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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 30 octobre 2025, n° 25/01980

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Casino Guichard-Perrachon (SA)

Défendeur :

Alixpartners (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Masseron

Conseillers :

Najem, Chopin

Avocats :

De Maria, Levy, Boccon Gibod, Mondoloni

Président du TC Localité 5, du 18 déc. 2…

18 décembre 2024

EXPOSE DU LITIGE

La société Casino, Guichard-Perrachon (la société Casino) est la société faîtière du groupe Casino.

La société AlixPartners est un cabinet de conseil spécialisé notamment dans l'amélioration de la performance, les fusions-acquisitions et la restructuration d'entreprises.

La société Casino a rencontré des difficultés financières qui ont abouti à l'adoption, par jugement du tribunal de commerce de Paris du 26 février 2024, d'un plan de sauvegarde accéléré pour une durée de quatre années.

La restructuration financière du groupe Casino a conduit à un changement de contrôle et de direction du groupe le 27 mars 2024.

La société Casino a chargé la société AlixPartners d'effectuer (en février et mars 2023) un projet d'évaluation des synergies entre trois enseignes françaises du groupe : Distribution Casino France, Monoprix et Franprix.

Le 5 avril 2023, sur la base des opportunités d'économies identifiées lors de cette phase de diagnostic, les sociétés Casino et AlixPartners ont conclu un « Accord sur la Fourniture de Services de Conseil » ayant pour objet la réalisation d'un « programme global de mise en 'uvre des leviers identifiés », sur une période allant du 6 avril 2023 au 31 octobre 2023.

Un avenant à ce contrat a été conclu le 23 décembre 2023.

Les parties s'opposent sur le paiement de trois factures émises par la société AlixPartners

à hauteur d'un montant total de 4 277 584,65 euros, au titre de sa rémunération.

Après une mise en demeure demeurée infructueuse, par acte du 20 septembre 2024 la société AlixPartners a fait assigner la société Casino, Guichard-Perrachon devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, aux fins de la voir condamner à titre provisionnel au paiement de la somme de 4.277.584,65 euros hors taxes, majorée des intérêts au taux égal à trois fois le taux d'intérêt légal depuis le 19 juin 2024, avec capitalisation des intérêts, et de la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par ordonnance contradictoire du 18 décembre 2024, le juge des référés a :

Condamné la société Casino, Guichard-Perrachon à payer à la société AlixPartners, à titre de provision, la somme de 2.100.000 euros avec intérêts au taux égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter du 19 juin 2024, avec capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamné la société Casino, Guichard-Perrachon à payer à la société AlixPartners la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné en outre la société Casino, Guichard-Perrachon aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 39,92 euros TTC dont 6,44 euros de TVA.

Par déclaration du 17 janvier 2025, la société Casino, Guichard-Perrachon a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 août 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 873 et 700 du code de procédure civile, des articles 1103, 1163, 1190, 1130 et suivants du code civil et des articles L.442-1 et L.442-4 du code de commerce, de :

Confirmer l'ordonnance rendue par le tribunal des activités économiques le 18 décembre 2024 en ce qu'elle a relevé une contestation sérieuse portant sur l'accomplissement de sa mission de conseil de la société AlixPartners ;

Infirmer l'ordonnance du 18 décembre 2024 en toutes ses dispositions et,

Statuant à nouveau :

Juger que la demande de condamnation formée par la société AlixPartners à l'encontre de la société Casino, Guichard-Perrachon se heurte dans sa globalité à des contestations sérieuses ;

En conséquence :

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société AlixPartners ;

Condamner la société AlixPartners à verser à la société Casino, Guichard-Perrachon la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société AlixPartners aux entiers dépens de première instance ;

Ajoutant à l'ordonnance :

Dire sans objet la demande de rectification ou, à défaut, d'infirmation de l'ordonnance rendue par le tribunal des activités économiques, rejeter la demande de rectification de la prétendue omission de statuer ;

Condamner la société AlixPartners aux entiers dépens d'appel ;

Condamner la société AlixPartners à verser à la société Casino, Guichard-Perrachon la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En substance, l'appelante soutient que la demande de provision de la société AlixPartners se heurte dans son intégralité à des contestations sérieuses en ce que :

Le contrat du 5 avril 2024 est nul faute de permettre la détermination de son prix,

A tout le moins, la clause prévoyant les honoraires de résultat liés aux économies réalisées est incompréhensible et son interprétation échappe aux pouvoirs du juge des référés,

En outre, le prix n'a pas été déterminé conformément aux dispositions contractuelles (aucune économie n'a été réalisée et aucune estimation d'économies n'a été validée conjointement par les parties),

L'avenant du 18 décembre 2023 est lui aussi nul pour dol, la société AlixParners ayant fait espérer à la société Casino la réalisation de gains supérieurs à 100 millions d'euros, une telle estimation étant grossièrement irréaliste et inatteignable et donc nécessairement trompeuse et destinée à convaincre la société Casino de signer l'avenant,

En tout état de cause, l'absence d'économie réalisée par la société Casino fait obstacle à toute condamnation à paiement au bénéfice de la société AlixPartners, sauf à accorder à cette dernière un avantage manifestement disproportionné au sens de l'article L 442-1, I, 1° du code de commerce.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 juin 2025, la société AlixPartners demande à la cour, au visa de l'article 873 du code de commerce, de :

A titre principal :

Réformer partiellement l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a limité le montant de la provision accordée à la société AlixPartners à la somme de 2.100.000 euros ;

Statuant à nouveau :

Condamner à titre provisionnel la société Casino, Guichard-Perrachon à payer à la société AlixPartners la somme de 4.277.584,65 euros majorée de la TVA applicable et des intérêts au taux égal à trois fois le taux d'intérêt légal depuis le 19 juin 2024 ;

Ordonner la capitalisation des intérêts à la date de l'arrêt à intervenir ;

Subsidiairement :

Confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Casino, Guichard-Perrachon à payer à la société AlixPartners, à titre de provision, la somme de 2.100.000 euros avec intérêts au taux égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter du 19 juin 2024 et capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Y ajoutant :

Réparer l'omission de statuer du président du tribunal de commerce en majorant la condamnation de la société Casino, Guichard-Perrachon à payer la somme de 2.100.000 euros de la TVA applicable ;

En toute hypothèse :

Confirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a condamné la société Casino, Guichard-Perrachon à payer à la société AlixPartners la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance ;

Débouter la société Casino, Guichard-Perrachon de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la société Casino, Guichard-Perrachon à payer à la société AlixPartners la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur de cour ;

Condamner la société Casino, Guichard-Perrachon aux entiers dépens d'appel.

L'intimée fait essentiellement valoir que les contestations opposées par la société Casino ne sont pas sérieuses alors que le litige porte sur l'exécution pure et simple de l'avenant conclu par les parties pour, d'une part prolonger la mission de la société AlixPartners, d'autre part fixer définitivement la rémunération due à cette dernière (à la somme de 5.500.000 euros hors taxes), pour des prestations effectuées antérieurement à la signature de l'avenant, seule la facture n°3 émise pour un montant de 377.584,65 euros HT correspondant à des honoraires postérieurs ; qu'il n'est produit aucun élément par l'appelante permettant de soupçonner l'existence d'un dol , une telle contestation étant totalement artificielle, la réalité étant que la nouvelle direction de la société Casino cherche à remettre en cause les engagements pris par l'ancienne direction ; que ne sont pas davantage réunies les conditions d'applications de l'article L 442-1 du code de commerce sur l'engagement manifestement disproportionné.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 septembre 2025.

SUR CE, LA COUR

La demande en paiement d'une provision formée par la société AlixPartners à l'encontre de la société Casino est soumise aux dispositions de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile.

Ce texte prévoit que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut, en référé, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Le contrat initial signé par les parties le 5 avril 2023 prévoit que les honoraires dus à la société AlixPartners pour ses prestations de service s'élèvent à 9 millions d'euros mais que toutefois, en échange de l'opportunité de bénéficier d'honoraires de résultat, la société AlixPartners accepte que ses honoraires seront constitués de deux éléments :

un honoraire fixe de 2 millions d'euros hors taxe et hors frais,

un honoraire variable tel que défini au contrat, dénommé aussi honoraires de résultat.

Ce contrat initial a été conclu pour une durée allant du 6 avril 2023 au 31 octobre 2023.

Le 23 décembre 2023, les parties ont conclu un avenant qui prévoit :

une prolongation rétroactive de la durée du contrat de sorte que celui-ci a continué de produire ses effets au-delà du 31 octobre 2023,

d'arrêter les honoraires de résultat de la phase précédente (du 5 avril 2023 au 31 octobre 2023) à la somme de 3.700.000 euros hors taxes,

la fourniture par la société AlixPartners, à partir du 6 novembre 2023, de services additionnels dits « services V1 »,

la fixation, pour la période allant du 6 novembre 2023 au 22 décembre 2023 inclus, d'un honoraire de 1.800.000 euros hors taxes et hors frais,

pour la période postérieure à la signature de l'avenant (à compter de janvier 2024), la facturation des diligences complémentaires selon les modalités convenues au contrat initial outre le versement d'une redevance hebdomadaire de 25.000 euros.

Les parties ont ainsi prévu que les honoraires de résultat dus à la société AlixPartners depuis la signature du contrat initial jusqu'à la signature de l'avenant se chiffre à un montant total de 5.500.000 euros hors taxes (3.700.000 euros + 1.800.000 euros).

L'avenant prévoit aussi que ce montant donnera lieu à l'émission de factures payables selon les modalités suivantes :1.600.000 euros en décembre 2023, 2.900.000 euros avant le 15 février 2024, 1.000.000 euros avant le 15 février 2024.

Il est constant que la première facture de 1.600.000 euros a été réglée.

L'échange électronique qui a eu lieu entre les parties avant la signature de l'avenant (pièces 5, 6 et 7 de l'intimée) confirme qu'elles ont entendu par cet avenant définitivement arrêter le montant des honoraires de résultat dus sur la période antérieure.

Il ressort de cet échange que la société AlixParners, qui prétendait à 9,915 millions d'honoraires de résultat, a consenti dans un premier temps à les réduire à 6,5 millions ; que le 18 décembre 2023 la société Casino a proposé de les fixer à 4,5 millions d'euros ; que le 22 décembre 2023 la société AlixParners a fait une proposition à 5,5 millions d'euros, laquelle a été acceptée par la société Casino et reprise dans l'avenant.

Conformément aux termes de cet avenant, la société AlixPartners a émis les factures suivantes :

une première facture de 1.600.000 euros (déjà émise au moment de la signature de l'avenant), qui a été payée,

une deuxième facture de 2.900.000 euros HT le 11 décembre 2023, demeurée impayée,

une troisième facture de 1.000.000 euros le 15 février 2023, demeurée impayée,

une quatrième facture de 377.584,65 euros le 16 février 2023, correspondant aux honoraires échus à compter de la signature de l'avenant, demeurée impayée.

La contestation émise par la société Casino sur la validité du contrat initial (pour indétermination du prix de l'honoraire de résultat issu d'une clause qui serait incompréhensible) n'apparaît pas sérieuse dès lors que, d'une part, comme le souligne l'intimée, la détermination du prix n'est pas une condition de validité du contrat de prestation de services puisque l'article 1165 du code civil prévoit que le prix peut être déterminé après l'exécution du contrat, et que, d'autre part, les négociations ayant eu lieu entre les parties puis leur accord régularisé par la signature de l'avenant du 23 décembre 2023 établit qu'elles sont parvenues à un accord conjoint sur le montant de l'honoraire de résultat du sur la période échue et ce sur le fondement des dispositions contractuelles critiquées.

L'accord intervenu à l'issue d'une négociation de plusieurs semaines dans laquelle la société Casino a défendu ses intérêts financiers de manière argumentée et à l'issue de laquelle elle a consenti à la signature d'un avenant, lequel opère non seulement fixation définitive des honoraires échus mais aussi poursuite des relations contractuelles afin de permettre la réalisation de prestations complémentaires, contredit également l'allégation de dol émise a posteriori par la nouvelle direction de la société Casino, de même que l'allégation de l'avantage disproportionné qui aurait été obtenu par la société AlixPartners.

L'obligation de paiement de la société Casino des montants déterminés par l'avenant signé par les parties le 23 décembre 2023 n'est donc pas sérieusement contestable, et cela à hauteur de la totalité de la somme réclamée de 4.277.584,65 euros en exécution des termes du contrat, étant relevé que la dernière facture d'un montant de 377.584,65 euros correspondant aux honoraires échus depuis la conclusion de l'avenant et définis à ce contrat ne fait l'objet d'aucune contestation particulière.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera partiellement infirmée, sur le quantum de la provision allouée à la société AlixPartners, la société Casino étant condamnée aux paiement d'une provision de 4.277.584,65 euros et cela hors taxes, le premier juge ayant omis de le préciser.

L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, dont le sort a été justement réglé.

Perdant en appel, la société Casino sera condamnée aux dépens de cette instance et à payer à la société AlixPartners la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise, sauf sur le quantum de la provision allouée à la société AlixPartners,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société Casino, Guichard-Perrachon à payer à la société AlixParners la somme provisionnelle de 4.277.584,65 euros hors taxes, avec intérêts au taux égal à trois fois le taux d'intérêt légal à compter du 19 juin 2024 et capitalisation de ces intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Y ajoutant,

Condamne la société Casino, Guichard-Perrachon aux dépens de l'instance d'appel et à payer à la société AlixPartners la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

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