condition que sa durée n'excède pas celle de l'accord de franchise lui-même (§190b, cette lecture étant adoptée par Com. 20 décembre 2017, n° 16-20.201), ce qui n'est pas contesté par la SARL Visiondistri. Or, quoique, en dépit de l'assimilation parfois faite par les parties, le contrat d'affiliation ne soit pas strictement un contrat de franchise faute de transmission expressément stipulée d'un savoir-faire, les traits communs entre ces deux conventions (mise à disposition d'une enseigne, exploitation par l'affilié du concept éprouvé du fournisseur, mise en 'uvre d'une politique commerciale nationale) fondent une transposition de cette solution au contrat d'affiliation conclu et modifié le 15 juillet 2020. Aussi, la clause d'approvisionnement exclusif en produits MDD n'est pas illicite.
37. La clause d'approvisionnement prioritaire en produits de marque nationale stipulée dans l'avenant du 15 juillet 2020 est ainsi rédigée (article 1.4§2) :
S'agissant des produits de marques dites « nationales » (hors boucherie traditionnelle et fruits et légumes), l'affilié reconnaît que la compétitivité du réseau suppose qu'il fasse ses meilleurs efforts pour s'approvisionner en priorité auprès de Casino, afin de permettre au réseau de bénéficier de conditions d'achat compétitives. L'affilié s'engage donc à s'approvisionner en priorité auprès de Casino en produits à marque nationale.
En cas de non-respect de cette obligation, l'affilié pour être amené à indemniser Casino au titre du préjudice subi.
38. Cette stipulation ne précise pas la teneur et les contours de la priorité accordée à l'approvisionnement auprès du fournisseur. Aussi, sa signification, faute de pouvoir être déduite de sa lettre qui manifeste cependant une distinction entre exclusivité et priorité en ce que les produits MDD et de marque nationale sont explicitement soumis à des régimes formellement distincts, doit, au sens des dispositions des articles 1188 et suivants (anciennement 1156 et suivants) du code civil, être éclairée par la pratique des parties et ses conditions concrètes de mise en 'uvre. Or, tout en reconnaissant la pertinence de cette démarche qui exclut toute confusion nécessaire entre priorité et exclusivité (§24 de ses écritures : « sans se laisser abuser par la présentation formelle de la clause, les juges lui restituent sa véritable qualification lorsqu'ils constatent qu'elle impose des contraintes telles que, dans les faits, le débiteur ne peut pas proposer la prestation objet du contrat à un autre opérateur »), la SARL Visiondistri infère l'assimilation à laquelle elle procède de considérations générales tirées d'articles de doctrine, de décisions de justice concernant des actes et des parties différents ainsi que d'interprétations abstraites reposant en partie sur des motifs dubitatifs ajoutant à la lettre de l'article 1.4§2.
39. Elle ne livre aucun élément permettant de comprendre les conditions de son application effective et ne prétend pas que, alors qu'elle était libre de compléter l'assortissement proposé par la SAS DCF (l'adverbe « notamment » précédant l'évocation des produits locaux à l'article 1.4 induisant le caractère non restrictif de cette précision), elle aurait été empêchée de s'approvisionner auprès de tiers, peu important à ce titre que la clause ne mentionne pas la liberté de se fournir auprès d'un concurrent proposant un meilleur tarif. De fait, en dépit de la sanction contractuellement envisagée, son exécution n'a jamais suscité ni conflit lié à des exigences spécifiques de la SAS DCF ni interrogation de la SARL Visiondistri qui n'a pas émis la moindre réserve sur son interprétation avant la naissance du litige. Le courriel du 8 octobre 2022 qu'elle cite pour établir le contraire ne porte que sur une rupture ponctuelle d'approvisionnement sans rien dire des facultés de la SARL Visiondistri de se fournir ailleurs (pièce 24-1 de l'intimée), faculté dont l'attestation du gérant d'une supérette à l'enseigne Le Petit Casino qu'elle communique prouve qu'elle était réelle et tolérée (sa pièce 18 dans laquelle le témoin évoque son recours régulier à des « fournisseurs externes » ou un approvisionnement direct « chez Métro » pour obtenir de meilleurs prix que ceux fixés par la SAS DCF).
40. Dès lors, les clauses d'approvisionnement exclusif et prioritaire n'étant pas illicites et la pratique alléguée de ciseau tarifaire ne constituant pas une entente, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires et de restitutions de la SARL Visiondistri à ce titre, dépôt de garantie compris.
2°) Sur l'abus de position dominante
Moyens des parties
41. La SARL Visiondistri soutient que, « dans le contexte de l'espèce », la SAS DCF est en position dominante sur le marché de gros intermédiaire de l'approvisionnement des distributeurs qui existe malgré l'absence de décision de l'Autorité de la concurrence le définissant, position qu'elle déduit de la stipulation d'une obligation d'approvisionnement exclusif pour les produits MDD, qui sont par nature non substituables, et d'une obligation d'approvisionnement prioritaire pour les produits de marque nationale, à leur tour non substituables par l'effet de cette clause qui constitue une barrière juridique. Elle ajoute que la pratique de ciseau tarifaire couplée à une exclusivité ou une quasi-exclusivité constitue un abus de position dominante, peu important l'absence d'éviction effective dès lors que seul un risque d'éviction suffit à sa caractérisation et que le caractère indispensable du produit ou service intermédiaire pour entrer ou demeurer sur le marché de détail fait présumer l'effet anticoncurrentiel.
42. En réponse, la SAS DCF, qui s'appuie sur ses développements relatifs à l'absence de clause d'exclusivité, relève que la SARL Visiondistri définit le marché pertinent, préalable indispensable à la caractérisation d'une pratique anticoncurrentielle, comme celui de la vente de produits MDD qui n'existe pas et n'a d'ailleurs jamais été défini par une autorité de la concurrence. Elle indique que l'absence de substituabilité des produits qu'elle allègue est erronée au regard de sa liberté d'approvisionnement en matière de produits MDD non concurrents et de produits régionaux. Subsidiairement, elle conteste toute position dominante sur ce marché au motif que la SARL Visiondistri ne produit aucune étude l'établissant, que sa situation de monopole pour les produits MDD découle par définition de leur qualité de produits MDD et n'est de ce fait pas pertinente et que ses parts de marché dans le secteur de la distribution alimentaire sont modestes.
43. Plus subsidiairement, elle soutient que, même à supposer que la clause d'approvisionnement prioritaire soit requalifiée en clause d'approvisionnement exclusif, la SARL Visiondistri ne démontre pas qu'elle produise des effets d'éviction. Soulignant l'absence d'autorité de la chose jugée au principal de l'arrêt rendu en matière de référé le 12 octobre 2023, elle ajoute qu'elle ne prouve pas non plus la pratique de ciseau tarifaire qu'elle lui impute et qui suppose la caractérisation d'une position dominante et de l'impossibilité pour un concurrent potentiel aussi efficace que l'entreprise occupant cette dernière d'entrer sur le marché sans perte. Elle indique ainsi qu'un affilié ne peut par hypothèse être assimilé à un tel concurrent et que la SARL Visiondistri, qui a valorisé lors de son projet de revente son fonds de commerce à un prix supérieur de 400 000 euros à celui payé pour son acquisition, ne démontre pas subir des pertes. Elle conteste par ailleurs toute pratique de ciseau tarifaire dans les termes déjà exposés (supra, §20).
Réponse de la cour
44. A nouveau, la SARL Visiondistri fonde cumulativement son action sur les dispositions des articles 102 du TFUE et L 420-2 du code de commerce (quoique ne figurant pas dans le visa général du dispositif de ses écritures, il est expressément mentionné en sa page 114).
45. Conformément à l'article 102 du TFUE, est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
46. Par ailleurs, en vertu de l'article L 420-1 du code de commerce, sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :
1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
47. Et, en application de l'alinéa 1 de l'article L 420-2 du même code, est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.
48. Pour les raisons déjà évoquées dans le cadre de l'entente au visa de l'article 3§1 du règlement UE 1/2003 du 16 décembre 2002, l'abus de position dominante est régi cumulativement par les dispositions internes et du droit de l'Union européenne si l'abus est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, mais exclusivement par l'article L 420-2 du code de commerce si cette condition fait défaut et que seul le marché national français est concerné. Néanmoins, les conditions d'application de ces textes sont, hors ces effets, identiques, la caractérisation de la pratique supposant celle d'une position dominante d'une entreprise sur un marché, qui n'est pas critiquable en soi, et d'un abus de celle-ci. Ainsi que l'a précisé le Tribunal de l'Union (Volkswagen AG c. Commission, 6 juillet 2000, T-62/98, §230), « la définition adéquate du marché pertinent est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d'établir l'existence d'un abus de position dominante, il faut établir l'existence d'une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité ».
49. Le marché se définit comme le lieu de rencontre de l'offre et de la demande de produits ou de services spécifiques considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux, mais non substituables aux autres biens ou services offerts (en ce sens, notamment, Autorité de la concurrence, décision 17-D-25 du 20 décembre 2017, §379), la Commission ayant précisé dans sa communication du 9 décembre 1997 (JOCE, C 372, 9 décembre 1997) que le marché des produits ou des services, pertinent pour apprécier la puissance économique effective d'une entreprise en tenant compte de l'ensemble du contexte économique contemporain des pratiques dénoncées, est celui qui comprend tous les produits ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leurs prix et de l'usage auquel ils sont destinés. Sont substituables, et se situent de ce fait sur un même marché, les produits et les services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande (Conseil de la concurrence, décision 05-D-13, 18 mars 2005, §44), la substituabilité, à défaut d'être parfaite, se satisfaisant d'un degré suffisant d'interchangeabilité et s'appréciant tant du point de vue de la demande que de celui, plus secondaire, de l'offre.
50. En l'absence d'études quantitatives portant sur les élasticités-prix croisées, l'analyse du marché pertinent repose sur la constitution d'un faisceau d'indices convergents croisant plusieurs critères d'analyse qualitatifs, tels la nature du bien, sa notoriété et l'utilisation qui en est faite, les caractéristiques de l'offre (les stratégies de commercialisation mises en place par les offreurs, comme la différenciation des produits ou celle des modes de distribution et le type de clientèle visée), l'environnement juridique, les différences de prix ou les préférences des demandeurs, ces indices permettant d'apprécier quel serait le comportement du demandeur en cas de hausse relative du prix des biens ou services en cause. Les précédents de la pratique décisionnelle de la Commission européenne ou de l'Autorité de la concurrence sont à ce titre mobilisables.
51. A cette délimitation matérielle du marché (marché de produits) s'ajoute sa détermination géographique (marché géographique), la Commission précisant à ce titre que le marché géographique pertinent comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes, et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable (communication du 9 décembre 1997 déjà citée ; CJCE, United Brands Company et United Brands Continentaal BV c. Commission, 14 février 1978, 27/26, §44 : « zone dans laquelle les conditions objectives de concurrence du produit en cause doivent être similaires pour tous les opérateurs économiques »).
52. La SARL Visiondistri définit le marché pertinent comme celui, intermédiaire, de l'approvisionnement en gros des distributeurs « à l'intérieur du réseau » (§41 de ses écritures qui souligne également que « du fait des clauses contractuelles, les distributeurs ne peuvent pas s'adresser à n'importe quel offreur »). Cette approche, qui ne repose sur aucune analyse quantitative et qualitative, est circulaire. Opérée par référence à l'organisation interne du réseau tant pour les produits MDD que pour ceux de marque nationale, elle procède d'une confusion entre la détermination du marché et l'examen des effets de la clause d'approvisionnement. Ce raisonnement permet artificiellement de déduire les contours du marché de l'abus allégué pour faciliter sa caractérisation ; le périmètre du marché épousant celui des effets des clauses du contrat, la position dominante est mécaniquement établie. Or, le marché en cause ne peut être défini à l'aune des clauses du contrat d'affiliation dont l'appréciation n'est pertinente que pour caractériser l'abus : il l'est nécessairement, objectivement, en considération des produits échangés et de leur substituabilité au regard, non du contenu du contrat, mais de leurs caractéristiques, de leurs prix et de l'usage auquel ils sont destinés. De la même manière, les stipulations du contrat ne constituent pas des barrières juridiques permettant une segmentation du marché, celles-ci n'étant pertinentes qu'en ce que, structurelles, elles s'imposent à tous les acteurs intervenant sur le marché et non quand elles sont générées par la pratique anticoncurrentielle elle-même.
53. De fait, les deux décisions de l'Autorité de la concurrence citées par la SARL Visiondistri (décisions n° 21-D-09 du 24 mars 2021 et n° 20-D-22 du 17 décembre 2020) ne reconnaissent un marché de gros de produits MDD spécifique que dans le cadre de l'appréciation d'accords de coopération entre distributeurs portant sur les produits MDD ou de pratiques anticoncurrentielles d'entente entre fournisseurs désignant par avance l'entreprise (grandes et moyennes surfaces alimentaires et stations-service) qui remporterait les appels d'offres lancés. La segmentation est opérée sur le marché amont en considération du rôle des acteurs et des spécificités des conditions de commercialisation des produits MDD pour les fournisseurs qui se conforment aux exigences du distributeur et non à l'aune des contraintes contractuelles qui imposent à une partie, telle la SARL Visiondistri, de vendre les produits qu'elle distribue sous la marque de son propre fournisseur, la SAS DCF, ces derniers étant sur ce plan équivalents aux produits de marque nationale.
54. Aussi, le seul marché pertinent serait le marché, français faute d'éléments concrets sur sa dimensions géographique, de la vente en gros de produits alimentaires et non alimentaires.
55. Et, même en retenant l'existence d'un marché intermédiaire toutefois non délimité par les clauses contractuelles, la SARL Visiondistri ne caractérise pas la position dominante de la SAS DCF.
56. En effet, la position dominante, notion économique plus que juridique qui s'apprécie au jour des pratiques litigieuses, s'entend, de manière identique en droit interne et en droit de l'Union (CJCE, United Brands Company déjà cité, §65 et 66 ; CJCE, Hoffmann-La Roche & Co. AG c. Commission, 13 février 1979, 85/76, §38 et 39 ; solution reprise par l'Autorité de la concurrence dans sa décision D 22-D-06 du 22 février 2022) comme une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui, faute de pression concurrentielle suffisamment efficace, lui donne un pouvoir de marché substantiel et durable faisant obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis des actions et réactions de ses concurrents, de ses clients et, in fine, des consommateurs (décision 15-D-20 du 17 décembre 2015, §297). Pareille position, à la différence d'une situation de monopole ou de quasi-monopole, n'exclut pas l'existence d'une certaine concurrence mais met la firme qui en bénéficie en mesure, sinon de décider, au moins d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice.
57. La position dominante résulte de la réunion de plusieurs facteurs, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants, l'existence de parts de marché d'une grande ampleur étant néanmoins hautement significative (CJCE, Hoffmann-La Roche déjà cité, §39). Elle est identifiée à partir d'un faisceau d'indices convergents (en ce sens, Autorité de la concurrence, décision 13-D-11 du 14 mai 2013, §312) constitués de données d'ordre structurel (monopole, importance, répartition et rapport des parts de marché, barrières à l'entrée sur le marché pertinent) ou propres à l'entreprise dotée d'un ou plusieurs avantages concurrentiels (envergure de l'entreprise ou de son groupe d'appartenance et faiblesse relative de ses concurrents, détention de droits de propriété intellectuelle exclusifs ou d'avantages matériels ou financiers tels l'accès préférentiel à certaines sources de financement, notoriété des signes distinctifs et des produits et services, étendue de la gamme proposée, détention d'une avance technologique ou d'un savoir-faire spécifique, maîtrise de la fixation des prix). Cette appréciation doit prendre en considération le pouvoir de marché des acheteurs sur le marché pertinent : s'ils disposent, notamment à raison de leur taille ou de leur importance commerciale, d'un pouvoir de négociation certain, facilité par l'abondance de l'offre de produits substituables, une entreprise détenant une part de marché élevée n'est pas nécessairement en mesure d'observer un comportement indépendant dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses clients et n'est ainsi pas en position dominante (en ce sens, Autorité de la concurrence, décision 17-D-19 du 6 octobre 2017, §74 à 78).
58. A nouveau, la SARL Visiondistri déduit la position dominante de la SAS DCF des clauses contractuelles dont elle tire l'abus qu'elle allègue et de sa « situation de monopole pour les produits MDD ». Outre le fait que ce raisonnement est biaisé, elle ne produit aucun élément factuel ou économique permettant d'apprécier la position de la SAS DCF sur le marché en cause, la seule étude versée au débat, qui concerne le marché aval mais qui est néanmoins éclairante à défaut d'autres données, révélant au contraire que son groupe d'appartenance ne détient en début d'année 2024 que 5,2 % des parts du marché de la distribution alimentaire (pièce 57 de l'intimée).
59. En conséquence, faute de détermination adéquate du marché en cause et de preuve d'une position dominante de la SAS DCF sur le seul marché pertinent identifiable au regard des écritures des parties ou sur un marché intermédiaire quelconque, carence qui rend inutile l'examen d'un abus, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires et de restitutions de la SARL Visiondistri au titre de l'abus de position dominante, dépôt de garantie compris.
3°) Sur le déséquilibre significatif
Moyens des parties
60. La SARL Visiondistri soutient que la stipulation de la clause d'approvisionnement exclusif ou prioritaire couplée à la pratique de ciseau tarifaire caractérise une soumission à un déséquilibre significatif au motif que :
- le renouvellement du contrat le 15 juillet 2020 n'implique aucune liberté de négocier, tout changement d'enseigne pour un petit distributeur en situation de dépendance économique étant particulièrement coûteux et ne pouvant être motivé que par une menace sur sa survie même, telle celle à laquelle elle était exposée à compter de 2021. Elle déduit la soumission de l'impossibilité de négocier le contrat prérédigé par la SAS DCF pour garantir l'uniformité du réseau et de son absence de prise sur la pratique de ciseau tarifaire, par définition insusceptible de négociation ;
- l'achat de marchandises à un prix supérieur à celui pratiqué par la SAS DCF à l'égard de ses clients finaux lui interdit la fixation de prix compétitifs, un déséquilibre d'une telle ampleur n'étant pas globalement compensé par les contreparties du contrat d'affiliation, qui n'est pas un contrat de franchise.
61. Elle en déduit que, « la clause étant au c'ur de l'économie du contrat, c'est tout le contrat qui doit être ['] annulé ».
62. En réponse, la SAS DCF, qui rappelle que la pré rédaction d'un contrat n'implique pas en soi l'absence de négociabilité de ses termes, expose que la SARL Visiondistri ne prouve pas la soumission, l'avenant du 15 juillet 2020 précisant au contraire qu'il a été discuté après une période d'exploitation du fonds de commerce de près de deux ans. Observant que la SARL Visiondistri n'a jamais émis le moindre grief avant les échanges précontentieux, elle ajoute qu'elle ne démontre pas l'existence d'un déséquilibre significatif, la clause d'approvisionnement prioritaire ayant pour contrepartie la transmission d'un savoir-faire éprouvé, la fourniture de services d'assistance, la mise à disposition d'une marque et d'une enseigne reconnues, tant au plan national qu'international, et le bénéfice d'un budget d'enseigne à hauteur de 45 300 euros HT.
Réponse de la cour
63. Aux termes de l'article L 442-1 I 2° du code de commerce dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au jour de la conclusion des contrats litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
64. La partie victime d'un déséquilibre significatif au sens de cet article est fondée à solliciter la nullité de la clause du contrat qui crée ce déséquilibre et qui méconnaît les dispositions d'ordre public de ce texte (en ce sens, Com. 30 septembre 2020, n° 18-11.644, solution conforme aux précisions apportées par CConst., n° 2011-126 du 13 mai 2011, identique à l'avis de la CEPC n° 14-02 du 23 janvier 2014 et impliquée par le Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 qui souligne que la modification apportée sur ce point est destinée à lever une ambiguïté et non à modifier le droit existant).
65. La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d'une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d'autre part l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
66. La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par la SARL Visiondistri, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative. La soumission, situation de fait, n'est à cet égard pas strictement équivalente à la notion d'adhésion visée à l'article 1110 du code civil : dans le contrat d'adhésion, le consentement est, par hypothèse, donné sans réflexion et l'acceptation de l'intégralité des clauses est posée comme un fait définitivement acquis. Caractérisée en situation, elle implique pour sa part une impossibilité de négocier effectivement éprouvée, le consentement étant alors contraint, non par la force des choses mais par celle du partenaire. En outre, si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement.
67. Ainsi, la preuve de la soumission peut être rapportée directement, par la caractérisation positive d'un refus de négocier ou d'une impossibilité effective de le faire, ou indirectement à partir des circonstances de fait de l'espèce, par celle d'indices qui, s'ils sont graves, précis et concordants, peuvent constituer une présomption de fait au sens de l'article 1382 (anciennement 1353) du code civil qui devra alors, pour être renversée, être combattue par la démonstration par l'auteur de la pratique incriminée d'une libre négociation.
68. L'appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l'économie du contrat, et concrète. L'article L 442-1 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et CConst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC). L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties, les effets des pratiques n'ayant en revanche pas à être pris en compte ou recherchés (en ce sens, Com., 3 mars 2015, n° 14-10.907). En l'absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à l'appelante, tandis que celle d'un éventuel rééquilibrage du contrat par une ou plusieurs autres clauses repose sur l'intimée.
69. La SARL Visiondistri voit dans la stipulation de la clause d'approvisionnement exclusif et prioritaire associée à la pratique du ciseau tarifaire une soumission à un déséquilibre significatif. Elle place de ce fait sur le même plan une clause du contrat, théoriquement susceptible de négociation, et ses conditions concrètes (ou son contexte matériel) d'application, qui, par hypothèse, échappent à toute discussion ainsi qu'elle le reconnaît (§55 de ses écritures : « on ne négocie pas une pratique unilatérale »). Mais, l'article L 442-1 I 2° du code de commerce vise la soumission à une obligation, soit classiquement le lien de droit par lequel le débiteur est tenu d'une prestation, dans le cadre d'un partenariat commercial, d'une relation entre parties s'engageant, ou s'apprêtant à s'engager, dans une relation commerciale (en ce sens, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ayant remplacé l'expression « partenaire commercial » par le terme « partie », Com. 15 janv. 2020, n° 18-10.512). Il ne porte ainsi que sur les obligations susceptibles de négociation dans un processus contractuel et non sur des faits juridiques ne générant pas d'obligations au sens désormais de l'article 1100 du code civil et qui sont soustraits par hypothèse à toute discussion des parties et sanctionnés par la mise en 'uvre de la responsabilité contractuelle, ou le cas échéant délictuelle, de droit commun de leur auteur.
70. Aussi, la pratique de ciseau tarifaire est en-elle-même insusceptible d'être appréhendée sous l'angle de l'article L 442-1 I 2° du code de commerce, la condition de soumission ne devant ainsi être examinée que pour la stipulation de la clause d'approvisionnement.
71. La SARL Visiondistri, qui n'invoque pas spécialement le déséquilibre structurel du rapport de forces qui n'est quoi qu'il en soit qu'un indice de soumission, déduit cette dernière de la pré rédaction du contrat par la SAS DCF. Alors que la qualification de contrat d'adhésion n'est pas en débat, le seul fait que le contrat d'affiliation soit rédigé par la SAS DCF n'implique pas en soi l'impossibilité d'en négocier les termes, la SARL Visiondistri, qui a pourtant été en contact avec d'autres affiliés dont elle communique les témoignages, ne produisant à ce titre aucun contrat conclu par un autre distributeur révélant que les clauses litigieuses seraient des stipulations standard imposées identiquement à l'ensemble des affiliés.
72. La mention « les parties conviennent » qui figure dans l'avenant du 15 juillet 2020 n'est pas propre à prouver une négociation effective en ce qu'elle s'apparente à une formule de style. En revanche, la conclusion d'un tel avenant modifiant en particulier la clause d'approvisionnement dans un sens favorable à la SARL Visiondistri le jour de la conclusion du contrat d'affiliation, démarche prima facie peu commune dont cette dernière ne prouve pas qu'elle correspondrait à une pratique habituelle de la SAS DCF, est au contraire de nature à l'induire, et ce d'autant que ces conventions s'inscrivent dans des relations nouées dès 2018 dans un cadre juridique distinct après une exploitation sous l'enseigne Vival par son gérant. En outre, la SARL Visiondistri, qui a changé de réseau dès le 15 février 2023, signe que cette possibilité lui était offerte à un coût qui n'était pas prohibitif, ne prouve pas que, à raison notamment de l'antériorité des relations ou de l'importance pour la pérennité de son modèle économique de la SAS DCF, elle était contrainte de conclure et d'accepter les termes d'un contrat dont les modalités d'exécution, critiquées par voie de presse dès le 10 octobre 2013 (sa pièce 34), étaient connues d'elle.
73. La SARL Visiondistri oppose enfin sa dépendance économique qui caractériserait en soi la soumission. Pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, l'état de dépendance économique s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
74. Cependant, la SARL Visiondistri ne livre aucun élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur ses possibilités de réorientation de son activité auprès d'une autre enseigne, possibilités dont la réalité est néanmoins attestée par sa sortie du réseau avec un réassort complet deux jours après la résiliation (pièce 32 de l'intimée). Elle ne démontre ainsi pas être dans une situation de dépendance économique le jour de la signature du contrat litigieux qui opérait un changement important dans les modalités d'exploitation de son fonds de commerce.
75. Aussi, elle n'apporte aucun élément concret susceptible de caractériser une soumission.
76. En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le déséquilibre significatif allégué, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Visiondistri fondées sur l'article L 442-1 I 2° du code de commerce ainsi que ses demandes au titre des restitutions consécutives, dépôt de garantie compris, et ses prétentions indemnitaires, en ce qu'elles reposent sur les pratiques anticoncurrentielles et restrictives alléguées.
II - Sur l'exécution et la rupture du contrat
Moyens des parties
77. La SARL Visiondistri soutient subsidiairement que la clause résolutoire stipulée à l'article 13 du contrat d'affiliation a été régulièrement mise en 'uvre à raison des fautes graves et de la mauvaise foi de la SAS DCF qui consistent en :
- un abus dans la fixation du prix au sens de l'article 1164 du code civil. Elle précise à ce titre que, si la double distribution, qui fait de la tête de réseau un concurrent direct de son distributeur, n'est pas proscrite, la SAS DCF était tenue de ne pas s'avantager. Elle concède que cette dernière était contractuellement autorisée à fixer unilatéralement le prix d'achat de ses marchandises elle ne pouvait de bonne foi déterminer un niveau de prix plus élevé pour l'acheteur captif qu'elle était. Elle rappelle ainsi que la pratique du ciseau tarifaire déjà détaillée qu'elle impute à la SAS DCF, qui peut exister en dehors de tout abus de position dominante, ne lui permettait pas de pratiquer des prix concurrentiels tant pour les produits MDD que pour ceux sous marque nationale, et ce même en renonçant à sa marge puisqu'elle payait à la centrale d'achat auprès de laquelle elle était tenue de s'approvisionner un prix plus élevé que celui supporté par le consommateur final. Elle ajoute que les prix de revente conseillés par la SAS DCF étaient eux-mêmes supérieurs à ceux des produits qu'elle vendait en direct à ses clients finaux. Elle observe que les marchandises affectées par ces abus représentent 60 à 70 % de son chiffre d'affaires et sont celles qui les plus vendues ;
- l'occultation de la localisation de son fonds de commerce sur l'application Casino Max qui procède, peu important qu'elle n'ait pas expressément demandé à bénéficier de cet outil puisque la SAS DCF ne prouve pas qu'il était réservé aux affiliés ayant choisi de participer à son programme, d'une discrimination, ce grief étant visé dans sa mise en demeure visant la clause résolutoire ;
- des fautes diverses (retards quotidiens de livraison, ruptures d'approvisionnement, absence totale d'assistance caractérisé par son mutisme face à ses interrogations, défaut de paiement de ses prestataires impactant l'activité de ses affiliés).
78. Elle explique que, l'article 13 du contrat d'affiliation visant toute inexécution totale ou partielle de ses obligations par une partie, la clause résolutoire qu'il stipule a été régulièrement mise en 'uvre au titre de la mauvaise foi de la SAS DCF. Elle ajoute que la réforme du droit des contrats n'a pas interdit la stipulation de « clause balai » visant toutes les obligations des parties, telles celle d'exécuter la convention de bonne foi et de ne pas, par ses fautes, en anéantir l'équilibre. Elle observe que les manquements de la SAS DCF sont particulièrement graves au regard du nombre de références concernées et de leur part dans son chiffre d'affaires. Elle précise en outre que la procédure instituée par la clause résolutoire, qui n'impose pas d'annexer les preuves invoquées à la mise en demeure, a été respectée, peu important la rapidité de son changement d'enseigne en l'absence de clause de non-concurrence post contractuelle. Elle indique par ailleurs que les dénégations de la SAS DCF et sa proposition de réunion dans sa réponse du 30 décembre 2022 ne s'analysent pas en une cessation des manquements dénoncés rendant sa mise en demeure « fructueuse » au sens de l'article 13.
79. Subsidiairement, la SARL Visiondistri soutient que les manquements qu'elle impute à la SAS DCF fondent la résiliation pour faute grave au sens de l'article 1226 du code civil.
80. Elle calcule son préjudice (surcoût de 18 % constaté à la date des procès-verbaux de constat appliqué à la moitié des références représentant 80 % de son chiffre d'affaires HT de 2020 à 2023) dans les mêmes termes que ceux exposés au titre de la responsabilité délictuelle fondée sur les pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence (356 888,06 euros).
81. Elle explique par ailleurs que la SAS DCF doit lui restituer son dépôt de garantie (53 107,34 euros) à raison de la nullité du contrat et lui payer la somme de 48 437,54 euros au titre de la remise de fidélité calculée sur les achats HT de 2022. Elle précise concernant cette dernière que l'article 5 qui définit ses conditions d'octroi est nul à raison de sa contrariété aux articles 101 TFUE et L 420-1 et L 442 I 2° code de commerce en ce qu'il conditionne le versement à la présence dans le réseau au 31 décembre et constitue de ce fait une entrave excessive à la sortie du réseau.
82. Plus subsidiairement, elle conclut au rejet des demandes indemnitaires de la SAS DCF au motif qu'elle ne prouve pas le principe et la mesure du préjudice qu'elle allègue, la marge de référence devant quoi qu'il en soit être celle qu'elle pratique en cas de vente directe, et que le budget d'enseigne n'est pas dû car la rupture n'est pas causée par une faute imputable à l'affilié au sens de l'article 3 de l'avenant du 15 juillet 2020. Elle expose en outre que la SAS DCF ne prouve pas la réalité de l'impayé qu'elle allègue, la situation d'encours produite n'étant pas étayée et portant de surcroît pour une bonne part sur des éléments postérieurs à la résiliation du contrat.
83. En réponse, la SAS DCF explique qu'une clause résolutoire doit viser des obligations expressément prévues par le contrat qui la stipule et ne peut jouer qu'après une mise en demeure rappelant au débiteur défaillant l'existence de la clause et lui indiquant avec précision les manquements qui lui sont reprochés ainsi que le délai dont il dispose pour régulariser la situation. Précisant que les clients d'un drive national ne sont pas identiques à ceux d'un point de vente physique de proximité et contestant ainsi être la concurrente de la SARL Visiondistri, elle reprend ses développements antérieurs pour contester la captivité de cette dernière en matière d'approvisionnement et la pratique de prix abusif ou de ciseau tarifaire qui lui est imputée et souligner la liberté des parties dans la fixation de leurs prix respectifs ainsi que l'absence de griefs émis antérieurement à l'année 2022. Elle ajoute que l'occultation du fonds de commerce de la SARL Visiondistri sur son application Casino Max n'était pas visée dans la mise en demeure et ne peut de ce fait fonder la mise en 'uvre de la clause résolutoire, et relève que cette dernière n'a pas sollicité le bénéfice de cet outil. Elle observe enfin que les autres fautes ne sont pas prouvées, ne se rattachent, comme les autres manquements, à aucune obligation précise du contrat d'affiliation et ne figurent à leur tour pas dans la lettre de mise en demeure. Estimant que l'exécution de mauvaise foi à laquelle renvoie la pratique de ciseau tarifaire exclusivement visée dans la mise en demeure ne relève pas d'une obligation expresse du contrat, elle soutient que la mise en 'uvre de la clause résolutoire est non seulement infondée mais irrégulière en la forme. Elle indique sur ce point que la mise en demeure n'est pas restée infructueuse comme l'exige l'article 13 puisque, en dépit du délai particulièrement bref qui lui était accordé pendant la période des fêtes, elle y a répondu en proposant une réunion. Elle en déduit le caractère fautif de la résiliation anticipée notifiée par la SARL Visiondistri qui avait en réalité prémédité son changement d'enseigne avant l'envoi de la mise en demeure ainsi que l'implique notamment le respect des délais des articles L 330-3 et R 330-1 du code de commerce. Elle explique enfin que la SARL Visiondistri, qui a choisi de rompre le contrat par application de la clause résolutoire, ne peut a posteriori fonder son action sur l'article 1226 du code civil. Elle soutient subsidiairement que les conditions d'application de ce texte ne sont pas réunies, la SARL Visiondistri ne prouvant pas la faute grave justifiant une rupture par simple notification.
84. La SAS DCF précise que la rupture anticipée du contrat, dont le terme était fixé au 14 juillet 2027, lui a causé des préjudices résidant dans :
- la perte de marge sur les achats jusqu'au terme, soit 1 129 781 euros HT à raison de 53 mois sur la base d'un taux de marge sur les achats de 14,46 % appliqué au chiffre d'affaires réalisé qu'elle a réalisé en 2022 ;
- la perte des cotisations d'enseigne prévues par l'article 5 du contrat d'un montant total de 150 845 euros HT ;
- le montant du budget d'enseigne défini à l'annexe 8 article 2 du contrat (31 710 euros HT).
85. Subsidiairement, elle conclut au rejet des demandes indemnitaires adverses dans les mêmes termes que ceux précédemment résumés, ni perte de chiffre d'affaires ni détournement de clientèle n'étant établis. Elle ajoute que la SARL Visiondistri ne remplit pas les conditions fixées par l'article 5 de la convention « prime fidélité réseau Le Petit Casino » pour bénéficier de l'avantage qu'il institue. N'y voyant, à raison de sa nature, aucune entrave à la sortie du réseau, elle conteste sa nullité au sens des articles 101 du TFUE et L 420-1 du code de commerce et observe que la SARL Visiondistri ne peut sans se contredire solliciter la nullité de cet article et le bénéfice de la prime qu'il crée. Elle prétend en outre que le dépôt de garantie n'a pas à être restitué à la SARL Visiondistri au motif qu'elle demeure débitrice d'une somme de 146 985,24 euros TTC au titre des marchandises livrées mais non payées au 27 septembre 2023 ainsi que des dommages et intérêts dus à raison de ses fautes contractuelles.
Réponse de la cour
86. Conformément aux articles 1103, 1104 et 1194 du code civil (anciennement 1134), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1231-1 à 4 (anciennement 1147, 1149 et 1150) du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. Les dommages et intérêts ne comprennent quoi qu'il en soit que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.
87. En vertu de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation, poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation, obtenir une réduction du prix, provoquer la résolution du contrat et demander réparation des conséquences de l'inexécution, les sanctions qui ne sont pas incompatibles pouvant être cumulées et des dommages et intérêts pouvant toujours s'y ajouter.
88. En application du principe de force obligatoire et de l'article 1212 du code civil, le contrat d'affiliation, conclu pour une durée déterminée, doit être exécuté jusqu'à son terme, fixé au 14 juillet 2027 par l'avenant du 15 juillet 2020 (pièce 15 de l'intimée, article 1). Aussi, cette convention ne pouvait être résiliée avant la survenance de ce dernier que, à défaut de mutuus dissensus et de saisine préalable du juge, dans les deux hypothèses qui sont en débat et qui sont soumises au libre choix de l'auteur de la rupture :
- en vertu d'une clause résolutoire expressément stipulée visant l'inexécution d'une obligation explicitement prévue par le contrat et selon les conditions de forme qu'elle prescrit. Le contrôle judiciaire exercé a posteriori sur la caractérisation du manquement fondant sa mise 'uvre porte sur sa réalité et non, sauf si la clause elle-même se réfère à ce critère, sur sa gravité (en ce sens, Com., 14 décembre 2004, n° 03-14.380) ;
- en vertu du principe désormais encadré par l'article 1226 du code civil mais antérieurement acquis en droit positif (en ce sens, Com., 1er octobre 2013, n° 12-20.830, et 6 décembre 2016, n° 15-12981), selon lequel la gravité du comportement d'une partie à un contrat à durée indéterminée ou déterminée peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important les modalités formelles de résiliation contractuelle (en ce sens, sur ce dernier point, 3ème Civ., 8 février 2018, n° 16-24.641). En ce cas, le juge, qui peut retenir un partage de responsabilité, dispose d'un pouvoir d'appréciation de la gravité de l'inexécution invoquée et de ses conséquences sur le sort du contrat.
89. Dans ce cadre, non seulement la stipulation d'une clause résolutoire dans un contrat ne prive pas la partie envers laquelle l'obligation n'a pas été exécutée de résilier ce dernier en raison de la gravité du comportement de son cocontractant (en ce sens, Civ. 3ème, 8 juin 2023, n° 22-13.469), mais l'autonomie du régime défini à l'article 1226 du code civil autorise la partie qui a mis irrégulièrement en 'uvre une clause résolutoire à invoquer subsidiairement ce texte, sous réserve que ses conditions soient remplies. Aussi, le moyen opposé par la SAS DCF à ce titre est inopérant et les demandes, principale et subsidiaire, de la SARL Visiondistri peuvent, le cas échéant, être examinées successivement.
1°) Sur la mise en 'uvre de la clause résolutoire
90. En application des articles 1224 et 1227 à 1230 (anciennement 1184) du code civil, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice, le juge pouvant, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts. La résolution, qui met fin au contrat mais n'affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence, prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice. Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9. Enfin, le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.
91. Par ailleurs, une clause résolutoire ne peut, conformément aux articles 1103 et 1104 du code civil, être mise en 'uvre qu'en cas de manquement à une obligation expresse stipulée par le contrat conclu entre les parties et connue du débiteur (en ce sens, 3ème Civ., 17 septembre 2013, n° 12-21.724 ; Com., 17 janvier 2024, n° 22-10.164), analyse qui fait écho à l'article 1225 du code civil qui dispose désormais que la clause résolutoire précise les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat.
92. Ainsi que l'indique le rapport n° 22 fait au nom de la Commission des lois au Sénat du 11 octobre 2017, les clauses dites « balais » demeurent licites : devant exprimer les obligations prévue au contrat dont l'inexécution fonde sa mise en 'uvre, la clause résolutoire peut les viser toutes. Pour autant, elle ne peut être appliquée qu'aux hypothèses qu'elle envisage explicitement pour remplir adéquatement sa fonction d'alerte qui présuppose sa précision et ne s'accommode pas d'une indécision des parties sur sa portée : destinée à informer les cocontractants des conséquences spéciales et radicales qu'elle attache à l'inexécution de leurs obligations qu'elle participe à prévenir, elle ne peut concerner des obligations qui, faute d'avoir été clairement identifiées, peuvent avoir échappé à leurs prévisions. Dès lors, si, en application de l'article 1194 du code civil, le contrat oblige non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi, ces suites ne sont pas, par hypothèse, des obligations prévues et certainement connues du débiteur : leur violation peut engager la responsabilité contractuelle de leur auteur et, si ses conditions sont remplies, la résiliation de la convention par voie de notification pour faute grave mais n'autorise pas la mise en 'uvre de la clause résolutoire. Il en est de même de l'obligation générale d'exécution de bonne foi prescrite par l'article 1104 du code civil et applicable à tous les contrats indépendamment de leurs stipulations.
93. Aux termes de l'article 13 « Conditions de résiliation - Résiliation après mise en demeure », en cas d'inexécution totale ou partielle de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie pourra résilier de plein droit le contrat, sans indemnité ni préavis, après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse pendant quinze jours, la résiliation prenant effet dès l'envoi d'une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception, la date d'envoi faisant foi. Cette clause, dont l'interprétation doit être stricte au regard de ses conséquences, vise ainsi toutes les obligations du contrat sans égard pour celles qui n'y seraient qu'implicitement exprimées.
94. Dans sa lettre de mise en demeure visant la clause résolutoire du 16 décembre 2022 (ses pièces 7 et 7-1), la SARL Visiondistri impute à la SAS DCF une pratique de ciseau tarifaire, les prix pratiqués sur son site internet de vente direct casino.fr étant inférieurs ou trop légèrement supérieurs à ceux qui lui sont imposés sur le site de commande des affiliés prt.groupe-caisno.fr, ainsi que l'occultation de son fonds de commerce sur l'application Casino Max. Elle en déduit exclusivement une violation par la SAS DCF de son obligation d'exécuter la convention de bonne foi, aucune stipulation du contrat d'affiliation, autre que celles rappelant les conditions d'approvisionnement et définissant la politique de prix de l'affilié mobilisées pour caractériser sa captivité, n'étant visée. Elle maintient sa position dans ses écritures en invoquant ce seul manquement.
95. Or, l'obligation d'exécuter un contrat de bonne foi, qui trouve sa source dans la loi, n'est pas prévue au contrat d'affiliation. Aussi, sa violation ne peut fonder l'application de la clause résolutoire stipulée à l'article 13 du contrat d'affiliation. Pour ce seul motif, la SARL Visiondistri l'a irrégulièrement mise en 'uvre.
96. En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté ses demandes au titre de la mise en 'uvre de la clause résolutoire.
2°) Sur la résiliation par voie de notification
97. En application de l'article 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.
a) Sur les conditions de fond
98. La cour observe à titre liminaire que, parmi les fautes invoquées par la SARL Visiondistri pour fonder la résiliation, seul l'abus dans la fixation est corrélé à une demande indemnitaire, les autres manquements étant étrangers à la constitution et à l'évaluation du préjudice allégué.
- Sur l'abus dans la fixation du prix
99. Conformément à l'article 1164 du code civil, dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l'une des parties, à charge pour elle d'en motiver le montant en cas de contestation. En cas d'abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d'une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat.
100. La SARL Visiondistri invoque un abus dans la fixation du prix de vente des produits, MDD ou non, que la SAS DCF pratique à son égard, abus caractérisé par le fait qu'ils sont supérieurs à ceux des produits qu'elle vend directement au consommateur, ce dont elle déduit une exécution de mauvaise foi du contrat d'affiliation.
101. Aux termes de l'article 3 du contrat d'affiliation du 15 juillet 2020 non modifié sur ce point, les prix de cession des marchandises, qui sont susceptibles de fluctuations en fonction de l'évolution des tarifs des fournisseurs et du marché, sont communiqués à la SARL Visiondistri par la SAS DCF dont les conditions générales de vente (ci-après, « les CGV ») annexées sont explicitement acceptées (annexe 5). Aucune stipulation ne contraint la SARL Visiondistri dans la détermination de ses propres prix de vente qui est exclusivement tenue de ne pas pratiquer des prix anormalement élevés pour les produits MDD et premiers prix et de mettre en 'uvre une politique tarifaire compétitive par rapport à des concurrents comparables, la SAS DCF se réservant la faculté de fixer des « prix maximum conseillés de vente » (article 4.4).
102. Pour établir l'abus qu'elle invoque, la SARL Visiondistri produit notamment une pièce 27 censée être la retranscription par un commissaire de justice d'une conversation téléphonique entre le gérant de la SARL Visiondistri et le « directeur de la franchise de Casino ». Si la SAS DCF ne sollicite plus l' » écartement des débats » qu'elle avait demandé au tribunal au nom de la déloyauté de son obtention, elle conteste sa force probante.
103. Aux termes du procès-verbal de retranscription du 18 juillet 2023, le commissaire de justice précise immédiatement que le gérant de la SARL Visiondistri ne souhaite pas divulguer l'identité de son interlocuteur qui demeure inconnue. Par ailleurs, les conditions et la date de captation de l'échange ne sont pas évoquées. Aussi, faute de reposer sur des éléments vérifiables et de permettre un débat contradictoire utile, cette pièce n'a aucune valeur probatoire.
104. La SARL Visiondistri communique par ailleurs des articles de presse relatant les difficultés financières du groupe Casino et sa pratique, dénoncée par des franchisés ou constatée par des journalistes en 2013 et entre 2022 et 2025, de prix de vente à ses distributeurs excédant ceux proposés à ses clients directs (ses pièces 34 à 36-2, 45 à 48, 54 et 56) ainsi que des attestations de gérants de supérettes à enseignes du groupe Casino qui dénoncent cet usage menaçant leur survie (ses pièces 16 à 18). Si ces éléments sont insuffisants pour prouver les faits que la SARL Visiondistri impute à la SAS DCF, ils sont, en ce qu'ils se font écho, de nature à les éclairer et à accréditer la thèse d'une pratique ancienne et systémique, sous réserve que son principe soit préalablement directement et concrètement démontré.
105. Pour ce faire, la SARL Visiondistri verse au débat :
- des procès-verbaux de constat dressés les 22 novembre 2022 et 6 janvier 2023 par un commissaire de justice sur les sites casino.fr, accessible aux particuliers, et prt.groupe-casino.fr, réservé aux distributeurs, identifiant pour 30 produits de marque nationale ou MDD les prix respectivement pratiqués sur ces derniers et révélant que les premiers sont supérieurs ou, pour certains d'entre eux, légèrement inférieurs aux seconds (ses pièces 5, 9 et 9-1) ;
- un « tableau de comparaison des prix » pour la période du « 20 au 29 mars 2023 » recensant, pour 1 454 références, les prix d'achat auprès de la SAS DCF opérant comme centrale d'achats, de vente de celle-ci « sur le drive remisé Casino Max » et de vente par la SARL Visiondistri dans le magasin qu'elle exploite. Contrairement à ce que prétend cette dernière, ce document n'a pas été « co-réalisé » par son expert-comptable (page 124 de ses écritures) qui précise dans son attestation (sa pièce 21) qu'il a examiné ce « document qu'elle a construit » dans le cadre de la norme professionnelle applicable à la mission d'examen d'informations sur la base de procédures convenues. Celle-ci est une mission qui, ainsi que le précise l'arrêté du 13 avril 2022 relatif aux attestations particulières (NP 3100), porte sur des informations préalablement établies par le client et n'implique que des constats n'emportant l'expression d'aucune assurance. De fait, l'expert-comptable, qui évoque un rapprochement entre des bons de livraison de janvier 2023 et des prix du drive Casino du 4 mai 2023, dates ne correspondant pas à celles mentionnées sur le tableau, n'a pu procéder à des vérifications que par sondage sur « quelques produits représentatifs » (trois sont spécialement visés) dont les critères de sélection ne sont pas explicités. Il relève en outre que le délai de vérification est de nature à « générer une différence d'interprétation sur les prix affiché[s] sur le site et sur les [bons de livraison] ». Et, si ces derniers (pièce 20-1 de l'appelante) permettent effectivement de vérifier, pour partie au moins, la réalité des commandes listées dans le tableau, ils comportent des incohérences de prix justement relevées par la SAS DCF. Aussi, en l'absence de toute précision sur la nature et l'ampleur des sondages réalisés, cette attestation, qui conclut de surcroît à l'absence de constat de prix d'achat supérieurs aux prix de vente sur le drive et à l'existence de prix de vente en magasin excédant ceux du site internet du groupe Casino, n'est pas de nature à accréditer les données figurant dans le tableau qui, ainsi que le confirme la pièce 59 de la SARL Visiondistri, a été établi par celle-ci pour elle-même et n'a, faute d'éléments objectifs l'étayant, aucune force probante. Ce témoignage, qui ne précise pas les dates des constatations opérées, élément d'importance puisque celles mentionnées par l'expert-comptable ne concordent pas avec celles visées en entête du tableau, n'est pas suffisant pour pallier ces carences. Celles-ci sont en outre aggravées par les variations de la SARL Visiondistri qui, après avoir soutenu, comme son expert-comptable, que les bons de livraisons, versés au débat dans ce but, lui avaient servi de référence, prétend désormais s'être appuyée exclusivement sur la plateforme de commande et le logiciel Gold.
106. Ainsi, alors que la SARL Visiondistri ne conteste pas que la SAS DCF lui livrait chaque année plusieurs milliers de références (pièce 36 de cette dernière qui prouve la livraison de 7 896 références en 2022) parmi près de 26 000 mises à sa disposition, ces écarts constatés pour 30 d'entre elles, soit un volume insignifiant, sont très insuffisants pour prouver la pratique et l'exécution de mauvaise foi qu'elle lui impute. Cette analyse est confortée par le fait, que même en admettant que les prix pratiqués par la centrale d'achats puissent être utilement comparés à ceux du drive qui met en 'uvre des modalités de commercialisation différentes et touche une clientèle au moins partiellement distincte :
- la SARL Visiondistri, qui ne peut se retrancher derrière le principe d'effectivité du droit de l'Union dans le cadre de la responsabilité contractuelle de droit commun, ne fournit pas le moindre élément pertinent permettant d'apprécier la représentativité et le succès commercial des produits concernés, sa pièce 60 ne visant pour l'essentiel pas les mêmes références que celles objet des procès-verbaux de constat, ainsi que leur part dans son chiffre d'affaires ;
- le calcul de son préjudice repose sur une extrapolation très approximative de ces données. En effet, la moyenne des écarts (18 %) constatés sur une brève période postérieure à la rupture listés dans sa pièce 20, qui, non probante, comporte des inexactitudes et ne tient pas compte des remises tarifaires accordées par la centrale d'achats, est appliquée, pour la période 2020 à 2023, à la moitié, évaluée grossièrement, de cette part de son chiffre d'affaires non justifiée (80 %).
107. Face à une telle carence probatoire, qui ne s'explique pas par les difficultés d'accès aux données pertinentes puisque les relevés opérés en pièce 20 pouvaient utilement être effectués personnellement par un commissaire de justice dont les constatations auraient pu fonder, dans le respect de l'article 146 du code de procédure civile, l'organisation d'une expertise judiciaire impliquant la communication par la SAS DCF des prix pratiqués à l'égard des consommateurs durant la période pertinente, les articles de presse et les attestations produits ne sont, à l'instar de l'enquête de l'association UFC Que Choisir qui est trop générale et dont les conditions d'élaboration sont inconnues (pièce 36-2 de l'appelante), d'aucun secours.
108. En conséquence, aucun abus dans la fixation du prix imputable à la SAS DCF n'est prouvé par la SARL Visiondistri.
- Sur l'occultation du fonds de commerce dans l'application Casino Max
109. La SARL Visiondistri prouve par la production des procès-verbaux de constat des 24 novembre 2022 et 6 janvier 2023 (ses pièces 6 et 10) que le fonds de commerce qu'elle exploite n'apparaît pas dans l'application mobile Casino Max exploitée par la SAS DCF. Celle-ci permet aux utilisateurs, soit les personnes majeures ayant adhéré au programme de fidélité du groupe Casino, de bénéficier d'offres et de remises au sein des magasins participants « sous enseigne Géant Casino, Supermarché Casino ainsi que quelques magasins de proximité » (pièces 46-1 et 2 de l'intimée).
110. Le contrat d'affiliation n'évoque pas ce programme, l'article 4.2 « Publicité » précisant seulement les conditions de financement des actions promotionnelles menées par la SAS DCF, et la SARL Visiondistri n'explique pas en quoi la participation des affiliés à celui-ci se rattacherait à son exécution. En outre, la référence à la « participation » des magasins implique que le bénéfice de ce programme n'est pas automatique et est réservé à ceux qui ont manifesté la volonté de le rejoindre, ce que la SARL Visiondistri ne prétend pas avoir fait. L'obligation d'information qu'elle oppose à ce titre, inexistante en droit faute de fondement légal ou contractuel, est sans portée en fait puisque la SARL Visiondistri ne soutient pas qu'elle ignorait l'existence de l'application Casino Max.
111. Aussi, en l'absence de toute demande de participation de la SARL Visiondistri, son absence de référencement dans l'application Casino Max ne caractérise pas une faute imputable à la SAS DCF.
- Sur les autres fautes
112. La SARL Visiondistri impute à la SARL Visiondistri « des retards quotidiens de livraison » mais n'oppose à ce titre qu'un courriel du 29 septembre 2022 qu'elle reproduit en corps de ses écritures (page 107) sans daigner le communiquer, ce qui en soi le prive de toute valeur probante, et qui évoque de « nombreux retards quasi-quotidien » qui ne sont ni précisés ni étayés. Cette faute n'est pas prouvée.
113. Elle emploie la même méthode pour établir des « ruptures d'approvisionnement » de son point de vente en insérant une capture d'écran de trois courriels non datés (pages 116 et 117 de ses écritures). Pour étayer son assertion, elle communique, outre le courriel du 8 octobre 2022 qu'elle ne cite pas spécialement et qui porte sur une rupture ponctuelle d'approvisionnement d'un produit spécifique (pièce 24-1 de l'intimée), les bons de livraisons pour la période du 1er octobre au 29 décembre 2022 (sa pièce 57). Quoique cette pièce comporte 545 pages, elle n'est commentée « à titre d'exemple » que pour une livraison incomplète du 30 septembre 2022. Or, la SARL Visiondistri ne conteste pas que son examen révèle que le taux de service global de la SAS DCF sur la période est de 92 % et qu'une grande part des bons de livraisons concerne des produits frais pour lesquels elle est libre de s'approvisionner auprès de tiers (article 1.4 du contrat d'affiliation). Ce manquement n'est pas établi.
114. Elle entend en outre prouver « une absence totale d'assistance » en reproduisant à nouveau un courriel du 27 octobre 2022 en corps de ses écritures, sans toutefois le verser au débat, le manquement général et systématique allégué étant déduit de l'absence de réponse de la SAS DCF. Cette unique défaillance, à la supposer réelle, n'est de nature ni à caractériser une faute ni, en admettant le contraire, à fonder une résiliation à raison de son absence de gravité.
115. Elle déduit enfin de deux courriels des 24 novembre 2022 (non communiqué) et 10 octobre 2022 (pièce 24-2 de l'intimée constituant la suite directe de sa pièce 24-1 et évoquant la même difficulté) un défaut de paiement de ses prestataires par la SAS DCF qui « rejaillirait » sur ses affiliés. Ces difficultés ponctuelles ne sont pas démontrées par les seules affirmations du gérant de la SARL Visiondistri et sont, même en retenant le contraire, impropres à constituer un manquement contractuel justifiant une résiliation pour faute grave.
116. Aucune des fautes alléguées n'étant démontrée, la résiliation était infondée. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de la SARL Visiondistri à ce titre.
b) Sur les conditions de forme
117. Surabondamment, la cour constate que, même en admettant la réalité des fautes alléguées, la SARL Visiondistri n'a pas respecté les conditions de forme posées par l'article 1226 du code civil qui exige, sauf urgence, une mise en demeure préalable du débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
118. En effet, la SARL Visiondistri prétend avoir alerté à de nombreuses reprises son cocontractant sur ses inexécutions. Or, parmi les pièces qu'elle cite à ce titre, seul le courrier de son conseil du 29 mars 2022 évoque rapidement un abus dans la fixation du prix mais ne comporte aucune mise en demeure puisqu'il était destiné à informer la SAS DCF de l'existence d'un projet de cession (sa pièce 30, sa pièce 28 étant un courriel du 6 décembre 2021 mentionnant un entretien téléphonique dont l'objet n'est pas précisé et sa pièce 27 n'ayant aucune valeur probatoire quand les autres pièces visées portent sur des échanges relatifs à la mise en 'uvre de la clause résolutoire).
119. En pareilles circonstances, le délai de quinze jours accordé à la SAS DCF pour mettre un terme à une pratique qui, à la supposer réelle, impliquait de revoir l'intégralité de sa stratégie tarifaire et la définition de ses prix de vente aux distributeurs et aux particuliers, était évidemment trop bref pour être raisonnable. Aucune urgence, autre que celle tirée de la signature trop précoce d'un engagement avec une enseigne concurrente a minima le 27 janvier 2023 ainsi que l'induit l'application du délai prévu à l'article L 330-3 du code de commerce, ne justifiait une résiliation sans attendre la réunion proposée.
c) Sur les conséquences de la résiliation
120. Par avenant du 15 juillet 2020, le terme du contrat d'affiliation a été fixé au 14 juillet 2027 inclus (pièce 15 de l'intimée). Le contrat a été rompu fautivement par la SARL Visiondistri le 13 février 2023, soit 4 ans, 5 mois et 1 jour avant son terme (arrondis à 53 mois par la SAS DCF).
121. Le prix convenu de prestations n'étant dû qu'en cas d'exécution de la convention, la résiliation fautive de celle-ci par anticipation n'ouvre droit qu'à l'allocation au cocontractant de dommages-intérêts, même si leur montant peut être forfaitairement fixé par une clause pénale à celui de la fraction du prix restant à courir jusqu'au terme du contrat (en ce sens Com., 3 mai 2011, n° 10-15.884). Ainsi, les conséquences de la résiliation anticipée sont indemnitaires et ne relèvent pas de l'exécution forcée du contrat quoique celui-ci puisse aménager les conséquences de son inexécution jusqu'à son terme. La victime de l'inexécution contractuelle a droit à réparation intégrale des préjudices directement causés par celle-ci et dont elle souffre personnellement, l'indemnisation accordée l'étant sans perte ni profit, à la mesure du préjudice prouvé en son principe et sa mesure. Le juge, tenu de réparer intégralement tout préjudice dont il constate le principe (en ce sens, Com., 10 janvier 2018, n° 16-21.500, et 2ème Civ., 28 mars 2013, n° 12-14.655), apprécie souverainement, au jour de sa décision, son montant dont il justifie l'existence par la seule évaluation qu'il en fait sans être tenu d'en préciser les divers éléments (en ce sens, Ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20.640).
122. En rompant fautivement le contrat d'affiliation par anticipation, la SARL Visiondistri a directement et définitivement privée la SAS DCF de la marge sur les achats réalisés par cette dernière en son exécution, et non de la marge appliquée à ses ventes directes aux consommateurs qui n'a ici aucune pertinence. Le préjudice en résultant est un gain manqué qui peut être calculé par référence à la moyenne des achats effectués avant la rupture en tenant compte néanmoins, le juge évaluant le préjudice le jour où il statue, des évènements postérieurs qui auraient effectivement affecté la relation contractuelle jusqu'à son terme.
123. A cet égard, l'attestation du commissaire aux comptes de la SAS DCF confirme un chiffre d'affaires total de 1 760 595,85 euros HT pour l'exercice clos au 31 décembre 2022, exercice dont la représentativité n'est pas en débat et qui est pertinent en ce qu'il n'était pas affecté par la rupture. Pour autant, les articles de presse produits par la SARL Visiondistri révèlent l'existence d'importantes difficultés financières du groupe Casino que confirment ses résultats du premier semestre 2025 qui, malgré une amélioration, mentionnent la fermeture de 832 « magasins non rentables » et le transfert en franchise de 55 autres, pour seulement 92 ouvertures (pièce 58 de l'appelante). En outre, malgré l'absence de caractérisation d'une faute contractuelle, le mécontentement de la SARL Visiondistri à l'endroit des tarifs de la SAS DCF, qui fait écho à celui d'autres affiliés et à l'écart relevé en septembre/octobre 2023 par l'association UFC Que choisir, peu important ici son impropriété à participer à la preuve de l'abus allégué, aurait nécessairement induit une diminution de l'approvisionnement en produits locaux et en produits de marque nationale auprès de la SAS DCF conformément à l'article 1.4 du contrat d'affiliation.
124. En l'absence d'éléments sur la composition du chiffre d'affaires de la SAS DCF en considération des produits commandés, cette diminution certaine du volume des commandes sera estimée à 40 %, l'assiette du préjudice étant ainsi réduite à la somme de 1 056 357,51 euros, soit 88 029,79 euros par mois.
125. Pour prouver son taux de marge, la SAS DCF produit deux attestations de son directeur administratif et financier (ses pièces 52 et 61), soit des pièces établies par et pour elle-même. Faute d'être étayées et de reposer sur des données vérifiables, elles n'ont aucune force probante à raison de la contestation de la SARL Visiondistri. Au regard du secteur en cause et de la nature de l'activité de la SAS DCF et des produits vendus, sont taux de marge sera estimé à 13 %. Appliqué au chiffre d'affaires pertinent, son préjudice atteint, pour 53 mois d'inexécution, la somme de 606 525,27 euros.
126. Par ailleurs, l'article 5 du contrat d'affiliation « Redevance permanente due par l'affilié » stipule que la SARL Visiondistri s'engage à verser à la SAS DCF, en contrepartie du droit de l'enseigne et des marques, une redevance mensuelle égale à 1,20% HT du chiffre d'affaires TTC du point de vente (sorties caisse) réalisé au cours du mois précédent, le premier de chaque mois. Ce préjudice a effectivement la nature d'un gain manqué certain. Cependant, la SAS DCF ne produit pour en permettre la détermination exacte qu'une attestation de son directeur administratif et financier dont l'absence de force probante est acquise. Le juge qui constate le principe d'un préjudice étant tenu de l'indemniser, la cour se réfèrera au bilan comptable de 2021 de la SARL Visiondistri, qui est le seul document fiable pour approcher le chiffre d'affaires TTC du point de vente (sa pièce 24). En retenant un taux moyen de TVA de 8 % au regard de l'activité de la SARL Visiondistri (commerce à prédominance alimentaire), le chiffre d'affaires TTC sortie caisse mensuel peut être évalué, pour un total de vente de marchandises au bilan de 2 500 436 euros, à 225 039,23 euros par mois. Le préjudice de la SAS DCF est ainsi de 143 124,94 euros.
127. La cour constate que, bien que saisi de cette question, le tribunal ne l'a pas évoquée dans sa motivation. Elle déduit néanmoins du montant de la condamnation prononcée, qui correspond exactement à celui réclamé par la SAS DCF au titre de sa perte de marge sur achats, qu'il a écarté cette indemnisation complémentaire qui portait le quantum total de la demande à 1 280 626 euros. Si la SAS DCF ne forme aucune demande d'infirmation dans le dispositif de ses écritures quoiqu'elle sollicite une majoration de la condamnation à hauteur du montant initialement réclamé, la cour est saisie d'une demande d'infirmation de l'intégralité des chefs de dispositif par la SARL Visiondistri. Elle peut dans ce cadre, sans augmenter la condamnation, intégrer ce montant complémentaire, la demande de la SAS DCF à ce titre étant, comme le chef de dispositif correspondant, unique.
128. En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé sur le quantum de l'indemnisation et la SARL Visiondistri sera condamnée à payer à la SAS DCF la somme totale de 749 650,21 euros au titre de la redevance permanente d'enseigne et de sa perte de marge sur les achats.
129. Enfin, aux termes de l'article 2 de l'annexe 8 du contrat d'affiliation, la SAS DCF a versé à la SARL Visiondistri une somme de 45 300 euros HT au titre du budget d'enseigne. Et, l'article 3 de cette convention stipule que, si elle est rompue avant son terme à l'initiative du détaillant, ce dernier doit rembourser 70 % du budget d'enseigne si la rupture intervient avant l'expiration de la troisième année d'application du contrat.
130. Ces conditions étant remplies et les calculs du tribunal et de la SAS DCF étant exacts, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
3°) Sur le paiement de la remise de fidélité
131. La convention « Prime fidélité réseau Le Petit Casino » conclue le 15 juillet 2020 par les parties a pour objet la définition des conditions d'octroi et de calcul d'une « ristourne conditionnelle appelée "prime de fidélité" corrélée aux achats effectués par l'affilié auprès des entrepôts » la SAS DCF. Son article 5 est ainsi rédigé :
CASINO versera la prime de fidélité à l'Affilié sous réserve que ce dernier remplisse les conditions cumulatives suivantes, lesquelles constituent des conditions essentielles et déterminantes de son versement :
Le magasin sous enseigne visé par les présentes auquel sont destinées les marchandises achetées par l'Affilié devra être sous enseigne LE PETIT CASINO au 31 décembre de l'année civile d'application des présentes.
Le contrat d'affiliation liant l'Affilié à CASINO devra avoir été respecté dans toutes ses dispositions (notamment par la transmission du bilan comptable et de la balance fournisseur agrée ; la signature des avenants, la constitution des garanties et l'absence d'impayés, la détention de l'Assortiment minimum commun à un taux minimum de 85 %) durant l'année considérée, en dehors du cas de l'arrivée de son terme.
132. Pour prétendre à son versement quoiqu'elle ne conteste pas ne pas en remplir les conditions, son enseigne ayant été modifiée le 15 février 2023 ainsi que le prouve la SAS DCF (sa pièce 32), la SARL Visiondistri soutient que cette clause, qui fixe ses conditions d'attribution, est nulle à raison de l'atteinte qu'elle porte aux articles 101 du TFUE, L 420-1 du code de commerce et L 442-1 I 2° du code de commerce en ce qu'elle une entrave à la sortie du réseau. Cependant, la SARL Visiondistri n'évoque pas les conditions d'application de ces textes à cette demande spécifique et n'explique pas comment le contrat qui sert de fondement à sa prétention et dont elle ne motive pas la divisibilité pourrait subsister indépendamment de la clause fixant les conditions d'attribution de la prime qui en constitue l'unique objet. En outre, elle ne démontre pas que la question du bénéfice de cette prime, gratification spontanément accordée par la SAS DCF pour récompenser une fidélité qui, par hypothèse, se matérialise dans la présence dans le réseau à une date déterminée, compliquerait sa sortie du réseau, la possibilité de percevoir la prime étant expressément ménagée en cas de survenance du terme. La condition critiquées découle objectivement de la nature et de la fonction de la prime et n'affecte en rien la liberté de la SARL Visiondistri.
133. En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
134. La cour constate par ailleurs que, si la SARL Visiondistri motive sa demande de restitution du dépôt de garantie dans une partie commune à la prime de fidélité, elle ne fonde celle-ci que sur la nullité du contrat d'affiliation (§109 de ses écritures), demande déjà traitée et explicitement rejetée (supra, §40, 59 et 76).
4°) Sur les impayés
135. Conformément à l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
136. Pour prouver l'existence et le montant des impayés dont elle poursuit le règlement, la SAS DCF produit deux situations d'encours au 22 mars et 27 septembre 2023 (ses pièces 50 et 51). Outre le fait que ces pièces ont été établies par la SAS DCF pour elle-même et n'ont, faute d'être certifiées et étayées par des éléments extrinsèques, aucune valeur probante à raison de la contestation de la SARL Visiondistri, elles visent des impayés postérieurs à la date de la rupture dont la nature et l'origine sont indéterminables.
137. En conséquence, la créance n'étant prouvée ni en son principe ni en sa mesure, le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et la demande en paiement de la SAS DCF sera rejetée.
III ' Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
138. La SARL Visiondistri expose que le tribunal ne pouvait accueillir cumulativement les demandes principale et subsidiaire de la SAS DCF et indemniser ainsi deux fois un préjudice unique. Elle ajoute que les fautes de cette dernière, particulièrement graves en ce qu'elles privent le contrat de distribution de toute utilité économique, fondent quoi qu'il en soit la rupture sans préavis des relations commerciales, qui lui est de ce fait imputable au sens de l'article L 442-1 II du code de commerce. Subsidiairement, elle estime que la relation commerciale n'a débuté que le 15 juillet 2020, ce texte n'étant pas applicable ni à un contrat de location-gérance ni à une cession de fonds de commerce qui ne sont pas des activités de production, de distribution ou de services.
139. En réponse, la SAS DCF explique subsidiairement que les parties ont entretenu des relations commerciales établies nouées dès décembre 2018, peu important que leur cadre juridique ait évolué, et que la SARL Visiondistri les a rompues sans préavis le 13 février 2023 sans alerte préalable. Contestant dans les termes déjà résumés les fautes qui lui sont imputées, elle estime le préavis éludé à six mois et poursuit la réparation d'un préjudice consistant en la perte de sa marge brute pendant six mois (144 977 euros HT) ainsi que dans le montant du budget d'enseigne prorata temporis (31 710 euros HT).
Réponse de la cour
140. En vertu des articles 4 et 5 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties qui sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense, sous réserve de ses modifications par des demandes incidentes se rattachant aux prétentions originaires par un lien suffisant. Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
141. Tout en ayant exactement relevé dans l'exposé du litige que les demandes de la SAS DCF au titre de la résiliation anticipée du contrat étaient principales quand celle relative à la rupture brutale des relations commerciales établies était subsidiaire (page 3 du jugement entrepris), le tribunal a condamné cumulativement la SARL Visiondistri à chacun de ces titres. Ce faisant, il a dénaturé les prétentions des parties et l'objet du litige et a statué ultra petita. Or, la SAS DCF, qui ne conteste pas cette analyse, a hiérarchisé ses demandes dans les mêmes termes devant la cour d'appel.
142. En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la SARL Visiondistri au titre de la rupture brutale des relations commerciales, aucun rejet n'étant à prononcer par la cour puisque la demande principale de la SAS DCF est satisfaite.
IV - Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Succombant en son appel, la SARL Visiondistri, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS DCF la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ce montant tenant compte en équité de l'utilité de l'appel pour la SARL Visiondistri.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a :
- condamné la SARL Visiondistri à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 1 129 780 euros au titre de la redevance permanente d'enseigne et de la perte de marge sur les achats ;
- condamné la SARL Visiondistri à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 146 985,24 euros au titre des impayés ;
- condamné la SARL Visiondistri à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 60 000 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la SARL Visiondistri à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 749 650,21 euros au titre de son gain manqué (marge sur achats de marchandises et redevance permanente d'enseigne) ;
Rejette les demandes de la SAS Distribution Casino France au titre des impayés ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SARL Visiondistri au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SARL Visiondistri à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Visiondistri à supporter les entiers dépens de l'instance.