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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. soc., 30 octobre 2025, n° 22/04479

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 22/04479

30 octobre 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 30 OCTOBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/04479 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PRA3

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 20 JUIN 2022

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER

N° RG 19/00211

APPELANTE :

Me [H] [B] - Mandataire judiciaire de S.A.S. ISIMAN

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représenté par Me Ingrid BARBE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Me [Y] [G] - Administrateur judiciaire de S.A.S. ISIMAN

[Adresse 7]

[Localité 9]

Représenté par Me Ingrid BARBE, avocat au barreau de MONTPELLIER

S.A.S. ISIMAN

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée par Me Ingrid BARBE, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

Madame [Z] [S]

née le 18 Janvier 1967 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Charles SALIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTERVENANTE :

Association AGS (CGEA-[Localité 10])

[Adresse 5]

[Localité 2]

Défaillante

Ordonnance de clôture du 02 Juin 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Juin 2025,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère

Madame Magali VENET, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Audrey NICLOUX

ARRET :

- Contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Audrey NICLOUX, Greffier.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Mme [Z] [S] a été engagée, en qualité de comptable, suivant contrat à durée indéterminée du 23 septembre 2016, avec reprise d'ancienneté au mois de juillet 1998, par la Société Isiman (anciennement Keyword SD), qui exerçait une activité de programmation informatique relevant de la convention collective Syntec.

Le 10 janvier 2019, elle se voyait notifier une mise à pied disciplinaire de deux jours. Elle était placée continûment en arrêt de travail à compter du même jour.

Le 22 février 2019, elle saisissait le conseil de prud'hommes de Montpellier aux fins d'entendre prononcer l'annulation de la mise à pied et l'indemnisation de son préjudice.

À l'issue de la visite de reprise du 29 juillet 2019, le médecin du travail l'a déclarée inapte en ces termes : « Inapte au poste de comptable et à tout poste dans l'entreprise, pas de préconisation pour recherche de reclassement ».

Par lettre recommandée avec avis de réception du 20 août 2019, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 21 février 2020, Mme [S] a saisi une nouvelle fois le conseil de prud'hommes, aux fins d'entendre juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et le paiement des indemnités de rupture ainsi que de diverses sommes de natures salariale et indemnitaire.

Après avoir ordonné la jonction des deux instances initiées par la salariée, sous le numéro RG 19/211, le conseil a, par jugement du 20 juin 2022, statué comme suit :

Annule la sanction disciplinaire du 10 janvier 2019,

Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Dit que la moyenne des salaires est de 3 479,14 euros bruts par mois,

Condamne la Société Keyword SD devenue Société Isiman, à verser à Mme [S] les sommes suivantes :

- 2 156,50 euros bruts de rappel de salaire de 2017 à 2019 outre 215,65 euros au titre des congés payés afférents,

- 230,03 euros bruts de rappel de salaire sur mise à pied, outre 23 euros au titre des congés payés afférents,

- 10 000 euros de dommages et intérêts pour sanction injustifiée,

- 3 500 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 55 666,27 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 24 450,62 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement,

- 10 437,42 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1043,74 euros de congés payés y afférents,

- 6 262,42 bruts d'indemnité de congé payés outre 626,24 euros de congés payés afférents,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que ces sommes sont soumises à intérêt légal à compter de la date de saisine,

Prononce l'exécution provisoire de la décision,

Condamne la Société Keyword SD, devenue Isiman, à transmettre à Mme [S] les documents sociaux rectifiés conformément à la présente sous astreinte de 100 euros par jour et par document 15 jours après la notification de la présente, le conseil se réservant le droit la liquider,

Condamne la société à rembourser à Pôle emploi les indemnités versées dans la limite de six mois d'indemnités,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société aux dépens de l'instance.

Le 24 août 2022, la société Isiman a relevé appel de cette décision qui a été notifiée par le greffe le 13 juillet 2022.

Le 21 octobre 2022, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Isiman et désigné M. [G] ès qualités d'administrateur et M. [B] ès qualités de mandataire judiciaire.

Par jugement du 10 mars 2023, le même tribunal a arrêté le plan de cession du fonds de commerce de la Société Isiman au profit de la société MetrixWare, prononcé la liquidation judiciaire de la société avec maintien d'activité jusqu'au 15 mars 2023. Maître [B] a été désigné ès qualités de liquidateur judiciaire.

Suivant une ordonnance du 19 avril 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté la fin de non recevoir tirée de l'article R. 1461-1 du code du travail, soulevée par l'intimée et a déclaré l'appel recevable.

Par ordonnance rendue le 2 juin 2025, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 25 juin 2025.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 12 mai 2025, Maître [B], ès qualités, demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter Mme [S] de l'intégralité de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

' Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 13 mai 2025, Mme [S] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, d'ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt, de condamner Maître [B], ès qualités, à lui verser la somme complémentaire de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, et dire qu'à défaut de fonds suffisants les sommes allouées seront garanties par le CGEA.

' Régulièrement citée par assignation en intervention forcée délivrée par acte d'huissier de justice en date du 9 février 2023, lequel, conformément aux dispositions de l'article 902 du code de procédure civile, lui précise que, faute pour elle, d'une part, de constituer avocat, dans le délai de 15 jours à compter de celle-ci et, d'autre part, de conclure dans le délai mentionné à l'article 910, elle s'expose non seulement à ce qu'un arrêt soit rendu contre elle sur les seuls éléments fournis par son adversaire, mais à ce que ses écritures soient déclarées d'office irrecevables, l' AGS n'a pas constitué avocat.

Par courrier du 9 mars 2023, l'AGS de Toulouse a informé le Président de la Cour d'appel qu'elle ne serait pas représentée dans le cadre de cette instance, précisant ne disposer d'aucun élément lui permettant d'y participer utilement.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIVATION :

Sur la demande de rappel de salaire au titre du compte épargne temps :

Le mandataire liquidateur conclut à l'infirmation du jugement qui a condamné la société à verser à Mme [S] la somme de 2 156,50 euros bruts de rappel de salaire au titre du compte épargne temps, outre 215,65 euros des congés payés afférents.

La salariée sollicite le paiement d'heures inscrites sur son compte épargne temps, selon le détail suivant :

- Pour l'année 2017 : 165 euros correspondant à 8,30 heures, abondées sur le compte épargne temps et non rémunérées,

- Pour l'année 2018 : 1 387,80 euros, soit : 603, 70 euros de reliquat de salaire non versé et 56,50 heures supplémentaires au titre de l'année 2018 pour lesquelles elle indique que la société n'a pas répondu à sa demande de récupération et dont elle réclame le paiement.

Elle verse aux débats :

- Un document intitulé « Analyse du suivi 2017 et contrat 2018 », signé par l'employeur le 7 février 2018, mentionnant « Bon pour accord », faisant état d'un crédit d'heures de 8,5 heures supplémentaires au titre de l'année 2017, dont la mise sur CET a été acceptée par la direction,

- Des tableaux pour les années 2017 et 2018 indiquant notamment:

' Solde CET 2017 : 248 euros brut,

' Solde CET 2018 : 56h50 ou 63h50 ; 603,70 euros net.

- Les bulletins de paie pour l'année 2018 ne font aucune mention du solde du CET, ni d'heures supplémentaires.

- Des attestations émanant de deux salariées de la société, Mesdames [J], et [T], qui attestent que les relevés de temps de travail remis mensuellement par Mme [S] ont été signés par la direction jusqu'en août 2018 et ne l'ont plus au-delà. Mme [J] précise que M. [L] [C] refusait de les signer en l'absence de M. [K] [C], au cours de son arrêt maladie.

Le mandataire objecte que s'agissant de l'année 2017, les heures de travail abondées sur le CET ont été rémunérées, et que s'agissant de l'année 2018, la salarié, qui n'a pas respecté la procédure interne relative au décompte du temps de travail, ne peut se prévaloir du paiement d'heures supplémentaires.

L'article 19 de l'accord collectif sur l'organisation du temps de travail du personnel de la Société Keyword SD prévoit que pour l'alimentation du compte épargne temps, les salariés doivent transmettre au service du personnel en début d'année à l'occasion de l'élaboration des plannings ou à la fin de chaque mois, le nombre de jours de congés payés, ou de repos, à imputer au crédit du compte.

Par ailleurs, une note de service n°2 du 6 juin 2017 relative à l'évolution des mesures administratives à Keyword SD indique notamment que le service administration émet à destination du service paie, pour prise en compte sur le bulletin de salaire, le temps de travail en CET. Le salarié doit transmettre les informations, en dernier ressort à la fin du mois.

En l'espèce, le reçu pour solde de tout compte daté du 20 août 2019 mentionne :

- Pour l'année 2017, un solde CET d'un montant de 148, 83 euros net (191,25 euros brut) correspondant à 8,5 heures.

- Pour l'année 2018 : Un excédent de 56,50 heures supplémentaires contesté, les relevés mensuels pour les mois d'octobre, novembre et décembre 2018 n'ayant pas été signés par la direction.

Le bulletin de salaire de septembre 2019 mentionne un solde CET pour 2017 d'un montant de 191,25 euros brut, correspondant à 8,5 heures, indiquant un paiement par virement le 30 septembre 2019. Toutefois, alors que Mme [S] conteste avoir effectivement perçu le salaire du mois de septembre 2019, l'employeur, à qui incombe la charge de la preuve du paiement du salaire, ne démontre pas s'être libéré de son obligation.

Par ailleurs, alors que Mme [S] présente un décompte du nombre d'heures supplémentaires réalisées entre les mois d'octobre à décembre 2018 (56,50 heures), l'employeur, qui ne justifie pas avoir assuré le suivi de son temps de travail à compter du mois d'août 2018, échoue à contredire utilement le décompte présenté par la salariée.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement et de fixer la créance de Mme [S] au passif de la Société Isiman aux sommes de 2 156,50 euros bruts de rappel de salaire, outre 215,65 euros brut de congés payés afférents.

Sur la demande d'annulation de la mise à pied disciplinaire du 10 janvier 2019 :

Le mandataire liquidateur conclut à l'infirmation du jugement qui a jugé la mise à pied disciplinaire du 10 janvier 2019 injustifiée et l'a condamné à verser à Mme [S] les sommes de 230, 03 euros bruts de rappel de salaire, outre 23 euros de congés payés afférents, ainsi que 10 000 euros de dommages et intérêts pour sanction injustifiée.

La mise à pied du 10 janvier 2019 est rédigée en ces termes :

« Le 18 décembre 2018, à l'occasion du repas de fin d'année de l'entreprise, j'ai relevé les faits suivants :

Sans mon autorisation, pendant ma période d'hospitalisation, vous vous êtes approprié le bureau du DP, sans son accord formel, bureau qu'il partage avec moi depuis plus d'un an.

Accessoirement, vous avez supprimé le bureau de la direction après l'avoir vidé de mes documents, vous appropriant l'armoire basse à rideau brune ainsi que la table et les fauteuils dont je me servais.

Vous deviez rester dans le B62, pour garder un contact permanent avec le service Solution afin de vous permettre d'établir, sans délai, les devis et factures émises par notre Société. Notre souhait était que vous permutiez avec le bureau de Monsieur [O].

Or ma surprise a été grande de vous trouver dans le bureau que j'occupe habituellement, sans que je n'ai été informé de votre déménagement du B62 au B59.

La suppression du local du DP, sans son accord, peut être qualifiée de délit d'entrave avec des sanctions possibles, pour moi, dont vous n'avez pas mesuré la portée.

Vous êtes ma plus proche collaboratrice. Vous connaissez parfaitement notre façon de travailler. Mes prises de décision se font après validation du DP. Après son accord, je modifie toutes les procédures et documents qui nous lient à chaque membre du personnel.

Votre initiative non autorisée est un fait, constitutif d'un manquement à la discipline de l'entreprise sous la qualification : Titre IV, article 22 du Règlement intérieur : « Modification des conditions prescrites du travail ou des processus et modes opératoires. » voir votre fiche de fonction individualisée ».

Je suis votre seul supérieur hiérarchique et je vous reproche de ne pas m'avoir informé de votre initiative malheureuse. Pour vous référer aux raisons de ma décision, je vous prie de vous reporter à mail explicatif du 10 janvier 2019 qui est joint en annexe.

Vous avez été convoqué à un entretien qui a eu lieu le 8 janvier 2019 à 10h00 en présence d'un conseiller du salarié. Après cet entretien et les différentes enquêtes que j'ai pu mener, je persiste à considérer ce fait comme fautif.

Par conséquent, je vous notifie, par la présente, une mise à pied disciplinaire de deux jours à compter de votre reprise de travail.

J'ai reçu, ce jour, vous concernant un arrêt de travail du 10 janvier au 27 janvier 2019. Votre mise à pied avec retenue correspondante de salaire débutera après votre absence pour maladie ».

Le mandataire liquidateur fait valoir que la décision collective du 30 octobre 2018 dont Mme [S] se prévaut n'est pas opposable à la société en ce qu'elle a été prise au cours d'une réunion informelle, sans la présence de M. [K] [C], et n'a donné lieu à aucune formalisation écrite, ni information ou soumission pour avis à M. [K] [C].

La salariée sollicite la confirmation du jugement.

Elle verse aux débats les pièces suivantes :

- le courriel qu'elle a adressé le 9 janvier 2019 à M. [K] [C], par lequel elle conteste la sanction qui lui a été notifiée et détaille sa version des faits. Elle indique notamment que la proposition de réaménagement des bureaux a été retenue au cours d'une réunion du 30 octobre 2018, validée par le délégué du personnel, et par le Président de la société, M. [L] [C], et lorsque, le 19 décembre 2019, M. [K] [C] lui a demandé de changer de bureau, elle s'est conformée à sa décision.

- Des attestations de deux salariés présents lors de la réunion du 30 octobre 2018, Messieurs [A] et M. [P], qui déclarent que lors de cette réunion, M.[L] [C], président de la société, a suggéré de déplacer le service Office Manager (Mme [S] et Mme [J]), du bâtiment B62 vers la salle partagée du bâtiment B59 et que c'est cette solution, qu'il a validé, qui a été retenu devant l'ensemble du personnel présent et le délégué du personnel. Ils déclarent que Mme [S] n'était pas à l'initiative de ces changements de bureaux, celle-ci ayant suivie la proposition de M. [L] [C]. Ils attestent tous deux de la colère exprimée par M. [K] [C] à l'égard de Mme [S], lorsqu'il a pris connaissance de cette décision.

Les attestations concordantes de Messieurs [A] et [P], présents lors de la réunion collective du 30 octobre 2018, permettent d'établir que le déménagement de bureau reproché à Mme [S] résultait d'une décision validée par M. [Y] [L] [C], président de la société, étant précisé qu'il était le seul représentant de la société présent au moment des faits, en l'absence de M. [K] [C] (directeur général), alors en arrêt de travail de septembre à décembre 2018. Le grief selon lequel Mme [S] aurait agi de sa propre initiative, sans ordre hiérarchique, n'est pas établi.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement qui a annulé la sanction disciplinaire et de fixer la créance de Mme [S] au passif de la société à la somme de 230,03 euros bruts de rappel de salaire sur mise à pied outre 23 euros de congés payés afférents.

Sur la demande de dommages et intérêts pour sanction injustifiée :

Le mandataire conclut à la réformation du jugement qui a condamné l'employeur à verser à la salariée la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts au titre de la sanction injustifiée. Il fait valoir que la salariée ne justifie pas de son préjudice.

En l'espèce, MM. [A] et [P] témoignent de la colère exprimée par M. [K] [C] à l'égard de Mme [S] lorsqu'il a pris connaissance de la décision de réaménagement des bureaux prise en son absence.

M. [K] [C] reconnaît, par ailleurs, par un courrier du 19 février 2019 adressé à Maître [N], conseil de Mme [S], que « la convocation à entretien préalable n'a pas arrangé l'ambiance dans l'entreprise, et sans doute, son état physique ».

La salariée justifie de la dégradation de son état de santé, concomitante à la notification de cette mise à pied. Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 10 janvier 2019, lendemain de la notification de la sanction, lequel a été prolongé jusqu'à son licenciement pour inaptitude le 20 août 2019. Elle produit un certificat médical du Dr [I], psychiatre du 12 juillet 2019, faisant état d'un état dépressif réactionnel, d'un état d'anxiété paroxystique, de troubles du sommeil, ne lui permettant pas la reprise du travail.

Compte du préjudice moral dont Mme [S] justifie, il y a lieu de fixer sa créance, au passif de la liquidation judiciaire de la Société Isiman à la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts, par réformation du jugement entrepris, uniquement sur le quantum.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

En application de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

La violation de cette obligation engage la responsabilité du fautif. L'exécution de bonne foi du contrat est présumée de sorte que celui qui invoque l'exécution déloyale du contrat de travail doit le prouver.

En l'espèce, Mme [S] invoque une exécution déloyale du contrat de travail en raison des manquements suivants qu'elle reproche à son employeur :

- L'absence de rémunération des heures inscrites sur le compte épargne temps et d'abondement de son compte,

- L'absence de transmission de l'attestation de salaire auprès de l'assurance maladie,

- Des reproches infondés formulés lors de la mise à pied du 10 janvier 2019 et l'engagement d'une procédure disciplinaire pour retards de facturation, suivant convocation du 28 janvier 2019 alors qu'elle était en cours d'arrêt de travail.

La salariée formule également sa demande au visa de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur. Elle vise l'article L. 4121-1 du code du travail et mentionne « Que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de son personnel et que l'employeur manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur son lieu de travail de violences physiques ou morales exercées par l'un ou l'autre de ses salariés ».

Toutefois, elle ne développe aucune argumentation à ce titre.

S'agissant de l'absence de rémunération des heures inscrites sur le CET, il résulte de ce qui précède que la salariée était bien fondée en sa demande de rappel de rémunération. Néanmoins, alors qu'aux termes de l'article 1153 devenu l'article 1231-6 du code civil, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance, l'intimée ne communique aucun élément de nature à caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par la mauvaise foi de l'employeur.

S'agissant de l'attestation de salaire, si la société ne justifie pas de sa date exacte de transmission à la CPAM, le récépissé Net-entreprises ne mentionnant aucune date, la salariée ne justifie pas de la prise en charge tardive de ses indemnités journalières, étant précisé qu'elle a bénéficié d'un maintien de salaire intégral entre les mois de janvier et mars 2019, et que les bulletins de salaire suivants ne sont pas produits. En l'absence d'un préjudice justifié par le salarié en lien de causalité avec ce dernier manquement, ce grief n'est pas établi.

En revanche, la salariée justifie avoir été convoquée par M. [K] [C], le 28 janvier 2019 à un nouvel entretien préalable à sanction, fixé au 13 février suivant pour 'aborder les raisons qui ont poussé pendant sa période d'hospitalisation à ne pas facturer avant le 31 décembre 2018 les différents clients de la société , de l'ordre de 300 000 euros ce qui a mis ma société en grande difficulté financière', alors même que la salariée justifie, par un échange de mails avec le président de la société du 3 janvier 2019, que ce dernier lui avait demandé de ne pas finaliser la facturation de 2018 et de n'établir aucune facturation 2019 tant qu'il n'a pas donné son feu vert, le président de la société précisant avoir des factures 2018 à finaliser.

Certes, la société n'a finalement donné aucune suite à l'engagement de cette procédure disciplinaire. Néanmoins, cette procédure disciplinaire initiée une nouvelle fois par le directeur général de manière précipitée à l'égard d'une salariée placée en arrêt de travail depuis la notification d'une mise à pied disciplinaire injustifiée, et sans avoir à l'évidence recueilli auprès du président de la société les informations utiles sur les conditions dans lesquelles la société avait été dirigée durant son absence, est fautive.

Le préjudice moral en résultant sera évalué à la somme de 1 500 euros. Le jugement sera réformé sur ce point.

Sur le licenciement pour inaptitude :

Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

Le 29 juillet 2019, le médecin du travail établissant un avis d'inaptitude définitive à son poste qui mentionnait : « inapte au poste : inapte au poste de comptable et à tout poste dans l'entreprise, pas de préconisation pour la recherche de reclassement ».

Convoquée le 8 août 2019 à un entretien préalable fixé au 16 août, Mme [S] a été licenciée pour inaptitude par lettre du 20 août 2019.

Mme [S] allègue un lien entre son inaptitude et les agissements fautifs de l'employeur.

Elle formule sa demande au visa de l'obligation de sécurité de résultat. Elle cite la jurisprudence suivante :« Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement d'un salarié dès lors le volume de travail imposé pendant près de trois ans a participé de façon déterminante à son inaptitude consécutive à un accident du travail, caractérisant un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat. (Cass. soc. 29 mai 2013 n° 12-18.485 (n° 1022 F-D), Sté Sedih c/ Guiffre).

Comme indiqué supra, elle ne développe toutefois aucun moyen au titre du manquement à l'obligation de sécurité.

La dégradation de l'état de santé de la salariée, concomitante à la notification de la mise à pied, met en évidence un lien de causalité, à tout le moins partiel, entre l'inaptitude de la salariée et la sanction disciplinaire injustifiée, puis l'engagement d'une nouvelle procédure disciplinaire, à laquelle l'employeur a finalement décidé de renoncer.

Il s'ensuit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi :

Le mandataire liquidateur sollicite la réformation du jugement qui a condamné l'employeur à verser à Mme [S] une indemnité de 55 666,27 euros nets de dommages-intérêts représentant 16 mois de salaire.

La salariée sollicite sa confirmation.

Au jour de la rupture, Mme [Z] [S], âgée de 52 ans, bénéficiait d'une ancienneté de 21 ans au sein de la Société Isiman qui employait plus de dix salariés et percevait un salaire mensuel brut de 3 479,14 euros (correspondant à la moyenne des 12 derniers mois travaillés en 2018, précédant son arrêt de travail).

Mme [S] expose avoir été placée dans une situation de précarité financière suite à la rupture et avoir été privée d'une partie de ses droits, du fait de la remise tardive de ses documents de fin de contrat le 18 décembre 2019. Elle produit aux débats :

- Un courrier de France Travail du 18 septembre 2019, sollicitant la transmission de l'attestation destinée à France Travail,

- L'attestation destinée à France travail, signée le 18 décembre 2019 par M. [Y] [L] [C],

- Un courrier du 11 septembre 2020, adressé par Mme [S] à Harmonie mutuelle, par lequel elle sollicite la régularisation de sa situation et joint ses attestations ARE, sur la période d'août 2019 à août 2020, lesquelles ne sont pas produites aux débats.

En vertu de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance nº2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié bénéficiant de 21 ans d'ancienneté peut prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 16 mois de salaire brut.

Allouer une indemnité pour la perte injustifiée de son emploi de 55 666,27 euros nets, représentant 16 mois de salaire bruts, revient à dépasser le plafond prévu par le barème légal.

Compte tenu des éléments dont dispose la cour, et notamment de l'âge de la salariée au moment du licenciement, et des perspectives professionnelles qui en découlent, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être évalué à la somme de 50 000 euros bruts.

Sur l'indemnité de licenciement :

Le mandataire liquidateur conclut à la réformation du jugement qui a condamné la société à verser à Mme [S] la somme de 24 450, 62 euros à titre d'indemnité de licenciement.

Il conteste le salaire de référence pris en compte pour le calcul de l'indemnité au motif qu'il intègre des primes non contractualisées, et ajoute qu'une somme de 23 835,35 euros a déjà été versée par l'employeur.

Mme [S] conteste avoir perçu une indemnité de licenciement, et soutient que le calcul de l'employeur est erroné, le salaire moyen devant intégrer les primes perçues.

Selon l'article 19 de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, « Le mois de rémunération s'entend dans le cas particulier comme 1/12 de la rémunération des 12 derniers mois précédant la notification de la rupture du contrat de travail, cette rémunération incluant les primes prévues par les contrats de travail individuels et excluant les majorations pour heures supplémentaires au-delà de l'horaire normal de l'entreprise et les majorations de salaire ou indemnités liées à un déplacement ou un détachement. Pour les années incomplètes, l'indemnité de licenciement est calculée proportionnellement au nombre de mois de présence ».

En l'espèce, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute d'un montant de 3076,50 euros, ainsi qu'un complément différentiel de salaire (C.D.S) d'un montant de 373,89 euros.

Elle a également perçu deux primes de vacances : 172,51 euros en septembre (5% février 2018), 172,51 euros en octobre 2018 (5% octobre 2018), lesquelles doivent être incluses dans l'assiette de calcul du mois de rémunération, servant de base à l'indemnité de licenciement.

Les premiers juges, ont, après avoir rappelé les dispositions conventionnelles applicables, justement relevé que d'une part, l'employeur ne justifie pas du versement de l'indemnité de licenciement inscrite sur le solde de tout compte, et que d'autre, part, le calcul opéré par l'employeur est erroné, le salaire de base devant inclure les primes perçues.

Il y a lieu de confirmer le jugement et de fixer la créance de Mme [S] au passif de la société à la somme de 24 450,62 euros net au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Si le salarié déclaré inapte ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement pour inaptitude a été provoqué, au moins pour partie, par un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Par conséquent, il sera jugé que la salariée est bien fondée à solliciter le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 10 437,42 euros bruts outre 1 043,74 euros au titre des congés payés afférents tenant le montant de son salaire brut mensuel intégrant les primes, son ancienneté et sa qualité de cadre.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande d'indemnité de congés payés et congés payés afférents :

Comme cela a été justement relevé par les premiers juge, l'employeur ne justifie pas avoir effectivement versé l'indemnité de congés payés inscrite sur le solde de tout compte, et présente un calcul erroné, tant s'agissant du salaire de base que du nombre de jours de congés acquis.

Le calcul de Mme [S], sur la base de 45 jours de congés payés acquis (30 jours pour 2018 et 15 jours pour 2019), selon la formule du dixième de la rémunération, n'est pas utilement contredit.

Il y a lieu de confirmer le jugement et de fixer la créance de Mme [S], au passif de la liquidation judiciaire de la société à la somme de 6 262,42 euros bruts d'indemnité de congés payés, sauf à débouter la salariée de sa demande de paiement de congés payés afférents à cette indemnité.

Sur la fixation des créances et la garantie de l'AGS :

Compte tenu de la procédure collective, les sommes allouées à la salariée seront fixées au passif de la liquidation judiciaire. La garantie de l'AGS s'exercera en application des dispositions légales et réglementaires applicables.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Réforme le jugement du 27 septembre 2022 des chefs suivants :

- Le quantum des dommages-intérêts alloués au titre de la sanction injustifiée et de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- Le quantum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Les congés payés afférents à l'indemnité de congés payés,

- L'astreinte assortie à la remise des documents sociaux,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la Société Isiman la créance de Mme [Z] [S] aux sommes suivantes :

- 5 000 euros de dommages et intérêts pour sanction injustifiée,

- 1 500 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 50 000 euros brut d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Déboute la salariée de sa demande de congés payés afférents à l'indemnité de congés payés,

Dit n'y avoir lieu à assortir d'une astreinte l'injonction faite à l'employeur de remettre à la salariée les documents sociaux rectifiés,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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