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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 octobre 2025, n° 23/13289

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mistral Services (SAS)

Défendeur :

Jott Digital (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouarin

Conseiller :

Mme Brun-Lallemand

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Le Coanet, Me Dilman, Me Ohana, Me Banuls, Me Salles

T. com. Marseille, du 7 mars 2023, n° 20…

7 mars 2023

FAITS ET PROCÉDURE

En janvier 2012, La société Mistral Service (ci-après « la société Mistral »), société spécialisée dans la logistique, est devenue le partenaire logistique de la société Texto, dont la dénomination sociale a changé pour devenir Jott Operations.

La société Nima, devenue Jott Digital, a été créée le 12 décembre 2014. Elle a la charge de la partie e-commerce de la commercialisation des produits de la marque Jott, marque de doudounes, vêtements et accessoires, notamment vendus via le site internet https ://jott.com.

Cette société a eu recours au service de la société Mistral pour la gestion de ses stocks de cette branche d'activité e-commerce.

Le 16 juillet 2021, par lettre recommandée avec avis de réception, la société Nima, mis fin aux relations commerciales avec la société Mistral à la date du 31 août 2021.

Le 23 juillet 2021, par lettre recommandée avec avis de réception, le conseil de la société Mistral a fait part au dirigeant des sociétés Nima et Jott Operations de multiples griefs à l'encontre de la décision du Groupe Jott de rompre les relations commerciales en précisant tout à la fois qu'il appartiendra aux sociétés Jott Operations et Nima d'indemniser les préjudices résultants de la rupture, et qu'un règlement amiable du litige était possible.

Le 7 décembre 2021, la société Mistral a assigné la société Nima devant le tribunal de commerce de Marseille.

Par jugement du 7 mars 2023, le tribunal de commerce de Marseille a :

- Déclaré que la Société Jott Digital anciennement dénommée Nima a rompu brutalement les relations établies avec la Société Mistral Services sans respecter un préavis suffisant ;

- Condamné la Société Jott Digital à payer à la Société Mistral Services la somme de 31 251 € (trente et un mille deux cent cinquante et un euros) au titre du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales établies ainsi que la somme de 3 000 € (trois mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal ;

- Débouté la société Mistral Services de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;

- Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, condamné la société Jott Digital aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction sont liquidés à la somme de 70,55 € ;

- Dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire ;

- Conformément aux dispositions des articles 514 et 515 du code de procédure civile, dit que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire ;

- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.

La société Mistral a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 24 juillet 2023.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 26 août 2025, la société Mistral demande à la Cour de :

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu l'article L. 442-1 du code de commerce,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- Déclarer société Mistral Services recevable et bien fondée en son appel et ses demandes ;

- Constater l'existence d'une relation commerciale établie entre les sociétés Mistral Services et Jott Digital depuis le 1er janvier 2012 jusqu'au 28 juillet 2021 ;

- Constater que la société Mistral Services n'a bénéficié que de 12 jours de préavis ;

En conséquence,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 7 mars 2023 en ce qu'il a :

o Déclaré que la société Jott Digital a rompu brutalement les relations établies avec la société Mistral Services sans respecter un préavis suffisant ;

o Ordonné la capitalisation des intérêts ;

o Condamné la société Jott Digital aux dépens toutes taxes compris ;

- Infirmer le jugement rendu en ce qu'il a limité le montant de la condamnation de la société Jott Digital à la somme de 31.251 euros au titre du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales établies, et en ce qu'il a limité à la somme de 3.000 euros le montant de la condamnation prononcée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Mistral Services S.A.S de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement (mais exclusivement lorsqu'il a rejeté totalement ou partiellement les demandes de la société Mistral Services tendant à voir notamment : juger que la société Nima aurait dû accorder un délai de préavis de 12 mois à Mistral Services, condamner la société Nima à régler à la société Mistral Services les sommes de 134.820,20 euros correspondant à sa perte de marge sur coûts variables sur le délai de préavis non exécuté, 20.000 euros au titre de son préjudice moral, 10.000 euros au titre des frais irrépétibles).

Et statuant de nouveau,

- Constater que la durée des relations commerciales établies entre la société Jott Digital et Mistral Services est de 9 ans et 7 mois ;

- Juger que la société Jott Digital aurait dû accorder un délai de préavis de 12 mois à la société Mistral Services ;

- Constater que Mistral Services n'a bénéficié que d'un préavis de 12 jours ;

En conséquence,

- Condamner la société Jott Digital à régler à la société Mistral Services la somme de 156.391,39 euros correspondant à sa perte de marge sur coûts variables sur la période de préavis non exécuté de 11,6 mois ;

- Condamner la société Jott Digital à régler à la société Mistral Services la somme de 20.000 euros au titre de son préjudice moral ;

- Débouter la société Jott Digital de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Jott Digital payer à société Mistral Services la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condmaner la société Jott Digital aux entiers dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 4 juillet 2025, la société JOTT DIGITAL, demande à la Cour de :

Vu l'article L442-1 du ccode de commerce,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,

Recevoir la société Jott Digital en son appel incident ;

En conséquence,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

o Déclaré que la société Jott Digital a rompu brutalement les relations établies avec la société MISTRAL SERVICES sans respecter un préavis suffisant ;

o Condamné la société Jott Digital à payer à la société Mistral Services a somme de 31 251 euros au titre du préjudice de la rupture brutale des relations commerciales établies ainsi que la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Mistral Services de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;

Et statuant à nouveau :

A titre principal,

- Constater que la relation commerciale entre les sociétés Jott Digital et Mistral Services a eu une durée de six ans ;

- Constater que la société Jott Digital a accordé un préavis suffisant d'une durée de trois mois à la société Mistral Services ;

- Constater l'absence de caractère brutal de la rupture de relation commerciale établie entre les sociétés Jott Digital et Mistral Services ;

- Débouter en conséquence la société Mistral Services de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

- Constater que la relation commerciale entre les sociétés Jott Digital et Mistral Services a eu une durée de six ans ;

- Constater que la société Jott Digital a accordé un préavis d'une durée de trois mois à la société Mistral Services ;

- Constater que la société Mistral Services ne fournit pas les éléments probants nécessaires à l'évaluation du préjudice découlant la rupture ;

- Constater que la société Mistral Services ne démontre ni l'existence ni l'étendue d'un préjudice moral découlant de la rupture de sa relation avec la société Jott Digital ;

- Débouter en conséquence la société Mistral Services de ses demandes de condamnation de la société Jott Digital au paiement de la somme de 156 391,39 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables et 20 000 euros au titre du préjudice moral ;

- Débouter en conséquence la société Mistral Services de l'ensemble de ses autres demandes.

A titre infiniment subsidiaire,

- Constater que la relation commerciale entre les sociétés Jott Digital et Mistral Services a eu une durée de six ans ;

- Constater que la société Jott Digital aurait dû accorder un préavis de six mois à la société Mistral Services, correspondant à un mois par année de relation ;

- Constater que le chiffre d'affaires mensuel moyen réalisé par la société Mistral Services avec la société Jott Digital était de 8 153,72 euros ;

- Appliquer à ce chiffre un taux de réduction forfaitaire de 50%, faute pour Mistral Services d'apporter tous les éléments de preuve de sa marge perdue pendant les trois mois de préavis non exécutés

- Condamner la société Jott Digital à verser à la société Mistral Services la somme de 12 230,58 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Mistral Services à payer à la société Jott Digital la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Mistral Services aux entiers dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 septembre 2025.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Exposé des moyens

La société Mistral soutient, en premier lieu, que la date de rupture de la relation commerciale doit être fixée au 28 juillet 2021. Elle relève que si la société Jott Digital a indiqué par écrit rompre la relation au 31 août, elle l'a, dans les faits, rompue le 28 juillet 2021, indiquant à cette date qu'elle ne confierait plus de commande à la société Mistral.

En second lieu, elle dit que sa relation commerciale avec la société Jott a duré 9 ans et 7 mois, du 1er janvier 2012 au 28 juillet 2021. Elle fait valoir, à cet égard, que leur relation aurait commencé au 1er janvier 2012 avec la société Jott Operations, et que la segmentation de l'activité du groupe Jott en 2014 ne permet pas d'écarter la continuité de la relation commerciale, celle-ci s'étant poursuivie sans changement d'interlocuteurs, ni changement dans les processus opérationnels.

En troisième lieu, elle considère que la société Jott Digital ne lui a pas laissé un préavis suffisant, en ce que :

- elle n'aurait bénéficié que d'un préavis de 12 jours puisque la notification de la rupture étant est intervenue le 16 juillet 2021 par email et que la rupture, prévue le 31 août 2021, est en réalité intervenue le 28 juillet 2021, date de la dernière commande :

- le préavis nécessaire était de 12 mois s'agissant d'une relation commerciale de 9 ans et 7 mois, ayant débuté en janvier 2012 pour se terminer en juillet 2021 et son activité de logisticien rendant sa reconversion extrêmement difficile, outre que la forte croissance du flux d'affaires l'a conduite à réaliser des investissements importants dédiées à la société Jott portant sur un nouvel entrepôt et une nouvelle solution informatique,

- la rupture de concert des contrats par les sociétés Jott Digital et Jott Operations, par email du 16 juillet 2021, représentant à eux deux 18% de son chiffre d'affaires, imposait de lui accorder un préavis plus important.

Enfin, elle fait valoir que l'importance déterminante alléguée de la mise en place du logiciel pour l'activité de la société Jott Digital est fictive, la mise en place du logiciel concernant surtout la société Jott Operations, et ne relevait d'aucune obligation lui incombant à l'égard de la société Jott Digital. Elle ajoute qu'au surplus, le retard pris dans la mise en place du logiciel était dû à l'inertie du groupe Jott et de son nouvel actionnaire, et ne peut par conséquent lui être reproché.

S'agissant du préjudice, l'appelante soutient que tribunal a commis une double erreur en ce qui concerne la méthode d'évaluation de celui-ci. Elle considère que le chiffre d'affaires de référence doit être apprécié non pas sur les 3 derniers exercices, mais sur les 10 mois avant la rupture, compte tenu de la forte augmentation du flux d'affaires à ce moment, soit 15.397,46 euros. Elle estime aussi que le taux de marge brute sur coût variables doit être fixé à 87,56%, déduction faite des frais de personnels.

La société Jott répond en premier lieu que, ainsi que le retient le jugement, la date de rupture est celle du 31 août 2021 s'agissant de la date indiquée dans un mail du 16 juillet 2021, et celle du 28 juillet 2021 n'étant pas pertinente, un délai courant entre le mois de juillet et aout 2021 devant être aménagé pour les opérations de gestion et de récupération des stocks inhérentes à la rupture.

En deuxième lieu, elle considère que la relation commerciale a duré 6 ans et 1 mois, du 1er août 2015, eu égard à la date de la première facture émise par la société Mistral, jusqu'au 31 août 2021. Elle soutient qu'aucun lien entre les sociétés Jott Digital et Jott Opérations n'existait avant le 28 janvier 2021, date de rachat et de regroupement des sociétés. Elle invoque à cet égard, des contrats distincts et une facturation séparée ainsi que des processus opérationnels différents. Elle explique qu'aucune reprise d'activité ou continuité d'affaires n'est intervenue à l'égard de la société Mistral.

En troisième lieu, elle estime que le préavis de 3 mois laissé à la société Mistral était suffisant, faisant valoir que :

- par courriel du 31 mai 2021, elle lui a reproché divers manquements, indiquant que faute de réaction de sa part, elle devra mettre fin à la relation « dans les mois à venir »,

- la relation avec la société Mistral a duré 6 ans, celle-ci ayant commencé le 31 août 2015 et pris fin le 31 août 2021,

- la société Mistral ne démontre pas en quoi son activité induirait en principe des difficultés structurelles quant à la reconversion, ni avoir subi des difficultés à l'occasion de sa reconversion,

- la croissance du flux d'affaires ne peut être considérée comme importante, celui-ci ne représentant que 8,3 % entre sur la période 2019-2021.,

- la rupture des contrats Jott Digital et Jott Operations n'est pas concomitante, la relation avec la société Jott Operations ayant été rompue dès le mois de janvier 2021, et cette rupture étant indifférente, s'agissant de deux sociétés indépendantes l'une de l'autre.

Enfin, elle soutient qu'elle était en droit de rompre unilatéralement et sans préavis la relation, en raison des manquements commis par la société Mistral dans le cadre de la mise en place d'un logiciel de gestion dématérialisée d'une importance déterminante pour son activité.

S'agissant du préjudice, la société intimée estime que la demande indemnitaire doit être rejetée en l'absence d'éléments probants suffisants de nature à en justifier. Subsidiairement, elle demande de fixer le préavis nécessaire à 6 mois, de retenir un chiffre d'affaires égal à la moyenne des trois derniers exercices, soit 8.153,72 euros, la forte augmentation du chiffre d'affaires n'étant pas démontrée, et d'appliquer un taux de réduction forfaitaire de 50%, en l'absence de document comptable pertinent. Sur ce dernier point, elle dit que le montant retenu dans l'attestation produite ne se rapporte pas au chiffre d'affaires réalisé avec elle et que le taux de marge brute sur coûts variables, outre que les éléments produits ne sont pas assez détaillés, ne prend pas en compte l'intégralité des charges à déduire.

Réponse de la Cour

L'article L. 442-1, II du code de commerce issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial. L'absence de contrat écrit n'est pas incompatible avec l'existence d'une relation établie.

La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.

Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.

Le préavis doit se présenter sous la forme d'une notification écrite.

En l'espèce, la société Mistral entretenait des relations commerciales depuis le 1er août 2015 avec la société Nima, devenue Jott Digital, la première facture produite datant du 31 août 2015.

Il n'est pas démontré que la société Nima ait eu la volonté de reprendre l'ancienneté des relations commerciales précédemment entretenues entre la société Mistral et la société Texto concernant la partie logistique e-commerce depuis le début de l'année 2012. La circonstance que la société Nima ait poursuivi l'activité e-commerce de la société Texto ne peut suffire alors qu'il s'agit de sociétés distinctes ayant des dirigeants différents. A cet égard, il sera relevé que le « contrat commercial » conclu le 7 janvier 2019 entre la SAS Texto et la SARL Nima (P 25 Mistral) précise dans son exposé préalable : « Le présent contrat n'a pas pour objet ni pour effet de créer entre les Parties une filiale ou une entreprise commune, chaque Partie conservera la direction, la gestion et la responsabilité de son entreprise.

Le présent contrat préservera l'indépendance des Parties et ne génèrera aucun lien quelconque de subordination, de représentation, mandat ou agence entre elles ».

Le caractère établi des relations commerciales entretenues entre les sociétés Mistral et Nima n'est pas contesté.

En conséquence, la Cour retient l'existence de relations commerciales établies entre les parties à compter du 1er août 2015.

Contrairement à ce que soutient Jott, la rupture n'est pas intervenue le 31 mai 2021. En effet, si aux termes du courriel de cette date, Nima fait état de sa volonté de modifier sa stratégie commerciale et de la nécessité de pouvoir bénéficier notamment d'un logiciel performant de gestion de ses stocks de type WMS et indique qu'il ressort de leurs échanges sur ce sujet que Mistral n'est pas en mesure à ce stade de proposer les services devenus impératifs pour son développement, elle se borne à indiquer « envisager » de solliciter les services d'un autre prestataire logistique et de mettre un terme à leur relation dans les mois à venir, d'ici la fin de l'été prochain, tout en proposant d'en discuter une nouvelle fois ensemble et d'évoquer la possibilité de lui confier d'autres prestations de stockage pour les années à venir.

En revanche, la lettre recommandée avec avis de réception du 16 juillet 2021 met un terme aux relations commerciales entre les parties avec un préavis se terminant le 31 août 2021.

Il en résulte qu'un préavis d'un mois et 15 jours a été accordé à la société Mistral par Nima pour des relations commerciales établies d'une durée de près de 6 années.

La société Jott échoue à établir que la société Mistral aurait commis des manquements d'une gravité suffisante pour justifier de mettre fin à ses relations commerciales avec cette société sans préavis.

En effet, la demande de mise en place d'un projet de logiciel de gestion dématérialisée d'un entrepôt logistique a été faite à la société Mistral par Jott Opérations et non à Jott Digital (Nima) en mars 2020. En tout état de cause, un manquement grave de la société Mistral à l'égard de Jott Digital (Nima) n'est pas démontré.

Il s'ensuit que si Jott était en droit de mettre un terme à ses relations commerciales avec la société Mistral, elle se devait de respecter un délai de préavis suffisant.

Au regard de la durée de ces relations de six années et de la spécificité de l'activité logistique de la société Mistral, un préavis d'une durée d'un mois et demi est manifestement insuffisant et la rupture revêt un caractère brutal ainsi que l'a retenu le tribunal.

La Cour estime qu'un préavis de six mois aurait dû être accordé à la société Mistral. Il sera relevé que si le dernier listing de commande passé date du 28 juillet 2021 (P18 de l'appelante), il restait pour l'intéressée à l'exécuter et demeurait la gestion des stocks encore chez elle., de sorte que le préavis a bien été effectif jusqu'à la fin août.

Par conséquent, la société Mistral doit être indemnisée d'un préavis manquant de 4 mois et demi.

« Le préjudice principal résultant du caracte're brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les cou'ts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore e'tre déduite, le cas échéant, la part des cou'ts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la me'me période » (Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940)

En l'espèce, il convient de retenir le chiffre d'affaires HT réalisée par la société Mistral avec la société Jott (Nima) au cours des années 2019, 2020 et 2021 (les six premiers mois), étant observé que la société Mistral ne démontre pas qu'il s'agirait d'années atypiques.

S'agissant des coûts variables HT non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, soit 4 mois et demi, la Cour retient au vu des pièces comptables et des attestations de la société Fiduciaire Nationale d'Expertise Comptable du 13 avril 2024 et du 24 septembre 2024 (P. 22 et 26 de l'appelante), les matières premières et emballages ainsi que le transport refacturé d'un montant de 97 855 € en 2020 et de 72 727 € en 2021, la variation des stocks des matières premières d'un montant de -927 € en 2020 et de -2 079 € en 2021 et le personnel intérimaire représentant en 2020 la somme de 62 455 € et en 2021 39 456 €, soit un montant total en 2020 de 159 383 € et en 2021 de 109 845 €.

S'agissant de l'année 2019, au vu de la liasse fiscale de l'année, les matières premières et emballages ainsi que le transport refacturé s'élèvent à la somme de 129 013 €, la variation des stocks des matières premières s'élève à la somme de 449 €, et le personnel intérimaire représentait la somme de 327 620 € soit la somme totale de 457 082 €.

Il n'est pas démontré que d'autres charges de personnel n'auraient pas été supportées par la société Mistral du fait de la baisse d'activité imputable à Jott.

Au total au titre des coûts variables, la Cour retient la somme totale :

- En 2019, de 457 082 € pour un chiffre d'affaires HT de 1 246 230 €

- En 2020, de 159 383 € pour un chiffre d'affaires de 1 099 505 €

- En 2021, de 109 845 € pour un chiffre d'affaires de 1 237 475 € (selon le compte de résultat).

La part du chiffre d'affaires de Mistral avec Jott (Nima) au cours des années :

- 2019, est de 79 870 €, soit 6,4 % du CA de Mistral (79 870/ 1 246 230),

- 2020, est de 121 444 €, soit 11 % du CA de Mistral (121 444/1 099 505),

- 2021 est sur six mois, de 79 045 €, soit 12,8 % du CA de Mistral (79 045/ 618 738).

- Total : 280 359 €.

La part des coûts variables de Mistral avec Jott peut être estimée ainsi qu'il suit :

- En 2019, 6,4 % de 457 082 €, soit 29 253 €,

- En 2020, 11 % de 159 383 €, soit 17 532 €

- En 2021 sur les six premiers mois, 12,8 % de 54 923 €, soit 7 030 €

- Total : 53 815 €.

On obtient ainsi une marge brute escomptée de 226 544 € sur 30 mois (280 359 ' 53 815)

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue ainsi à la somme de 33 982 € pour un préavis manquant de 4 mois et demi.

Il convient dès lors, infirmant le jugement entrepris sur le quantum, de condamner Jott à payer à la société Mistral la somme de 33 982 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture.

Elle invoque, pour le surplus, un préjudice causé par la rupture et non par la brutalité.

Cette demande d'indemnisation est rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le sens de l'arrêt commande de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Jott aux dépens et de condamner cette dernière aux dépens d'appel.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a mis à la charge de la société Jott des frais irrépétibles et une somme supplémentaire de 3 000 € est mis à sa charge en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la demande de l'intimée sur ce fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises sauf sur le quantum des dommages-intérêts alloués au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Statuant à nouveau de ce chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société Jott Digital à payer à la société Mistral Services la somme de 33 982 € au titre du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Déboute la société Jott Digital de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société Jott Digital aux dépens d'appel et à payer à la société Mistral Services la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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