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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 octobre 2025, n° 23/06808

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Compagnie d'Affrètement et de Transport (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Vice-président :

M. Gouarin

Conseiller :

M. Richard

Avocats :

Me Schwab, Me Munch, Me Esquier, Me Bernabe, Me Feildel

T. com. Marseille, du 21 mars 2023, n° 2…

21 mars 2023

FAITS ET PROCÉDURE

La société Compagnie d'affrètement et de transport (ci-après « CAT ») a pour activité l'organisation de transport de véhicules et de pièces détachées pour le compte de constructeurs automobiles ainsi que la rénovation de véhicules neufs ou d'occasion.

En 1993, elle a créé sur la commune de [Localité 5] un site sur lequel elle a pris en charge des véhicules neufs ou d'occasion aux fins de réparation et rénovation de leur carrosserie pour le compte de son client final Renault Retail Group (ci-après « RRG »).

Entre septembre 2011 et 2014, la société CAT a sous-traité son activité de carrosserie du site de [Localité 5] à la société Auto Make Up, laquelle était chargée de gérer la réparation de véhicules reçus par la CAT. Dans le cadre de ces prestations, la société CAT lui mettait à disposition un atelier sous convention verbale d'occupation des lieux sur son site de [Localité 5]. En contrepartie, il était versé à la CAT une redevance de 6 % du chiffre d'affaires réalisé.

Par jugement du 18 juin 2013, le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Auto Make Up puis a ordonné, par jugement du 28 janvier 2014, la cession des actifs de cette société à la société [U] Auto.

Par lettre du 2 janvier 2014, la société CAT avait indiqué à M. [U], gérant de la société [U] Auto :

« Pour faire suite à nos différents entretiens aux cours desquels [vous nous] avez exposé votre projet concernant la reprise de l'activité de la Société AMU (Auto Make-Up), je vous confirme avoir été pleinement rassuré par votre vision de l'avenir et je ne vois aucun obstacle à la poursuite de nos relations commerciales.

Les conditions seront identiques à celles négociées avec la société Auto Make Up. »

Le jugement du 28 janvier 2014 précise, concernant le site de [Localité 5], que conformément à l'offre faite par la société Balik à laquelle s'est substituée la société [U] Auto, la cession comprend « la reprise des relations commerciales avec le client CAT » par la société [U] Auto, le dispositif du jugement précisant que « (d)ans la mesure où le contrat ne peut pas faire l'objet d'un transfert judiciaire, le candidat devra en faire son affaire personnelle s'agissant de la relation client ».

Concomitamment à cette reprise, la société CAT a confirmé à [U] Auto que les conditions de fonctionnement seraient identiques à celles précédemment appliquées à la société Auto Make Up, ce que la société [U] Auto a accepté.

Cinq ans plus tard, dans sa lettre recommandée du 2 septembre 2019 à la société [U] Auto, la société CAT a indiqué :

« Pour faire suite à notre réunion en nos locaux au mois de juillet 2019 et à votre courriel du 26 août dernier, nous vous rappelons la décision de notre client nous ayant conduit à modifier nos schémas logistiques et notre contrainte à devoir réaffecter le volume des véhicules de ce client sur d'autres sites logistiques.

Ce changement de schémas logistiques va en conséquence impacter le volume des prestations qui vous sont confiées sur notre site logistique de [Localité 5], dès le début du mois de septembre 2019. »

Ceci s'est traduit par l'arrêt de l'activité de rénovation de véhicules d'occasion, laquelle correspondait à plus de 90 % du chiffre d'affaires de la société [U] Auto.

Par acte du 6 décembre 2019, la société [U] Auto a assigné la société CAT devant le tribunal de commerce de Marseille aux fins d'obtenir la réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de leur relation commerciale établie.

Par jugement du 23 janvier 2020, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence a placé la société [U] Auto en liquidation judiciaire et a désigné Me [Y] en qualité de liquidateur de la société [U] Auto, lequel a repris l'instance pendante devant le tribunal de commerce de Marseille.

Par jugement du 21 mars 2023, le tribunal de commerce de Marseille a :

- Déclaré que la société CAT a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société [U] Auto,

- Condamné la société CAT à payer à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto les sommes de :

o 643.936,33 euros au titre du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales établies en application de l'article L. 442-1 du code de commerce,

o 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto du surplus de ses demandes,

- Condamné la société CAT aux dépens,

- Ordonné pour le tout l'exécution provisoire,

- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

La société CAT a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 7 avril 2023.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 6 mars 2025, la société CAT demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-1 du code de commerce,

- Infirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal a :

o Déclaré que la société CAT a rompu brutalement une relation commerciale établie avec la société [U] Auto,

o Condamné la société CAT à payer à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto les sommes de 643.936,33 euros au titre du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales établies en application de l'article L. 442-1 du code de commerce et de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

o Condamné la société CAT aux dépens,

o Ordonné pour le tout l'exécution provisoire,

o Rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du jugement,

Statuant à nouveau,

- Débouter Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto de l'ensemble de ses prétentions et demandes, en ce compris son appel incident portant sur le quantum du prétendu préjudice subi,

- Le condamner ès qualités à verser la somme de 20.000 euros à la société CAT au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Le condamner ès qualités au paiement des entiers dépens dont le recouvrement, pour ceux-là concernant, sera poursuivi par la SELARL 2H Avocats, en la personne de Me Schwab, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 27 mars 2025, Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

Vu l'article 1231-1 du code civil,

À titre principal,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal en ce qu'il a :

o Déclaré que la société CAT a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société [U] Auto,

o Condamné la société CAT à payer à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto les sommes de 78.613,33 euros au titre de l'indemnisation des coûts de licenciements économiques et 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

o Condamné la société CAT aux dépens,

o Ordonné pour le tout l'exécution provisoire,

o Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement,

- Infirmer partiellement le jugement rendu par le tribunal mais seulement en ce qu'il a :

o Condamné la société CAT à payer à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto la somme de 563.323 euros au titre du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales établies en application de l'article L. 442-1 du code de commerce,

o Débouté Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto du surplus de ses demandes,

Et, statuant à nouveau,

- Fixer la marge brute mensuelle réalisée par la société [U] Auto à 50,19 % de son chiffre d'affaires mensuel généré par sa relation commerciale avec la société CAT,

- Fixer à 24 mois la durée de préavis qui aurait dû être respectée par la société CAT,

En conséquence,

- Condamner la société CAT à payer à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto la somme de 1.165.658,72 euros au titre de la perte de marge brute pendant la durée du préavis normal qu'aurait dû respecter la société CAT,

- La condamner à lui payer la somme de 151.463,28 euros correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actif de la société [U] Auto, ou à tout le moins la somme de 78.613,33 euros correspondant aux coûts des licenciements économiques,

- Dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2019, date de délivrance de l'assignation à la société CAT devant le tribunal de commerce de Marseille, avec capitalisation des intérêts,

À titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal en toutes ses dispositions,

À titre très subsidiaire,

- Dire qu'en ayant pas accordé de préavis à la société [U] Auto, la société CAT a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société [U] Auto,

- Condamner la société CAT à payer par provision à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto la somme de 400.000 euros à faire valoir sur le préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales,

- Ordonner la désignation de quelque expert financier que ce soit inscrit sur la liste de la cour d'appel d'Aix-en-Provence aux fins de chiffrage du préjudice subi par la société [U] Auto du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie par la société CAT,

- Dire que les frais d'expertise seront à la charge de la société CAT,

- Surseoir à statuer dans l'attente du rapport d'expertise financière,

En tout état de cause,

- Débouter la société CAT en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la société CAT à payer à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société CAT aux entiers dépens de la présente instance, avec distraction au profit de la Selas Bruzzo Dubucq,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 juin 2025.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

I- Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

L'article L. 442-1 du code de commerce, applicable en la cause, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- 1/ Sur le caractère établi des relations commerciales

Moyen des parties

La société CAT soutient que les relations commerciales avec la société [U] Auto n'étaient pas établies au sens de l'article L.442-1, II du code de commerce. D'une part, le caractère pérenne de la relation ne peut selon elle pas être retenu, en raison d'un lent délitement de la relation et d'un désengagement progressif de la société [U] Auto depuis 2017, résultant en une baisse d'activité, et aboutissant à ce que cette dernière manifeste sa volonté de mettre fin à la relation dès 2018 en préparant la cession de son fonds de commerce. D'autre part, la société [U] Auto ne pouvait pas anticiper une quelconque continuité du flux d'affaires, au regard du type de prestations réalisées et de l'aléa portant sur celles-ci. En effet il n'existait qu'une convention verbale d'occupation de locaux sur le site de [Localité 5] sans que ne soit prévu une clause d'exclusivité entre les parties et la société RRG pouvait, depuis toujours et à tout moment, décider de ne plus confier la réalisation de prestations à la société CAT qui déléguait ces prestations à la société [U] Auto laquelle en était informée.

La société CAT ajoute que la société [U] Auto tentait d'imposer aux sociétés CAT et RRG de nouvelles conditions tarifaires dont la plupart ont été refusées par la société RRG, de sorte qu'en l'absence d'accord des parties sur de nouvelles conditions tarifaires, la société [U] Auto ne pouvait légitimement croire à la continuité des relations commerciales.

Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto répond, en premier lieu, que l'ancienneté des relations commerciales, le flux continu et régulier des commandes depuis 8 ans, la nature de l'activité et ses contraintes, ainsi que le volume d'affaires important entre les parties démontrent le caractère suivi, stable et habituel de la relation commerciale. Il explique, en second lieu, qu'en 2018, [U] Auto ne cherchait nullement à se désengager de son activité en prévenant la société CAT être à la recherche d'un repreneur pour son fonds de commerce. Un tel désengagement aurait été contraire à ses intérêts puisque son objectif était de vendre le fonds dans de bonnes conditions.

Réponse de la Cour

Au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoi qu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L. 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque " la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale ").

Au cas présent, l'existence d'une relation commerciale n'est pas contestée par les parties. Il est constant qu'il s'agissait d'une prestation de sous-traitance, laquelle prévoyait la rénovation et la réparation par la société [U] Auto des véhicules neufs et d'occasion fournis par la société CAT qui mettait à disposition de la société [U] Auto un local sur son site de [Localité 5] en contrepartie d'une redevance de 6 % du chiffre d'affaires réalisé.

La société [U] Auto verse aux débats les factures émises entre les sociétés CAT et [U] Auto de janvier 2014 à octobre 2019 (Pièces n°6 de la société [U] Auto), lesquelles démontrent une régularité du flux d'affaires durant cette période. La note d'expert-comptable produite par la société [U] Auto fait état d'un chiffre d'affaires de 1 231 281 euros en 2015, pour atteindre 1 328 239 euros en 2017 et 1 148 918 euros en 2018, constituant pour [U] Auto une moyenne de 93,5% de son chiffre d'affaires pour la période 2015-2018. Les relations commerciales généraient donc un flux d'affaires continu et significatif.

Concernant la précarité alléguée de la relation commerciale, la Cour relève que, si la société CAT prétend que la relation avec [U] Auto pouvait cesser à tout moment du fait de la volonté unilatérale et discrétionnaire de Renault, elle ne démontre pas avoir subi une quelconque cessation ou diminution de commande de la part de son donneur d'ordre (RRG). Les échanges entre les parties ayant présenté un caractère permanent et continu jusqu'en 2019, [U] Auto pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire.

Le simple fait pour [U] Auto de refuser d'exécuter certaines opérations spécifiques de peinture à l'issue d'une négociation infructueuse entre les parties sur les tarifs n'est pas de nature à conférer un caractère précaire à la relation. Il en est de même de l'annonce par Monsieur [G] [U] de sa volonté de céder son fonds de commerce.

Ainsi, la relation d'affaires entre CAR et [U] Auto présentait un caractère suivi et habituel, aucune baisse significative de l'activité, ni aléa portant sur les prestations, et de nature à précariser la relation, ne pouvant être relevé.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré la relation commerciale établie.

- 2/ Sur la notification de la rupture

Moyen des parties

La société CAT soutient que la lettre du 2 septembre 2019 ne constitue pas une rupture de la relation. D'une part, il ne s'agit que d'une notification officielle d'un changement annoncé et discuté depuis plusieurs mois, la société [U] Auto connaissant la décision de RRG de ne plus confier les rénovations de véhicule d'occasion à la société CAT bien avant la lettre du 2 septembre 2019 (Pièces CAT n°22 et 23). D'autre part, ce changement n'avait pas selon elle pour effet de mettre un terme à la relation entre la société CAT et la société [U] Auto, la rénovation de véhicules neufs étant toujours confié à la société CAT. La société CAT a au demeurant continué de solliciter [U] Auto pour la rénovation de véhicules de ce type postérieurement au 2 septembre 2019.

Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto répond, d'abord, que la rupture notifiée par la lettre du 2 septembre 2019 a eu pour effet l'arrêt de l'activité de rénovation de véhicules d'occasion, correspondant à 93,5% du chiffre d'affaires de la société [U] Auto. Il fait valoir, ensuite, que la société CAT ne démontre pas avoir annoncé et discuté préalablement du changement avec la société [U] Auto. En outre, l'existence d'une éventuelle annonce verbale d'une rupture est parfaitement indifférente, l'article L. 442-1 du code de commerce imposant expressément l'existence d'un préavis écrit. Il soutient, enfin, que les quelques échanges intervenus entre octobre et novembre 2019 ne permettent pas de caractériser une poursuite des relations postérieurement au 2 septembre 2019.

Réponse de la Cour

L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture mais sa brutalité, qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant, cette notification correspondant à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation. Le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis (Com., 7 mars 2018, n°16-19.777). Ainsi, l'écrit par lequel une entreprise notifie son intention de ne pas poursuivre une relation commerciale établie ne fait courir le préavis dû à l'entreprise qui subit la rupture que s'il précise à quelle date la relation prendra fin (Com., 26 février 2025, n° 23-50.012).

La brutalité de la rupture d'une relation commerciale établie doit par ailleurs s'apprécier à la date de la notification de cette rupture sans prendre en compte des éléments postérieurs à celle-ci (Com., 5 juillet 2017, n°16-14.201). La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (Com., 20 novembre 2019, n° 18-11.966).

Au cas présent, la lettre de la société CAT du 2 septembre 2019, dont la teneur est reproduite supra, évoque seulement un impact du « volume des prestations » et ce « dès le début du mois de septembre 2019 », sans préciser si la relation est destinée à prendre fin et dans cette hypothèse, à quelle date. Elle ne peut en conséquence s'analyser comme la notification, par un écrit non équivoque, de l'intention de CAT de ne pas poursuivre la relation commerciale et de faire courir le préavis dû à [U] Auto.

La décision de la société RRG de ne plus confier à la société CAT la rénovation de véhicules d'occasion sur le site de [Localité 5], à la supposer établie, si elle parait avoir été évoquée oralement entre les parties, n'est par ailleurs pas un élément propre à retirer à la rupture son caractère brutal allégué, dès lors qu'elle n'a pas été formalisée par un écrit de CAT manifestant le caractère inéluctable de la rupture consécutive de ses relations avec [U] Auto et précisant le calendrier retenu en lien, de manière à lever l'incertitude quant à l'impact de celle-ci -à la supposer démontrée- sur son sous-traitant.

Les circonstances concrètes de la rupture doivent en conséquence en l'espèce être recherchées en considération de la variation significative du flux d'affaires entre les parties.

Il n'est à cet égard pas utilement contesté par la société CAT qu'elle a effectivement retiré à la société [U] Auto la réparation et rénovation des véhicules d'occasion pour lui adresser uniquement des commandes relatives à des véhicules neufs, ce qui a eu pour effet de provoquer une baisse de 93,5 % du flux d'affaires entre les parties (Pièce n°12 de la société [U] Auto). De surcroit, la circonstance que la CAT justifie avoir continué à solliciter [U] Auto pour la rénovation de véhicules neufs après le 2 septembre 2019 n'est pas de nature à caractériser un maintien de la relation, à défaut de quantifier le volume de véhicules neufs subsistant par rapport aux volumes de véhicules d'occasion qui ont été retiré et qui aurait pu permettre de garantir un flux d'affaires semblable à celui antérieur au 2 septembre 2019.

Il se déduit de ce qui précède que la baisse en septembre 2019 de 93,5 % du volume de véhicules confiés par la CAT à [U] Auto pour réparation et rénovation caractérise une rupture partielle de la relation commerciale.

Le jugement est confirmé à cet égard.

- 3/ Sur l'imputabilité de la rupture

Moyen des parties

La société CAT soutient que la rupture intervenue ne peut lui être imputable. En premier lieu, la CAT était selon elle en droit de rompre la relation unilatéralement et sans préavis en raison selon elle de manquements graves et répétés de la société [U] Auto dès 2014, et particulièrement en 2018 (Pièce société CAT n°17) :

- Les volumes de rénovation et réparation des véhicules n'étaient pas traités par la société [U] Auto ;

- La société [U] Auto n'a pas respecté des tarifs imposés sur certaines des opérations ;

- Les dirigeants de la société [U] Auto ont refusé de participer aux réunions de suivi ;

- La désorganisation de la société [U] Auto avait des effets négatifs sur la qualité de son travail.

En second lieu, la société CAT fait valoir que sa décision n'était que la conséquence de la décision unilatérale de son donneur d'ordre RRG de relocaliser l'activité, elle-même dictée par le comportement fautif de la société [U] Auto.

Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto répond, d'une part, que la société CAT ne peut justifier l'absence de préavis par des négligences graves, dès lors que ces dernières ne sont pas caractérisées et qu'en tout état de cause il n'est pas établi qu'elles seraient à l'origine de la rupture. Il fait valoir, d'autre part, que la société CAT ne peut pas soutenir que la rupture ne lui est pas imputable, dès lors qu'elle ne démontre pas que RGG a effectivement notifié une rupture de leur relation et qu'il n'est pas davantage démontré que cette prétendue rupture aurait été à ce point soudain qu'elle aurait empêché la société CAT de laisser un préavis à son sous-traitant.

Réponse de la Cour

La rupture doit être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée. Quoique brutale, elle peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Cass., Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.

Au cas présent, les parties s'opposent, en premier lieu, quant au volume journalier de véhicules d'occasion à rénover et dont l'irrespect serait de nature à écarter la responsabilité de l'auteur de la rupture.

La société CAT prétend à cet égard que la société [U] Auto « a été mise en garde en raison du non-respect de la cadence de rénovation imposée par RRG » et « s'est ainsi vu reprocher de ne pas tenir le rythme journalier de véhicules à traiter (12 véhicules / jour) » (page 21 des écritures de la société CAT). Elle entend démontrer par diverses correspondances que [U] Auto aurait manqué contractuellement à ses obligations en ne satisfaisant pas aux objectifs de volume fixés, induisant de nombreux retards sur les rénovations. En 2014, la CAT faisait plus spécifiquement état d'une règle de « 15 véhicules/jour » (pièce n°7 de la société CAT) : « Les volumes compte tenu de la baisse du marché sont effectivement plus faibles, mais sur le dernier mois, soit septembre 2014, le volume qui vous a été remis par l'expert était de 15 VO/jour et vous n'avez réalisé que 197 rénovations. Sur le mois d'octobre 2014 au 13 inclus vous n'avez réalisé que 74 rénovations soit 8,22 voitures par jour avec un délai de 15 jours soit un dépassement de 5 jours sur le délai accordé. Dans tous les cas et ce depuis le début de l'activité l'expert ne vous remet pas de VO uniquement dans le cas où vous dépassez l'encours de 100 voitures, c'est-à-dire lorsque vous ne suivez pas la cadence. Aujourd'hui la règle est toujours en vigueur soit 15 véhicules/jour piloté par l'expert sans dépassement de l'encours fixé par le client. »

La société CAT souligne ensuite qu'il ressort d'un échange de 2019 entre l'expert de la société RRG et [U] Auto par courriel évoquant « 12 véhicules par jour, sauf en période basse » (pièce n°12 de la société CAT), que selon RGG « ce n'est pas quand vous avez besoin des autos que vous devez en avoir, mais c'est toute l'année ou vous devez répondre au constructeur par 12 véhicules par jour, sauf en période basse, qui n'est plus le cas depuis un certain temps. Concernant votre perte financière vous avez rénové en 2018 470 de moins que 2017 représentants un chiffre d'affaires non négligeable. Sachez qu'à ce rythme-là nous [RRG] n'avons plus d'intérêt à conserver les 100 places qui n'ont qu'un seul but : augmenter nos délais. »

La société [U] Auto conteste en réponse ce volume journalier et explique « qu'aucun objectif de rendement n'était prévu entre les parties pour les délais de réparation » (page 24 des écritures de la société [U] Auto). Elle atteste utilement, à l'appui, par divers courriels, entre autres du 12 mai 2015 (pièce n°43 de la société [U] Auto), et du 26 février 2016 (pièce n°44) que les volumes de véhicules fournis pour rénovation par la CAT étaient parfois insuffisants pour répondre à ses besoins d'activité : « Nous avons à ce jour un encours de 11 RVO et l'activité sur les travaux extérieurs est très calme. La situation est catastrophique, nous avons 15 salariés que nous n'arrivons pas à occuper » ; « A compter de mardi, nous n'aurons plus de quoi occuper notre personnel. Si vous avez du visuel sur de futures voitures merci de nous le faire savoir de façon à pouvoir nous organiser sur une éventuelle reprise ».

Par ailleurs, [U] Auto fait valoir de manière pertinente avoir sollicité dès 2014 l'établissement d'un cahier des charges afin de définir les obligations de chacun concernant notamment les volumes à traiter. Elle justifie avoir demandé par lettre recommandée du 27 novembre 2018 le cahier des charges à la société CAT que cette dernière invoque pour établir l'obligation de rendement (Pièce n°18 de la société CAT).

Dans ces circonstances, la Cour constate qu'aucun cahier des charges n'est versé aux débats et qu'il n'est, en l'état des éléments versés aux débats, pas établi que les parties aient convenu d'engagements spécifiques portant sur les volumes de rénovation.

Elle retient en conséquence que la société CAT ne peut valablement reprocher à la société [U] Auto de ne pas respecter une cadence journalière, faute de démontrer que la sous-traitance de la rénovation de véhicules ait été soumise à un volume d'approvisionnement de la part de CAT, et que [U] Auto avait l'obligation de rénover un nombre prédéterminé de véhicule par jour.

En deuxième lieu, il est observé que l'échange de divers courriels datés des 25 juillet, 30 octobre et 28 novembre 2018 entre l'expert Renault, CAT et [U] Auto versés aux débats ne fait que rapporter l'existence d'une négociation entre les parties sur les tarifs d'opérations spécifiques de peinture s'étant révélé infructueuse, et est étranger à toute idée d'inexécution contractuelle.

En troisième lieu, la Cour retient que ni le simple refus de la société [U] Auto de participer aux réunions de suivi, dont elle n'a au demeurant jamais reçu les comptes-rendus, ni les désorganisations internes alléguées de cette dernière, étrangères à la relation et qui ne sont en toute hypothèse corroborées par aucune pièce, ne sont de nature à écarter la responsabilité de l'auteur de la rupture.

Il résulte de ce qu'il précède que les éléments apportés par la CAT au soutien de son moyen de défense ne sont pas de nature à l'exonérer de son obligation d'accorder un préavis à [U] Auto.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que la rupture était imputable à la CAT.

- 4/ Sur la durée du préavis éludé

Moyen des parties

La société CAT soutient que le préavis de 11 mois fixé par les premiers juges est injustifié. Elle fait valoir, en premier lieu, que la société [U] Auto n'était pas en situation de dépendance économique à son égard, cette dernière n'ayant jamais cherché à se diversifier, et ne subissait aucune interdiction ou impossibilité de diversifier sa clientèle. La société CAT ajoute que les deux sociétés étaient totalement indépendantes l'une de l'autre. Elle prétend, en second lieu, s'agissant de la durée de la relation, qu'il n'y a pas à prendre en compte la durée de la relation entretenue avec Auto Make Up, interrompue du fait de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de cette dernière, procédure qui a non seulement rompu le lien juridique mais qui a aussi rendu la relation particulièrement instable, et donc non établie. En tout état de cause, le préavis dû ne pourrait selon elle être supérieur à 6 mois.

Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto répond que le préavis de 11 mois fixé par le tribunal est insuffisant, et demande que la Cour fixe le préavis dû à 24 mois en raison :

- de l'état de dépendance économique de la société [U] Auto à l'égard de la société CAT (pièce de la société [U] Auto n°48, page 24), démontré par la part du chiffre d'affaires tiré de la relation équivalant à 93,5%, ainsi que la difficulté pour la société [U] Auto de se diversifier en l'espèce (très forte dépendance économique, position unique la société CAT sur un marché local, frais de conversion significatifs ' notamment nouveau local, prospection de clients locaux multiples ' pour une activité à la rentabilité limitée) ;

- de la durée de la relation, qui doit prendre en compte la reprise Auto Make Up en 2014 par la société [U] Auto (8 ans), dès lors que le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence arrêtant le plan de cession d'Auto Make Up vise expressément la reprise des relations commerciales avec le client CAT et que la reprise du contrat en 2014 n'est que la continuité de la relation commerciale déjà existante.

Réponse de la Cour

Le préavis, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Cass., Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Cass., Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé.

Sur la durée de la relation

En matière de rupture brutale d'une relation commerciale établie, la seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties (Cass., Com., 10 février 2021, n°19-15.369)

Au cas présent, la lettre du 2 janvier 2014 précitée envoyée par la société CAT à la société [U] Auto, en lien direct avec l'offre de reprise par cette dernière de l'activité de la société Auto Make Up alors en redressement judiciaire, est sans équivoque quant à la volonté de la CAT de « poursuivre les relations commerciales » et ce « dans des conditions identiques à celles négociées avec cette société », pour des prestations identiques.

Il s'ensuit que l'antériorité des relations commerciales remonte au 19 septembre 2011(pièce n°35 de la société [U] Auto).

S'étant poursuivies sans interruption jusqu'au 2 septembre 2019, la durée des relations commerciales est de huit ans.

Sur l'état de dépendance économique

L'état de dépendance économique, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Cass., Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Cass., Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Cass., Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Il ressort au cas présent de la note d'expert-comptable produite par la société [U] Auto qu'une moyenne de 93,5% de son chiffre d'affaires provenait entre 2015 et 2018 de sa relation avec la CAT, et que le volume d'affaires s'est avéré stable durant cette période.

La Cour retient de surcroit que les circonstances tenant à ce que la société [U] Auto exerçait son activité au sein des locaux de CAT, ainsi que celles résultant de la force économique du groupe CAT, en relation avec « le groupe Renault Retail Group, et se présentant sur son site internet groupecat.com comme leader européen indépendant dans le domaine du transport et de la logistique automobile » (pièce n°31 de la société [U] Auto), ont été de nature à entraver [U] Auto dans sa faculté de substituer le courant d'affaire généré avec la CAT par d'autres relations commerciales, dans des conditions équivalentes.

La Cour considère par ailleurs qu'il ne peut être utilement reproché à [U] Auto de ne pas avoir cherché à diversifier son activité. En effet, la société [U] Auto ne pouvait, pour des raisons qui lui ont été présentées comme relevant de la sécurité, faire entrer librement les véhicules qu'elle souhaitait sur son site d'activité. Cette interdiction, combinée au fait que les volumes de véhicules fournis par la CAT devaient être traité en priorité, portaient une atteinte manifeste à la faculté de [U] Auto de se diversifier. Il aurait de surcroit été difficile pour [U] Auto d'entretenir un courant d'affaires distinct dans un lieu tiers, compte tenu du marché sur lequel elle opérait et du poids économique du groupe CAT sur ce même marché.

Il s'ensuit que la société [U] Auto se trouvait en état de dépendance économique à l'égard de la société CAT.

Dans ces circonstances, compte tenu la durée de la relation et de l'état de dépendance économique, ainsi que de la stabilité du flux d'affaires, le préavis éludé doit être fixé à 11 mois.

Le jugement, qui a retenu cette durée, sera confirmé par ces motifs substitués.

II- Sur la réparation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies

Le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Cass., Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). Cette approche n'exclut pas l'indemnisation d'autres préjudices directement causés par la brutalité de la rupture dès lors que, distincts du précédent, ils sont démontrés en leur principe et en leur étendue.

1/ Sur le gain manqué

Moyen des parties

La société CAT soutient que le taux de marge retenu par le tribunal est erroné et manifestement excessif. Les résultats négatifs et déficitaires de la société [U] Auto depuis 2018 sont selon elle incompatibles avec le taux de marge retenu par le tribunal.

Elle critique le rapport d'expertise de partie produit par la société [U] Auto en ce qu'il gonflerait artificiellement la marge réellement générée par l'activité en déterminant la variabilité des charges selon des critères différents pour chaque charge. Elle produit une analyse chiffrée aboutissant à une marge brute sur coûts variables négative depuis 2018. Au regard de la durée du préavis sollicité et son activité, elle ajoute qu'il convient de considérer que les charges de cette dernière sont toutes variables, en ce notamment les charges de personnel, comprenant le personnel intérimaire et sous contrats à durée déterminée de courte durée. Elle conclut donc à l'infirmation du jugement s'agissant de la réparation du préjudice de gain manqué, et sollicite le débouté des demandes indemnitaires à ce titre.

Subsidiairement, la société CAT soutient que le taux de marge retenu ne saurait être supérieur à 4% en tenant compte de la moyenne sur l'ensemble des exercices de 2015 à 2019.

Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto répond que le taux de marge retenu par le tribunal doit être confirmé. Le calcul du taux de marge établi par son expert est justifié, conformément aux fiches méthodologiques de la cour d'appel de Paris. Ce dernier n'intègre dans son calcul que les charges ayant un lien direct avec l'activité, la variabilité de la charge étant mesurée par l'importance du coefficient de corrélation linéaire de son évolution par rapport à l'évolution du chiffre d'affaires de l'activité.

Me [Y] ajoute que contrairement à ce que la société CAT avance, le rapport exclut des charges de personnel les rémunérations relatives aux contrats temporaires et aux mandataires sociaux, ainsi que les charges de personnel intérimaire.

Réponse de la Cour

Il doit être observé, tout d'abord, que l'expert de partie de la CAT considère que [U] Auto ne supporterait que des coûts variables ou presque. Pour retenir le résultat d'une marge sur couts variables moyenne de 4% sur la période allant du 1er janvier 2015 au 30 septembre 2019, l'expert intègre au calcul l'ensemble des coûts liés à l'activité. Il y a lieu de relever, ensuite, que l'attestation d'expertise comptable produite par la société [U] Auto précise le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé pour la Société CAT pour les années 2016, 2017 et 2018. Celui-ci s'élève à 1 228 771 €, soit un chiffre d'affaires mensuel moyen de 102 397 € ; l'attestation précise un pourcentage de marge brute pour les trois exercices comptables s'élevant à 64 %. L'expert de partie de [U] Auto s'attache par ailleurs, dans son rapport du 1er septembre 2021, pour retenir le résultat d'une marge sur couts variables moyenne de 50,19 % sur la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018, à exclure du calcul certains achats et charges externes, taxes et impôts, et charges de personnels, en justifiant l'exclusion de chaque charge, et présentant pour chacune un

coefficient de corrélation linéaire.

La Cour retient, après analyse, que le calcul de la marge sur coûts variable est solidement justifié par l'expertise de partie produite par le liquidateur judiciaire, ce qui n'est pas le cas du raisonnement développé par l'expert de la CAT. La marge brute sur coûts variables s'élève donc, en l'état des données communiquées au débat et en considération des pièces qui en justifient, à 50,19 %.

Le préjudice, qui doit être évalué sur la base du chiffre d'affaires hors taxe mensuel moyen de référence auquel est appliqué le taux de marge sur coûts variables retenu pour le nombre de mois de préavis non effectués, s'élève à la somme de 565 323 euros (102 397 € x 50,19% x 11 mois).

Faute d'élément chiffré versé en ce sens, il ne peut y être soustrait aucun montant relevant du maintien résiduel d'un flux d'affaires pendant la période de préavis.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société CAT à payer à la société [U] Auto la somme de 565 323 euros en réparation du gain manqué.

2/ Sur la prise en compte du coût des licenciements

Moyen des parties

La société CAT souligne que les premiers juges n'ont pu établir aucun lien entre la rupture brutale et les licenciements car ceux-ci sont imputables aux difficultés chroniques de la société [U] Auto. Cette dernière ne verse en outre aux débats aucun élément permettant d'apprécier le coût des licenciements.

Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto répond que la brutalité de la rupture par la société CAT de ses relations a empêché [U] Auto de bénéficier du temps suffisant pour pouvoir réorienter son activité, ce qui l'a précipité vers la liquidation judiciaire, et l'a contrainte à procéder aux licenciements économiques de ses salariés. Il soutient de plus que les difficultés chroniques de cette société n'ont jamais menacé son existence, contrairement à la rupture brutale qui a conduit à l'ouverture d'une procédure de liquidation.

Réponse de la Cour

Seuls les préjudices causés par la rupture brutale et non ceux résultant de la rupture elle-même doivent être indemnisés (Com. 7 décembre 2022, n°21-17.850). Au titre de la perte subie, les demandes des victimes peuvent notamment porter les coûts afférents aux licenciements que la brutalité de la rupture a rendu inévitables. Cependant, la preuve du lien direct entre la rupture brutale et le préjudice invoqué doit être rapportée.

Au cas présent, c'est à raison que le tribunal, dans la décision attaquée, retient que dès le mois de septembre 2019, [U] Auto s'est trouvée amputée de son activité et que la situation de dépendance économique ainsi que les particularités de la situation géographique du centre d'exploitation ont conduit au prononcé de sa liquidation judiciaire en janvier 2020.

La Cour précise, en complément, qu'il ressort des éléments du dossier que la situation était alors irrémédiablement compromise, l'entreprise étant, de manière irréversible, dans l'impossibilité de poursuivre son exploitation.

Il peut être à cet égard relevé, notamment, que selon la déclaration de cessation de paiement déposée le 20 janvier 2020, le passif déclaré n'est que 48 749 euros, pour un actif disponible de 30 037, 38 euros et que le tribunal de commerce de Salon de Provence a prononcé dès le 23 janvier 2020, sur réquisitions du parquet, la liquidation judiciaire pour le seul motif suivant : » eu égard à la rupture du contrat par son principal donneur d'ordre, toute perspective de redressement apparait impossible » (pièce n°29 de la société [U] Auto).

Dans ces circonstances, le tribunal a de manière justifiée, dans la décision attaquée, considéré établi le lien de causalité entre la brutalité de la rupture résultant de la décision unilatérale aux effets immédiats prise par la société CAT, d'une part, et les licenciements de l'ensemble du personnel de la société [U] Auto prononcés par le liquidateur judiciaire, d'autre part.

Les coûts afférents aux licenciements que la brutalité de la rupture a rendu inévitables s'élèvent, selon les pièces produites, à la somme de 78 613,33 euros.

Le jugement qui a fait droit à la demande du liquidateur judiciaire de [U] Auto de ce chef à hauteur de cette somme sera confirmé.

3/ Sur la prise en charge de l'intégralité de l'insuffisance d'actif de liquidation

Moyen des parties

La société CAT observe que la demande de la société [U] Auto au titre de l'insuffisance d'actif, identique à celle qu'il formait en première instance, n'est toujours pas motivée et est en tout état de cause injustifiée.

Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto ne conclut pas au soutien de cette demande.

Réponse de la Cour

Le liquidateur de la société [U] Auto n'établit pas le lien de causalité entre la brutalité de la rupture et les sommes dont cette société est restée débitrice, avant et après le jugement d'ouverture de la procédure collective.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de ce chef de demande.

III- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La société CAT qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, il sera alloué la somme supplémentaire de 10 000 euros à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto, la demande de la société CAT sur à ce titre étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement dans toutes ses dispositions,

Et y ajoutant,

Déboute la société Compagnie d'affrètement et de transport de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Déboute Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto de ses demandes d'expertise et de provision ;

Condamne la société Compagnie d'affrètement et de transport aux dépens d'appel ;

Condamne la société Compagnie d'affrètement et de transport à payer à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [U] Auto la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

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