CA Rennes, 2e ch., 29 avril 2022, n° 19/00977
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
BANQUE POPULAIRE GRAND OUEST
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Christien, M. Jobard
Conseiller :
M. Pothier
Avocat :
SCP MARION LEROUX SIBILLOTTE ENGLISH COURCOUX
Avocat :
Me Mouliere
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon offre préalable de crédit immobilier acceptée 1er octobre 2009 et réitérée par acte authentique du 2 novembre 2009, la Banque populaire de l'Ouest (la BPO) a consenti à M. M. et Mme Bénédicte P. un prêt de 300 000 euros au taux de 4,15 % l'an remboursable en 240 mensualités et un prêt de 100 000 euros au taux de 3,90 % l'an remboursable en 180 mensualités.
Par acte sous signature privée du 2 octobre 2009, M. Gildas P. s'est porté caution solidaire en garantie du prêt de 300 000 euros, dans la limite de 50 000 euros, avec le consentement de son conjoint, Mme Annie P..
Par avenant accepté par les emprunteurs et la caution les 5 et 16 février 2011, les parties sont convenues, pour le prêt de 300 000 euros, de substituer au taux fixe de 4,15 % un taux variable indexé sur le taux de l'Euribor trois mois majoré de 2,10 %.
Prétendant que l'échéance de remboursement de décembre 2014 n'avait pas été honorée, la BPO s'est, par lettre recommandée avec avis de réception du 13 janvier 2015, prévalue de la déchéance du terme puis, par, par un second courrier recommandé du 9 mai 2016, mis vainement la caution en demeure d'honorer son engagement.
La BPO a alors, par acte du 3 mai 2017, fait assigner en paiement M. Gildas P. devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc et, par jugement du 21 décembre 2018, le premier juge, relevant que l'engagement de caution était nul pour non-respect du délai de réflexion de dix jours entre l'envoi, non prouvé, de l'offre à la caution et son acceptation par celle-ci, a :
débouté la BPO de ses demandes,
condamné la BPO à payer à M. P. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l' article 700 du code de procédure civile ,
condamné la BPO à payer les dépens,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La Banque populaire Grand-Ouest (la BPGO), déclarant se trouver aux droits de la BPO par suite d'une opération de fusion-absorption du 7 décembre 2017, a relevé appel de cette décision, pour demander à la cour de l'infirmer et de :
débouter M. P. de ses demandes,
condamner M. P. à régler à la BPGO la somme de 50 000 euros,
condamner M. P. à régler à la BPGO la somme de 3 000 euros au titre de l' article 700 du code de procédure civile ,
condamner M. P. aux entiers dépens.
M. P. conclut quant à lui à titre principal à la confirmation du jugement attaqué.
À titre subsidiaire, il demande à la cour de :
dire que la BPGO ne saurait se prévaloir de son engagement de caution manifestement disproportionné à ses biens et revenus,
dire que la BPGO a manqué à son devoir de mise en garde et la condamner au paiement de la somme de 49 000 euros à titre de dommages-intérêts,
dire et juger que la BPGO a manqué à son obligation d'information annuelle de la caution et qu'elle est en conséquence déchue de son droit aux intérêts et pénalités de retard,
constater que la BPGO n'a pas informé M. P. de l'incident de paiement du 29 décembre 2014 et dire qu'en conséquence elle sera déchue de son droit aux intérêts et pénalités postérieurs au 29 décembre 2014.
En tout état de cause, M. P. sollicite la condamnation de la BPGO au paiement d'une indemnité de 5 000 euros en application de l' article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la BPGO le 29 juin 2020 et pour M. P. le 23 mars 2021, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 13 janvier 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La BPGO fait grief au premier juge d'avoir considéré l'engagement de caution comme nul, alors que l'action en nullité exercée par M. P. était prescrite.
Il résulte de l' article 1304 du code civil , dans sa rédaction applicable à la cause, que l'action en nullité se prescrit par un délai de cinq ans commençant à courir à compter du jour où M. P. a connu ou aurait dû connaître le vice affectant son engagement de caution, lequel procéderait du non-respect du délai de réflexion de dix jours entre l'envoi de l'offre à la caution et son acceptation par celle-ci.
À cet égard, il est de principe qu'une telle action se prescrit par cinq ans à compter de l'acceptation de l'offre.
Cependant, en l'espèce, l'offre n'a pas été acceptée par la caution.
Dès lors, c'est à juste titre le premier juge a considéré que la caution n'avait pu avoir connaissance des faits lui permettant d'invoquer la prescription qu'au jour où son engagement avait été activé par la banque à la suite de la défaillance des emprunteurs par courrier recommandé du 9 mai 2016.
En toute hypothèse, M. P. fait à juste titre valoir qu'il n'exerce pas d'action en nullité, mais ne fait que se défendre contre l'action en paiement de la banque, et que l'exception de nullité est quant à elle perpétuelle.
À cet égard, si la BPGO rappelle avec raison que l'exception de nullité ne peut plus être invoquée si le contrat dont l'irrégularité est invoquée a fait l'objet d'un commencement d'exécution, et si, saisie par les époux P. d'une demande de traitement de leur situation, la commission de surendettement des particuliers des Côtes d'Armor a élaboré le 25 août 2016 un projet de plan conventionnel de redressement de deux ans prévoyant, pour la créance de la BPGO, le règlement de 24 mensualités de 50 euros, il ressort des conclusions de première instance de M. P. produites devant la cour que ces mesures d'apurement ont été contestées par les débiteurs, l'intimé affirmant en outre dans ses écriture d'appel sans être utilement contredit n'avoir jamais opéré le moindre versement à la BPGO.
Dès lors, la seule circonstance que la créance de la banque figurait dans un plan de redressement qui n'a donné lieu à aucun règlement ne saurait être regardée comme un commencement d'exécution du contrat de cautionnement.
La demande d'annulation du contrat de cautionnement est donc recevable.
Il résulte par ailleurs des articles L. 312-7 et L. 312-10 du code de la consommation , dans leur rédaction applicable à la cause, que l'offre préalable de crédit immobilier doit être adressée gratuitement par voie postale par le prêteur à l'emprunteur éventuel ainsi qu'aux cautions déclarées par celui-ci lorsqu'il s'agit de personnes physiques, pour être soumise à l'acceptation de l'emprunteur et des cautions, lesquelles ne peuvent l'accepter que dix jours après qu'ils l'ont reçue par retour de courrier, le cachet de la poste faisant foi.
Or, en l'occurrence, l'offre, produite en annexe à l'acte authentique de réitération du prêt par les emprunteurs en l'absence des cautions, mentionnait que le prêt serait garanti par deux cautions, dont M. P., et, si elle a été dûment acceptée le 1er octobre 2009 par les emprunteurs, M. M. et Mme Bénédicte P., qui attestaient l'avoir reçue par voie postale le 15 septembre précédent, elle n'a en revanche été acceptée par aucune des cautions.
D'autre part, l'engagement de caution du 2 octobre 2009 ne mentionne pas que l'offre avait bien été adressée par voie postale à M. P. et reçue par ce dernier au moins dix jours avant la conclusion du contrat de cautionnement.
Il est enfin de principe que le non-respect du délai de réflexion de dix jours entre l'envoi de l'offre à la caution et son acceptation par celle-ci imposé par l'article L. 312-10 devenu L. 313-34 du code de la consommation est sanctionné par la nullité du contrat de cautionnement.
Sans contester la nullité ainsi encourue, la BPGO soutient qu'en signant l'avenant des 5 et 16 février 2011 et en déclarant la créance née de son engagement de caution à la procédure de surendettement, M. P. aurait confirmé l'acte nul.
Cependant, il résulte de l' article 1338 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause que la confirmation d'une obligation entachée de nullité est subordonnée à la conclusion d'un acte révélant que son auteur a eu connaissance du vice affectant l'obligation et l'intention de le réparer, ou en tout cas à son exécution volontaire après l'époque à laquelle celle-ci pouvait être valablement confirmée en connaissance de ce vice.
Or, en l'occurrence, aucun acte ne révèle que M. P. ait eu l'intention de réparer la nullité de son engagement de caution procédant du non-respect du délai de réflexion de dix jours entre l'envoi de l'offre à la caution et son acceptation par celle-ci, la caution n'ayant fait une telle déclaration ni dans l'avenant, ni au cours de la procédure de surendettement.
Il a en outre été précédemment relevé que le contrat de cautionnement n'avait pas été exécuté volontairement.
Enfin et surtout, rien ne démontre que M. P. ait eu connaissance du vice affectant son engagement de caution lorsqu'il a saisi la commission de surendettement des particuliers en vue du traitement de sa situation, ni même en régularisant l'avenant des 5 et 16 février 2011 dont aucune disposition ne rappelle celles des articles L. 312-7 et L. 312-10 du code de la consommation .
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué en tous points, sauf à compléter son dispositif en déclarant M. P. recevable à invoquer la nullité de son engagement de caution du 2 octobre 2009 et en annulant celui-ci.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de M. P. l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2 000 euros en application de l' article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme le jugement rendu le 21 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, sauf à compléter son dispositif en déclarant M. P. recevable à invoquer la nullité de son engagement de caution du 2 octobre 2009 et en annulant celui-ci ;
Condamne la Banque populaire Grand-Ouest à payer à M. P. une somme de 2 000 euros en application de l' article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Banque populaire Grand-Ouest aux dépens d'appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.