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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 30 octobre 2025, n° 24/11517

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Miquel

Avocats :

Me Badie, Me Nardini, Me Garay

T. com. Fréjus, du 9 sept. 2024, n° 2023…

9 septembre 2024

EXPOSE DU LITIGE

La Sarl [4] créée en juin 2014 avait pour activité le commerce de gros de vêtements et accessoires. Elle avait pour gérant et associé unique, M. [O] [W].

Elle a été placée en liquidation judiciaire le 12 septembre 2022, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 12 mars 2021.

Sur assignation de la Selarl [C] Constant agissant en qualité de liquidateur judiciaire, le tribunal de commerce de Fréjus, par jugement rendu le 9 septembre 2024 (n°2023 003729), a notamment :

- retenu la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [O] [W] au titre des fautes de gestion commises ayant contribué à l'insuffisance d'actif,

- dit que Monsieur [W] doit supporter personnellement les dettes de la SARL [4] à hauteur de 41'200 euros,

- en conséquence, condamné M. [W] [O] à payer la somme de 41'200 euros entre les mains de Me [I] [C] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [4],

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,

- condamné Monsieur [O] [W] à payer à Maître [I] [C] ès qualités la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [O] [W] en tous les dépens, les frais de justice devant être payés par priorité sur les sommes versées pour combler le passif dont ceux à recouvrer par le greffe.

Pour se déterminer, le tribunal a retenu une insuffisance d'actif arrêtée à la somme de 41 200,47 euros et retenu à l'encontre de M. [O] [W] les fautes de gestion suivantes':

- avoir disposé de la trésorerie de la Sarl [4] alors qu'elle n'avait aucune activité et qu'elle était en état de cessation des paiements,

- avoir poursuivi volontairement une activité déficitaire dans la seule intention de disposer de la trésorerie à des fins personnelles.

M. [O] [W] a fait appel de ce jugement le 9 septembre 2024.

Par conclusions déposées et signifiées le 10 décembre 2024, M. [O] [W] demande à la cour:

- d'infirmer le jugement dont appel,

Statuant à nouveau,

- de débouter la Selarl [C]-Constant prise en la personne de Me [I] [C] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [4] de l'intégralité de ses demandes,

- de la condamner ès qualités aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions d'intimée déposées et notifiées le 12 décembre 2024, la Selarl [C] Constant ès qualités demande à la cour de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Fréjus le 9 septembre 2024 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- dire et juger que [O] [W] a commis des fautes de gestion ayant conduit à l'insuffisance d'actif de la SARL [4],

- condamner M. [O] [W] à payer à la Selarl [C]-Constant ès qualités au paiement de la somme de 41 200 euros, au titre de l'insuffisance d'actif,

- condamner M. [O] [W] à payer à la Selarl [C]-Constant ès qualités la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [O] [W] aux entiers dépens.

Aux termes d'un avis déposé le 2 juillet 2025, le ministère public déclare s'en rapporter à la décision de la cour.

Par avis du 10 octobre 2024 adressé à l'appelant, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 3 septembre 2025, avec indication de la date prévisible de la clôture. La clôture a été prononcée le 3 juillet 2025.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

MOTIFS DE LA DECISION

Il résulte des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce que le tribunal peut condamner à supporter l'insuffisance d'actif d'une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d'une faute de gestion, qui excède la simple négligence, commise antérieurement au jugement d'ouverture, ayant contribué à cette insuffisance d'actif.

En application du texte susvisé, pour que l'action initiée par le liquidateur judiciaire puisse prospérer il faut que soient établis :

1. une insuffisance d'actif

2. une ou plusieurs fautes de gestion, excédant la simple négligence, imputables au dirigeant

3. un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif

L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne nécessite pas que le passif ni l'actif aient été vérifiés, ni même entièrement chiffrés, mais seulement que l'insuffisance d'actif soit certaine à la date de l'engagement de l'action en responsabilité à l'encontre du dirigeant de la personne morale.

Le dirigeant peut être déclaré responsable même si la faute de gestion n'est qu'une des causes de l'insuffisance d'actif et il en est de même si la faute n'est à l'origine que de l'une des parties des dettes de la société.

M. [O] [W], après avoir exposé les causes à l'origine des difficultés de la Sarl [4], soutient avoir tenté de redresser la situation de la société fortement impactée par la crise du textile et la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid 19, mais qu'en dépit de ses efforts, il a été contraint de déposer le bilan à la suite du retrait de ses partenaires du projet de mise en place d'une nouvelle activité de création de parfums.

Il invoque l'absence de motivation du jugement d'ouverture en ce qui concerne la date de l'état de cessation des paiements retenue'; la seule créance déclarée au passif n'était pas exigible s'agissant d'un prêt dont le paiement était différé à la date du 12 mars 2021 retenue par le tribunal, la cessation des paiements n'étant alors pas caractérisée. Il reproche en outre au tribunal d'avoir estimé que la société [4] n'avait plus d'activité en 2022, ce qui est inexact selon lui puisqu'elle avait pour projet de reconvertir son activité dans la création de parfums et avait mis à profit l'année 2022 pour lancer cette activité, ce qui avait engendré des dépenses et un travail important en ce qui le concerne. La poursuite de l'activité n'a pas été motivée par des intérêts personnels du dirigeant mais par la nécessité de trouver une alternative viable au secteur du commerce de l'habillement en crise depuis plusieurs années.

Il conteste le grief d'abus de bien social à défaut d'établir l'existence d'une fraude et soutient que les virements effectués correspondent aux fonds qu'il avait injectés dans la société, fonds qu'il avait personnellement empruntés et qu'il continue à rembourser à ce jour, devant lui-même faire face a des charges personnelles de la vie courante puisqu'il ne percevait plus aucun salaire ni rémunération.

Son compte courant associé arrêté au mois de juillet 2022 présentait un solde créditeur de 18'110,13 euros. Or il n'a déclaré aucune créance de compte-courant au passif de la société qu'il a dirigée.

Il soutient que la comptabilité était complète et régulière et tenue par un expert-comptable jusqu'à la veille de la déclaration de cessation des paiements.

Il estime particulièrement sévère la sanction infligée par le tribunal compte tenu du contexte factuel et des efforts qu'il a accomplis pour maintenir l'activité de l'entreprise dans un secteur en grande difficulté économique.

Concernant la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, il s'agit d'une simple négligence de sa part insusceptible d'engager sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif.

Enfin il fait état de difficultés personnelles et de santé et souligne que cette condamnation viendrait affecter encore plus ses conditions de vie et de santé.

La Selarl [C]-Constant, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées au RPVA le 19 décembre 2024, sollicite la confirmation du jugement critiqué en toutes ses dispositions'et en conséquence'de :

- dire et juger que M. [O] [W] a commis des fautes de gestion ayant conduit à l' insuffisance d'actif de la Sarl [4]';

- condamner M. [O] [W] à payer à la Selarl [C]-Constant ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [4] la somme de 41 200 euros au titre de l' insuffisance d'actif';

- condamner M. [O] [W] à payer à la Selarl [C]-Constant ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamner M. [O] [W] aux dépens.

La partie intimée soutient qu'au cours des opérations de liquidation judiciaire elle s'est aperçue que M. [O] [W] avait disposé de la trésorerie de la société constituée exclusivement du PGE et d'aides versées par l'État, alors qu'elle n'avait aucune activité et qu'elle se trouvait en état de cessation des paiements'; que le liquidateur judiciaire a été contraint d'adresser une mise en demeure à M. [O] [W] le 29 juin 2023 afin qu'il restitue cette somme, restée vaine.

L'insuffisance d'actif s'élève à 41 200,47 euros.

Elle reproche à M. [O] [W] plusieurs fautes de gestion tenant':

- en l'absence de tenue de comptabilité à partir du 30 septembre 2021, alors que la déclaration de cessation des paiements n'a été déposée seulement que le 4 août 2022,

- la poursuite d'une activité déficitaire durant l'année 2021 dans la seule intention de ponctionner la trésorerie de l'entreprise, à des fins personnelles'; le compte courant d'associé de M. [O] [W] était négatif au 28 septembre 2021 à hauteur de 67 485,42 euros,

- la tenue irrégulière de la comptabilité en 2021, s'agissant d'une écriture comptable «'ODR'» à la date du 30 septembre 2021 destinée à annuler le solde débiteur de son compte courant associé, et ne correspondant pas à un remboursement effectif, M. [O] [W] ne justifiant pas d'un apport de fonds à la société.

- l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements n'est pas une simple négligence de M. [O] [W], la poursuite de l'activité déficitaire pendant un an ayant permis à M. [O] [W] comme à son épouse de prélever des fonds depuis la trésorerie de la société, constitués par le PGE,

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions respectives .

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l' insuffisance d'actif

Il résulte des éléments versés aux débats que l' insuffisance d'actif s'établit à la différence entre l'actif réalisé et le passif déclaré.

Selon le liquidateur judiciaire l'actif étant de 1 014 euros et le passif de 42 214,47 euros, montants non remis en cause par l'appelant, l' insuffisance d'actif s'élève à 41 200,47 euros.

Sur les fautes de gestion et le lien de causalité avec l' insuffisance d'actif

Concernant le grief tiré de l'absence de tenue d'une comptabilité régulière à compter du 1er octobre 2021 invoquée par le liquidateur judiciaire qui excipe, en outre, de l'irrégularité d'une écriture comptable «'ODR'» à la date du 30 septembre 2021 destinée à annuler le solde débiteur du compte courant associé et ne correspondant pas à un remboursement effectif, M. [O] [W] n'ayant pas justifié des apports de fonds à la société, ce grief n'est pas établi au vu des justificatifs produits par l'appelant.

Ce dernier justifie en effet aux débats avoir contracté un prêt hypothécaire personnel de 130 000 euros le 23 février 2018 et en avoir fait apport le 28 février 2018 à hauteur de 100 000 euros, ainsi qu'en atteste le relevé du compte de la Sarl [4] ouvert à la banque [6] (sa pièce n°7).

Par ailleurs, la comptabilité de la société [4] ayant été tenue par un expert comptable jusqu'au dépôt de bilan, ainsi qu'il ressort des frais de comptable inscrits en comptabilité et des factures produites (pièces n°11 et 12) il n'est pas démontré en quoi l'écriture «'ODR'» passée en comptabilité serait frauduleuse et aurait masqué le solde débiteur du compte courant d'associé lequel était créditeur de plus de 18 000 euros à la date de la déclaration de cessation des paiements.

En revanche, en dépit des critiques de l'appelant concernant le jugement du tribunal de commerce du 12 septembre 2022 qui a fixé la date de cessation des paiements de la société [4] au 12 mars 2021, cette décision est définitive et faute d'en avoir demandé la modification conformément à l'alinéa 4 de l'article L631-8 du code de commerce, celle-ci ne peut plus être remise en question.

Alors que la société [4] rencontrait d'importantes difficultés à compter de mars 2021 et n'avait quasiment plus d'activité durant l'année 2022 ainsi qu'il appert de l'examen des relevés de compte bancaire et du grand livre général produit (pièces n° 9 et 8 de l'intimé) -ce qui n'est au demeurant pas contesté- et que les principales rentrées de fonds n'étaient constituées, outre les remboursements de TVA, que des versements provenant d'un PGE, totalisant 48 390 euros (9 060 euros le 2 mars 2021, 9 160 euros le 15 juin 2021, 9050 euros virés le 23 avril 2021, 9050 euros virés le 11 mai 2021, 9 050 euros, le 15 juin 2021, 3 020 euros le 22 juillet 2021 ), il appert de l'examen du compte bancaire de la société [4] que sa trésorerie a été ponctionnée par M. [W] pour une somme totalisant 40 700 euros, soit':

- 20 000 euros le 10 février 2021, 5 000 euros le 28 mai 2021, 4 000 euros le 18 juin 2021 au profit de M. [W]

- 6 700 euros retirés en espèces le 16 avril 2021 et 2 500 euros retirés le 26 juillet 2021, dont l'emploi n'est pas justifié.

- 2 500 euros virés sur le compte courant de M. [W]

- 2 500 euros virés le 30 juillet 2021sur le compte de Mme [V] [W]

Il en résulte que sur les fonds issus du PGE, seule une somme d'un peu plus de 7 600 euros a été utilisée pour les besoins de la société [4] et le projet de développement d'une nouvelle activité de vente de parfums sur site internet, dont les premières ébauches remontent au mois de février 2022 (sa pièce n°16), soit quatre mois avant le dépôt de la déclaration de cessation des paiements.

Or, le dirigeant qui prélève la trésorerie de l'entreprise pour se rembourser une partie du compte courant associé, alors que la pérennité financière de l'entreprise est compromise par l'absence de chiffre d'affaire (365 euros au 30 septembre 2021) et l'absence de perspective de poursuite de l'activité, commet une faute de gestion. Ces prélèvements ont été effectués de surcroît pendant la période suspecte et ont privé la société de sa trésorerie qui lui aurait permis d'apurer l'intégralité de son passif.

Le délai écoulé entre le dépôt de la déclaration de cessation des paiements le 30 juin 2022 et la date de cessation des paiements retenue par le tribunal, soit plus de 16 mois, apparaît manifestement anomal, étant relevé que dès mars 2021, la société rencontrait d'importantes difficultés liées à la défaillance de son principal fournisseur et que l'activité de vente de vêtements a été quasi inexistante dès la fin 2021. Il ressort en outre qu'en fin d'année 2021, le caractère déficitaire de l'activité ne pouvait qu'être évident alors que le résultat du précédent exercice était en forte baisse'(cf pièce n°9 de l'appelant) :

- 30 septembre 2019': 173 615 euros

- 30 septembre 2020': 3 376 euros

- 30 septembre 2021': - 64 789 euros

Dès lors, M. [O] [W] a délibérément poursuivi une activité déficitaire ayant conduit la Sarl [4] à la liquidation judiciaire, dans le but de percevoir le PGE dont une très large part a été détournée des besoins de l'entreprise pour satisfaire les seuls besoins de M. [W] et de son épouse et il est manifeste, dans ces circonstances, que le retard apporté dans la déclaration de cessation des paiements a été essentiellement motivé par la perception du PGE.

Ces fautes de gestion ont été directement à l'origine de l'insuffisance d'actif. Néanmoins, pour tenir compte de l'état de santé défaillant de M. [O] [W] dont il a justifié la réalité, en ce qu'il a pu constituer un frein à son investissement dans la direction de l'entreprise et compte tenu par ailleurs d'un contexte économique défavorable, aggravé par la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid 19, il y a lieu de limiter sa contribution à l'insuffisance d'actif en application de l'article L652-1 du code de commerce, à la somme de 20 000 euros, ce montant étant proportionné à la situation personnelle de M. [O] [W] et à la gravité des manquements commis.

Sur les demandes accessoires,

M. [O] [W] succombant sera condamné aux dépens d'appel et se trouve ainsi infondé en ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera alloué à la Selarl [C]-Constant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl [4], une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Fréjus en date du 9 septembre 2024 en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant de l'insuffisance d'actif retenu'qui donnera lieu à infirmation';

Statuant à nouveau du seul chef infirmé et ajoutant,

Condamne M. [O] [W] à payer à la Selarl [C]-Constant prise en qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl [4] la somme de 20 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif en application de l'article L651-2 du code de commerce';

Déboute M. [O] [W] de ses demandes';

Condamne M. [O] [W] à payer à la Selarl [C]-Constant ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [4], la somme de 20 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la Sarl [4]';

Condamne M. [O] [W] à payer à la Selarl [C]-Constant ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl [4] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamne M. [O] [W] aux entiers dépens d'appel.

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