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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 29 octobre 2025, n° 24/04961

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Turlen Holding SA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Distinguin

Avocat :

Me Benoliel Claux de Benoliel Avocats

Paris, pôle 5 ch. 2, du 11 févr. 2022

11 février 2022

Vu la décision du 22 décembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Inpi a reconnu partiellement justifiée la demande en nullité formée le 21 avril 2020 par la société de droit suisse Turlen Holding (Turlen) à l'encontre de la marque verbale [H] [G] déposée le 2 novembre 2019 par M. [I] [M] enregistrée sous le n° 19 4 595 661 ;

Vu le recours formé le 19 mars 2021 par la société Turlen contre cette décision ;

Vu l'arrêt réputé contradictoire (M. [M], défaillant, ayant été touché à personne à son domicile dans le 8ème [Localité 5]) rendu par cette cour (chambre 5-2) le 11 février 2022 ayant notamment :

Rejeté le recours de la société Turlen,

Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que la société Turlen conservera la charge de ses dépens.

Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 31 janvier 2024 sur le pourvoi formé par la société Turlen, qui a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de cette cour du 11 février 2022 ;

Vu la déclaration de saisine sur renvoi après cassation de la société Turlen du 29 février 2024 et ses dernières conclusions transmises par RPVA le 28 juin 2024 ;

Vu les significations à M. [I] [M], le 28 mai 2024, de la déclaration de saisine, et le 22 juillet 2024, des conclusions de la société Turlen, délivrées respectivement selon procès-verbaux de remise à personne physique, au Centre pénitentiaire de la Santé où M. [I] [M] était domicilié ;

Vu l'absence de constitution de M. [I] [M] ;

Vu les observations écrites du directeur général de l'Inpi ;

Le conseil de la société Turlen et le représentant de l'Inpi entendus en leurs observations orales reprenant leurs écritures ;

SUR CE :

Le 2 novembre 2019, M. [I] [M] a déposé une demande d'enregistrement n° 19 4 595 661portant sur le signe verbal [H] [G] pour désigner des produits et services en classes 7, 12, 38 et 42. L'enregistrement de cette marque a été publiée au BOPI 2020-08 du 21 février 2020.

Le 21 avril 2020, la société Turlen a formé une demande en nullité à l'encontre de l'ensemble des produits et services visés au dépôt, en invoquant deux marques antérieures au titre de l'atteinte à la renommée et du risque de confusion :

la marque internationale [H] [G] n°732812 déposée le 31 mars 2000 désignant la France et l'Union européenne visant notamment les « Métaux précieux et leurs alliages et produits en ces matières ou en plaqué non compris dans d'autres classes, joaillerie, bijouterie, pierres précieuses, horlogerie et instruments chronométriques » en classe 14 ;

la marque internationale [H] [G] n°1338089 désignant l'Union européenne, enregistrée le 26 octobre 2016 sous priorité d'une marque suisse du 9 mai 2016, pour divers produits de la classe 9.

Le directeur général de l'Inpi a considéré la demande de nullité partiellement justifiée en ce qu'elle porte sur les produits et services suivants : « machines-outils ; moteurs (à l'exception des moteurs pour véhicules terrestres) ; accouplements et organes de transmission (à l'exception de ceux pour véhicules terrestres) ; machines d'aspiration à usage industriel ; machines à travailler le bois ; manipulateurs industriels (machines) ; machines d'emballage ; pompes (machines) ; perceuses à main électriques ; tournevis électriques ; machines à trier pour l'industrie ; scies (machines) ; robots (machines) ; machines à imprimer ; foreuses ; élévateurs ; véhicules ; appareils de locomotion terrestres; appareils de locomotion aériens ; appareils de locomotion maritimes ; amortisseurs de suspension pour véhicules ; carrosseries ; chaînes antidérapantes ; châssis de véhicules ; pare-chocs de véhicules ; stores (pare-soleil) conçus pour véhicules terrestres à moteur ; ceintures de sécurité pour sièges de véhicules ; véhicules électriques; caravanes ; tracteurs ; vélomoteurs ; cycles ; cadres de cycles ; béquilles de cycles ; freins de cycles ; guidons de cycles ; jantes de cycles ; pédales de cycles ; pneumatiques de cycles; roues de cycles ; selles de cycles ; poussettes ; chariots de manutention ; télécommunications ; informations en matière de télécommunications ; communications par terminaux d'ordinateurs ; communications par réseaux de fibres optiques ; communications radiophoniques ; communications téléphoniques ; radiotéléphonie mobile; fourniture d'accès utilisateur à des réseaux informatiques mondiaux ; mise à disposition de forums en ligne ; fourniture d'accès à des bases de données ; services d'affichage électronique (télécommunications) ; raccordement par télécommunications à un réseau informatique mondial ; location d'appareils de télécommunication ; émissions radiophoniques ; émissions télévisées ; services de téléconférences ; services de visioconférence ; services de messagerie électronique ; location de temps d'accès à des réseaux informatiques mondiaux ; évaluations techniques concernant la conception (travaux d'ingénieurs) ; recherches scientifiques ; recherches techniques ; conception d'ordinateurs pour des tiers; développement d'ordinateurs ; conception de logiciels ; développement de logiciels ; recherche et développement de nouveaux produits pour des tiers ; conduite d'études de projets techniques ; élaboration (conception) de logiciels ; installation de logiciels ; maintenance de logiciels ; mise à jour de logiciels ; location de logiciels ; programmation pour ordinateurs ; analyse de systèmes informatiques ; conception de systèmes informatiques ; services de conseillers en matière de conception et de développement de matériel informatique ; numérisation de documents ; logiciel-service (SaaS) ; informatique en nuage ; conseils en technologie de l'information ; hébergement de serveurs ; services de conception d'art graphique ; stylisme (esthétique industrielle) ; stockage électronique de données ».

Dans son arrêt du 11 février 2022, la présente cour (chambre 5-2) a rejeté le recours de la société Turlen.

La société Turlen a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Par arrêt du 31 janvier 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a :

cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel,

remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt,

condamné M. [M] à verser à la société Turlen la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a jugé :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

(')

Pour rejeter le recours de la société Turlen, l'arrêt retient que, s'agissant des machines de cuisine électriques, couteaux électriques, tondeuses (machines), centrifugeuses (machines), machines à tricoter, repasseuses, lave-linge, machines à coudre, distributeurs automatiques, instruments agricoles autres que ceux actionnés manuellement, machines agricoles, bouldozeurs, broyeurs (machines), ascenseurs, et des services de contrôle technique de véhicules automobiles, d'authentification d'oeuvres d'art, d'architecture, de décoration intérieure, et d'audits en matière d'énergie, les publics respectivement intéressés ne pourront opérer un lien entre la marque contestée et la marque antérieure renommée, de sorte que le directeur général de l'Inpi n'est pas critiquable pour avoir conclu que, pour ces produits et services, l'atteinte à la renommée de la marque [H] [G] n'est pas caractérisée.

En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Turlen qui soutenait que s'agissant des services d'« agences de presse » et d'« agences d'informations (nouvelles) », le public pertinent ferait un lien entre sa marque antérieure et le signe contesté, compte tenu de sa présence médiatique pour des nouvelles portant à la fois sur des vols de montres de grande valeur, en particulier de marque [H] [G], et des événements sportifs en raison de ses nombreux partenariats, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

(')

Vu l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle et le principe selon lequel la fraude corrompt tout :

Pour rejeter le recours de la société Turlen, l'arrêt retient que l'intention de nuire du déposant n'est pas démontrée et que, si la marque déposée est à juste titre contestée pour ceux des produits et services pour lesquels elle a été déclarée nulle par décision du directeur général de l'INPI, elle n'est pas critiquable pour certains des produits et services qu'elle désigne et pour lesquels il n'est pas justifié d'une atteinte aux droits antérieurs de la société Turlen.

En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter la fraude, la cour d'appel a violé les texte et principe susvisés.

Dans ses uniques conclusions notifiées par RPVA le 28 juin 2024, la société Turlen demande à la cour de :

confirmer la décision de Monsieur le Directeur Général de l'INPI du 22 décembre 2020 NL 20-0009/CEF en ce qu'elle a reconnu partiellement justifiée la demande en nullité de la marque n° 19 4 595 661 concernant les produits et services suivants:

«Machines-outils ; moteurs (à l'exception des moteurs pour véhicules terrestres) ; accouplements et organes de transmission (à l'exception de ceux pour véhicules terrestres) ; machines d'aspiration à usage industriel ; machines à travailler le bois; manipulateurs industriels (machines) ; machines d'emballage ; pompes (machines) ; perceuses à main électriques ; tournevis électriques ; machines à trier pour l'industrie ; scies (machines) ; robots (machines) ; machines à imprimer ; foreuses ; élévateurs ; Véhicules ; appareils de locomotion terrestres ; appareils de locomotion aériens ; appareils de locomotion maritimes ; amortisseurs de suspension pour véhicules ; carrosseries ; chaînes antidérapantes ; châssis de véhicules ; pare-chocs de véhicules ; stores (pare-soleil) conçus pour véhicules terrestres à moteur ; ceintures de sécurité pour sièges de véhicules ; véhicules électriques ; caravanes ; tracteurs ; vélomoteurs ; cycles ; cadres de cycles ; béquilles de cycles ; freins de cycles ; guidons de cycles ; jantes de cycles ; pédales de cycles ; pneumatiques de cycles ; roues de cycles ; selles de cycles ; poussettes; chariots de manutention ; Télécommunications ; informations en matière de télécommunications ; communications par terminaux d'ordinateurs ; communications par réseaux de fibres optiques ; communications radiophoniques; communications téléphoniques ; radiotéléphonie mobile ; fourniture d'accès utilisateur à des réseaux informatiques mondiaux ; mise à disposition de forums en ligne ; fourniture d'accès à des bases de données ; services d'affichage électronique (télécommunications) ; raccordement par télécommunications à un réseau informatique mondial ; location d'appareils de télécommunication ; émissions radiophoniques ; émissions télévisées ; services de téléconférences ; services de visioconférence ; services de messagerie électronique ; location de temps d'accès à des réseaux informatiques mondiaux ; Evaluations techniques concernant la conception (travaux d'ingénieurs) ; recherches scientifiques ; recherches techniques; conception d'ordinateurs pour des tiers ; développement d'ordinateurs; conception de logiciels ; développement de logiciels ; recherche et développement de nouveaux produits pour des tiers ; conduite d'études de projets techniques ; élaboration (conception) de logiciels ; installation de logiciels ; maintenance de logiciels ; mise à jour de logiciels ; location de logiciels ; programmation pour ordinateurs ; analyse de systèmes informatiques ; conception de systèmes informatiques ; services de conseillers en matière de conception et de développement de matériel informatique ; numérisation de documents ; logiciel-service (SaaS) ; informatique en nuage ; conseils en technologie de l'information; hébergement de serveurs ; services de conception d'art graphique ; stylisme (esthétique industrielle) ; stockage électronique de données ».

infirmer la décision pour le surplus

Statuant à nouveau :

prononcer la nullité de la marque française [H] [G] n°19 4 595 661 pour l'intégralité des produits et services désignés.

A titre subsidiaire :

déclarer la société TURLEN HOLDING SA recevable et fondée en sa demande en nullité pour fraude de la marque française [H] [G] n°19 4 595 661

juger que le dépôt de la marque française [H] [G] n°19 4 595 661 est frauduleux.

En conséquence,

prononcer de plus fort la nullité de la marque française [H] [G] n°19 4 595 661 pour l'ensemble des produits et services désignés,

En tout état de cause,

ordonner la transmission de l'arrêt à intervenir au Registre National des Marques à l'INPI et dire que la transcription dudit arrêt pourra être effectuée sur présentation d'une copie exécutoire,

condamner Monsieur [I] [M] à verser à la société Turlen Holding SA la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

condamner Monsieur [I] [M] en tous les dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile, incluant les frais d'huissier du fait de la signification à partie de la déclaration d'appel et du présent mémoire et pièces visées, conformément à l'article 1037-2 du Code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Sylvie BENOLIEL-CLAUX.

Sur le chef de la décision non contesté

La décision du directeur général de l'Inpi n'est pas contestée en ce qu'elle a considéré la demande de nullité partiellement justifiée pour certains produits et services. Elle sera donc confirmée de ces chefs.

Sur la demande en nullité pour atteinte à la marque de renommée

La société Turlen soutient en substance que la marque [H] [G] a fait l'objet d'un usage intensif et ininterrompu pour l'horlogerie et les instruments chronométriques depuis sa création en 2001 ; qu'en matière de partenariat dans le domaine automobile notamment, l'association des marques [H] [G] et Ferrari depuis 2021 témoigne de leur volonté commune de valoriser les nouvelles technologies, le luxe et les matériaux innovants ; que dans le classement des plus grandes marques horlogères mondiales, la marque [H] [G] était placée en 7ème position en 2021 ; que depuis 2022 et encore à ce jour, elle est en 6ème position, malgré une concurrence accrue dans ce secteur d'activité ; qu'elle justifie donc d'une grande renommée de ses marques antérieures ; que les pièces communiquées témoignent d'une renommée de la marque très large qui s'étend bien au-delà du domaine de l'horlogerie et des instruments chronométriques, compte tenu du nombre important de partenariats conclus entre la marque [H] [G] et différentes personnalités appartenant à des secteurs très variés tels que le sport, le cinéma, la cuisine, l'art contemporain et la musique ; que le chiffre d'affaires de la marque depuis 2015, atteignant 1,5 milliard d'euros en 2023, confirme son très vif succès ; que les signes en cause sont strictement identiques en ce qu'ils portent sur l'ensemble verbal [H] [G], écrit en lettres majuscules ; que le public concerné est le consommateur d'attention moyenne mais également un public spécialisé dans la technologie et l'innovation ; que compte tenu de l'intensité de la renommée de la marque antérieure [H] [G], de l'image prestigieuse à laquelle elle est associée, et de la stricte identité des marques, le public pourra parfaitement effectuer un rapprochement avec la marque antérieure quand bien même les produits et services seraient distincts ; qu'en déposant une marque strictement identique à la marque antérieure, M. [M] a entendu délibérément se placer dans le sillage de celle-ci de manière à bénéficier de son fort pouvoir d'attraction, de sa réputation et de son prestige, sans devoir déployer d'investissements propres et sans aucune justification puisque ce nom et ce prénom n'ont aucun lien avec lui ; que la cour devra donc juger que la marque [H] [G] en ce qu'elle désigne les produits et services litigieux porte atteinte à la renommée de la marque [H] [G] n°732812.

Le directeur général de l'Inpi soutient qu'il n'est pas établi que les publics respectifs des produits et services litigieux pourront opérer un lien entre le signe contesté et la marque antérieure, reconnue de renommée pour les produits d'«horlogerie et instruments chronométriques », et qu'en conséquence l'atteinte à la renommée n'est pas caractérisée.

Sur ce,

L'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, applicable ici compte tenu de la date de dépôt de la marque seconde, dispose : « La reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière. »

La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'arrêt Intel du 27 novembre 2008 (C-252-07) a dit pour droit qu'une atteinte à une marque de renommée n'est susceptible de se produire que si le public concerné effectue un lien entre les deux signes alors même qu'il ne les confond pas. L'existence d'un tel lien doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce.

La CJUE a rappelé dans cet arrêt que parmi ces facteurs peuvent être cités le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services pour lesquels les marques en conflit sont respectivement enregistrées, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné, l'intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l'usage, de la marque antérieure et l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public.

En l'espèce, la cour, après examen des pièces versées au soutien de la démonstration de la renommée de la marque antérieure [H] [G], approuve la décision du directeur général de l'Inpi, pour les justes motifs qu'elle comporte, en ce qu'elle a reconnu la renommée de la marque [H] [G] sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, et notamment en France, pour les produits d' « horlogerie et instruments chronométriques ».

Devant la cour, la société Turlen produit de nouvelles pièces aux fins de faire reconnaître une renommée d'une intensité telle que le public concerné par les produits ou services de la marque contestée, bien que tout à fait distinct de celui des produits d'« horlogerie et instruments chronométriques » de la marque antérieure, effectue un rapprochement entre les marques en conflit.

Sur les services de « contrôle technique de véhicules automobiles »

La cour observe que ces services s'adressent à tous les propriétaires de véhicules automobiles, soit une très grande partie de la population, laquelle n'est pas nécessairement familière de la Formule 1 ni attentive aux sponsors des circuits de courses automobiles, de sorte que le fait que la société Turlen a développé des montres en lien avec une équipe de Formule 1 et conclu un partenariat avec l'écurie Ferrari ne suffit pas à démontrer que le public des services susvisés établira un lien avec la marque antérieure, et ce nonobstant l'identité des signes et la renommée de la marque antérieure pour les produits d'« horlogerie et instruments chronométriques ».

Sur les services d' «authentification d''uvres d'art ; architecture ; décoration intérieure »

La société Turlen montre qu'elle est un des partenaires des foires d'art contemporain Freize London et Freize Masters rassemblant 100 000 visiteurs par an, qu'elle a signé un partenariat avec l'artiste de street art [B] [E], qu'elle s'est engagée à soutenir le Palais de Tokyo à Paris accueillant plus de 600 000 visiteurs par an, et qu'elle a conclu un partenariat avec le Louvre d'Abu Dhabi. Ces éléments, qui établissent que la société Turlen est l'un des sponsors de quelques manifestations artistiques et d'établissements culturels rassemblant chaque année plusieurs centaines de milliers de visiteurs, sont cependant insuffisants pour démontrer que la renommée de la marque [H] [G] s'est étendue au public étroit, composé de professionnels, acheteurs ou grands connaisseurs d'art, requérant les services d'authentification d''uvres d'art. En conséquence il n'est pas établi que le consommateur fasse un lien avec la marque antérieure, malgré sa renommée et l'identité des signes en présence.

S'agissant de l'architecture et de la décoration intérieure, la société Turlen produit deux articles de presse tendant à montrer que les lieux de production tels que les usines sont devenus des vitrines et des outils de communication pour les marques, et qu'il existe certains liens unissant l'art de bâtir un édifice et celui de fabriquer des montres, des montres de la marque Junghans ayant d'ailleurs été conçues en hommage à des architectes. Elle ajoute qu'une grande importance est attachée à l'architecture et à la décoration intérieure des boutiques [H] [G]. Toutefois l'affirmation d'ordre général selon laquelle l'horlogerie et l'architecture requièrent pareillement des compétences techniques et un sens artistique, et que les bâtiments de production deviennent des vitrines de communication pour les marques, ce qui n'est en tout de cause pas spécifique aux marques d'horlogerie, est trop générale pour permettre de conclure que les publics en cause se chevauchent dans une certaine mesure, ou même que le consommateur fasse un lien avec la marque antérieure.

C'est donc à juste raison que le directeur général de l'Inpi a retenu que, nonobstant l'identité des signes et la renommée de la marque antérieure pour les produits d'« horlogerie et instruments chronométriques », le public concerné par les services d' «authentification d''uvres d'art ; architecture ; décoration intérieure » de la marque attaquée n'établira pas de lien avec la marque antérieure invoquée.

Sur les « machines de cuisine électriques ; couteaux électriques »

La société Turlen fait valoir que dans la mesure où le temps est essentiel en cuisine, les instruments d'horlogerie sont indispensables dans ce domaine ; que des partenariats se nouent entre des montres et des chefs étoilés ; que deux chefs étoilés [K] [Z] et [F] [J] portent des montres [H] [G].

Cependant, les produits incriminés qui sont des produits d'électroménager courant ne sont pas nécessairement associés à la haute gastronomie et aux chefs étoilés, de sorte qu'il n'est pas démontré que confronté aux « machines de cuisine électriques et couteaux électriques » [H] [G], le consommateur fera nécessairement référence à la marque antérieure, et ce nonobstant l'identité des signes et la renommée de la marque pour des produits d'horlogerie.

Sur les services d' « agences de presse ; agences d'informations (nouvelles) »

La société Turlen fait valoir que la marque [H] [G] est régulièrement l'objet d'articles rédigés par des agences de presse que ce soit pour des sujets relatifs aux sports, aux faits divers tels que le vol de montres de grand prix ou pour des sujets d'actualité tels que l'ouverture d'une boutique [H] [G] à [Localité 10] York ; que le lien entre la presse et l'horlogerie est matérialisé par les nombreux magazines consacrés aux montres ; que dès lors le rapprochement entre les marques est inévitable.

Toutefois le fait qu'une petite partie des informations traitées par les agences de presse concerne le monde du sport en général, ou celui des montres à l'occasion d'un fait divers ne suffit pas à démontrer que public visé, essentiellement composé de professionnels des médias et du public qui reçoit leurs informations, ferait un lien avec la marque antérieure [H] [G], et ce nonobstant l'identité des signes et la renommée de la marque pour des produits d'horlogerie.

Sur les « machines à coudre »

La société Turlen fait valoir que les machines à coudre, qui permettent de coudre les surpiqures des bracelets de montres, sont indispensables au domaine de l'horlogerie ; qu'ainsi, le consommateur souhaitant acquérir une machine à coudre opèrera un lien évident avec la marque antérieure renommée.

La cour constate que le lien invoqué relatif aux conditions de fabrication des bracelets de montres est beaucoup trop ténu pour démontrer le lien que ferait le consommateur de machines à coudre avec la marque antérieure renommée pour les produits d'horlogerie, et ce malgré le fait que les signe soient identiques.

Sur les « tondeuses (machines) ; machines à tricoter ; repasseuses ; lave-linge »

La société Turlen prétend que les publics visés sont identiques et que quand bien même ils seraient distincts, le consommateur des produits de la marque incriminée fera le lien avec la marque antérieure renommée.

Cependant la société Turlen procède par simple affirmation sans démontrer, ni le chevauchement des publics visés par les appareils électro-ménagers et les tondeuses pour les jardins, d'une part, et par les produits d'horlogerie, d'autre part, ni que les consommateurs des produits de la marque critiquée feront nécessairement le lien avec la marque antérieure, compte tenu de la similarité des signes et de la renommée de la marque pour des produits d'horlogerie.

Sur les « instruments agricoles autres que ceux actionnés manuellement ; distributeurs automatiques ; machines agricoles ; bouldozeurs ; ascenseurs »

La société Turlen soutient que les produits en cause ont en commun une technologie complexe reposant sur l'innovation de sorte que le public opèrera un rapprochement avec la marque première, pionnière dans le domaine de l'horlogerie.

Cependant les machines visées par la marque critiquée, même si elles comprennent une haute technicité, sont si éloignées des produits de la marque antérieure, que leurs publics ne sont pas fondés à faire le lien entre les marques en cause, et ce malgré le fait que les signes soient identiques et la marque renommée pour des produits d'horlogerie.

Sur les « centrifugeuses (machines) ; broyeurs (machines) »

La société Turlen soutient que les centrifugeuses sont aussi utilisées en bijouterie pour le polissage des pièces et pierres précieuses et que le lien sera nécessairement établi par le public visé.

S'il apparaît que certaines centrifugeuses peuvent en effet être utilisées dans le domaine de la joaillerie, cet usage est cependant marginal, de sorte qu'il n'est pas établi que le public visé fera un lien avec la marque antérieure renommée pour des produits d'horlogerie.

Sur les services d' « audits en matière d'énergie »

La société Turlen prétend que les services d'audits en matière d'énergie peuvent concerner des montres pour améliorer leur efficacité énergétique et que la question énergétique devient importante dans le domaine des montres pour éviter l'écueil des recharges quotidiennes pour des montres énergivores.

Cependant, outre que les services d'« audits en matière d'énergie » sont majoritairement destinés à des propriétaires ou locataires de logements ou plus généralement de bâtiments, en tout état de cause, s'ils doivent concerner des produits d'horlogerie, le public visé sera le fabricant et non les consommateurs, de sorte que les publics concernés ne se chevauchent pas et qu'il n'est pas démontré le lien que ferait le consommateur visé avec la marque antérieure nonobstant l'identité des signes et la renommée de marque antérieure pour des produits d'horlogerie.

Le directeur général de l'Inpi doit donc être approuvé en ce qu'il a considéré que pour les produits et services susvisés, l'intensité de la renommée de la marque antérieure n'était pas telle que la marque contestée puisse évoquer la marque antérieure dans l'esprit du consommateur, et qu'en conséquence l'atteinte à la marque renommée n'était pas constituée. Les demandes de la société Turlen de ce chef seront rejetées. La décision du directeur général de l'Inpi sera donc confirmée.

La cour observe en outre qu'en cause d'appel, la société Turlen n'invoque pas le motif de nullité résultant d'un risque de confusion.

Sur le caractère frauduleux du dépôt

La société Turlen fait valoir, à titre subsidiaire, qu'au regard de la très forte notoriété de la marque [H] [G] et de son fondateur du même nom, M. [M] avait parfaitement connaissance en 2019, au moment du dépôt de la marque litigieuse, de sa très forte attractivité ; qu'alors que M. [M] ne pouvait ignorer l'existence de la marque [H] [G] et de sa renommée le 2 novembre 2019, ce dernier a délibérément choisi de déposer une marque verbale strictement identique ; qu'il n'a pas le moindre lien personnel avec M. [H] [G], ni aucune légitimité à déposer une telle dénomination à titre de marque ; qu'il ne pourrait davantage être soutenu qu'il s'agit d'une pure coïncidence ; que le déposant ne justifie d'aucun motif du choix du signe [H] [G] ; qu'alors que M. [M] a procédé au dépôt de la marque litigieuse en 2019, cette dernière n'a jamais fait l'objet de la moindre exploitation depuis lors ; que l'intimé n'en est pas à sa première tentative de s'approprier des signes portant atteinte aux droits de tiers ; qu'il a déposé pas moins de 15 marques identiques ou quasi-identiques à des marques bénéficiant d'une grande connaissance par le public, voire de renommée, dont UNIVERSAL, GOOGLE CAR, ADIDAS, YEEZY, pour des produits et services distincts de ceux pour lesquels les marques antérieures sont enregistrées ; qu'en déposant la marque [H] [G] n°19 4 595 661, il a entendu tirer illégalement profit de la renommée de la marque antérieure pour des produits et services non similaires ; que c'est en ce sens que l'AFNIC s'est prononcée à propos du nom de domaine réservé de mauvaise foi ; que son intention frauduleuse a été confirmée par les termes de son email adressé à la société Turlen quelques jours après le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel, dans lequel ce dernier mentionne la décision rendue en sa faveur et indique prendre contact « afin de trouver un arrangement amiable afin de clôturer rapidement ce litige ».

Le directeur général de l'Inpi fait observer que la société Turlen n'avait pas développé le moyen du dépôt frauduleux devant l'Inpi et s'en remet à l'appréciation de la cour.

Sur ce,

La validité du droit attaché à une marque s'apprécie à la date à laquelle est né ce droit selon la loi applicable à cette date (Com., 13 janvier 2009, n° 07-19.056, 07-19.571).

Avant l'ordonnance du 13 novembre 2019 relatives aux marques de produits ou de services, qui n'est pas applicable en l'espèce M. [M] ayant déposé la marque critiquée le 2 novembre 2019, la fraude du déposant n'était envisagée par le code de la propriété intellectuelle que pour fonder une action en revendication de marque en application de l'article L. 712-6 dudit code.

Toutefois, en vertu du principe selon lequel la fraude corrompt tout, la jurisprudence a toujours admis que la fraude du déposant justifiait l'annulation d'une marque.

Il résulte de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle et du principe "fraus omnia corrumpit" qu'un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité (Com., 25 avril 2006, n° 04-15.641).

L'annulation d'un dépôt de marque, pour fraude, ne suppose pas la justification de droits antérieurs de la partie plaignante sur le signe litigieux, mais la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant (Com., 19 déc. 2006, n° 05-14.431).

Il a été jugé qu'en procédant au dépôt de la marque litigieuse, sans avoir eu l'intention d'en faire usage pour ses propres produits, tandis qu'elle avait connaissance de celui du signe pour des produits de même nature, une société a cherché à bloquer ou gêner l'entrée des produits sur le marché français et, ainsi, sciemment méconnu les intérêts d'autrui (Com., 17 mars 2021, n°18-19.774).

De même, les dépôts' cherchant à monopoliser le nom de la commune pour désigner de nombreux produits et services, s'inscrivaient dans une stratégie commerciale visant à priver celle-ci ou ses habitants, actuels ou futurs, de l'usage de ce nom nécessaire à leur activité. Ces motifs suffisent à caractériser la mauvaise foi (Com., 1er juin 2022, pourvoi n 19-18.778).

Par un arrêt du 12 septembre 2019 (C-104/18, [P] C/ [O]), la Cour de justice de a jugé que : « La cause de nullité absolue visée à l'article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement 207/2009 s'applique lorsqu'il ressort d'indices pertinents et concordants que le titulaire d'une marque de l'Union européenne a introduit la demande d'enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l'intention de porter atteinte, d'une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l'intention d'obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque, notamment de la fonction essentielle d'indication d'origine rappelée au point 45 du présent arrêt (point 46).

L'intention du demandeur d'une marque est un élément subjectif qui doit cependant être déterminé de manière objective par les autorités administratives et judiciaires compétentes. Par conséquent, toute allégation de mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de l'ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d'espèce (point 47). »

Par un arrêt du 29 janvier 2020 (aff. C-371/18, Sky contre SkyKick), la CJUE a également dit pour droit, « qu'une demande de marque sans aucune intention de l'utiliser pour les produits et les services visés par l'enregistrement constitue un acte de mauvaise foi ('), si le demandeur de cette marque avait l'intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d'une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d'obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque. Lorsque l'absence d'intention d'utiliser la marque conformément aux fonctions essentielles d'une marque ne concerne que certains produits ou services visés par la demande de marque, cette demande ne constitue un acte de mauvaise foi que pour autant qu'elle vise ces produits ou services. »

En l'espèce, il vient d'être jugé que la marque antérieure [H] [G] jouit d'une renommée sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, et notamment en France, pour les produits « horlogerie et instruments chronométriques ». Il est en outre établi que ladite marque a fait l'objet d'un partenariat en 2018 noué avec la société Airbus Corporate donnant lieu à une édition limitée de montres « Tourbillon Chrono » dont le design évoque un hublot d'avion, étant observé que l'activité déclarée sur Infogreffe par M. [M] était au moment du dépôt de la marque critiquée, le domaine de l'aéronautique. Il est également démontré que M. [M] a procédé à des dépôts de marques telles que « Henri Labourdette», « Letourneur & Marchand», «DB Deutsche et [Localité 6]» faisant référence à d'illustres inventeurs ou constructeurs du secteur automobile, secteur dans lequel la marque [H] [G] est présente. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'au moment du dépôt de la marque incriminée, M. [M] avait connaissance de la marque antérieure [H] [G] et de sa renommée pour les produits « horlogerie et instruments chronométriques ».

Il est également constant que M. [M] a procédé au dépôt de la marque [H] [G], strictement identique à la marque antérieure, et ce pour un très grand nombre de produits et services, que ladite marque n'a jamais été exploitée depuis son dépôt en 2019, outre que M. [M] a déposé depuis 2016 au moins 15 marques identiques ou quasi-identiques à des marques bénéficiant d'une grande connaissance par le public ou d'une renommée telles que UNIVERSAL, GOOGLE CAR, ADIDAS, YEEZY, pour des produits et services distincts de ceux pour lesquels les marques antérieures sont enregistrées.

Il résulte de ces éléments une stratégie frauduleuse dans laquelle s'inscrit le dépôt de la marque litigieuse, l'intention frauduleuse étant au demeurant confirmée par l'email adressé par M. [M] à la société Turlen le 3 mars 2022, quelques jours après le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 février 2022, démontrant son intention de tirer profit dudit arrêt pour battre monnaie de façon déloyale auprès de la société Turen, titulaire de la marque antérieure [H] [G].

Le dépôt frauduleux de la marque [H] [G] n°19 4 595 661 est dès lors caractérisé de sorte qu'elle doit être déclarée nulle.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt réputé contradictoire,

Confirme la décision de M. le directeur général de l'Inpi du 22 décembre 2020 ;

Y ajoutant,

Dit que le dépôt de la marque française [H] [G] n°19 4 595 661 est frauduleux ;

Prononce la nullité de la marque française [H] [G] n°19 4 595 661 pour l'ensemble des produits et services désignés ;

Condamne M. [I] [M] aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et vu l'article 700 du même code, le condamne à verser à la société Turlen Holding la somme de 7 000 euros à ce titre;

Dit que le présent arrêt sera notifié par le greffe aux parties et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, par lettre recommandée avec accusé de réception.

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