CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 30 octobre 2025, n° 24/04864
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 30 OCTOBRE 2025
Rôle N° RG 24/04864 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BM4LP
[L] [O]
C/
SAS [5]
M LE PROCUREUR GENERAL
Copie exécutoire délivrée
le : 30 octobre 2025
à :
Me Sandra JUSTON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 26 Février 2024 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2022L01703.
APPELANT
Monsieur [L] [O],
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEES
SAS [5]
Mandat conduit par Maître [X] [D] agissant en qualité de mandataire liquidateur de la Société SASU [4] en lieu et place de Maître [L] [G] ès qualité sis, demeurant [Adresse 3]
défaillante
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL,
demeurant COUR D'APPEL - 20. [Adresse 7]
défaillant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Septembre 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre
Madame Muriel VASSAIL, Conseillère
Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère rapporteure
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Octobre 2025.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Octobre 2025,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [L] [O] est président de la SASU [4] depuis le 16 novembre 2015, la SASU [4] exerçant l'activité d'agence immobilière et transactions de biens immobiliers et fonds de commerce.
Le 4 février 2020, la SASU [4] a déclaré son état de cessation des paiements.
Par jugement en date du 6 février 2020, le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société [4] et désigné la SAS [5] ès qualités de liquidateur.
Par acte en date du 29 juin 2022, la SAS [5] a saisi le tribunal de commerce de Marseille aux fins de voir engager la responsabilité pour insuffisance d'actif de son dirigeant et obtenir le prononcé d'une mesure de faillite personnelle à son encontre.
Par décision en date du 26 février 2024, le tribunal de commerce de Marseille a':
- constaté que les fautes de gestions commises par Monsieur [L] [O] ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société [4]';
- condamné en application de l'article L 651-2 du code de commerce Monsieur [L] [O] à payer entre les mains du liquidateur ès qualités, la somme de 42.700 euros au titre de l'insuffisance d'actifs de la SASU [4]';
- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile';
- prononcé à l'encontre de Monsieur [L] [O] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 4 ans, à compter de ce jour';
- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du jugement';
- ordonné la publicité légale en pareille matière';
- dit qu'en application des articles L 628-1 et suivants, et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer';
- rejeté tous surplus des demandes comme non fondées et non justifiées';
- dit les dépens de la présente, toutes taxes comprises, en frais privilégiés de la procédure collective.
M. [O] a interjeté appel de la décision par déclaration en date du 15 avril 2024.
Selon conclusions notifiées le 28 juin 2024, M. [O] demande à la cour de':
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 26 février 2024 en ce qu'il a:
- condamné en application de l'article L 651-2 du code de commerce Monsieur [L] [O] à payer entre les mains du liquidateur ès qualités, la somme de 42.700 euros au titre de l'insuffisance d'actifs de la SASU [4]';
- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile';
- prononcé à l'encontre de Monsieur [L] [O] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 4 ans, à compter de ce jour';
- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du jugement';
- ordonné la publicité légale en pareille matière';
- dit qu'en application des articles L 628-1 et suivants, et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer';
- rejeté tous surplus des demandes comme non fondées et non justifiées';
- dit les dépens de la présente, toutes taxes comprises, en frais privilégiés de la procédure collective;
Statuant de nouveau,
Juger que Monsieur [O] n'a commis aucune faute de gestion ayant entraîné une insuffisance d'actif';
Juger que Monsieur [O] n'a fait preuve que de négligence ne pouvant ainsi entraîner quelque condamnation que ce soit';
Juger que Monsieur [O] a d'ores et déjà remboursé 65 % du solde débiteur de son compte courant et que seuls des délais lui sont nécessaires pour régler le solde';
Dire que la mesure de faillite personnelle et ainsi interdiction de gérer rendent impossible le remboursement du solde du compte débiteur';
Dire qu'il n'y a pas lieu à sanctions personnelles à l'encontre de Monsieur [L] [O] en l'état de seules négligences de sa part';
Condamner la SAS [5] au paiement au profit de Monsieur [L] [O] de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis';
Condamner la SAS [5] au paiement au profit de Monsieur [L] [O] de la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamner la SAS [5] aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, M. [O] affirme que le liquidateur n'a pas tenté de sauver la situation alors qu'il était informé de la situation comptable à venir de la société et qu'il allait être en mesure de rembourser l'intégralité de son compte courant.
Il soutient que le défaut prétendu de tenue de comptabilité résulte d'une simple négligence de sa part en raison de problèmes personnels (divorce douloureux, problèmes de santé en découlant) et en aucun cas d'une volonté de cacher la réalité de sa comptabilité et souligne que les premiers juges ont admis cette absence de faute. Il fait valoir l'abandon du grief de l'absence de tenue de comptabilité par le liquidateur à l'audience et la remise de la comptabilité.
Il explique également par la négligence le défaut de dépôt des comptes qui lui est reproché.
M. [O] indique que le compte courant débiteur est passé de 76'691 euros de fin 2017 à 42'740 euros fin 2018 et qu'il n'est désormais que de 12'069,76 euros -somme qu'il souhaite régler- et reproche au liquidateur de n'avoir pas interrogé l'expert-comptable sur ce compte débiteur.
M. [O] annonce attendre d'importants règlements suite à des transactions conclues par une société immobilière qu'il préside et dit souhaiter tout faire pour assainir la situation de la société [4] afin d'éviter une faillite personnelle. Il affirme qu'une mesure de faillite personnelle l'empêcherait de combler le passif.
M. [O] se dit de bonne foi et soutient que l'attitude du liquidateur, informé des négligences de Monsieur [O], de la prise de conscience de celui-ci, des commissions à venir et des paiements réalisés par l'appelant en cours de procédure, lui a fait subir, par son manque de professionnalisme, un important préjudice.
Le mandataire liquidateur assigné à personne morale 4 juin 2024 n'a pas constitué avocat.
Selon avis notifié par la voie du RPVA le 1er juillet 2025, le ministère public s'en rapporte.
Les parties ont été avisées le 30 mai 2024 de la fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 2 avril 2025 et de la date prévisible de la clôture.
La clôture, prononcée le 6 mars 2025, a été repoussée au 3 septembre 2025 et l'affaire a finalement été retenue à l'audience du 10 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
La requête du mandataire, versé aux débats par le ministère public, vise les fautes de gestion suivantes':
- faits justifiant le prononcé d'une sanction civile selon le liquidateur':
.existence d'un compte courant débiteur,
.défaut d'établissement des comptes sociaux,
- faits justifiant le prononcé d'une responsabilité pour insuffisance d'actif':
.existence d'un compte courant débiteur
.défaut d'établissement des comptes sociaux.
A l'audience devant les premiers juges, le mandataire a renoncé au moyen du défaut d'établissement des comptes sociaux du fait de la régularisation de la comptabilité.
Les premiers juges ont retenu à l'encontre de M. [O] les fautes de gestion consistant dans le non dépôt des comptes annuels à compter de 2017 et le maintien d'un compte courant débiteur pendant une longue période'et que le lien de causalité entre les fautes et l'insuffisance d'actif est établi.
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif'
L'article L.651-2 du code de commerce dispose que : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »
En application du texte susvisé, pour que l'action initiée par le liquidateur es qualités puisse prospérer, il faut que soient établis :
1.une insuffisance d'actif,
2.une ou plusieurs fautes de gestion, excédant la simple négligence, imputables à Monsieur [O],
3.un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.
Sur l'insuffisance d'actif
Le liquidateur indique en son assignation que le passif déclaré s'élève à la somme de 167'464,74 euros et que l'actif est nul, ce que l'appelant ne conteste nullement.
Sur l'existence de fautes de gestion imputables à M.[O]
La procédure est orale en première instance, de sorte que le tribunal n'était plus saisi du moyen du défaut de tenue de comptabilité qui avait été abandonné par le mandataire à l'audience et qui n'est, en tout état de cause, pas suffisamment établi.
Le défaut de publication des comptes n'est quant à lui pas constitutif d'une faute de gestion en lien avec l'insuffisance d'actif et susceptible de justifier une condamnation à combler l'insuffisance d'actif.
S'agissant du maintien du compte courant débiteur, en application de l'article L.223-21 du code de commerce, «'A peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. Cette interdiction s'applique aux représentants légaux des personnes morales associées.'»
L'existence d'un'compte'courant'd'associé'débiteur, interdite par loi, constitue une'faute'de'gestion.
M. [O] ne conteste nullement l'existence de ce compte courant débiteur d'un montant de 76'691 euros au terme de l'exercice 2017. Il soutient que le compte courant qui était de 42'740 euros en 2018 est désormais de de 12'069,76 euros.
Cependant, l'attestation de la société [8] qu'il produit mentionne qu'un certain nombre de sommes «'serait à déduire'» du compte et que «'sous condition de déduction'» de ces sommes, le solde débiteur est de 12'069,76 euros.
La rédaction conditionnelle de cette attestation ne permet pas à la cour de considérer que le compte courant s'élève désormais à ce montant.
Sur le lien de causalité qui existe entre la faute commise et l'insuffisance d'actif
M. [O] justifie certes d'efforts pour régler certaines des créances de la société. Cependant le maintien d'un compte courant débiteur pendant une longue période a nécessairement appauvri la société et contribué à l'insuffisance d'actif.
Il résulte du rapport du mandataire que M. [O] est un gérant averti comme étant le dirigeant, en sus de la société liquidée, de trois sociétés ayant pour activité les transactions et les locations immobilières et pour avoir dirigé une société liquidée pour insuffisance d'actif selon jugement du 14 septembre 2010.
Compte tenu la longueur de la période pendant laquelle M. [O] a maintenu le compte courant débiteur et de son expérience, toute simple négligence de M. [O] est à écarter.
C'est donc de manière fondée que les premiers juges ont condamné M. [O] à rembourser l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 42'740 euros.
Sur la sanction civile
En application de l'article L.653-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent III du titre V du livre VI du code de commerce relatives à la faillite personnelle et aux autres mesures d'interdictions sont applicables, notamment,':
«'1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;
2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;'
(')».
L'article L653-4 du code de commerce dispose que':
«'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.'»
Enfin, en application de l'article L.653-8 du code de commerce, «'Dans les cas prévus aux'articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.»
L'existence d'un compte courant débiteur est constitutif de la faute de disposition par le dirigeant des biens propre de la société comme de ses biens propres et elle justifie le prononcé d'une mesure de faillite personnelle.
M. [O] ne saurait se dédouaner de sa responsabilité en soutenant comme il le fait que le prononcé d'une sanction civile l'empêchera de rembourser ses créanciers, moyen, qui s'il était reçu par la cour, viderait de son sens toute sanction.
Cependant, compte tenu de ce qui précède mais également du fait que n'est retenue à l'encontre de M. [O] qu'une seule faute, la cour estime justifié de prononcer en lieu et place de la mesure de faillite de M. [O] une interdiction de gérer pour une durée de 4 ans.
Le jugement querellé sera donc infirmé en ce qu'il a prononcé une faillite personnelle d'une durée de 4 ans.
Sur la demande de dommages et intérêts
Compte tenu de ce qui précède, aucune faute n'apparaît devoir être reprochée au mandataire, de sorte que M. [O] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
'
Le jugement querellé sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens.
'
M. [O] qui succombe sera condamné aux dépens d'appel.
'
Il se trouve ainsi infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles et en sera débouté.
'
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement querellé'sauf en ce qu'il a':
- prononcé à l'encontre de M. [L] [O] une mesure de faillite personnelle de 4 ans ;
Statuant à nouveau,
Prononce à l'encontre de M. [L] [O] une mesure d'interdiction de gérer de 4 ans ;
Dit qu'en application des articles L128-1 et suivants et R128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;'
Y ajoutant,
Déboute M. [L] [O] de sa demande de dommages et intérêts';
Déboute M. [L] [O] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
'
Condamne'M. [L] [O] aux dépens'd'appel.
'
LA GREFFIÈRE,''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''' LA PRÉSIDENTE,
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 30 OCTOBRE 2025
Rôle N° RG 24/04864 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BM4LP
[L] [O]
C/
SAS [5]
M LE PROCUREUR GENERAL
Copie exécutoire délivrée
le : 30 octobre 2025
à :
Me Sandra JUSTON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 26 Février 2024 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2022L01703.
APPELANT
Monsieur [L] [O],
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEES
SAS [5]
Mandat conduit par Maître [X] [D] agissant en qualité de mandataire liquidateur de la Société SASU [4] en lieu et place de Maître [L] [G] ès qualité sis, demeurant [Adresse 3]
défaillante
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL,
demeurant COUR D'APPEL - 20. [Adresse 7]
défaillant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Septembre 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre
Madame Muriel VASSAIL, Conseillère
Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère rapporteure
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Octobre 2025.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Octobre 2025,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [L] [O] est président de la SASU [4] depuis le 16 novembre 2015, la SASU [4] exerçant l'activité d'agence immobilière et transactions de biens immobiliers et fonds de commerce.
Le 4 février 2020, la SASU [4] a déclaré son état de cessation des paiements.
Par jugement en date du 6 février 2020, le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société [4] et désigné la SAS [5] ès qualités de liquidateur.
Par acte en date du 29 juin 2022, la SAS [5] a saisi le tribunal de commerce de Marseille aux fins de voir engager la responsabilité pour insuffisance d'actif de son dirigeant et obtenir le prononcé d'une mesure de faillite personnelle à son encontre.
Par décision en date du 26 février 2024, le tribunal de commerce de Marseille a':
- constaté que les fautes de gestions commises par Monsieur [L] [O] ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société [4]';
- condamné en application de l'article L 651-2 du code de commerce Monsieur [L] [O] à payer entre les mains du liquidateur ès qualités, la somme de 42.700 euros au titre de l'insuffisance d'actifs de la SASU [4]';
- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile';
- prononcé à l'encontre de Monsieur [L] [O] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 4 ans, à compter de ce jour';
- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du jugement';
- ordonné la publicité légale en pareille matière';
- dit qu'en application des articles L 628-1 et suivants, et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer';
- rejeté tous surplus des demandes comme non fondées et non justifiées';
- dit les dépens de la présente, toutes taxes comprises, en frais privilégiés de la procédure collective.
M. [O] a interjeté appel de la décision par déclaration en date du 15 avril 2024.
Selon conclusions notifiées le 28 juin 2024, M. [O] demande à la cour de':
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 26 février 2024 en ce qu'il a:
- condamné en application de l'article L 651-2 du code de commerce Monsieur [L] [O] à payer entre les mains du liquidateur ès qualités, la somme de 42.700 euros au titre de l'insuffisance d'actifs de la SASU [4]';
- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile';
- prononcé à l'encontre de Monsieur [L] [O] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 4 ans, à compter de ce jour';
- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du jugement';
- ordonné la publicité légale en pareille matière';
- dit qu'en application des articles L 628-1 et suivants, et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer';
- rejeté tous surplus des demandes comme non fondées et non justifiées';
- dit les dépens de la présente, toutes taxes comprises, en frais privilégiés de la procédure collective;
Statuant de nouveau,
Juger que Monsieur [O] n'a commis aucune faute de gestion ayant entraîné une insuffisance d'actif';
Juger que Monsieur [O] n'a fait preuve que de négligence ne pouvant ainsi entraîner quelque condamnation que ce soit';
Juger que Monsieur [O] a d'ores et déjà remboursé 65 % du solde débiteur de son compte courant et que seuls des délais lui sont nécessaires pour régler le solde';
Dire que la mesure de faillite personnelle et ainsi interdiction de gérer rendent impossible le remboursement du solde du compte débiteur';
Dire qu'il n'y a pas lieu à sanctions personnelles à l'encontre de Monsieur [L] [O] en l'état de seules négligences de sa part';
Condamner la SAS [5] au paiement au profit de Monsieur [L] [O] de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis';
Condamner la SAS [5] au paiement au profit de Monsieur [L] [O] de la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamner la SAS [5] aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, M. [O] affirme que le liquidateur n'a pas tenté de sauver la situation alors qu'il était informé de la situation comptable à venir de la société et qu'il allait être en mesure de rembourser l'intégralité de son compte courant.
Il soutient que le défaut prétendu de tenue de comptabilité résulte d'une simple négligence de sa part en raison de problèmes personnels (divorce douloureux, problèmes de santé en découlant) et en aucun cas d'une volonté de cacher la réalité de sa comptabilité et souligne que les premiers juges ont admis cette absence de faute. Il fait valoir l'abandon du grief de l'absence de tenue de comptabilité par le liquidateur à l'audience et la remise de la comptabilité.
Il explique également par la négligence le défaut de dépôt des comptes qui lui est reproché.
M. [O] indique que le compte courant débiteur est passé de 76'691 euros de fin 2017 à 42'740 euros fin 2018 et qu'il n'est désormais que de 12'069,76 euros -somme qu'il souhaite régler- et reproche au liquidateur de n'avoir pas interrogé l'expert-comptable sur ce compte débiteur.
M. [O] annonce attendre d'importants règlements suite à des transactions conclues par une société immobilière qu'il préside et dit souhaiter tout faire pour assainir la situation de la société [4] afin d'éviter une faillite personnelle. Il affirme qu'une mesure de faillite personnelle l'empêcherait de combler le passif.
M. [O] se dit de bonne foi et soutient que l'attitude du liquidateur, informé des négligences de Monsieur [O], de la prise de conscience de celui-ci, des commissions à venir et des paiements réalisés par l'appelant en cours de procédure, lui a fait subir, par son manque de professionnalisme, un important préjudice.
Le mandataire liquidateur assigné à personne morale 4 juin 2024 n'a pas constitué avocat.
Selon avis notifié par la voie du RPVA le 1er juillet 2025, le ministère public s'en rapporte.
Les parties ont été avisées le 30 mai 2024 de la fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 2 avril 2025 et de la date prévisible de la clôture.
La clôture, prononcée le 6 mars 2025, a été repoussée au 3 septembre 2025 et l'affaire a finalement été retenue à l'audience du 10 septembre 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
La requête du mandataire, versé aux débats par le ministère public, vise les fautes de gestion suivantes':
- faits justifiant le prononcé d'une sanction civile selon le liquidateur':
.existence d'un compte courant débiteur,
.défaut d'établissement des comptes sociaux,
- faits justifiant le prononcé d'une responsabilité pour insuffisance d'actif':
.existence d'un compte courant débiteur
.défaut d'établissement des comptes sociaux.
A l'audience devant les premiers juges, le mandataire a renoncé au moyen du défaut d'établissement des comptes sociaux du fait de la régularisation de la comptabilité.
Les premiers juges ont retenu à l'encontre de M. [O] les fautes de gestion consistant dans le non dépôt des comptes annuels à compter de 2017 et le maintien d'un compte courant débiteur pendant une longue période'et que le lien de causalité entre les fautes et l'insuffisance d'actif est établi.
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif'
L'article L.651-2 du code de commerce dispose que : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »
En application du texte susvisé, pour que l'action initiée par le liquidateur es qualités puisse prospérer, il faut que soient établis :
1.une insuffisance d'actif,
2.une ou plusieurs fautes de gestion, excédant la simple négligence, imputables à Monsieur [O],
3.un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.
Sur l'insuffisance d'actif
Le liquidateur indique en son assignation que le passif déclaré s'élève à la somme de 167'464,74 euros et que l'actif est nul, ce que l'appelant ne conteste nullement.
Sur l'existence de fautes de gestion imputables à M.[O]
La procédure est orale en première instance, de sorte que le tribunal n'était plus saisi du moyen du défaut de tenue de comptabilité qui avait été abandonné par le mandataire à l'audience et qui n'est, en tout état de cause, pas suffisamment établi.
Le défaut de publication des comptes n'est quant à lui pas constitutif d'une faute de gestion en lien avec l'insuffisance d'actif et susceptible de justifier une condamnation à combler l'insuffisance d'actif.
S'agissant du maintien du compte courant débiteur, en application de l'article L.223-21 du code de commerce, «'A peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. Cette interdiction s'applique aux représentants légaux des personnes morales associées.'»
L'existence d'un'compte'courant'd'associé'débiteur, interdite par loi, constitue une'faute'de'gestion.
M. [O] ne conteste nullement l'existence de ce compte courant débiteur d'un montant de 76'691 euros au terme de l'exercice 2017. Il soutient que le compte courant qui était de 42'740 euros en 2018 est désormais de de 12'069,76 euros.
Cependant, l'attestation de la société [8] qu'il produit mentionne qu'un certain nombre de sommes «'serait à déduire'» du compte et que «'sous condition de déduction'» de ces sommes, le solde débiteur est de 12'069,76 euros.
La rédaction conditionnelle de cette attestation ne permet pas à la cour de considérer que le compte courant s'élève désormais à ce montant.
Sur le lien de causalité qui existe entre la faute commise et l'insuffisance d'actif
M. [O] justifie certes d'efforts pour régler certaines des créances de la société. Cependant le maintien d'un compte courant débiteur pendant une longue période a nécessairement appauvri la société et contribué à l'insuffisance d'actif.
Il résulte du rapport du mandataire que M. [O] est un gérant averti comme étant le dirigeant, en sus de la société liquidée, de trois sociétés ayant pour activité les transactions et les locations immobilières et pour avoir dirigé une société liquidée pour insuffisance d'actif selon jugement du 14 septembre 2010.
Compte tenu la longueur de la période pendant laquelle M. [O] a maintenu le compte courant débiteur et de son expérience, toute simple négligence de M. [O] est à écarter.
C'est donc de manière fondée que les premiers juges ont condamné M. [O] à rembourser l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 42'740 euros.
Sur la sanction civile
En application de l'article L.653-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent III du titre V du livre VI du code de commerce relatives à la faillite personnelle et aux autres mesures d'interdictions sont applicables, notamment,':
«'1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;
2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;'
(')».
L'article L653-4 du code de commerce dispose que':
«'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.'»
Enfin, en application de l'article L.653-8 du code de commerce, «'Dans les cas prévus aux'articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.»
L'existence d'un compte courant débiteur est constitutif de la faute de disposition par le dirigeant des biens propre de la société comme de ses biens propres et elle justifie le prononcé d'une mesure de faillite personnelle.
M. [O] ne saurait se dédouaner de sa responsabilité en soutenant comme il le fait que le prononcé d'une sanction civile l'empêchera de rembourser ses créanciers, moyen, qui s'il était reçu par la cour, viderait de son sens toute sanction.
Cependant, compte tenu de ce qui précède mais également du fait que n'est retenue à l'encontre de M. [O] qu'une seule faute, la cour estime justifié de prononcer en lieu et place de la mesure de faillite de M. [O] une interdiction de gérer pour une durée de 4 ans.
Le jugement querellé sera donc infirmé en ce qu'il a prononcé une faillite personnelle d'une durée de 4 ans.
Sur la demande de dommages et intérêts
Compte tenu de ce qui précède, aucune faute n'apparaît devoir être reprochée au mandataire, de sorte que M. [O] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
'
Le jugement querellé sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens.
'
M. [O] qui succombe sera condamné aux dépens d'appel.
'
Il se trouve ainsi infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles et en sera débouté.
'
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement querellé'sauf en ce qu'il a':
- prononcé à l'encontre de M. [L] [O] une mesure de faillite personnelle de 4 ans ;
Statuant à nouveau,
Prononce à l'encontre de M. [L] [O] une mesure d'interdiction de gérer de 4 ans ;
Dit qu'en application des articles L128-1 et suivants et R128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;'
Y ajoutant,
Déboute M. [L] [O] de sa demande de dommages et intérêts';
Déboute M. [L] [O] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
'
Condamne'M. [L] [O] aux dépens'd'appel.
'
LA GREFFIÈRE,''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''' LA PRÉSIDENTE,