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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 29 octobre 2025, n° 23/18018

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Novatec (SAS)

Défendeur :

Tpl Systemes (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Distinguin

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Barbaut, Me Abello, Me Jaïs

TJ Paris, 3e ch. 1re sect., du 12 oct. 2…

12 octobre 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

La société NOVATEC, créée en 1995, se présente comme un incubateur d'inventions, principalement dans le domaine de l'électronique. Elle est titulaire d'un brevet français dont la demande de délivrance a été déposée le 26 avril 2002 et la délivrance est intervenue le 20 août 2004 sous le n° FR 2 839 235 (ci-après, le brevet FR 235). Ce brevet a pour titre 'Procédé et dispositif de commutation d'un radiotéléphone numérique d'un mode de fonctionnement numérique en un mode analogique'. Il a expiré le 26 avril 2022.

Cette demande de brevet a fait l'objet d'extensions internationales, abandonnées en 2014, dix années après l'entrée en phase européenne.

La société TPL SYSTEMES (ci-après, la société TPL), créée en 1989, indique développer et commercialiser des systèmes de télécommunication, d'alarmes et de sécurité. Elle avait pour fournisseur la société DETRACOM dont elle a acheté tous les actifs, par acte du 3 novembre 2014, dans le cadre d'un transfert universel de patrimoine autorisé par jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 30 octobre 2014 ayant arrêté le plan de sauvegarde de la société DETRACOM.

La société TPL SYSTEMES expose qu'au terme du paiement des actifs de la société DETRACOM, par une lettre du 29 novembre 2018, la société NOVATEC s'est manifestée auprès d'elle afin de l'informer de ses droits sur le brevet FR 235 qu'elle exposait avoir concédé en licence à la société DETRACOM selon contrat en date du 14 novembre 2003.

C'est dans ce contexte et estimant cette réclamation injustifiée que, par acte d'huissier du 14 mai 2019, la société TPL SYSTEMES a fait assigner la société NOVATEC devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir l'annulation des revendications 1 et 2 du brevet FR 235.

Par jugement contradictoire rendu le 12 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Paris a :

déclaré nulles les revendications 1 et 2 du brevet FR 235 de la société NOVATEC pour défaut de nouveauté ;

dit que la décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise, à l'initiative de la partie la plus diligente, à l'INPI aux fins d'inscription au registre national des brevets ;

rejeté l'ensemble des demandes reconventionnelles de la société NOVATEC fondées sur le contrat de licence de ce brevet ;

condamné la société NOVATEC aux dépens ;

condamné la société NOVATEC à payer à la société TPL SYSTEMES la somme de 50.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

ordonné l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne la transcription de la décision au registre national des brevets.

La société NOVATEC a interjeté appel de ce jugement le 8 novembre 2023.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4, transmises le 8 juillet 2025, la société NOVATEC, appelante, demande à la cour de :

Vu notamment,

Le « CONTRAT DE LICENCE DE BREVET » conclu entre NOVATEC et DETRACOM le 14 novembre 2003,

Le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 30 octobre 2014,

Les articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle,

Les articles 1104, 1217, 1231-1, 1231-2 et 1240 du code civil,

déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la société NOVATEC

y faisant droit :

infirmer le jugement en ce qu'il a :

déclaré nulles les revendications 1 et 2 du brevet FR 2 839 235 de la société NOVATEC pour défaut de nouveauté,

rejeté l'ensemble des demandes reconventionnelles de la société NOVATEC fondées sur le contrat de licence de ce brevet,

condamné la société NOVATEC aux dépens,

condamné la société NOVATEC à payer à la société TPL SYSTEMES la somme de 50.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

en conséquence, statuer à nouveau et :

à titre principal :

dire que le brevet FR 2 839 235 est valable,

condamner TPL SYSTEMES à fournir à NOVATEC, conformément à l'article 10 du « CONTRAT DE LICENCE DE BREVET » conclu entre NOVATEC et DETRACOM le 14 novembre 2003, pour la période du 23 janvier 2015 au 26 avril 2022 :

« Le relevé par trimestre écoulé du nombre de Produits fabriqués »,

« La comptabilité séparée [tenue par ses soins] des produits fabriqués et faisant apparaître les dates des ventes, les montants facturés ainsi que les noms et adresses des clients »,

et plus généralement toute sa comptabilité,

le tout pour le monde entier, ainsi qu'une attestation de son commissaire aux comptes certifiant la sincérité de ces documents de façon à ce que NOVATEC puisse évaluer avec précision le montant définitif de son préjudice,

juger que cette procédure de communication de documents comptables et de reddition des comptes sera conduite sous le contrôle du juge de la mise en état, le tribunal restant saisi du litige de façon à pouvoir, une fois la reddition des comptes achevée, statuer sur le montant des demandes de réparation formées par NOVATEC,

renvoyer la procédure avant-dire-droit sur la détermination des dommages, à la mise en état pour permettre le suivi et le contrôle de la procédure de communication et de reddition des comptes et pour conclusions ultérieures de NOVATEC sur les préjudices par elle invoqués,

à titre subsidiaire si, par extraordinaire, le tribunal n'ordonnait pas à TPL SYSTEMES de transmettre ces documents comptables, désigner un expert chargé d'estimer le préjudice subi par NOVATEC,

dire et juger que TPL SYSTEMES a engagé sa responsabilité contractuelle,

condamner, dans l'attente que les documents comptables soient transmis, TPL SYSTEMES au versement de la somme de 600.000 euros, à titre provisoire et sauf à parfaire, à NOVATEC, en réparation du préjudice économique subi du fait des inexécutions contractuelles de TPL SYSTEMES,

condamner TPL SYSTEMES au versement de la somme de 100.000 euros à NOVATEC, en réparation du préjudice moral subi,

constater la résiliation du « CONTRAT DE LICENCE DE BREVET » conclu le 14 novembre 2003 avec NOVATEC, à la date du 26 avril 2022,

à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse extraordinaire où la cour confirmerait le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du brevet FR 2 839 235,

condamner TPL SYSTEMES, dans l'attente que les documents comptables précités soient transmis, au versement de la somme de 600.000 euros, à titre provisoire et sauf à parfaire, à NOVATEC, en guise de versement des redevances dues en application du « CONTRAT DE LICENCE DE BREVET » en date du 14 novembre 2003,

en tout état de cause :

débouter la société TPL SYSTEMES de l'ensemble de ses demandes,

ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil du site Internet de TPL SYSTEMES, et ce, pendant une durée ininterrompue de six mois, et sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

condamner TPL SYSTEMES à payer à NOVATEC la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner TPL SYSTEMES aux entiers dépens, lesquels comprendront notamment l'intégralité des frais de Maître [C] [X] pour le constat Internet du 24 juillet 2019.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 3, transmises le 16 juillet 2025, la société TPL SYSTEMES, intimée, demande à la cour de :

Vu les articles L.611-11 et suivants du code de la propriété intellectuelle ;

Vu l'article L.613-25 du code de la propriété intellectuelle ;

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que les revendications 1 et 2 du brevet FR 2 839 235 sont dépourvues de toute nouveauté au regard du brevet WO 01/69806* et qu'il a en conséquence annulé le brevet FR 2 839 235,

à défaut, confirmer par substitution de motif le jugement déféré en ce qu'il a jugé que les revendications 1 et 2 du brevet FR 2 839 235 sont dépourvues de toute nouveauté et annulé le brevet FR 2 839 235, au regard des documents US 5 060 294 et US 5 416 8 29,

à défaut confirmer par substitution de motif le jugement déféré en ce qu'il a jugé que les revendications 1 et 2 du brevet FR 2 839 235 sont dépourvues de toute nouveauté et annulé le brevet FR 2 839 235, au motif qu'elles sont affectées d'une insuffisance de description entraînant leur nullité,

confirmer en conséquence la nullité des revendications 1 et 2 du brevet FR 2 839 235,

compléter le jugement en ce qu'il n'a pas statué sur l'opposabilité à TPL de la licence du 14/11/2003,

juger que le contrat n'a pas été transmis à TPL et ne lui est donc pas opposable et débouter NOVATEC de toute demande fondée sur ce contrat,

confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné que la décision à intervenir sera publiée à la requête de la partie la plus diligente au Registre National des Brevets,

prononcer la nullité du contrat de licence de brevet par voie de conséquence de la nullité du brevet dont il est l'objet et débouter la société NOVATEC de toutes ses demandes fondées sur ce contrat nul,

confirmer le jugement en ce qu'il a jugé n'y avoir lieu au paiement des redevances en l'absence de contrepartie et qu'il a débouté en conséquence NOVATEC de toutes ses demandes en paiement,

confirmer en toute hypothèse le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société NOVATEC de toutes ses demandes à l'encontre de TPL,

subsidiairement, juger que le contrat est résilié depuis le 24/11/2018 en application de son article 17 et débouter en conséquence NOVATEC de toute ses demandes au-delà de cette date,

confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société NOVATEC à verser une somme de 50 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société TPL SYSTEMES,

ajoutant au jugement, condamner la société NOVATEC à verser une somme de 80 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société TPL SYSTEMES au titre des frais exposés devant la cour,

condamner la société NOVATEC aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur le brevet FR 235

La présentation du brevet

L'invention concerne le domaine des systèmes de radiocommunications en réseau. Elle vise un procédé et un dispositif permettant de commuter un radiotéléphone numérique d'un mode de fonctionnement numérique en un mode de fonctionnement analogique.

La description indique que l'art antérieur connaît l'utilisation de réseaux radio professionnels fonctionnant dans leur grande majorité selon la technologie analogique sur les bandes de fréquence de 40 à 400 Mhz, qui permettent, notamment à des entreprises, des collectivités, des services publics, de communiquer en interne sans supporter le coût du réseau de télécommunications public ni ses aléas de transmission, tandis que se sont développées les technologies de communications numériques, ces dernières n'ayant toutefois pas remplacé la technologie analogique, de sorte qu'il existe un besoin d'appareils permettant d'utiliser les deux technologies.

Ainsi, l'invention porte sur un dispositif permettant de commuter un radiotéléphone numérique d'un mode de fonctionnement numérique en un mode de fonctionnement analogique et réciproquement.

Le dispositif de l'invention permet de commuter un radiotéléphone numérique d'un mode de fonctionnement numérique en un mode de fonctionnement analogique, permettant ainsi au radiotéléphone de fonctionner indifféremment sur l'ancien réseau analogique ou sur le nouveau réseau numérique.

La description rappelle la chaîne de traitement de la voix dans un système analogique (émission / réception) par sa modulation sur une bande de fréquence, précisant que dans un système numérique, il convient d'ajouter au traitement de la voix (émission comme réception) un encodage par un vocodeur aux fins de transformer la voix en signal numérique capable d'être modulé et transmis sur la bande de fréquence (page 2, ligne 31 à page 3, ligne 17).

La description précise ensuite (page 4, lignes 3 à 11) que l'une des caractéristiques de l'invention est que le modulateur, aussi bien de l'émetteur que du récepteur, peut comporter une entrée et une chaîne de traitement uniques pour les signaux numériques comme analogiques.

La description mentionne également (page 3, lignes 24 à 28) que le « logiciel intégré » décide de passer en mode numérique si l'appareil reconnaît être sous la couverture d'une base numérique ou d'un relais numérique ; il décide de la même manière de passer en mode analogique s'il reconnaît être sous la couverture d'une base ou d'un relais analogique.

Le brevet comporte 2 revendications, l'une de procédé, l'autre de dispositif :

Revendication 1

Procédé de commutation d'un radiotéléphone numérique d'un mode de fonctionnement numérique en un mode de fonctionnement analogique et réciproquement par le fait que les vocodeurs d'émission et de réception peuvent être mis en service ou non de façon manuelle ou automatique selon que le radiotéléphone opère respectivement dans un réseau numérique ou analogique caractérisé en ce qu'il est fait usage d'un modulateur d'émetteur unique compatible pour les réseaux numériques et analogiques et qu'il est fait usage d'un démodulateur de réception unique compatible avec les signaux numériques et analogiques.

Revendication 2

Dispositif de mise en 'uvre de la commutation manuelle ou automatique d'un radiotéléphone numérique permettant le passage d'un mode de fonctionnement numérique en un mode de fonctionnement analogique et réciproquement d'un mode analogique vers un retour au mode numérique, caractérisé en ce que les vocodeurs d'émission (11) et de réception (12) sont mis en service ou neutralisés par l'action d'un système de commutation de circuits électroniques (13) et (14) agissant respectivement sur lesdits vocodeurs (11) et (12), eux-mêmes agissant respectivement sur :

- un modulateur d'émetteur unique compatible pour les signaux numériques et analogiques

- et un démodulateur de réception unique compatible avec les signaux numériques et analogiques ».

Sur la validité du brevet

La société TPL poursuit l'annulation du brevet, principalement, pour défaut de nouveauté et, subsidiairement, pour insuffisance de description.

Sur le défaut de nouveauté des revendications 1 et 2

La société TPL soutient que les revendications du brevet sont nulles au regard du document WO 01 69806 (ci-après, le document WO 806), et demande la confirmation du jugement sur ce point, et subsidiairement, au regard de deux brevets américains US 5 416 829 et US 5 060 294.

La société NOVATEC soutient que pour annuler le brevet pour défaut de nouveauté au regard du document WO 806, le tribunal a procédé à une interprétation erronée de ce dernier et qu'il n'a pas interprété les notions de « modulateur d'émetteur unique » et de « démodulateur de réception unique » des revendications 1 et 2 du brevet FR 235 sur la base de la description de ce brevet ; que selon la description du brevet, la notion de « modulateur d'émetteur unique » doit être interprétée comme un (seul) élément ou composant structurel comportant une fonction de modulation d'un signal (analogique et numérique) et comportant une seule entrée compatible avec un signal numérique et un signal analogique ; que le « démodulateur de réception unique » doit, quant à lui, être interprété comme un (seul) élément ou composant structurel comportant une fonction de démodulation d'un signal (analogique et numérique) et comportant une seule sortie compatible pour un signal numérique et un signal analogique ; que le document WO 806 distingue des différences dans la chaîne de traitement audio utilisée par le radiotéléphone suivant son mode d'utilisation ; que s'agissant du mode analogique, le radiotéléphone selon ce document, comporte plusieurs moyens précisés par la revendication 1 : une antenne d'émission réception (1), un module émission (2), un module de réception (3), un microphone (14), un haut-parleur (15) ; que s'agissant du mode numérique, le radiotéléphone objet du document WO 806 passe à un fonctionnement numérique à la suite de la commande de l'utilisateur et active des fonctionnalités de cryptage du signal par les techniques de modulation FM/FSK (ce qui permet aux utilisateurs de commander (à l'aide d'une touche) le transfert d'un appel public vers un appel privé) et qu'à cette fin, le radiotéléphone comporte des moyens numériques précisés par la revendication 1 : un processeur de traitement de signal (4), un module émission (5) et un module de réception (12) ; que la figure 2 du document WO 806 montre qu'il est proposé l'usage d'un modulateur d'émission FM/FSK comportant deux entrées : une première entrée utilisée pour traiter le signal analogique provenant du microphone (14) et appliquer une modulation de fréquence FM typique dans un circuit analogique, et une deuxième entrée utilisée pour traiter le signal numérique provenant du microphone (14) en passant par le processeur (4), et appliquer une modulation par variation de fréquence FSK ; que, de même, le démodulateur proposé par WO 806 correspond à un démodulateur FM/FSK comportant deux sorties : une sortie pour traiter le signal analogique et une autre sortie pour le signal numérique ; qu'en outre, le tribunal est demeuré silencieux sur la notion d'« unique » pourtant débattue devant lui, privant ainsi la décision d'une réponse circonstanciée sur un point essentiel du litige ; que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le radiotéléphone divulgué par le document WO 806 ne divulgue donc pas un modulateur d'émetteur unique, c'est-à-dire comportant une seule entrée, et un démodulateur de réception unique, c'est-à-dire comportant une seule sortie, comme dans les revendication 1 et 2 du brevet, mais un modulateur d'émetteur double (comportant deux entrées) et un démodulateur de récepteur double (comportant deux sorties) pour s'adapter à un traitement du signal analogique ou numérique ; que l'analyse de la nouveauté du brevet FR 235 au vu du document WO 806 a déjà été effectuée par l'INPI lors de l'examen de la demande de brevet et que NOVATEC a réduit la portée des revendications pour préciser que son invention pouvait se distinguer de l'art antérieur notamment par la mise en 'uvre d'un modulateur et d'un démodulateur unique ; que la possibilité d'utiliser un modulateur ou démodulateur à double entrée/sortie a donc été exclue de la portée de l'invention.

La société NOVATEC soutient que le tribunal a encore commis une erreur d'interprétation du document WO 806 en retenant qu'il enseigne une méthode de passage automatique du canal analogique à un canal numérique ; qu'en effet, le radiotéléphone divulgué dans WO 806 ne possède pas la capacité de mettre en service les vocodeurs d'émission et de réception de manière automatique, comme dans la revendication 1 du brevet, mais uniquement de manière manuelle et sous commande de l'utilisateur (page 3, lignes 24-29, page 9, lignes 30-38) ; que WO 806 ne divulgue pas non plus « un dispositif de mise en oeuvre de la commutation automatique d'un radiotéléphone permettant le passage d'un mode de fonctionnement numérique en un mode de fonctionnement analogique » tel que défini dans la revendication 2 du brevet, puisque, lorsque les utilisateurs A et B souhaitent basculer sur un canal privé (canal numérique) pour continuer leur conversation sans être écoutés par d'autres personnes, ils doivent procéder à une commande manuelle en actionnant une touche (moyens de commande 4, 31) ou un bouton poussoir disposé sur l'objet portatif (page 9, lignes 30-37).

La société TPL répond que le tribunal a justement interprété les revendications peu claires du brevet FR 235 s'agissant des notions de modulateur unique et de démodulateur unique en retenant qu'en l'état des éléments contenus de ce brevet, l'antériorité WO 806 comprenait bien un modulateur d'émission unique (5) et un démodulateur de réception unique (12), de sorte que cette caractéristique divulguée dans les deux revendications du brevet étaient divulguées par ce document WO 806. Elle fait valoir que les revendications 1 et 2 du brevet se bornent à préciser que le modulateur ou le démodulateur unique est « compatible » avec des signaux numériques ou analogiques, ce qui est également le cas de l'invention divulguée par WO 806, qui comporte un modulateur et un démodulateur aptes à traiter les deux types de signaux ; que l'argumentation de NOVATEC selon laquelle le modulateur unique ou le démodulateur unique ne comporterait nécessairement qu'une seule entrée du signal ou une seule sortie du signal est inopérante, d'une part, parce que « modulateur et démodulateur unique » ne veut pas dire à « entrée et/ou sortie » unique ' ainsi, le modulateur/démodulateur divulgué par WO 806 est bien unique, mais à double entrée/sortie ', d'autre part, parce que l'OEB, contrairement à l'INP, a estimé que les revendications 1 et 2 du brevet FR 235 tel que délivré par l'INPI n'étaient ni nouvelles, ni inventives, ce qui démontre bien qu'elles sont antériorisées par les éléments de l'art antérieur, notamment par WO 806.

Elle argue par ailleurs que la caractéristique de la revendication 1 du brevet selon laquelle « et réciproquement par le fait que les vocodeurs d'émission et de réception peuvent être mis en service, ou non, de façon manuelle ou automatique, selon que le radio téléphone opère respectivement dans un réseau numérique ou analogique » est entièrement divulguée par WO 806 ; qu'en admettant même, à suivre NOVATEC, que WO 806 ne divulgue pas la capacité de mettre en service les vocodeurs d'émission et de réception de manière automatique, mais seulement de manière manuelle, il suffit que l'un des objets de la revendication 1 soit divulgué ' en l'occurrence, le fait que les vocodeurs d'émission et de réception puissent être mis en service de manière manuelle ' pour que l'ensemble de la revendication soit antériorisé, en vertu de la règle selon laquelle « le particulier anticipe le général » ; qu'en outre, WO 806 décrit également une variante « automatique » (page 13, ligne 36 à page 14, ligne 34).

Ceci étant exposé, selon l'article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle, sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle.

L'article L. 611-11 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

'Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique.

L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.

Est également considéré comme compris dans l'état de la technique le contenu de demandes de brevet français et de demandes de brevet européen ou international désignant la France, telles qu'elles ont été déposées, qui ont une date de dépôt antérieure à celle mentionnée au second alinéa du présent article et qui n'ont été publiées qu'à cette date ou qu'à une date postérieure (...)'.

Pour être comprise dans l'état de la technique et privée de nouveauté, l'invention doit se trouver toute entière et dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent, dans la même forme, avec le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique.

En l'espèce, le document WO 806 invoqué par la société TPL, déposé le 14 mars 2000, soit plus de deux ans avant la demande ayant conduit à la délivrance du brevet FR 235, concerne un « système de radiocommunication à courte distance au moyen d'objets portatifs électroniques » (radiotéléphones) dont l'un des buts est de permettre à deux personnes, se trouvant parmi d'autres personnes, d'entrer en communication à l'aide d'un canal analogique public et d'établir une communication entre elles sur un canal numérique privé (page 2, lignes 22 à 27).

Chaque radiotéléphone peut fonctionner dans un premier mode dans lequel il peut émettre et recevoir sur un canal analogique dit public (premier mode de fonctionnement décrit en page 5, lignes 4 à 9) et dans un deuxième mode dans lequel il peut émettre et recevoir sur un canal numérique dit privé (deuxième mode de fonctionnement décrit en page 5, lignes 16 à 18).

À cet effet, le document WO 806 enseigne, page 6 ligne 5, à page 7 ligne 23, ainsi que dans sa figure 2 reproduite ci-dessous, que chaque radiotéléphone comporte une antenne (1), un module émission (2), un module réception (3), un processeur de traitement de signal (4) et un clavier (4a) relié au processeur pour assurer la commande dans les modes de fonctionnement public et privé et la sélection des canaux de fréquence correspondants, et que le module émission (2) comporte « un modulateur FM/FSK
1: FM (Frequency Modulation) désignant un type de modulation analogique et FSK (Frequency Shift Modulation) désignant un type de modulation numérique.

» (5), un amplificateur (6) dont la sortie est couplée à l'antenne (1) par l'intermédiaire d'un commutateur d'émission-réception (7) et un filtre d'émission (8), tandis que le module réception (3) comprend un filtre de réception (9), un amplificateur (10), un dispositif transposeur de fréquence (11), « un démodulateur FM/FSK » (12), ces éléments étant couplés entre l'antenne (1) et le processeur de traitement (4) par l'intermédiaire du commutateur (7) :

Ainsi que l'indique la société NOVATEC, le modulateur d'émission FM/FSK (5) comporte deux entrées : une première entrée utilisée pour traiter le signal analogique provenant du microphone (14) et appliquer une modulation de fréquence FM dans un circuit analogique, et une deuxième entrée utilisée pour traiter le signal numérique provenant du microphone (14) en passant par le processeur (4), et appliquer une modulation par variation de fréquence FSK. La description du document WO 806 indique en effet « Un microphone 14 applique le signal de parole d'une part, sur un port d'entrée du processeur 4 pour assurer sa transmission en numérique suivant la modulation FSK et, d'autre part, sur l'entrée analogique du modulateur 5 pour assurer sa transmission en modulation de fréquence en fonction du mode de fonctionnement choisi » (page 7, lignes 12 à 18). De même, comme l'indique la société NOVATEC, le démodulateur FM/FSK (12) comporte deux sorties : une sortie pour traiter le signal analogique et une autre sortie pour le signal numérique.

Elle en déduit que le document WO 806 ne divulgue pas un modulateur d'émetteur unique et un démodulateur de réception unique comme le brevet FR 235, mais un modulateur d'émetteur double et un démodulateur de réception double pour s'adapter à un traitement du signal analogique ou numérique, et que ce document ne détruit donc pas la nouveauté de son brevet qui divulgue un modulateur d'émetteur unique et un démodulateur de réception unique, se référant à la définition qui est donnée, dans la description du brevet, du modulateur d'émetteur unique et du démodulateur de réception unique (page 4, lignes 3 à 11), à savoir : « Selon une autre caractéristique de l'invention, le modulateur de l'émetteur associé à la chaîne de traitement peut être unique, c'est-à-dire compatible pour les signaux numériques et analogiques ou bien il peut être double, c'est-à-dire comporter une entrée pour les signaux analogiques et une entrée pour les signaux numériques. Selon une autre caractéristique, le démodulateur du récepteur associé à la chaîne de traitement, peut être unique c'est-à-dire compatible pour les signaux numériques et analogiques ou bien il peut être double, c'est-à-dire comporter une sortie pour les signaux analogiques et une sortie pour les signaux numériques. »

Cependant, cette définition du brevet ne fait pas ressortir clairement la différence entre un modulateur ou démodulateur unique et un démodulateur ou démodulateur double, tous étant décrits comme aptes à traiter des signaux numériques et analogiques. En outre, comme le souligne la société TPL, les revendications du brevet sont totalement silencieuses quant à la nature du modulateur ou démodulateur unique, quant au chemin suivi par le signal audio au sein du modulateur d'émetteur unique ou au sein du démodulateur de réception unique et quant au traitement subi par ce signal dans le modulateur ou le démodulateur unique, et les figures du brevet, qui se bornent à représenter le modulateur et le démodulateur par de simples carrés blancs, n'apportent aucune information.

Dans ces conditions, la société NOVATEC ne peut être suivie dans son affirmation selon laquelle, selon son brevet, la notion de « modulateur d'émetteur unique » devrait être interprétée comme désignant un seul élément comportant une seule entrée compatible avec un signal numérique et un signal analogique, tandis que la notion de « démodulateur de réception unique » devrait être comprise comme désignant un seul élément comportant une seule sortie compatible pour un signal numérique et un signal analogique.

Il sera en conséquence retenu que dans le document WO 806, le modulateur à double entrée est unique (élément 5 de la figure 2 reproduite ci-dessus) et le démodulateur à double sortie est également unique (élément 12 de la même figure) ' ces deux éléments structurels n'étant jamais désignés qu'au singulier ', et que chacun est apte à traiter à la fois les signaux numériques et analogiques, de sorte que ce document divulgue les caractéristiques du brevet FR 235 relatives à un « modulateur d'émetteur unique compatible pour les signaux numérique et analogiques » et à un « démodulateur de réception unique compatible avec les signaux numériques et analogiques » tels que décrits dans les revendications 1 et 2 du brevet.

La circonstance que lors de l'examen de sa demande par l'INPI, la société NOVATEC a limité la portée des revendications de sa demande de brevet, lesquelles prévoyaient initialement l'utilisation d'un modulateur d'émetteur unique ou double et d'un démodulateur de récepteur unique ou double, pour préciser que son invention se distinguait de l'art antérieur par la mise en 'uvre d'un modulateur et d'un démodulateur unique, excluant donc la possibilité d'utiliser un modulateur à double entrée ou un démodulateur à double sortie, est sans emport dès lors que, comme il vient d'être dit, le document WO 806 divulgue un modulateur unique à double entrée et un démodulateur unique à double sortie, comme les revendications du brevet.

Par ailleurs, il est constant que la revendication 1 du brevet FR 235 prévoit un procédé de mise en service du vocodeur d'émission et du vocodeur de réception de façon manuelle ou automatique selon que le radiotéléphone opère dans un réseau numérique ou analogique. Il n'est pas contesté que le vocodeur mentionné dans le brevet, décrit comme le moyen de codage de la parole en la numérisant (pour l'émission) et comme le moyen de régénération du signal audio à partir du signal numérique reçu (pour la réception) (page 4, lignes 18 à 25), correspond au processeur (4) décrit dans le document WO 806 (« processeur de traitement du signal 4 relié respectivement aux entrées et sorties des modules d'émission 2 et de réception 3 est programmé pour assurer, de façon connue, le codage de la parole, la mise en forme des données, le codage canal ainsi que la modulation numérique du signal à transmettre et le décodage des données reçues par le module de réception 3 » - page 6, lignes 10 à ).

Il est également constant que la revendication 2 du brevet décrit un dispositif permettant le passage d'un mode de fonctionnement numérique en un mode de fonctionnement analogique par une commutation manuelle ou automatique.

Le document WO 806 divulgue un radiotéléphone qui met en service le vocodeur d'émission et le vocodeur de réception de manière manuelle, sous commande de l'utilisateur, et implicitement, ainsi que l'admet la société NOVATEC, un dispositif de mise en 'uvre de la commutation manuelle pour passer d'un mode de fonctionnement analogique (dit aussi « public » dans le document WO 806) à un mode de fonctionnement numérique (dit aussi « privé » dans ce même document) : « Du fait que chaque objet portatif est connecté par défaut sur un canal analogique permanent, chaque personne peut à tout moment écouter et intervenir pour interpeller une autre personne en lui demandant de bien vouloir communiquer sur un canal public libre de son choix ou de façon strictement confidentielle sur un canal privé qui est attribué automatiquement par le système » (page 3, lignes 22 à 29) et « Un protocole de connexion entre deux utilisateurs A et B mettant en 'uvre ce principe est décrit ci-après en partant de l'hypothèse que les deux utilisateurs A et B étaient sur le même canal public lorsqu'ils ont décidé de se retrouver sur un même canal privé pour continuer leur dialogue. Pour ce faire les utilisateurs A et B doivent enclencher une commande manuelle formée par une touche ou un bouton poussoir disposé sur l'objet portatif. Comme il est très peu probable que les utilisateurs A et B enclenchent simultanément leur commande manuelle et qu'il existe généralement un décalage temporel d'au moins quelques dixièmes de secondes entre les deux commandes, les utilisateurs A et B vont chacun déclencher dans leur objet portatif respectif un balayage des canaux privés (') depuis par exemple le premier canal privé pour s'approprier le premier canal disponible qui le suit dans l'ordre du balayage » (page 9, lignes 30 à 38).

Le document WO 806 décrit cependant également, comme le soutient la société TPL et comme l'a retenu le tribunal, un procédé mettant en service les vocodeurs d'émission et de réception de façon automatique et une commutation automatique du radiotéléphone permettant le passage d'un canal analogique (public) à un mode numérique (privé). La description du document enseigne en effet (page 13, ligne 36 à page 14, ligne 34) : « La mise en contact peut s'effectuer automatiquement, il suffit de programmer le microprocesseur 4 pour qu'il émette un signal récurrent (') sur le canal prédéfini. Si deux personnes qui ont choisi le canal se trouvent à proximité, un signal acoustique et/ou lumineux est émis et la communication peut s'établir.

Une version encore plus sophistiquée permet de programmer le microprocesseur 4 pour enregistrer dans sa mémoire le profil d'une personne et permettre sa recherche en émettant le profil pendant une période de temps déterminée sur un canal numérique dédié à cette application.

Ainsi si deux personnes à proximité l'une de l'autre ont chacune programmé le processeur 11 de leur objet portatif selon des critères concordants, ou selon des couples offre/recherche concordants comme décrit précédemment, les comparaisons effectuées par le microprocesseur de chaque objet portatif entre le profil préenregistré et le profil reçu du canal de transmission spécialement dédiée à cette application permettent de détecter cette concordance. Dans ce processus l'objet portatif doit vérifier avant chaque émission que le canal dédié est disponible par un test sur le niveau du signal RSSI. Lorsqu'un objet portatif constate une concordance avec le profil qu'il reçoit, celui-ci émet un accusé de réception contenant éventuellement une copie du profil reçu, puis il bascule sur un canal privé de référence et si ce dernier n'est pas disponible, sur le premier canal privé disponible dans l'ordre numérique qui suit le canal de référence en mettant en 'uvre le processus de balayage des canaux privés décrit précédemment. Le reçu de l'accusé réception par l'objet portatif qui le premier a émis profil de la personne recherchée provoque également le basculement de ce dernier sur le canal privé de référence ou si ce dernier n'est pas disponible sur le premier canal disponible qui le suit dans l'ordre de balayage des canaux privés, ce qui permet aux deux personnes qui viennent de se retrouver de communiquer sur le canal privé qui leur est ainsi automatiquement attribué
1: Mises en gras par la cour.

». En d'autres termes, le document WO 806 enseigne également, comme les premiers juges l'ont retenu, selon « une version encore plus sophistiquée » de l'invention, une méthode de passage automatique du canal analogique à un canal numérique, et ce, au moyen d'un pré-enregistrement, au sein du processeur, d'un profil d'une personne déterminée, afin de permettre sa recherche et la détection de sa présence à proximité et la concordance des appareils portatifs ; lorsque cette concordance est détectée, les appareils « basculent » automatiquement sur le premier réseau numérique (« privé » selon le langage du document WO 806 qui désigne ainsi le réseau qui permet aux personnes porteuses des radiotéléphones de converser sans être entendues des autres) disponible.

Et le mode de réalisation de bascule automatique d'un canal analogique (public) à un canal numérique (privé) ainsi décrit dans le document WO 806 englobe nécessairement le procédé de bascule automatique d'un canal numérique à un canal analogique revendiqué par le brevet FR 235.

Le document WO antériorise ainsi les caractéristiques des revendications 1 et 2 du brevet FR 235.

Sans qu'il y ait lieu d'examiner le surplus de l'argumentation des parties quant à la validité du brevet au regard des autres documents de l'art antérieur invoqués par la société TPL et au regard du grief d'insuffisance de description, le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré nulles les revendications 1 et 2 du brevet pour défaut de nouveauté.

Sur le contrat de licence du 14 novembre 2003

Dans l'hypothèse où le jugement serait confirmé en ce qu'il a déclaré le brevet nul, la société NOVATEC poursuit la condamnation de la société TPL à lui payer les redevances correspondant à la période de validité du contrat de licence et, à ce titre, une provision de 600 000 €. Elle fait valoir que le contrat de licence doit être exécuté dès lors que la nullité du brevet (ou de tout titre de propriété industrielle) ne libère pas le licencié du paiement des redevances prévues au contrat ; que la cause du versement des redevances réside dans la jouissance paisible du brevet et l'exclusivité consentie pendant la période où le contrat de licence était effectif ; que c'est à tort que le tribunal a retenu que NOVATEC n'a fourni aucun « avantage » à la société TPL dès lors qu'en rachetant DETRACOM, TPL est devenue licenciée de la licence du 14 novembre 2003 et a joui de l'exclusivité du brevet FR 235, ce qui lui a permis de remporter le marché EDF et ainsi de vendre des produits issus de l'invention couverte par le brevet ; que TPL a donc tiré un avantage direct de la licence ; que contrairement à ce qu'affirme le tribunal, le versement des redevances n'est pas conditionné à la transmission d'un savoir-faire ; que la défense de TPL selon laquelle elle n'avait pas connaissance de l'existence de la licence n'est pas crédible ; que TPL savait que le marché EDF serait attribué à DETRACOM ; que ce marché a en effet été attribué à TPL trois mois seulement après le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 30 octobre 2014 prononçant le rachat de la société DETRACOM par TPL.

La société TPL sollicite, quant à elle, la confirmation du jugement en ce qu'il a écarté toute demande en paiement de la société NOVATEC au motif que celle-ci n'a fourni aucun avantage spécifique à la société TPL, distinct du droit de propriété industrielle devenu sans objet du fait de la nullité du brevet et de la licence. Elle fait valoir que les prétendus avantages évoqués par NOVATEC sont liés non pas au brevet lui-même, mais à la détention des parts de DETRACOM, que TPL a achetées, ce qu'a d'ailleurs relevé le tribunal ; que DETRACOM a soumissionné au marché EDF en avril 2014, soit 12 ans après sa création, ce qui montre qu'elle n'a pas été créée dans la perspective que le marché EDF lui soit octroyé ; que DETRACOM a soumissionné à l'appel d'offres d'EDF avant l'ouverture de la procédure de sauvegarde, et donc avant sa reprise par TPL, et que ses anciens associés, dont PROOFTAG, filiale de NOVATEC, croyaient tellement peu dans l'obtention de ce marché (qui n'a d'ailleurs été finalement attribué à TPL qu'à hauteur de 40 %) qu'ils ont refusé de recapitaliser DETRACOM dans cette perspective ; que le brevet n'était aucunement nécessaire pour l'obtention du marché, puisque 60 % de l'appel d'offres a été attribué à un autre candidat ; que TPL, dans l'ignorance de cette licence, ne s'en est jamais prévalue et n'a donc tiré aucun avantage, ni de l'exclusivité consentie, ni de la licence ; que NOVATEC ne démontre pas que les produits vendus par TPL à EDF rentreraient dans le cadre du brevet, et donc de la licence, à supposer que celle-ci soit opposable à TPL, ce qui est contesté au regard du périmètre du plan de sauvegarde homologué par le tribunal ; qu'aucun des éléments susceptibles de justifier une redevance, indépendamment du droit de propriété intellectuelle inexistant, n'est caractérisé et n'a existé ; qu'ainsi, aucun savoir-faire n'a été transmis à TPL qui ignorait l'existence de la licence et qui n'a jamais invoqué ni l'exclusivité ni le brevet FR 235, et qui n'a donc bénéficié d'aucun avantage.

Ceci étant exposé, en application de l'article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle, la décision d'annulation d'un brevet d'invention a un effet absolu ; elle entraîne la nullité de la licence octroyée sur ce brevet (Cass. Com., 1er juin 1999, n° 97-12.853).

Cependant, comme le rappelle le jugement, l'invalidité d'un contrat de licence résultant de la nullité du brevet sur lequel il porte, n'a pas pour conséquence, quel que soit le fondement de cette nullité, de priver rétroactivement de toute cause la rémunération mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a effectivement joui, le licencié pouvant avoir retiré un avantage de la licence (Civ. 1ère, 6 octobre 1981 ; Com., 28 janvier 2003, n° 00-12.149).

En l'espèce, force est de constater qu'il n'est versé au débat par la société NOVATEC aucun élément de nature à démontrer que les produits que développe et commercialise la société TPL le sont sur la base du brevet ayant donné lieu à la licence accordée à la société DETRACOM par contrat du 14 novembre 2003 et qui aurait été reprise par la société TPL lors de la transmission universelle du patrimoine de la société DETRACOM, ce que l'intimée conteste. Ainsi, rien ne démontre que la technologie eDMR exploitée par la société TPL, ainsi qu'il ressort des plaquettes de présentation diffusées par cette société, et qui est présentée comme « un système de radiocommunication professionnelle numérique TDMA (Time division Multiple Acess) (') qui permet un fonctionnement mixte, analogique et numérique », corresponde à l'invention divulguée par le brevet FR 235, étant rappelé que la société TPL, qui existe depuis 1989 intervient notamment dans le secteur des systèmes de télécommunication.

Il n'est pas plus démontré que la licence de brevet, à supposer qu'elle ait été valablement transmise à la société TPL à l'occasion de la reprise de la société DETRACOM, ce qu'elle conteste, lui ait permis de remporter le marché EDF. A cet égard, la société TPL souligne pertinemment que la société DETRACOM, dont elle a acquis les actifs, a été créée en avril 2002 et a soumissionné au marché EDF le 20 avril 2014, ce qui remet en question l'argumentation de la société NOVATEC selon laquelle la société DETRACOM aurait été créée dans le but d'exploiter le brevet « dans la perspective que le marché EDF lui soit attribué ». La société TPL n'est par ailleurs pas sérieusement démentie quand elle indique que la société DETRACOM avait soumissionné à l'appel d'offres d'EDF en avril 2014, avant l'ouverture de la procédure de sauvegarde, et donc avant sa reprise par la société TPL, et que ses anciens associés, dont la société PROOFTAG, filiale de la société NOVATEC, croyaient tellement peu dans l'obtention de ce marché, qui n'a d'ailleurs été finalement attribué à TPL qu'à hauteur de 40 %, qu'ils ont refusé de recapitaliser la société DETRACOM dans cette perspective. Enfin, le fait que le projet de lettre d'intention de cession de la société DETRACOM, rédigé par la société TPL, prévoyait le versement d'« une avance consentie au démarrage de la société pour le dépôt d'un brevet », sans autre précision sur ce brevet, ne peut établir que la société TPL a acquis la société DETRACOM aux fins de bénéficier de la licence sur le brevet FR 235, cette mention ayant au demeurant disparu de la version définitive signée par le cédant, du fait, selon la société NOVATEC, d'une fraude commise par la société TPL, ce qui n'est cependant pas démontré.

Il n'est donc pas établi que la société TPL a retiré effectivement un avantage de la licence et de l'exclusivité liée.

En conséquence, et sans qu'il y ait lieu d'examiner l'argumentation des parties relative à l'opposabilité du contrat de licence à la société TPL, la demande de la société NOVATEC en paiement d'une provision au titre de redevances dues sur la licence sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point également.

En application de l'article L. 613-27 précité du code de la propriété intellectuelle, il sera fait droit à la demande de la société TPL de voir prononcer la nullité du contrat de licence en conséquence de l'annulation du brevet.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes reconventionnelles de la société NOVATEC fondées sur le contrat de licence de brevet (communication de pièces comptables, expertise comptable, condamnation de la société TPL pour faute contractuelle, résiliation du contrat à la date du 26 avril 2022, provision à valoir sur les redevances dues).

Sur la demande de la société NOVATEC de publication de l'arrêt sur le site internet de la société TPL

Le sens de cette décision conduit au rejet de la demande de publication présentée par la société NOVATEC.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société NOVATEC, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société NOVATEC au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société TPL peut être équitablement fixée à 50 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Prononce la nullité du contrat de licence de brevet conclu le 14 novembre 2003 en conséquence de l'annulation du brevet,

Condamne la société NOVATEC aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement à la société TPL de la somme de 50 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'appel.

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