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Décisions

CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 22 octobre 2025, n° 24/01727

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 24/01727

22 octobre 2025

ARRET



[L]

C/

S.E.L.A.R.L. MJC2A

[M]

Société NATUREO [Localité 5]

copie exécutoire

le 22 octobre 2025

à

Me SOUBELET- CAROIT

Me GUICHARD - 3

LDS/IL/CB

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 22 OCTOBRE 2025

*************************************************************

N° RG 24/01727 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JBYU

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 26 MARS 2024 (référence dossier N° RG 23/00001)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [I] [L]

[Adresse 1]

[Localité 4]

concluant par Me Sophie SOUBELET-CAROIT, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMES

S.E.L.A.R.L. MJC2A prise en la personne de Me [R] [G], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde

[Adresse 6]

[Localité 7]

Maître [B] [M] en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde

[Adresse 2]

[Localité 7]

Société NATUREO [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentés, concluant et plaidant par Me Valérie GUICHARD de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Elodie BRUNNER, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 17 septembre 2025, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame Laurence de SURIREY en son rapport,

- l'avocat en ses conclusions et plaidoirie

Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 22 octobre 2025 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 22 octobre 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

La société Naturéo [Localité 5] (la société ou l'employeur) est une enseigne de supermarchés spécialisée dans la distribution d'aliments biologiques en traditionnel et libre-service.

Elle a embauché Mme [L], à compter du 23 mai 2016 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de responsable sec.

La société Naturéo [Localité 5] compte plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle du commerce de détail alimentaire non spécialisé.

Par courrier du 14 décembre 2021, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 29 décembre 2021.

Par lettre du 8 janvier 2022, elle s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire de deux jours.

Par courrier du 12 janvier 2022, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable, fixé au 21 janvier 2022, et s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire.

Le 28 janvier 2022, elle a été licenciée pour fautes graves.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Creil, le 2 janvier 2023.

Par jugement du 10 mai 2023, le tribunal de commerce d'Evry a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société Naturéo Saint-Maximin.

Par jugement du 26 mars 2024, le conseil a :

- reçu liminairement la demande d'irrecevabilité de la nouvelle demande soulevée à la barre par le défendeur ;

- rejeté la demande formulée par la société Naturéo [Localité 5] ;

- déclaré la demande de Mme [L] recevable ;

- pris acte de l'intervention des administrateurs judiciaires ;

- jugé qu'il n'y avait pas lieu d'écarter des débats la pièce n° 17 produite par la société ;

- fixé le salaire mensuel moyen à 2 369 euros brut ;

- jugé que Mme [L] n'était pas victime de harcèlement moral ;

- jugé que le licenciement de Mme [L] intervenu pour faute grave était fondé ;

- jugé la mise à pied disciplinaire prononcée le 8 janvier 2022 fondée ;

- débouté Mme [L] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamné cette dernière à payer à la société la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par jugement du 15 mai 2024, le tribunal de commerce d'Evry a entériné le plan de sauvegarde de la société Naturéo Saint-Maximin, mettant fin à la procédure de sauvegarde. Le tribunal a également désigné deux commissaires à l'exécution du plan, Me [M] et la société MJC2A.

Mme [L], qui est régulièrement appelante de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 août 2025, demande à la cour de :

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il :

- l'a dite recevable en sa demande additionnelle de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral ;

- fixé son salaire mensuel moyen à 2 369 euros ;

Statuant à nouveau,

- écarter des débats la pièce n° 17 produite par la société Naturéo [Localité 5] ;

- fixer son salaire brut moyen à 2 369 euros ;

- juger que la mise à pied disciplinaire prononcée le 8 janvier 2022 par la société est infondée, et en conséquence l'annuler ;

- la juger victime de harcèlement moral ;

- en conséquence, condamner la société à lui verser la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts à ce titre ;

- juger son licenciement prononcé le 28 janvier 2022 nul, et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- en conséquence, condamner la société à lui verser avec intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil :

- 1 261,12 euros au titre de la période de mise à pied conservatoire ;

- 126,11 euros au titre des congés payés afférents ;

- 4 738 euros au titre du préavis ;

- 473 euros au titre des congés payés afférents ;

- 3 356,08 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 20 000 euros au titre du licenciement nul ;

- subsidiairement 14 214 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 560 euros au titre du préjudice financier dû aux vols ;

- 400 euros au titre du préjudice moral dû au vol ;

- ordonner à la société Naturéo de lui remettre des documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement à intervenir ;

- débouter en tous états de cause la société de toute ses demandes, fins ou conclusions';

- condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Naturéo [Localité 5] ainsi que les commissaires à l'exécution du plan, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 août 2025, demandent à la cour de :

A titre principal,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé recevable la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral formulée par Mme [L] ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- fixé le salaire mensuel moyen à 2 369 euros brut ;

- jugé fondé le licenciement pour faute grave de Mme [L] ;

- jugé l'absence de situation de harcèlement moral à l'encontre de Mme [L]';

- jugé qu'il n'y avait pas lieu d'écarter des débats sa pièce n°17 ;

- jugé fondée la mise à pied disciplinaire prononcée le 8 janvier 2022 à l'encontre de Mme [L] ;

- débouté Mme [L] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamné Mme [L] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi aux entiers dépens.

En conséquence, statuant à nouveau,

- prendre acte de l'intervention des commissaires à l'exécution du plan ;

- juger irrecevable la demande de reconnaissance d'une situation de harcèlement moral formulée par Mme [L] ou, à tout le moins, injustifiée ;

- juger infondée la demande de reconnaissance de la nullité du licenciement formulée par Mme [L], quel qu'en soit le motif ;

- juger fondé le licenciement pour faute grave de Mme [L] ;

- juger fondée et proportionnée la mise à pied disciplinaire de Mme [L] ;

- fixer le salaire brut moyen de Mme [L] à 2 369 euros ;

- débouter Mme [L] de ses demandes d'indemnisation pour préjudices financier et moral dus au vol dans l'entreprise ;

- débouter Mme [L] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires et salariales ;

- condamner Mme [L] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, lesquels s'ajouteront à la condamnation des 1 000 euros déjà prononcée en première instance par le conseil de prud'hommes ;

- condamner Mme [L] aux entiers dépens de l'instance, lesquels comprendront l'intégralité des frais de signification et d'exécution qu'elle pourrait exposés à la suite de l'arrêt rendu par la cour ;

A titre subsidiaire,

Si, par extraordinaire, la cour jugeait que le licenciement de Mme [L] n'était pas fondé, il lui serait alors demandé de :

- prendre acte de l'intervention des commissaires à l'exécution du plan ;

- juger irrecevable la demande de reconnaissance d'une situation de harcèlement moral formulée par Mme [L] ou, à tout le moins, de débouter l'appelante de sa demande de harcèlement moral ;

- débouter Mme [L] de sa demande de licenciement nul ;

- fixer le salaire brut moyen de Mme [L] à 2 369 euros ;

- fixer à de plus justes proportions la demande de Mme [L] au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit à hauteur maximum de 7 107 euros brut ;

- débouter Mme [L] de :

- sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés sur mise à pied conservatoire ;

- ses demandes d'indemnisation pour préjudices financier et moral dus au vol dans l'entreprise ;

- sa demande d'annulation de mise à pied disciplinaire ;

- sa demande d'application des intérêts au taux légal ou, à tout le moins, fixer comme point de départ des intérêts moratoires la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

- sa demande de remise des documents de fin de contrat sous astreinte ou, à titre subsidiaire, prononcer l'astreinte qu'à compter d'un délai d'au moins 40 jours après la notification de la décision prud'homale ;

- sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement les parties aux entiers dépens de l'instance, lesquels comprendront l'intégralité des frais de signification et d'exécution que pourraient exposer les parties à la suite de la décision prud'homale.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

Il convient d'emblée de prendre acte de l'intervention volontaire des commissaires à l'exécution du plan.

1/ Sur la demande tendant à voir écarter la pièce N°17 de la société :

Mme [L] demande que soit écartée la pièce N°17 de la société intitulée au bordereau " témoignage de Mme [U] " au motif qu'elle n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.

Or, cette pièce n'étant pas une attestation mais un compte rendu d'entretien dans lequel sont retranscrits les propos de salariés dont " [S] " n'est pas soumis au formalisme de l'article 202 du code de procédure civile. La preuve étant libre en matière prud'homale, il appartient à la cour d'en apprécier souverainement la valeur probante.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement qui a refusé d'écarter cette pièce des débats.

2/ Sur le harcèlement moral et le licenciement :

2-1/ Sur la recevabilité des demandes :

Selon l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, les demandes tendant à voir dire que Mme [L] a été victime de harcèlement moral et que son licenciement est nul comme intervenu dans un tel contexte, de même que la demande de réparation du préjudice allégué, se rattachent par un lien suffisant avec la demande originaire de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En effet, dans les deux cas, ces demandes tendent à obtenir l'indemnisation des conséquences du licenciement que la salariée estime injustifié.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la demande recevable bien qu'elle n'ait été présentée par la salariée qu'en cours de procédure.

2-2/ Sur l'existence d'une situation de harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [L], devant la cour, soutient qu'elle a été victime de harcèlement moral caractérisé par le prononcé dans un court laps de temps d'une mise à pied disciplinaire, d'une mise à pied conservatoire et de son licenciement.

Le prononcé d'une mise à pied disciplinaire (8 janvier 2022) et le licenciement pour fautes graves (28 janvier 2025) précédé d'une mise à pied conservatoire à quelques jours d'intervalle sont des faits répétés, qui pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, étant observé que la procédure de licenciement s'analyse en un fait unique avec tous ses composants (convocation, mise à pied, notification licenciement).

L'employeur affirme que les mesures prises étaient justifiées par les fautes professionnelles de Mme [L].

Il convient donc d'examiner le bien-fondé de ces deux mesures.

- Sur la mise à pied disciplinaire :

Les motifs de la mise à pied disciplinaire sont le non-respect des règles liées à la gestion des produits (non-retrait de produits avec des dates de consommation dépassées), au port des équipements de protection individuelle (masque), au comportement managérial inadapté à l'égard de deux collègues et de deux stagiaires mineures et aux flux financiers (défaut de contrôle de caisse à deux reprises et défaut de contrôle de coffre).

L'employeur verse aux débats le compte rendu d'un rendez-vous qui s'est tenu avec deux salariés le 13 décembre 2022 aux termes duquel il apparaît que ces derniers se sont plaints du comportement managérial de Mme [L] et notamment, s'agissant de Mme [X], du fait qu'elle s'est adressée à elle en hurlant dans la réserve, un courriel du 9 janvier 2022 par lequel la salariée conteste la sanction qui lui a été infligée tout en reconnaissant un certain nombre de faits (défaut de contrôle du coffre, non-port du masque, non-retrait des périmés, défauts de contrôle de caisse) même si elle cherche à se justifier ou à en faire porter la responsabilité sur d'autres.

En revanche, le fait que Mme [L] aurait maltraité des stagiaires mineures au point que leur stage ait dû être interrompu n'est étayé d'aucune pièce et n'a pas été reconnu.

Au regard de l'absence de passé disciplinaire de la salariée depuis 2016, du caractère unique de certains faits, de l'absence de mise en garde préalable notamment s'agissant du port du masque, le prononcé d'une à mise à pied disciplinaire de deux jours est une sanction disproportionnée aux fautes commises qu'il y a lieu d'annuler conformément à la demande.

Ce fait n'est donc pas justifié par une raison objective.

Au vu du préjudice moral causé, il sera alloué à la salariée la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts.

- Sur le licenciement :

La lettre de licenciement qui lie les parties et le juge, est ainsi rédigée : " Madame, Par courrier envoyé par lettre recommandée le 12 janvier 2022, nous vous avions convoqué en vue d'un entretien préalable destiné à vous exposer les raisons nous conduisant à devoir envisager une éventuelle procédure de licenciement. Cet entretien était fixé le 21 janvier 2022 à 09h00.

Vous vous êtes présenté à l'entretien, accompagnée par M. [J] [E] en sa qualité de représentant du personnel, vous avez été reçu par moi-même et par [H] [N] en sa qualité de Responsable de secteur.

Recrutée en qualité de Responsable sec depuis 2016, et régulièrement accompagnée pour l'exercice de votre mission, comme tous nos Responsables, vous deviez mener à bien votre mission dans le respect des dispositions légales, de nos règles internes et de notre code éthique. Ainsi, nous attachons une attention toute particulière au respect des règles et des procédures liées à la tenue de votre poste ainsi qu'au devoir de loyauté qui incombe chaque collaborateur, spécifiquement à une Responsable sec devant faire preuve d'exemplarité vis-à-vis de ses équipes.

Or, nous avons constaté que vous avez fait preuve d'un comportement démontrant le non-respect flagrant du cadre précité.

- Non-respect des règles et des procédures liées aux achats du personnel à la tenue du poste de Responsable sec et du devoir de loyauté qui vous incombe, entrainant, entre autres, la perte de la confiance réciproque nécessaire à l'exécution du contrat de travail :

Absence de sécurisation des marchandises :

Le 24 décembre 2021 à 17h26, le visionnage de l'équipement de vidéoprotection en place dans le magasin montre que vous autorisez une collaboratrice, Mme [D] [O] à quitter le magasin lors de la fermeture avec de la marchandises non payées, vous saluez la collaboratrice et la laissez partir du magasin

Lors de l'entretien vous ne souhaitez pas apporter d'explications à ces faits. Or en tant que Responsable sec il est de votre devoir d'appliquer et de faire appliquer les règles et consignes auprès des équipes. Le manager est le garant de la bonne application de ces règles, en autorisant les collaborateurs à quitter le magasin avec des marchandises non payées, vous êtes complice du délit.

Non-respect des règles d'achats du personnel entrainant du vol à l'entreprise :

À cette même date, le 24 décembre à 17h44, la vidéoprotection montre que vous quittez à votre tour le magasin, également, avec des marchandises non payées.

Le 26 décembre 2021 à 13h03, la vidéoprotection montre à nouveau que vous quittez le magasin avec des marchandises non payées. Ces faits se reproduisent le 29 décembre 2021 lorsque vous fermez le magasin, vous emportez avec vous des marchandises non payees.

Le 05 janvier 2022, la vidéoprotection montre que vous vous servez en rayon après la fermeture du magasin, puis, que vous quittez le magasin avec les marchandises non payées. Vous vous servez au rayon frais libre-service puis en épicerie puis au pain.

Le 06 janvier 2022, la vidéoprotection montre que vous quittez le magasin avec des marchandises non payées. De nouveau, le 08 janvier 2022, vous quittez le magasin avec des marchandises non payées.

Lors de l'entretien vous n'avez pas souhaité répondre et apporter des explications à ces multiples faits de vol de marchandises comme patibio, fruits et légumes et mêmes des produits en vente en rayon frais et épicerie, ce qui ne nous permet pas de modifier notre appréciation des faits et la gravité de vos manquements en ce qui concerne votre comportement et votre déloyauté (détournement de marchandises, malhonnêteté). Ces faits se produisent lorsque vous êtes de fermeture du point de vente. Malgré les vérifications des achats collaborateurs, aucun achat ne sera réalisé lors de ces journées vous concernant. Ceci est totalement inacceptable et contraire à toutes nos règles et procédures internes.

D'autant que les règles concernant les marchandises ont été rappelées à toute l'équipe lors du briefing équipe du 11 décembre 2021 par votre directeur de magasin précisant " Il est formellement interdit de repartir avec quelconque marchandise du magasin, y compris des invendus que des périmés " comme le stipule clairement nos notes internes. Ce brief a par ailleurs été affiché sur le tableau dédié pour rappel à l'ensemble des collaborateurs des règles établies par l'enseigne depuis plusieurs années. Vous étiez bien présente lors du briefing et avez précisé à votre directeur " je m'en fiche, j'irai dans les poubelles s'il faut ". Outre le fait que cela n'est pas autorisé (pour des raisons légales et d'hygiène) force est de constater que vous volez des marchandises directement en magasin et non les marchandises impropres à la consommation et jetées. Votre comportement n'est pas acceptable, vous ne respectez pas les procédures internes ni même les consignes données par votre manager.

Vos actes de vols sont effectués en pleine conscience du non-respect de ces règles, aussi, vous ne respectez pas votre devoir de loyauté vis-à-vis de l'enseigne. Les salariés qui tentent d'influencer de manière déloyale d'autres personnes s'exposent à des sanctions disciplinaires indépendamment des sanctions pénales encourues.

Ces faits sont inacceptables et ne nous permettent pas de poursuivre la collaboration.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement dès l'envoi de la présente étant précisé que la période de mise à pied conservatoire ne vous sera pas rémunérée (') ".

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail. Le doute doit profiter au salarié.

Par ailleurs, un même fait ne peut être sanctionné deux fois par application de la règle non bis in idem.

Enfin, l'employeur épuise son pouvoir disciplinaire en infligeant une sanction.

Il convient de se placer à la date de notification de la sanction pour apprécier la connaissance par l'employeur des faits fautifs.

En l'espèce, Mme [L] soutient, en substance, que son licenciement est infondé car elle n'a commis aucun vol, se contentant de prendre en rayon des produits périmés conformément à l'usage dans le magasin, que la règle selon laquelle un même fait ne peut être sanctionné deux fois a été violée, que la société se fonde sur des notes internes non-valables et un règlement interne dont elle ignorait l'existence, très postérieur aux faits reprochés, muet quant au sort des produits périmés et non respecté par l'employeur.

L'employeur fait valoir que la preuve des griefs est rapportée par les images de vidéo surveillance, que la salariée ne démontre pas que les denrées soustraites étaient périmées, que les règles concernant les achats faits par le personnel et le sort des produits périmés sont clairement énoncées dans deux notes internes portées à la connaissance de Mme [L] par voie d'affichage ainsi que par le règlement intérieur en vigueur, que les faits sanctionnés par la mise à pied ne sont pas les mêmes que ceux visés dans la lettre de licenciement et qu'elle n'avait aucune connaissance des faits de vol avant de prononcer la première sanction, à défaut d'avoir visionné les images de vidéo surveillance de sorte qu'il n'y a pas eu violation de la règle non bis in idem.

C'est en vain que Mme [L] soutient que l'employeur l'a sanctionnée deux fois pour la soustraction de produits périmés alors que le fait de ne pas veiller à retirer les produits périmés des rayons est différent par nature du fait d'emporter les dits produits sans autorisation. Au surplus, le grief tenant aux produits périmés est daté du 8 décembre 2021 dans la notification de la mise à pied tandis que les faits visés au soutien du licenciement concernent la période du 24 décembre 2021 au 8 janvier 2022 de sorte qu'il ne peut s'agir des mêmes faits.

En revanche, les faits reprochés à Mme [L] sont révélés par les bandes de vidéo surveillance montrant la salariée emportant des articles et/ou autorisant une autre employée à emporter des articles dont il n'est pas prétendu qu'ils ont été réglés. Or, à l'exception de ceux du 8 janvier 2022 à 20h07, tous ces faits sont antérieurs au prononcé de la mise à pied disciplinaire et l'employeur, qui n'apporte aucun élément sur les conditions de la découverte de ces faits, ne justifie pas qu'elle est survenue après le 8 janvier.

Ainsi, en prononçant une mise à pied le 8 janvier 2022, l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait sanctionner Mme [L] à nouveau pour des faits commis antérieurement.

Le seul grief qui persiste est le fait d'emporter des denrées alimentaires le 8 janvier 2022 sans les avoir payées.

Néanmoins, Mme [L] ne conteste pas avoir, ce jour-là, emporté des articles appartenant au magasin sans les payer et ne rapporte pas la preuve de ce que ces articles étaient périmés comme elle le prétend.

Ainsi, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'existence ou non d'un usage toléré dans l'entreprise consistant à s'approprier des produits périmés en violation de la réglementation, les pièces et documents versés aux débats permettent de tenir pour établie la faute de la salariée.

Il n'apparaît pas que la société ait privé la salariée de garanties procédurales, le dépôt systématique d'une plainte en cas de vol évoqué par le règlement intérieur n'étant pas un préalable nécessaire au licenciement et ne s'appliquant qu'aux cas de vol par un client.

Au regard du niveau de responsabilité de Mme [L] (responsable de secteur), de l'exemplarité et de la loyauté que l'employeur était en droit d'attendre d'elle, du fait qu'elle venait de subir une sanction même si elle est jugée disproportionnée à la gravité des fautes commises, la commission d'un acte sanctionné, au-delà même du règlement intérieur, par le code pénal, interdisait son maintien dans l'entreprise, y compris pendant la durée du préavis.

Il en résulte, d'une part, que le prononcé d'une mise à pied disciplinaire injustifiée est un fait unique, qui en tant que tel ne peut constituer un harcèlement moral, et, d'autre part, que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse comme l'a jugé le conseil de prud'hommes qui a, à juste titre, rejeté les demandes de la salariée.

2/ Sur la demande de dommages-intérêts :

Mme [L] sollicite l'indemnisation du préjudice né des vols dont elle a été victime au sein de l'entreprise, estimant que l'employeur engage sa responsabilité en ce qu'il a commis une faute en ne sécurisant pas les casiers et en n'interrogeant pas le salarié soupçonné des vols.

L'employeur répond, en substance, que la preuve des vols et du préjudice n'est pas rapportée et qu'il appartenait à la salariée de sécuriser son casier en le fermant à clef.

Mme [L] n'invoque aucune pièce à l'appui de ses allégations de sorte que la preuve n'est rapportée ni d'une faute de l'employeur, ni d'un préjudice.

Il convient donc de confirmer le jugement de ce chef.

3/ Sur les autres demandes :

La demande de remise des documents de fin de contrat est sans objet dès lors que le présent arrêt ne modifie pas les droits de la salariée.

Le sens de la décision conduit à confirmer le jugement s'agissant des frais et dépens, à condamner Mme [L], qui perd le procès pour l'essentiel, aux dépens d'appel et à rejeter sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au vu de la somme déjà accordée en première instance, la société sera déboutée de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles engagés devant la cour.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de sa saisine,

Prend acte de l'intervention des commissaires à l'exécution du plan,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [L] d'annulation de la mise à pied disciplinaire du 8 janvier 2022 et de dommages-intérêts subséquents,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Annule la mise à pied disciplinaire du 8 janvier 2022,

Condamne la société Naturéo [Localité 5] à payer à Mme [I] [L] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts,

Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [I] [L] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

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