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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 30 octobre 2025, n° 22/02729

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boudy

Conseillers :

M. Figerou, Mme de Vivie

Avocats :

Me Raygade, Me Baillot, Me Jaby, Me Hameidat

TJ Bordeaux, ch. 5, du 24 févr. 2022, n°…

24 février 2022

FAITS ET PROCÉDURE :

1- Le 21 septembre 2014, M. [M] [D] a acquis de M. [V] [O] un véhicule automobile de marque BMW, série 3335 Touring Pack M, immatriculé en 2018, moyennant le prix de 18 000 euros.

Le procès-verbal de contrôle technique en date du 21 août 2014 mentionnait un kilométrage de 118 437 kms.

2- Soutenant que le véhicule présentait en réalité un kilométrage supérieur de plus de 120 000 kilomètres à celui affiché au compteur, par acte du 4 octobre 2019, M. [D] a assigné M. [O] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux pour entendre prononcer la nullité de la vente du 21 septembre 2014 pour dol ou erreur, avec toutes conséquences de droit.

Par jugement du 24 février 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- déclaré recevable l'action de M. [D],

- prononcé la nullité de la vente du véhicule BMW immatriculé CG'750'AS, conclue le 21 septembre 2014 entre M. [O] et M. [D], pour erreur,

- condamné M. [O] à restituer à M. [D] le prix de vente, soit la somme de 18 000 euros,

- dit que M. [O] devra récupérer le véhicule BMW, à ses frais, dès remboursement par lui du prix,

- dit qu'à défaut de récupération par le vendeur dans le délai de six mois à compter de la signification du jugement, M. [D] sera délié de son obligation de restitution,

- condamné M. [O] à payer à M. [D] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné M. [O] aux dépens.

M. [O] a relevé appel du jugement le 7 juin 2022.

3- Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 décembre 2022, M. [O] demande à la cour d'appel, sur le fondement des articles 1109 du code civil et articles 331 et suivants du code de procédure civile :

- de juger que l'appel qu'il a interjeté est recevable et bien fondé,

en conséquence,

- d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il :

- a déclaré recevable l'action de M. [D],

- a prononcé la nullité de la vente du véhicule BMW immatriculé CG'750'AS, conclue le 21 septembre 2014 entre M. [D] et lui, pour erreur,

- l'a condamné à restituer à M. [D] le prix de vente, soit la somme de 18 000 euros,

- a dit qu'il devra récupérer le véhicule BMW, à ses frais, dès remboursement par lui du prix,

- a dit qu'à défaut de récupération par le vendeur dans le délai de six mois à compter de la signification du jugement, M. [D] sera délié de son obligation de restitution,

- l'a condamné à payer à M. [D] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- l'a condamné aux dépens,

et statuant à nouveau,

in limine litis,

- de juger que l'action engagée par M. [D] est prescrite,

à titre principal,

- de débouter purement et simplement M. [D] de ses demandes fins et prétentions,

à titre principal,

- de débouter purement et simplement M. [D] de ses demandes fins et prétentions,

à titre subsidiaire,

- de débouter purement et simplement M. [D] de ses demandes fins et prétentions,

- de condamner M. [D] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la première et seconde instance.

4- Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 novembre 2022, M. [D] demande à la cour d'appel, sur le fondement des articles 1101 et suivants, 1109, 1110, 1116 anciens et suivants, 1382 et 2224 du code civil :

- de débouter M. [O] de toutes ses demandes, fins, conclusions,

- de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il :

- a déclaré son action recevable,

- prononcé la nullité de la vente du véhicule BMW immatriculé CG'750'AS, conclue le 21 septembre 2014 entre M. [O] et lui, pour erreur,

- a condamné M. [O] à lui restituer le prix de vente, soit la somme de 18 000 euros,

- a dit que M.[O] devra récupérer le véhicule BMW, à ses frais, dès remboursement par lui du prix,

- a dit qu'à défaut de récupération par le vendeur dans le délai de six mois à compter de la signification du jugement, il sera délié de son obligation de restitution,

- a condamné M. [O] à lui payer la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- a condamné M. [O] aux dépens,

- d'infirmer ou réformer le jugement attaqué en ce qu'il a :

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

en conséquence,

- de condamner M. [O] à lui régler une somme de 1 528,53 euros au titre des frais pris en charge depuis l'acquisition du véhicule, outre les frais de cotisations d'assurance de 544 euros,

- de condamner M. [O] à lui régler la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices,

- de dire et juger que les sommes auxquelles M. [O] sera condamné produiront des intérêts au taux légal à compter de la plainte du 10 octobre 2014 et jusqu'à parfait paiement,

- de condamner M. [O] à lui régler une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 septembre 2025.

Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'action engagée par M. [D].

5- M.[O] soulève l'irrecevabilité de l'action engagée par M.[D], comme étant prescrite.

Il soutient que M.[D] a eu connaissance du défaut de kilométrage allégué vers le 1er octobre 2014, et qu'il n'a engagé la présente instance que le 4 octobre 2019, soit après l'expiration du délai de prescription quinquennale.

6- M.[D] réplique que son action est recevable, dès lors qu'il n'a eu connaissance de manière certaine de la falsification du kilométrage du véhicule, qu'à la réception du rapport d'expertise réalisée le 21 octobre 2014.

Sur ce,

7- Selon les dispositions de l'article 2224 du code civil, 'les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.

8- En l'espèce, l'application de la prescription quinquennale n'est pas discutée, seul le point de départ du délai de prescription faisant débat.

9- Il incombe à M.[O], qui l'invoque, de rapporter la preuve de la prescription de l'action de M.[D].

10- Il est constant que le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité de la vente pour erreur ou dol ne court qu'à compter de la date à laquelle la victime a connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la cause de nullité alléguée, en l'espèce la falsification du kilométrage du véhicule.

11- En l'espèce, il ressort du dépôt de plainte effectué par M. [D] auprès des services de gendarmerie de [Localité 4] le 10 octobre 2014, qu'il a déclaré avoir, une dizaine de jours après l'achat, le 21 septembre 2014, du véhicule litigieux, déposé celui-ci chez un garagiste exerçant sous l'enseigne BMW de [Localité 4], lequel a certes détecté une anomalie dans le kilométrage affiché au compteur, mais lui a conseillé de contacter le concessionnaire BMW de [Localité 4], ce que ce-dernier a fait, à une date non précisée (pièce 10 [D]).

12- Il ne peut être déduit de ces éléments, contrairement à ce que soutient l'appelant, que le 4 octobre 2014, M. [D] avait connaissance de la falsification du kilométrage du véhicule acquis.

13- M. [O] produit en outre un courrier en date du 1er octobre 2014 à l'en-tête de M.[D], et qui lui aurait été adressé par celui-ci, aux termes desquels il lui indique que 'le kilométrage du véhicule n'est pas conforme avec celui du compteur' et lui demande l'annulation de la vente (pièce 4 [O]).

14- La cour d'appel relève cependant, comme le souligne l'intimé, que ce courrier n'est pas signé, et que dès lors il n'est pas établi que M. [D] en soit bien l'auteur.

15- En considération de ces éléments, le point de départ du délai de prescription doit être fixé au 21 octobre 2014, date de la réalisation de l'expertise amiable, au cours de laquelle le défaut de kilométrage a été établi de manière certaine, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal a estimé que l'action introduite par M.[D] le 4 octobre 2019, soit dans le délai de prescription quinquennale, était recevable.

16- Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la nullité de la vente.

17- M.[O] sollicite la réformation du jugement, en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente, au motif que les demandes de M.[D] sont fondées exclusivement sur un rapport d'expertise amiable, à laquelle il n'a pas été invité à participer.

18- M.[D] réplique que le rapport d'expertise a été soumis à la libre discussion des parties, et est dès lors valable.

Il soutient que la vente du véhicule doit être annulée pour erreur ou dol. Il allègue que la dissimulation du kilométrage constitue un dol et même une escroquerie, qui doit être sanctionnée par la nullité de la vente.

Il précise qu'il n'aurait jamais acquis ce véhicule s'il avait su que le compteur avait subi une telle falsification.

Sur ce,

19- Selon les dispositions de l'article 1109 du code civil, 'il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol'.

L'article 1110 du code civil prévoit que 'l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet'.

L'article 1116 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, dispose quant à lui que 'le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé'.

20- En l'espèce, le procès-verbal de contrôle technique du 27 août 2014, dont il n'est pas contesté qu'il a été remis à M.[D] lors de la cession du véhicule intervenue le 21 septembre 2014, fait mention d'un kilométrage dudit véhicule de 118 437 kilomètres (pièce 1 [D]).

21- A l'appui de sa demande de nullité de la vente, M. [D] verse aux débats un rapport d'expertise réalisée le 21 octobre 2014, à sa demande, par M.[I], expert.

22- Il est admis que le juge ne peut refuser d'examiner un rapport d'expertise établi de façon non contradictoire, dès lors qu'il a été soumis à la libre discussion des parties, et est étayé par d'autres éléments.

23- Or, s'il est exact que M.[O] n'a pas été convoqué aux réunions d'expertise, il convient d'observer que le rapport d'expertise a été versé aux débats dans le cadre de la présente instance, et a donc été soumis à la libre discussion des parties.

24- Il ressort de ce rapport d'expertise que l'historique du véhicule permet de découvrir des révisions de celui-ci par le concessionnaire BMW de [Localité 5] 'le 27 décembre 2011 à 206 041 kilomètres, le 6 avril 2012 à 217 578 kilomètres, et le 30 mai 2012 à 222 434 kilomètres', puis 'une facture d'entretien du véhicule du 4 janvier 2013 par les établissements Alary de [Localité 2] à 100 556 kilométres', le véhicule ayant ensuite été cédé à M. [D] le 21 septembre 2014 avec un kilométrage de 118 437 kilométres.

L'expert conclut que l'examen de 'l'historique du véhicule révèle une modification importante du kilométrage entre la période de juin 2012 et janvier 2013" (pièce 5 [D]).

25- La cour d'appel relève que ce rapport d'expertise est corroboré par la facture d'entretien des établissements Alary de Bergerac du 4 janvier 2013, qui fait état d'un kilométrage de 100 556 kilométres (pièce 6 [D]) et par le dépôt de plainte de M. [D] auprès des services de gendarmerie de Cholet (pièces 3 et 4 [O]), de sorte qu'il constitue un moyen de preuve recevable.

26- M.[D] établit donc que le véhicule litigieux présentait en réalité un kilométrage réel supérieur d'environ 120 000 kilométres à celui affiché au compteur.

27- Cependant, s'il affirme que cet élément est constitutif d'un dol, il ne justifie ni même allègue de manoeuvres dolosives émanant de M. [O], lequel avait précédemment acquis le véhicule de Mme [E] [R] le 20 juillet 2012, de sorte que le dol n'est pas caractérisé en l'espèce.

28- En revanche, il est constant que le kilométrage d'un véhicule constitue un élément portant sur les qualités susbtantielles de la chose vendue, et queM. [D] n'aurait pas acquis le véhicule au prix de 18 000 euros, s'il avait eu connaissance de son kilométrage réel.

29- En considération de ces éléments, le jugement qui a prononcé la nullité de la vente pour erreur, a condamné M.[O] à restituer à M.[D] le prix de vente du véhicule, à savoir la somme de 18 000 euros, et a dit que M.[O] devait récupérer ledit véhicule à ses frais dans un délai de six mois, et qu'à défaut M.[D] serait délié de son obligation de restitution, sera confirmé.

Sur les demandes indemnitaires.

30- Dans le cadre de son appel incident, M.[D] sollicite la réformation du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes indemnitaires.

Il réclame, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la condamnation de M.[O] à lui payer les sommes de 1528, 53 euros au titre des frais d'entretien du véhicule depuis son acquisition, la somme de 544 euros au titre du remboursement des cotisations d'assurances, et la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, de son préjudice moral et pour résistance abusive.

31- M.[O] s'oppose aux demandes formées par M. [D].

Sur ce,

32- Selon les dispositions de l'article 1382 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, 'Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.

33- Il incombe à M. [D] de rapporter la preuve d'une faute de M. [O], d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

34- Or, en l'espèce, M. [D] n'invoque, ni ne caractérise une faute de M. [O].

35-A titre surabondant, la cour d'appel relève qu' à l'appui de ses demandes indemnitaires, M. [D] ne verse aux débats qu'une seule facture d'entretien du véhicule pour un montant de 442, 03 euros en date du 4 janvier 2013, étant observé que le préjudice de jouissance allégué n'est pas démontré, dans la mesure où il n'est pas justifié de ce que le véhicule était immobilisé.

36- En outre, la réparation du préjudice moral vise à réparer l'atteinte dans les sentiments d'honneur, d'affection ou de considération.

37- Or, M.[D] ne justifie d'aucun préjudice à ce titre.

38- Le jugement qui l'a débouté de ses demandes indemnitaires sera donc confirmé.

Sur les mesures accessoires.

39- Le jugement est confirmé sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

40- M.[O], partie perdante, supportera les dépens de la procédure d'appel, et sera condamné à verser à M. [D] la somme de 2000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M.[V] [O] aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne M.[V] [O] à payer à M.[M] [D] la somme de 2000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de porcédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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