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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. soc., 29 octobre 2025, n° 22/05842

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 22/05842

29 octobre 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 29 OCTOBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

F N° RG 22/05842 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PTWF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 OCTOBRE 2022

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE BÉZIERS - N° RG F 19/00272

APPELANTE :

Madame [F] [O]

née le 12 Mai 1968 à [Localité 6] (10)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée sur l'audience par Me Bruno SIAU, avocat au barreau de BEZIERS

INTIMEE :

S.A.S. RYSBA

Prise en la personne de son représentant légal en exercice, (enseigne BRICOMARCHE) domicilié en cette qualité au siège social, sis

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée sur l'audience par Me Carole DOMPEYRE de la SELARL LOYVE AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

Ordonnance de clôture du 19 Mai 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 JUIN 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère

Madame Magali VENET, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Engagée en mai 1998 en qualité de secrétaire par la société Rysba, exploitant un magasin situé à [Localité 2] à l'enseigne Bricomarché, Mme [F] [O] a été promue par avenant du 1er octobre 2007, en qualité d'adjointe du chef de magasin, statut agent de maîtrise.

Au 1er janvier 2018, le commerce était cédé à M. [W], qui exploitait un commerce Bricomarché situé à [Localité 4].

Le 5 juillet 2018, Mme [O] était victime d'un malaise sur le lieu du travail, pour lequel la caisse primaire d'assurance maladie refusait, dans un premier temps, de reconnaître le caractère professionnel considérant qu'il n'y avait pas de relation de cause à effet entre les faits invoqués et les lésions médicalement constatées par le certificat médical. Dans un deuxième temps, et sur recours formé par l'assuré, la caisse décidait le 12 décembre 2018 que cet accident était pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels, cette notification annulant et remplaçant pour la victime la précédente décision de refus.

À l'issue de la visite de reprise organisée le 18 avril 2019, le médecin du travail a déclaré Mme [O] inapte à son poste en précisant que Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'.

La salariée a été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par une lettre du 16 mai 2019.

Soutenant avoir été victime d'agissements de harcèlement moral de la part de M. [P] [W], dirigeant de la société depuis le 1er janvier 2018, à l'origine de son inaptitude, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Béziers le 5 juillet 2019, aux fins de voir juger son licenciement nul et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale.

Par jugement rendu en formation de départage le 27 octobre 2022, ce conseil a débouté Mme [O] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à verser à la société Rysba la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Le 21 novembre 2022, Mme [O] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement.

Par une décision en date du 19 mai 2025, le conseiller de la mise en état a clôturé l'instruction et fixé l'affaire à l'audience du 17 juin suivant.

' Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe par voie de RPVA le 16 mai 2025, Mme [O] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau de :

A titre principal :

Constater qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part de la société Rysba et que le licenciement est nul ;

Condamner en conséquence la société Rysba à lui payer les sommes suivantes :

- 5 000 euros nets de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 30 750 euros nets de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire,

Constater que le licenciement de Mme [O] est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner en conséquence la société Rysba au paiement de la somme de 30 750 euros nets de dommages -intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause

Condamner la société Rysba au paiement des sommes suivantes :

- 13 723 euros nets au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 4 100 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 410 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

- 2 500 euros nets sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Rysba aux entiers dépens ;

Ordonner en tout état de cause la remise d'un bulletin de paie conforme à la décision à intervenir, outre l'attestation destinée à Pôle emploi rectifiée, ainsi que la délivrance d'un justificatif de paiement des cotisations sociales afférent aux rappels de salaires, accessoires et préavis susvisés, à la charge de la société Rysba, et ce sous astreinte provisoire de 100 euros nets par jour de retard ;

Ordonner que les intérêts au taux légal courront sur les condamnations financières de la société Rysba depuis le 05 juillet 2019, date de la saisine, et ce sur le fondement de l'article 1231-7 du code civil.

' Selon ses conclusions responsives et récapitulatives, remises au greffe par voie de RPVA le 15 mai 2025, la société Rysba demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 27 octobre 2022 en toutes ses dispositions, et, en conséquence :

Juger que l'employeur n'a commis aucun acte de harcèlement moral à l'encontre de Mme [O] et débouter en conséquence Mme [O] de sa demande de condamnation de la société Rysba au paiement de la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant d'une situation de harcèlement morale, dont le préjudice distinct n'est pas démontré,

Juger que le licenciement prononcé est fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter en conséquence Mme [O] de sa demande de dommages et intérêts au titre d'un licenciement nul à hauteur de 30 750 euros ou , à titre subsidiaire d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 30 750 euros ; A titre subsidiaire, limiter l'indemnisation en fonction de l'appréciation du préjudice,

Juger que l'origine de l'inaptitude de Mme [O] n'est pas d'origine professionnelle et débouter en conséquence Mme [O] de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis de 4 100 euros et 410 euros de congés payés afférents et d'un complément d'indemnité de licenciement à hauteur de 13 723 euros ;

En tout état de cause,

Débouter Mme [O] de sa demande visant à ce que les intérêts au taux légal courent sur l'intégralité des condamnations financières à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 5 juillet 2019.

Débouter Mme [O] de sa demande de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [O] à payer à la société Rysba la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions sus-visées.

MOTIVATION :

Sur le harcèlement moral :

En application des articles L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait, précis et concordants, constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il lui revient d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [O] énonce les faits suivants, constitutifs selon elle d'un harcèlement ayant débuté en janvier 2018 suite à la cession du fonds de commerce, dans un contexte où elle indique avoir soutenue la proposition de l'ancien directeur de racheter le magasin à leur ancien dirigeant :

1. À compter de l'arrivée de M. [W] et de son épouse, elle a subi des pressions quotidiennes. C'est ainsi que :

- lors d'une discussion avec M. [A] et Mme [V], le nouveau gérant de l'entreprise leur a indiqué 'qu'il avait clairement un problème avec eux', en l'incluant ;

- en réponse à son invitation à lui parler calmement et avec respect, il lui a répondu 'au prix que je vous paye, je vous parle comme je veux' ;

- de la même manière, Mme [W] lui a demandé, lors de son arrivée au magasin 'quelles étaient ses fonctions '' et alors qu'elle lui répondait qu'elle était adjointe de Direction, elle s'est vu rétorquer par l'épouse du dirigeant en levant les yeux au ciel 'adjointe de rien du tout', pressions dont attestent plusieurs de ses collègues, ainsi que Mme [K], agent d'entretien employée par une société prestataire.

2. Elle a été mise au placard, le nouvel employeur lui retirant l'essentiel de ses responsabilités en la cantonnant à la gestion du fichier, tout comme le directeur du magasin, M. [A] qui a dû passer ses semaines sur le chariot-élévateur avant d'être licencié pour motif économique ;

3. Elle a dû subir quotidiennement l'agressivité du dirigeant et ses 'remarques déplacées, mysogines, racistes ou antisémites, voire à connotations sexuelles' ;

4. Elle s'est vu notifier un courrier de rappel à l'ordre à la fin du mois de juin 2018, qu'elle qualifie de première étape de déstabilisation 'officielle',

5. La dégradation de ses conditions de travail a entraîné son épuisement professionnel qui l'a conduite à faire un malaise sur le lieu de travail le 5 juillet 2018. Si elle concède que l'employeur était effectivement absent ce jour là et en congés, elle affirme qu'au moment de son malaise, M. [W] l'avait déjà appelée à 4 reprises au téléphone pour lui demander les conclusions d'un inventaire fait quelques jours plus tôt et où le contrôle dépendait justement des vendeurs.

Il ne résulte d'aucun élément hormis de ses propres affirmations nullement étayées, que l'employeur a expressément réfutées à réception du courrier que lui a fait parvenir la salariée le 23 août 2018, que le nouvel employeur ait tenu vis-à-vis de Mme [O] des propos mysogines, racistes ou antisémites, voire à connotations sexuelles.

En revanche l'existence de pressions ou de propos virulents sont attestés par plusieurs témoins travaillant directement au sein de l'entreprise ; c'est ainsi que :

Suivant attestation conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, Mme [V] atteste comme suit :

« Je suis salariée de la société Rysba depuis sa création en janvier 1998 et toujours en poste à ce jour. J'ai été témoin à plusieurs reprises de l'état de stress et d'angoisse dans lequel était Mme [O] depuis l'arrivée de la nouvelle direction au 1er janvier 2018. A partir de là, Mme [O] n'avait plus aucune responsabilité liée à son poste d'adjointe de direction et a été mise à la gestion des fichiers uniquement. J'ai même assisté en janvier 2018 à une réflexion de M. [W] qui lui reprochait d'avoir récupéré le courrier (alors qu'elle le faisait depuis plus de 20 ans) et lui a demandé de ne plus y toucher. Mme [O] était constamment sous pression due au nombreuses réflexions et remarques de M. [W]. Il avait une façon plutôt agressive de s'adresser à elle, et elle s'en est plainte d'ailleurs plusieurs fois. Nous avons même eu une conversation à 3 sur le sujet.

En juin 2018, alors que je faisais des photocopies dans le bureau, j'ai assisté à une conversation de Mme [O] avec M. [M] (Vendeur passé responsable depuis l'arrivée de M. [W]) où elle lui demandait s'il trouvait normal la façon de lui parler de M. [W] et si c'était pareil pour tout le monde. Il a répondu qu'effectivement, il ne savait pas pourquoi et qu'il n'avait ce comportement qu'avec un nombre limité de personnes dans le magasin.

Le jour du malaise de Mme [O], le 05 juillet 2018, un peu avant, elle était venue me

voir, à bout de nerfs, en me disant qu'elle n'en pouvait plus de cette pression.

Je travaille avec Mme [O] depuis l'ouverture du magasin, son implication et son professionnalisme ne sont plus à prouver. Elle a toujours été investie et consciencieuse et travaillant en collaboration avec la meilleure volonté possible ».

M. [U] atteste conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile dans les termes suivants :

« J'ai été salarié de la société Rysba, Bricomarché [Localité 2] du 02.11.2017 au 08.09.2018.

Quand je suis entré dans la société, M. [C] était alors PDG, et il avait une équipe plutôt solidaire et en place depuis plus de 20 ans pour certains.

La société a été reprise au 1er janvier 2018 par M. [W] et tout a changé à ce moment-là. J'ai pu constater une réelle pression, en particulier sur les responsables en place, M. [A], le Directeur (qui s'est retrouvé sur le chariot élévateur toute la journée au lieu de pouvoir faire son travail habituel) et sur Mme [O] [F], l'adjointe qui s'est vu retirer toutes ses responsabilités et cantonnée au fichier.

C'est une personne dynamique et joyeuse habituellement, et au fil des semaines, elle devenait de plus en plus stressée et triste sous la pression du nouveau PDG.

Je l'ai vue plusieurs fois pleurer en rentrant dans son bureau, à bout de nerfs et se plaindre du comportement de M. [W] et de la façon dont il la traitait.

J'étais présent le jour de son malaise, elle était dans un état impressionnant, elle n'arrivait même plus à respirer et a été emmenée par les pompiers.

Personnellement, l'ambiance était devenue trop pesante pour moi, et j'ai donc démissionné le 08.09.2019 ».

M. [I] [R], vendeur, atteste également du changement d'ambiance dans la société après l'arrivée de M. [W] , de la mise sous pression constante de Mme [O] par le nouveau Dirigeant. Il se rappelle même d'une scène qui s'est déroulée alors qu'il sortait des oliviers sur le parking un matin, pour les mettre en exposition devant le magasin.

Il a entendu par la fenêtre du bureau de Madame [O] qui était ouverte, et qui donne sur le jardin extérieur, M. [W] lui crier très fort dessus. Elle lui a alors reproché sa façon de parler, et c'est alors que M. [W] lui a répondu qu'au prix où il la payait, il lui parlait comme il voulait.

M. [R] poursuit son témoignage en indiquant avoir vu Mme [O] en pleurs suite à cette scène, dans son bureau, et qu'elle lui a indiqué qu'elle ne supportait plus de se faire traiter ainsi. Il ajoute qu'il ne connaît pas Mme [O] en dehors du cadre professionnel, mais qu'il a constaté un énorme changement sur son état moral après l'arrivée de M. [W] . (Pièce n° 20-1)

Mme [K] [L], agent d'entretien extérieur à la société Rysba atteste :

« J'étais en charge du nettoyage des bureaux à Bricomarché en tant que salariée de la société de Nettoyage Groupe NEC. Comme j'y était chaque semaine, j'ai vu la dégradation de l'ambiance générale, et surtout avec Mme [O] , l'adjointe, suite au changement de direction depuis janvier 2018. Il était très dur avec elle, et quand il lui parlait je l'ai entendu plusieurs fois lui faire des reproches et lui crier dessus. Mme [O] , avant, elle était toujours sympa et souriante, mais elle était devenue très nerveuse, stressée et triste. Je l'ai même vue pleureur plusieurs fois dans son bureau.

Ce Monsieur était très désagréable, il me parlait très durement parfois, alors qu'auparavant, on ne m'avait jamais rien dit sur mon travail. ».

De même, il est constant que Mme [O] a été cantonnée à la seule mission de gérer le fichier, alors même que M. [C], précédent employeur, indique dans une lettre de recommandation en date du 2 avril 2018 que la salariée avait pour missions, outre 'la gestion du fichier articles, (celles) des commandes des fournisseurs DDD et de la centrale, du règlement des litiges de livraison avec les fournisseurs, l'organisation des horaires des caissières, le remplacement du directeur en son absence', que son poste comprenait divers tâches telles que 'l'ouverture et la fermeture du magasin, l déplacement en cas d'alarmes, le comptage des caisses et remise à la Brinks, la commande de monnaie, l'organisation des inventaires, le dépannage des caisses et faire l'hôtesse de caisse en dépannage'. Il précisait en outre que 'ses principales qualités, à savoir intégrité, disponibilité, fiabilité et conscience professionnelles lui permettait de la recommander pour son futur parcours professionnel'.

Il est établi que le 29 juin 2018, l'employeur a notifié à la salariée une lettre de recadrage ainsi libellée :

« Je constate de nombreuses légèretés, génératrices d'erreurs dans la réalisation des missions que nous vous confions.

À titre d'exemples, à la mi-mai, il y avait une opération promotionnelle sur des articles de piscine. Vous aviez fait une erreur sur la date de fin de cette opération, la prolongeant jusqu'au 18 mai alors qu'elle devait finir le 13. Je vous ai fait remarquer cette erreur, vous l'avez corrigée mais sur le nouveau prix, vous avez laissé le prix fournisseur conseillé au lieu d'appliquer celui de notre enseigne; À la fin de la promotion, les produits sont passés à 24,90 euros au lieu de 18,90 euros.

Fin avril nous avons reçu des parasols de différentes couleurs, vous les avez tous saisis avec le même code par conséquent, il nous est aujourd'hui impossible de connaître le nombre de parasols par coloris présents dans notre stock.

Un tel manque de rigueur dans l'exécution de vos missions nuit à la bonne organisation du magasin' Votre poste est capital pour le suivi des stocks et de la performance de notre magasin' De telles imprécisions ne sont pas compatibles avec la rigueur professionnelle que nous sommes en droit d'attendre de vous.

Nous vous enjoignons à faire preuve pour l'avenir davantage de professionnalisme dans l'exécution de vos missions [...] »

la salariée ne se prononçant toutefois pas, dans ses conclusions, sur le caractère avéré ou non des erreurs ainsi relevée par l'employeur.

Il est constant que la salariée a fait un malaise le 5 juillet 2018, dont témoigne un de ses amis, M. [S] qui était présent dans le magasin, et que la salariée a été transportée aux urgences par les pompiers. Le docteur [B] du Centre hospitalier lui a prescrit un arrêt de travail d'une semaine pour 'anxiété généralisée et burn-out' (pièce salariée n°3). Le médecin traitant de la salariée prolongera cet arrêt pour le même motif ou 'épuisement professionnel avec état dépressif réactionnel'.

Par décision du 12 décembre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie annulera sa décision initiale de refus de reconnaître que cet accident relevait de la législation professionnelle et indiquera à Mme [O] sa prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels dans ses rapports avec l'assurée/victime (pièce salariée n°8), l'employeur conservant le bénéfice de la décision de refus.

La date de consolidation de cet accident du travail ayant été fixée au 13 septembre 2018, la salariée bénéficiera continûment d'arrêts de travail pour syndrome anxio-dépressif et ce jusqu'à la date de la visite de reprise à l'issue de laquelle le médecin du travail la déclarera inapte à son poste.

' Alors que Mme [O] est l'une des deux salariées, avec Mme [V], à avoir, selon les témoins, envisagé de s'associer avec M. [A], directeur salarié de l'entreprise, en vue du rachat de l'entreprise ou, à avoir, à tout le moins, soutenu le projet de ce dernier de reprendre le magasin - dont le contrat de travail a été rompu, selon le registre du personnel (pièce employeur n°27), le 8 juin 2018 pour 'licenciement économique', après s'être vu confier, depuis l'achat de la société par M. [W], comme tâche le pilotage d'un chariot élévateur - les éléments ci-avant identifiés comme établis par la salariée, pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Certes, l'employeur justifie certains de ses agissements par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

C'est ainsi qu'il souligne que Mme [O] n'a pas remis en question les constats opérés dans la lettre d'observations qu'il lui a notifiée le 19 juin 2018.

De même et à juste raison, il fait valoir qu'il a pu légitimement retirer à Mme [O] le soin de s'occuper du courrier, dont il souligne sans être sérieusement démenti sur ce point par la salariée, que cette tâche ne constituait pas une responsabilité relevant de son positionnement d'adjointe du chef de magasin, statut agent de maîtrise.

S'il justifie par la communication de la fiche de poste conventionnelle, que la mission de gestion du fichier constitue, dans ce type de commerce, une fonction essentielle et qu'il plaide utilement qu'il a pu confier, par souci de cohérence, la gestion des horaires à la personne en charge de la paye, force est de relever qu'il ne fournit aucune explication sur le fait que la salariée se soit vu retirer les autres missions citées par son prédécesseur, M. [C], à savoir la gestion des commandes des fournisseurs DDD et de la centrale et celle du règlement des litiges de livraison avec les fournisseurs, aucun élément ne permettant de considérer qu'il y ait eu à remplacer durant la période litigieuse le chef de magasin désigné par M. [W] en remplacement de M. [A], à savoir [M].

De même, la société Rysba échoue à combattre les témoignages de M. [U], dont il allègue sans en justifier qu'il aurait en réalité démissionné suite au litige que la société aurait eu avec un parent de ce salarié, de Mme [V], qui certes à été en congés quelques jours durant le premier trimestre 2018, puis au mois d'avril avant d'être placé en arrêt de travail de mai à la fin du mois de juin 2018, ou encore de M. [I] [R], dont la société affirme, là encore sans le moindre élément probant, que ce salarié, né en France... aurait une 'maîtrise imparfaite de la langue française', la cour s'interrogeant sur le point de savoir si cette affirmation ne reposerait que sur la seule la consonance du nom et du prénom de ce témoin.

Les témoignages des salariés du magasin de [Localité 4] et de [Localité 2], qui ne se sont pas associés à M. [A] dans un projet de reprise du magasin, louant les qualités humaines de M. [W] ne sont pas de nature à remettre en question les constatations ci-avant établies par la salariée.

La thèse développée par l'employeur selon laquelle la salariée, adjointe du chef de magasin, qui a eu pour projet de s'associer avec M. [A] pour racheter la société ou soutenu ce projet, n'aurait pas supporter que celui-ci soit repris par M. [W], et/ou les nouvelles méthodes de gestion que ce dernier a voulu insuffler pour développer l'activité commerciale, n'est étayée par aucun témoignage circonstancié. Alors que selon M. [M], M. [W] en a appelé à la 'solidarité de l'équipe', l'intimée échoue à justifier objectivement par des éléments étrangers à tout harcèlement moral, le cantonnement des responsabilités confiées à Mme [O], dont M. [C] a loué les qualités professionnelles, à la seule gestion du fichier, le fait de lui crier dessus au point de la faire pleurer ou encore de lui dire qu' 'au prix où il la payait, il pouvait lui parler comme il voulait'.

Il est établi que Mme [O] a été victime de harcèlement moral.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes. Le préjudice moral subi sera indemnisé par l'allocation de la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts.

Au vu des éléments médicaux ci-dessus évoqués et de l'arrêt de travail prescrit pour 'épuisement professionnel avec état dépressif réactionnel' et de la chronologie, il est également établi que l'inaptitude de la salariée trouve son origine dans le harcèlement subi.

La cause du licenciement, à savoir l'inaptitude de Mme [O] ayant été provoquée par la faute de l'employeur, Mme [O] est bien fondée à solliciter sa nullité par application des dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail.

Sur le caractère professionnel de l'inaptitude :

Il résulte des articles L. 1226-10 et L. 1226-14 du code du travail que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.

Il est de droit que l'inopposabilité à l'employeur, dans ses rapports avec la caisse primaire d'assurance maladie, du caractère professionnel de l'accident de la salariée ne fait pas obstacle à ce que celle-ci invoque à l'encontre de son employeur l'origine professionnelle de son accident pour bénéficier de la législation protectrice applicable aux salariés victimes d'un accident du travail.

Il appartient alors au juge de former sa conviction, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties, la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle suite au recours formé par la salariée n'étant pas de nature à constituer à elle seule la preuve de l'origine professionnelle de l'accident.

En l'espèce, le malaise sans perte de connaissance subi par Mme [O] sur son lieu de travail a donné lieu, dans un premier temps à l'établissement par le médecin du centre hospitalier d'un arrêt de travail pour maladie simple, le médecin traitant de la salariée lui prescrivant ultérieurement un arrêt pour accident du travail.

Le caractère professionnel a été, dans un premier temps, rejeté par la caisse primaire d'assurance maladie, suivant une décision du 3 octobre 2018. Cette décision a été annulée par la commission de recours amiable le 12 décembre 2018, qui a finalement retenu que cet accident relevait de la législation professionnelle, décision inopposable à l'employeur.

La société souligne à juste titre que lors de la délivrance de l'avis d'inaptitude, le médecin du travail n'a pas remis à la salariée le formulaire d'indemnité temporaire d'inaptitude, qui constitue un indice selon lequel ce médecin ne considère pas que l'inaptitude est en lien avec l'accident du travail.

Enfin, par message en date du 9 mai 2019, soit à quelques jours du licenciement, l'employeur a été informé par la caisse primaire d'assurance maladie que le dossier AT a été consolidé en date du 13 septembre 2018 et que par conséquent les indemnités journalières dues relevaient de la maladie depuis le 14 septembre 2018 (pièce employeur n°24).

Certes, il n'y a pas eu discontinuité dans la délivrance des arrêts de travail depuis le 5 juillet 2018, lesquels ont été requalifiés en maladie simple par la CPAM, compte tenu de la date de la consolidation. Toutefois, au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera jugé que l'employeur n'avait pas connaissance au jour du licenciement de l'origine professionnelle de cette inaptitude.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [O] de sa demande en paiement de l'indemnité spéciale de licenciement.

Sur l'indemnisation du licenciement nul :

Au jour de la rupture, Mme [O] âgée de 52 ans bénéficiait d'une ancienneté de 21 ans au sein de la société Rysba . Elle avait perçu au cours des six derniers mois travaillés précédant la rupture une rémunération brute globale de 12 632 euros.

Lorsque le salarié dont le licenciement est nul ne demande pas sa réintégration dans son poste, ou que celle-ci est impossible, il a droit d'une part aux indemnités de rupture et d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise.

La salariée peut prétendre, en premier lieu, au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, correspondant, conformément à l'article L. 1234-5 du code du travail, à la rémunération brute qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du délai-congé. En l'état de sa rémunération et de son ancienneté et des stipulations conventionnelles, il lui sera alloué la somme de 4 100 euros bruts, outre 410 euros au titre des congés payés afférents.

Compte tenu des éléments dont dispose la cour, et notamment de l'âge de la salariée au moment du licenciement, des perspectives professionnelles qui en découlent, de sa prise en charge par pôle emploi à raison de 516 allocations journalières au 31 décembre 2020, le montant de l'indemnité pour licenciement nul sera fixé à la somme de 25 000 euros.

Il suit de ce qui précède que le licenciement ayant été prononcé au mépris des dispositions de l'article L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, ou L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, il sera ordonné le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Sur les demandes accessoires :

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Il sera ordonné à l'employeur de remettre au salarié les documents de fin de contrat régularisés, mais sans astreinte laquelle n'est pas nécessaire à assurer l'exécution de cette injonction.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Mme [O] de sa demande en paiement de l'indemnité spéciale de licenciement,

et statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que Mme [O] a subi un harcèlement moral,

Vu les dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, prononce la nullité du licenciement,

Condamne la société Rysba à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

- 3 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 4 100 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 410 euros au titre des congés payés afférents,

- 25 000 euros d'indemnité pour licenciement nul,

Ordonne, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l'employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, et dit qu'une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes,

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Ordonne la remise des documents de fin de contrat (attestation Pôle-emploi, solde de tout compte et certificat de travail) conformes à la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt.

Rejette la demande d'astreinte.

Condamne la société Rysba à verser à Mme [O] la somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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