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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 9 juin 2017, n° 15/24219

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chandelon

Conseillers :

Mme Gonand, M. Bailly

Avocat :

Me Guetta

Avocat :

Me El Assaad

CA Paris n° 15/24219

8 juin 2017

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 29 octobre 2015, saisi par l'assignation délivrée le 28 juillet 2014 par la société de Crédit Industriel et Commercial (CIC) à Mme Maud B., d'une action en exécution de l'acte de cautionnement consenti par elle à hauteur de la somme de 60 000 euros et garantissant partiellement le prêt d'un montant de 300 000 euros souscrit, le 24 juillet 2012, par la société Lou Coton's dont elle était gérante, destiné à l'acquisition d'un droit au bail et qui a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 28 mai 2014, a :

- condamné Mme Maud B. à payer au CIC la somme de 60 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2014, avec capitalisation annuelle,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné Mme Maud B. aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de Mme Maud B. en date du 2 février 2017, à la suite de l'appel qu'elle a interjeté le 1er décembre 2015, qui fait valoir :

- que la société Lou Coton's, dont son mari était l'associé unique et le gérant à l'origine avait pour seul objet le conseil le style et la création d'articles de prêts-à- porter réalisés par elle,

- que le couple a été approché par M. G., en 2012, qui a proposé la création de magasins de vente de ces articles, est entré au capital dont M. B. lui a cédé la moitié tandis que son épouse recevait l'autre le 30 mai 2012, les deux nouveaux associés devenant co gérants, que Mme G. a sollicité de sa banque, la société CIC le financement de l'acquisition de deux droits aux bail à Rennes et Lyon pour une somme totale de 480 000 euros,

- que M. G. a sollicité sa caution pour un montant de 96 000 euros en faveur de la banque et qu'au lieu d'un droit au bail, il lui a présenté, le 24 juillet 2012, un bail commercial à Lyon au nom de la société Lou Coton's,

- qu'au prétexte de l'inaccomplissement du développement commercial prévu, M. G. a, à nouveau, cédé ses parts aux époux B. le 20 décembre 2012, et démissionné de ses fonctions de gérant et qu'elle a découvert que la boutique de Lyon n'était pas rentable sans pouvoir vendre faute d'acquéreur, de sorte que la société a déposé son bilan et qu'elle a été attraite en qualité de caution,

- que les documents versés par la banque bien après l'assignation ne masquent pas la réalité selon laquelle le cautionnement de M. G. devait également être recueilli alors qu'il n'est pas annexé au contrat de prêt, que ce dernier n'a pas été établi en un exemplaire pour elle en qualité de caution, que l'acte de caution n'est pas daté, que c'est à tort que l'absence de date et de la signature de la caution n'a pas été sanctionnée par le tribunal, qu'en l'absence de caution de M. G. qui était prévue dans la convention de prêt qu'elle a paraphée, elle a été trompée sur l'étendue de son engagement, qu'elle a donc été trompée tant par M. G. que par le CIC, la nullité du cautionnement devant être prononcée en vertu des articles 1137 et suivants du code civil (anciens articles 1116),

- que lors de la cession des parts, aucun désengagement de caution de M. G. n'a été réalisé ce qui montre que son cautionnement n'a pas été donné et que les dispositions des articles 1188 et 1190 du code civil (1156 et 1162 anciens du code civil) ne peuvent s'appliquer au cautionnement litigieux,

- qu'elle a accepté de se porter caution à hauteur de la somme de 96 000 euros dans la mesure où le CIC prêtait la somme de 480 000 euros pour acquérir deux droits au bail mais que ce prêt total n'ayant pas été réalisé, le cautionnement est nul, alors qu'elle n'a pas paraphé l'acte de prêt dans les locaux de la banque mais sous l'influence de M. G. qui s'était engagé à être également caution, qu'en outre la prise du bail le même jour que celui de l'ouverture du compte bancaire de la société Lou Coton's dans les livres de la banque, le 24 juillet 2012, ne pouvait que laisser perplexe sur le sérieux des opérations à venir, et qu'elle pouvait penser que l'opération globale n'avait pas eu lieu,

- que l'acte désormais produit montre que les 297 000 euros nécessaires auraient été mis à la disposition de M. G. avant même l'ouverture du compte bancaire puisque son versement est prévu à l'acte de cession du 24 juillet 2012, que tant l'objet du financement que les garanties prises ont été modifiées sans son accord alors qu'elle ne s'est jamais portée caution pour la seule somme partielle de 60 000 euros,

- qu'elle n'a jamais reçu les courriers d'information que la banque expose lui avoir adressés alors que les seuls courriers qu'elle a reçus sont contradictoires eux mêmes sur la portée de son engagement (60 000 euros le 19 juin 2014, 96 000 euros le 24 juin 2014), de sorte qu'elle demande à la cour, au visa des articles 1128, 1130, 1137, 1103 et 1104 ainsi que 1188, 1190 et 1375 du code civil :

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de débouter le CIC de toutes ses demandes,

- de le condamner à lui payer une somme de 10 000 euros au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu les dernières conclusions en date du 4 mars 2016 du CIC qui résiste à ces demandes, sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, en faisant valoir :

- que, sollicité par la société Lou Coton's pour deux prêts, elle a offert leur conclusion, destiné pour l'un à l'acquisition d'un droit au bail à Rennes l'autre à Lyon, au moyen d'un même acte du 24 juillet 2012, que M. G. et Mme B. étaient co gérants depuis le 30 mai 2012, que Mme B. ne peut ignorer que l'acquisition du droit au bail de Rennes n'a pas eu lieu au contraire de celle de Lyon, de sorte que la caution de 36 000 euros relative à la première n'avait plus lieu d'être,

- que Mme B. ne conteste pas la régularité formelle de l'acte mais les conditions dans lesquelles elle l'a souscrit qui ne sauraient aboutir au prononcé de sa nullité dès lors qu'il n'est en rien démontré que la banque l'aurait trompée,

- que M. Gabison, co gérant en charge des finances de la société avait pris contact avec elle depuis le mois de mai 2012, que si M. G. n'a pas été assigné c'est parce qu'il n'a pas régularisé son acte de cautionnement mais ceci sans conséquence sur les obligations de Mme B. au regard de la stipulation contractuelle qui prévoit que l'existence ou le maintien d'autres cautions n'est pas la condition déterminante du cautionnement de la signataire,

- que l'acte de cautionnement fait partie de l'acte de prêt du 24 juillet 2012 dont elle a paraphé les quinze pages, qu'elle a été informée annuellement de ses obligations et qu'elle ne peut prétendre les avoir ignorées,

- qu'elle ne peut utilement se plaindre de s'être portée caution à hauteur de 96 000 euros pour les deux prêts dont un seul a été accordé alors qu'ils étaient nettement séparés, destinés à des financements distincts et que rien ne permettait d'établir qu'elle ne pouvait accorder l'un sans l'autre et qu'il en est de même pour les cautions, que la non souscription du premier prêt n'empêche pas l'exécution du second et l'exigibilité des obligations de la caution au titre du second à hauteur de la somme de 60 000 au lieu de 96 000 euros, selon la commune intention des parties au sens des articles 1156 et 1162 du code civil,

- qu'elle a déclaré sa créance à hauteur de la somme de 252 195,72 euros à la date de la liquidation qui a pour effet de rendre la dette exigible ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 14 février 2017 ;

SUR CE

Le contrat de cautionnement litigieux, annexé au contrat de crédit consenti par le CIC dans des conditions examinées plus loin, est daté du 24 juillet 2012.

Il ressort de l'examen des pièces versées aux débats :

- que la cession des parts dans la société Lou Coton's par M. R. B. à M. Jacques G. est datée du 30 mai 2012 et a été enregistrée le 20 juillet suivant,

- que la cession de droit au bail d'un local commercial sis 21 rue de Brest à Lyon par la société Move One France à la société Lou Coton's, représentée par M. Jacques G., pour un prix de 330 000 euros est datée du même jour, 24 juillet 2012,

- qu'un bail commercial signé entre MM. P. et C. et la société Lou Coton's, représentée par M. Jacques G., pour un loyer annuel de 35 000 euros et moyennant une indemnité de déspécialisation de 35 000 euros, est encore du même jour, 24 juillet 2012,

- que l'ouverture du compte de la société Lou Coton's, représentée par M. Jacques G. est également datée du 24 juillet 2012,

- que Mme B. n'est pas contredite lorsqu'elle indique que les parts de la société Lou Coton's ont été rétrocédées par M. G. à M. R. B. le 10 décembre 2012, les statuts étant mis à jour le 20 décembre suivant.

L'acte sous seing privé litigieux est composé de 14 pages consacrées aux contrats de prêt et aux garanties prises et d'une page 15 constituée du cautionnement donné par Mme B. avec l'engagement de son mari.

Les clauses relatives aux prêts, s'achevant par la page 14 signée par le seul M. G. ès qualités de gérant mais dont les pages sont paraphées par M. B., prévoient :

- la conclusion d'un prêt de 180 000 euros consenti pour l'acquisition d'un droit au bail situé 6 rue Rohan à Rennes et d'un second prêt de 300 000 euros consenti pour l'acquisition d'un droit au bail situé 21 rue de Brest à Lyon, seul le second ayant été finalement débloqué par la banque,

- les cautions solidaires de Mme B. et de M. G. dans la limite de 36 000 euros pour le premier prêt et de 60 000 euros pour le second, outre une garantie Oseo, le nantissement des fonds de commerce à venir et une lettre de blocage des compte courant d'associés tant de Mme B. que de M. G.,

- la clause 4.2 figurant dans la définition des garanties stipule notamment que 'la caution ne fait pas de la situation du cautionné ainsi que de l'existence et du maintien d'autres cautions la condition déterminante de son cautionnement'.

La page 15 contient le cautionnement par Mme B., donné globalement dans la limite de 96 000 euros pour une durée de 108 mois.

C'est à juste titre que Mme B. fait valoir qu'il résulte de l'article 1162 ancien du code civil que, dans le doute, les conventions doivent s'interpréter contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation et qu'en l'espèce, la clause type, usuelle et préimprimée, selon laquelle les cautions ne font pas du sort de leur cofidéjusseur une condition déterminante de leur engagement entre en contradiction avec le cautionnement expressément consenti par M. Jacques G. que la banque s'engageait à recueillir, ce qu'elle ne conteste pas s'être abstenue de faire.

Si de l'exécution de cette clause usuelle, il pouvait être tiré que le sort ultérieur du cautionnement de M. G. deviendrait indifférent à la force obligatoire de l'engagement de Mme B., il résultait de la mention expresse que ce cautionnement de son associé cogérant devait être donné au moment du prêt et était une condition déterminante de son consentement comme elle le fait valoir et il ne peut qu'être relevé, en outre, que la concomitance des différents actes de l'opération ne lui a pas permis de se convaincre que ledit cautionnement n'avait pas été dûment formalisé par M. G. au profit de la banque qui a laissé cette stipulation inexécutée alors qu'il n'est pas contesté qu'un exemplaire du cautionnement ou du contrat de prêt dans lequel il s'intègre ne lui a pas été donné puisqu'il mentionne lui même n'avoir été établi qu'en double exemplaire.

Compte tenu de l'erreur de Mme B. sur la réalité annoncée de l'engagement d'un cofidéjusseur, que les circonstances évoquées de son association avec M. Jacques G. rendaient ainsi déterminantes de son consentement, le cautionnement doit être annulé en vertu des articles 1110 et suivants anciens du code civil.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de déclarer nul le cautionnement litigieux, de débouter le CIC de toutes ses demandes, de le condamner aux dépens ainsi qu'à payer à M. Maud B. la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.


PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

et statuant à nouveau,

Déclare nul le cautionnement consenti par Mme Maud B. au profit de la société Crédit Industriel et Commercial le 24 juillet 2012 ;

Déboute la société Crédit Industriel et Commercial de toutes ses demandes ;

Condamne le Crédit Industriel et Commercial à payer à Mme Maud B. la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le Crédit Industriel et Commercial aux entiers dépens de première instance d'appel.

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