CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 24 mars 2011, n° 07/19233
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
S.A.S. HEINEKEN ENTREPRISE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Apelle
Conseiller :
Mme Jacomet
Conseiller :
Mme Fevre
Avocats :
SCP BAUFUME GALLAND VIGNES, Me Perreault
Avocats :
Me Melun, Me Deviterne
Par acte sous seing privé du 29 juillet 2003, la Banque Scalbert Dupont a consenti à la société TFJ un prêt de 27.500 euros remboursable en 58 mensualités avec intérêts au taux de 6 % l'an pour l'acquisition d'un fonds de commerce de débit de boissons, situé [...], en garantie duquel la société Heineken Entreprise s'est portée caution solidaire.
Par jugement du 1er mars 2005, le tribunal de commerce de Paris a ouvert le redressement judiciaire de la société TFJ, lequel a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 2 juin 2005.
Le 18 mars 2005, la société Heineken Entreprise a réglé la somme de 20.748,33 euros à la Banque Scalbert Dupont au titre du prêt du 29 juillet 2003, des échéances étant restées impayées.
Le 9 mai 2005, la société Heineken Entreprise a déclaré sa créance au passif de la société TFJ
Se prévalant d'un acte sous seing privé du 29 juillet 2003, la société Heineken Entreprise a mis en demeure Monsieur et Madame Vidal de lui payer la somme réglée à la banque en leur qualité de caution solidaire par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 juin 2005
Par jugement du 16 octobre 2007, le tribunal de commerce de Meaux a déclaré irrecevable et mal fondée la demande de la société Heineken Entreprise et l'en a déboutée, condamné cette société à payer à Monsieur et Madame Vidal la somme de 800,00 euros en application de l' article 700 du code de procédure civile , dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, condamné la société Heineken Entreprise aux dépens.
La déclaration d'appel de la SAS Heineken Entreprise a été remise au greffe de la Cour le 15 novembre 2007.
Par arrêt en date du 25 février 2010, la Cour d'appel de Paris a ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture ainsi que la réouverture des débats, invité les parties à conclure sur la contradiction , au regard des articles 1157 et suivants du Code civil, entre le corps du texte dactylographié , qui parait relatif à la souscription d'un cautionnement par les époux Vidal, et la formule manuscrite précédant la signature , qui, du point de vue d'une analyse logique, semble constituer un engagement pour le compte d'un tiers , en l'espèce l'emprunteur, un tel engagement pouvant être, dans les circonstances de l'espèce, exclusif d'un cautionnement.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 27 mai 2010, après réouverture des débats, la société Heineken Entreprises a demandé à la Cour de:
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- condamner solidairement M. et Mme Vidal à lui payer la somme de vingt mille sept cent quarante huit euros et trente trois centimes - 20.748,43 € - avec intérêts au taux de 6% l'an à compter du 25 février 2005 jusqu'à parfait paiement ainsi que la somme de trois mille euros - 3.000 € - sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile ,
- dire que les intérêts se capitaliseront dans les termes de l' article 1154 du Code civil , dont l'application est d'ordre public,
- débouter M. et Mme Vidal de toutes leurs demandes,
- condamner solidairement M. et Mme Vidal aux dépens de première instance et d'appel.
M. et Mme Vidal n'ont pas conclu de nouveau suite à la réouverture des débats.
SUR CE
Considérant qu'aux termes de l' article 2292 du Code civil , le cautionnement ne se présume pas et doit être exprès;
Considérant que M. et Mme Vidal soutiennent que tel n'est pas le cas en la présente espèce, l'acte sur lequel se fonde la société Heineken pour asseoir ses demandes mentionnant leur engagement pour la société TFJ et non en qualités de cautions ;
Considérant que la société Heineken s'oppose à cette argumentation, faisant valoir :
1) qu'aux termes de l' article 1326 du Code civil , ' l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constatée dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention écrite par lui-même de la somme ou de la quantité en toutes lettres et chiffres,
2) que les mentions sont requises ad probationem et non ad validitatem, de sorte qu'une mention irrégulière peut encore servir de commencement de preuve par écrit qui, s'il est conforté par des éléments extrinsèques, permet d'apporter la preuve de la réalité de l'engagement de caution,
3) que les éléments extrinsèques en question peuvent être relevés dans l'acte même où la mention manuscrite a été apposée ;
Considérant que force est de constater toutefois que si M. et Mme Vidal ont signé effectivement un acte intitulé ' acte de caution solidaire', s'il était effectivement mentionné dans le corps de l'acte tapé à la machine que chacun se constituait caution solidaire de l'emprunteur envers les Brasseries Heineken SA et s'obligeait , en renonçant au bénéfice de discussion et de division et au bénéfice des articles 2032 et 2039 du Code civil , à rembourser à Brasseries Heineken toutes sommes en principal, intérêts, frais et accessoires que celle ci aura été amenée à régler à la banque, fut ce par anticipation pour quelque cause que ce soit, par contre chacun des époux Vidal s'est engagé de façon manuscrite certes à concurrence de la somme de vingt sept mille cinq cents euros - 27.500 € - plus tous frais, accessoires et intérêts au taux de 6% l'an mais pour la SARL TJP et non en qualité de caution solidaire ce nonobstant le rappel dactylographié mentionné en fin de page qui précise que le souscripteur doit faire précéder sa signature de la mention ' bon pour caution solidaire à concurrence de la somme de 27.500 € ( vingt sept mille cinq cents euros ) en principal, plus tous frais, accessoires et intérêts au taux de 6% l'an;
Considérant que la SA Heineken soutient que, faute de la mention manuscrite exigée par l' article 1326 du Code civil , l'acte de cautionnement litigieux constitue un commencement de preuve par écrit de sorte qu'il incombe à la Cour de rechercher les éléments extrinsèques invoqués par elle ;
Considérant que, si effectivement le commencement de preuve par écrit que constitue un acte de cautionnement irrégulier peut être complété par tout élément extérieur à l'engagement de caution, encore faut il pour le créancier démontrer ces éléments extérieurs à l'engagement de caution;
Que la société Heineken ne justifie en la présente espèce d'aucun élément extérieur à l'acte contesté lui même, qui viendrait corroborer l'intention de M. et Mme Vidal de se porter caution, soit par exemple des lettres de leur part manifestant leur volonté pour obtenir le prêt de se porter caution, la société Heineken se contentant de reproduire les éléments dactylographiés de l'acte de caution qui sont des éléments intrinsèques et non extrinsèques ; affirmant d'ailleurs que ces éléments se suffisent à eux mêmes alors que M. et Mme Vidal n'ont pas reproduit dans leur mention manuscrite la formule ' bon pour caution solidaire ' que la SA Heineken invitait pourtant en bas de page à mentionner ;
Considérant que la SA Heineken ne saurait par ailleurs soutenir que la mention ' Pour la SARL TFJ' devant être entendue au bénéfice de la SARL TFJ supprime toute contradiction entre la mention manuscrite de chacun des époux Vidal et le corps de l'acte contesté ;
Qu'en effet, si, aux termes de l' article 1157 du Code civil , ' lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet que dans celui avec lequel elle n'en pourrait produire aucun, ' il résulte des dispositions de l'article qu'en cas de difficultés d'interprétation, l'engagement doit être retenu dans le sens de celui qui s'oblige;
Considérant que, manifestement, si M. et Mme Vidal, l'un étant lors de la signature de l'acte gérant, et l'autre associée, ont effectivement entendu engager la société pour l'octroi d'un prêt, ils n'ont jamais eu l'intention de s'engager personnellement ;
Qu'il appartenait à la SA Heineken de s'assurer de la réalité de leurs engagements personnels, ce qu'elle n'a pas fait;
Considérant que le jugement entrepris sera, par voie de conséquence, confirmé en ce qu'il a débouté la SA Heineken de ses demandes;
Considérant qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M. et Mme Vidal les frais irrépétibles qu'ils ont exposés pour l'ensemble de la procédure.
Que la SA Heineken sera condamnée à leur payer à ce titre la somme de huit cents euros - 800 € - sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant que la SA Heineken, , partie succombante, doit les dépens de première instance et d'appel, et doit être déboutée de sa demande formée au titre de l' article 700 du Code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Meaux en date du 16 octobre 2007 en ce qu'il a débouté la SA Heineken Entreprise de ses demandes et en ce qu'il a condamné la SA Heineken aux dépens.
Infirme le jugement entrepris pour le surplus.
Condamne la SA Heineken Entreprises à payer à M. Thierry Vidal et à Mme Françoise Hartmann épouse Vidal la somme globale de huit cents euros - 800 € - sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés pour l'ensemble de la procédure.
Condamne la SAS Heineken Entreprise aux dépens de la présente procédure dont distraction au profit de Me Lionel Melun conformément aux dispositions de l' article 699 du Code de procédure civile.