Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 29 octobre 2025, n° 24/17993

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/17993

29 octobre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2025

ARRÊT SUR COMPÉTENCE

(n° , 9 pages)

Numéros d'inscription au répertoire général : N° RG 24/17993 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKICZ et N° RG 24/18821 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKKTW

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 24 Octobre 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème section- RG n° 23/06011

APPELANTE

S.A. N26 BANK AG, anciennement dénommée N26 BANK GMBH) société anonyme de droit allemand immatriculée sous le numéro HRB 241766 B

[Adresse 7]

[Localité 1] (Allemagne)

agissant poursuites et diligences par on représentant léga en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de Paris, toque : D1119

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Fabrice BRUN de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, substitué àl'audience par Me Armand PATRITOT de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau des Hauts-de-Seine

INTIMÉS

Monsieur [G] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]

non constitué dans le dossier RG 24/17993 (signification de l'assignation à comparaitre en date du 5 décembre 2024 - procès-verbal de remise à personne en date du 5 décembre 2024)

Représenté par Me Julie BARIANI, avocat au barreau de Paris, toque : B692 dans le dossier RG 24/18821

BANCO SANTANDER, société de droit espagnol immatriculée au registre mercantile des sociétés de Santander à la feuille S-1960 Toe 448 Folio 1

[Adresse 6]

[Localité 3] (Espagne)

agissant pourusites et diligences de son président domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Anne-Dorothée DE BERNIS de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocat au barreau de Paris, toque : P0298

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Septembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Vincent BRAUD, président de chambre

Mme Valérie CHAMP, présidente de chambre

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Valérie CHAMP dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par exploits des 12 et 13 mai 2023, M. [J] a assigné la société de droit allemand N26 Bank AG et la société de droit espagnol Banco Santander aux fins notamment d'obtenir, l'indemnisation de ses préjudices, considérant que ces dernières avaient, en leur qualité de banque teneuse de compte et de banque réceptrice, manqué à leur devoir de vigilance.

M. [J] expose avoir été contacté au mois de juin 2018 par une personne se présentant comme conseiller financier de la société TVT Partners lui proposant d'opérer des investissements à capital garanti et rendement élevé, avoir procédé entre le 23 mars et le 11 juillet 2019 à treize virements pour une somme totale de 125 000 euros depuis son compte ouvert dans les livres de la société N26 Bank AG vers ceux tenus par la société Banco Santander, que, ne parvenant pas à récupérer les sommes investies, il a déposé plainte le 13 novembre 2019, puis a mis en demeure, le 4 février 2022, ces sociétés d'avoir à lui restituer la somme totale objet des virements litigieux.

La société Banco Santander a régularisé devant le juge de la mise en état des conclusions d'incident in limine litis soulevant une exception d'incompétence territoriale au profit des juridictions espagnoles et une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en application du droit espagnol. La société N26 Bank AG a, quant à elle, régularisé des conclusions d'incident soulevant une exception d'incompétence au profit des juridictions allemandes ou du tribunal judiciaire de Coutances, au choix du demandeur.

Par ordonnance contradictoire du 24 octobre 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

' Rejeté les exceptions d'incompétence soulevées ;

' Déclaré M. [J] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Banco Santander ;

' Rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamné M. [J] aux dépens de l'incident.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 4 novembre 2024, la société N26 Bank AG a interjeté appel de cette décision contre M. [J] et la société Banco Santander.

Par ordonnance du délégué du premier président de la cour d'appel de Paris du 14 novembre 2024, celle-ci a été autorisée à assigner M. [J] et la société Banco Santander pour l'audience du 15 septembre 2025.

Par exploits des 26 novembre et 5 décembre 2024, la société N26 Bank AG a assigné la société Banco Santander et M. [J].

Par déclaration remise au greffe de la cour le 6 novembre 2024, M. [J] a interjeté appel de cette décision contre les sociétés N26 Bank AG et Banco Santander.

La société Banco Santander s'est constituée dans les deux procédures d'appel et a sollicité leur jonction, à laquelle la société N26 Bank AG ne s'est pas opposée. M. [J] a également sollicité la jonction.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 4 novembre 2024 dans la procédure RG n°24/17993, la société N26 Bank AG demande à la cour, de :

- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 24 octobre 2024 en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la N26 Bank AG et débouté la N26 Bank AG de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau :

- prononcer l'incompétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître des demandes formées par M. [J] à son encontre, au profit des juridictions allemandes compétentes ou du tribunal judiciaire de Coutances, au choix du demandeur,

- débouter M. [J] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [J] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 février 2025, la société Banco Santander demande à la cour, de :

- lui donner acte qu'elle s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur la recevabilité et le bien-fondé de l'appel formé par la société N26 Bank AG.

M. [J] n'a pas constitué avocat.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 21 décembre 2024 dans la procédure RG n°24/18821, M. [J] demande à la cour, de :

- infirmer l'ordonnance rendue le 24 octobre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes de M. [J] à l'égard de la société Banco Santander et l'a condamné aux dépens de l'incident,

Et statuant à nouveau :

- déclarer le droit français comme applicable à l'action en responsabilité engagée par M. [J] à l'encontre de la société Banco Santander,

- le recevoir en ses demandes à l'encontre de la société Banco Santander,

- condamner la société Banco Santander à lui payer la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 10 février 2025, la société Banco Santander demande à la cour, de :

- confirmer l'ordonnance rendue le 24 octobre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes de M. [J] à l'égard de la société Banco Santander et a condamné M. [J] aux dépens de l'incident,

En tout état de cause,

- condamner M. [J] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens,

- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, notamment au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé à l'ordonnance déférée et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Les parties visant l'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), mais développant des moyens au seul visa de l'article 4, § 1, suivant bulletin du 16 septembre 2025, il a été sollicité leurs observations sur une application éventuelle de la règle dérogatoire énoncée à l'article 4, § 3, la cour d'appel envisageant d'examiner également ce dernier point.

M. [J] et la société Banco Santander ont fait valoir leurs observations par voie électronique le 22 septembre 2025.

MOTIFS

Sur la compétence juridictionnelle en matière contractuelle

La société N26 Bank AG fait valoir qu'en application de l'article 4 du règlement Bruxelles

I bis le lieu du domicile du défendeur constitue la règle de compétence générale de détermination de la juridiction territorialement compétente, que toutefois l'article 17 dudit règlement dispose que la section 4 du chapitre I, portant sur la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs, a vocation à s'appliquer aux litiges entre :

- d'une part, un consommateur ayant contracté pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ; et

- d'autre part, une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, si le contrat entre dans le cadre de ces activités,

qu'enfin l'article 18 énonce en son premier alinéa que l'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée :

- soit devant les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie,

- soit, quel que soit le domicile de l'autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié, de sorte que l'existence d'un contrat de prestations de services bancaires conclu entre la société N26 Bank AG et M. [J], ainsi que sa qualité de consommateur n'étant pas contestées, celui-ci disposait d'une option de compétence et pouvait saisir, au choix soit la juridiction allemande où est domiciliée la société N26 Bank AG, soit la juridiction de [Localité 5] où se situe son propre domicile.

Elle ajoute que l'article 63, premièrement, du règlement dispose que pour l'application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé :

a) Leur siège statutaire ;

b) Leur administration centrale ; ou

c) Leur principal établissement. ['] »

et que chacun de ces critères rattache sa domiciliation à l'Allemagne, dès lors que son siège statutaire s'y trouve, que le lieu de l'administration centrale d'une société est présumé être celui de son siège statutaire, présomption, qui ne peut être renversée dans l'hypothèse où les organes de direction et de contrôle d'une société se trouvent au lieu de son siège statutaire et que les décisions de gestion de cette société sont prises en ce lieu, qu'enfin son principal établissement se trouve en son siège statutaire allemand. Elle précise qu'elle ne saurait être présumée domiciliée en France au simple motif que l'un de ses établissements secondaires, dépourvu de la personnalité morale, se trouverait en France et souligne, d'une part, que M. [J] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que le lieu où existent et fonctionnent effectivement et de manière stable ses organes de direction, ses services administratifs, techniques et financiers, où se concentrent les manifestations principales de son existence juridique se trouverait en France, d'autre part, que la preuve de l'existence d'un établissement principal ne peut résulter du fait que sa succursale française a un représentant permanent, disposant de divers pouvoirs de représentation en France.

La société Banco Santander expose s'en rapporter à justice concernant l'exception d'incompétence territoriale, puisque les demandes formées à son égard ont été jugées prescrites et qu'elle sollicite la confirmation de la décision du juge de la mise en état sur ce point.

L'ordonnance frappée d'appel n'est pas critiquée en ce qu'elle statue sur la compétence par application du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I Bis).

Aux termes de l'article 4, § 1, du chapitre II Compétence dudit règlement, sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

L'article 63 § 1 du règlement B I bis dispose :

'1. Pour l'application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé

a) leur siège statutaire;

b) leur administration centrale; ou

c) leur principal établissement.'

La Cour de cassation a jugé que prive sa décision de base légale, au regard des articles 2 et 60 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I [devenus 2 et 63 de B I bis], applicable en l'absence de règles de compétence territoriale dans le règlement n° 261/2004, une cour d'appel qui retient que ce règlement s'applique à la société Air Canada dès lors qu'elle est domiciliée en France comme étant immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris pour un établissement principal situé à Paris, auquel sont rattachés de nombreux salariés, sous la responsabilité d'un directeur Air Canada France ayant pouvoir d'engager juridiquement la société, motifs impropres à établir que le principal établissement de cette société est situé en France (1re Civ., 22 février 2017, pourvoi n° 15-27.809, Bull. 2017, I, n° 46).

Elle a par suite précisé qu'un moyen, qui invoque la notion de succursale, étrangère à l'application de l'article 63, § 1, du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (Bruxelles I bis), est inopérant (1re Civ., 9 novembre 2022, pourvoi n° 21-11.304, publié).

La société N26 Bank AG, qui a son siège à Berlin en Allemagne, conclut à la compétence des juridictions allemandes ou du tribunal judiciaire de Coutances, au choix du demandeur.

Aux termes de l'article 5, § 1, de ce chapitre, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d'un autre État membre qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.

M. [J] s'est prévalu devant le juge de la mise en état de la compétence du tribunal judiciaire de Paris, subsidiairement de celle du tribunal judiciaire de Coutances, pour connaître de ses demandes dirigées contre la société N26 Bank AG.

Aux termes de l'article 7, § 1, du règlement Bruxelles I Bis, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est (...) pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.

Aux termes de l'article 8, § 1, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Aux termes de l'article 17, § 1, c), en matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6 et de l'article 7, point 5), lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

Aux termes de l'article 18, l'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l'autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié.

Dans le cas présent, la société N26 Bank AG ayant soulevé l'incompétence du tribunal judiciaire de Paris au profit des juridictions allemandes ou du tribunal judiciaire de Coutances, au choix du demandeur et les parties s'accordant tant sur le fait que celui-ci a la qualité de consommateur, qu'il est domicilé à Coutances et qu'il a sollicité en première instance à titre subsidiaire la compétence du tribunal judiciaire de Coutances, la compétence du tribunal judiciaire de Paris à l'égard de la société N26 Bank AG sera, en conséquence, écartée au profit du tribunal judiciaire de Coutances.

Il n'y a, dès lors, pas lieu de se prononcer sur la démonstration par M. [J] de l'existence du principal établissement de la société N26 Bank AG en France en application de l'article 63 dudit règlement.

Sur la loi applicable en matière délictuelle

M.[J] fait valoir qu'en application du droit français aucune prescription ne peut être retenue au visa de l'article 2224 du code civil prévoyant un délai de prescription de cinq ans et, qu'en application du droit européen, en particulier de l'article 4 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), la loi applicable est celle du pays où le dommage survient, soit en France, lieu de départ des fonds.

En réponse à la note en délibéré sollicitée, il expose que le principe énoncé à l'article 4, § 1 du règlement tend à garantir la sécurité et la protection des victimes en assurant que le dommage subi par celle-ci soit régi par la loi du lieu où il se matérialise, même si le fait générateur est localisé dans un autre pays, que l'article 4, § 3 constitue une règle dérogatoire et qu'il justifie en tout état de cause que les circonstances de l'espèce présentent des liens manifestement plus étroits avec la France, dès lors qu'il est français, réside en France, que l'infraction a été commise via un site internet accessible en France, que le contrat a été conclu à distance en France, que l'exécution des ordres de virement a été réalisée par son établissement bancaire en France et qu'il a déposé plainte en France.

La société Banco Santander avance que l'article 4 § 1 de ce règlement dispose que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, que cet article doit être interprété au regard du considérant 17 précisant qu'il convient de déterminer la loi applicable en fonction du lieu où le dommage survient, indépendamment du ou des pays où pourraient survenir des conséquences indirectes, ainsi que du considérant 7, qui précise que le champ d'application matériel et les dispositions du présent règlement doivent être interprétés en cohérence avec le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I) et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles, de sorte que la notion de 'lieu où le dommage survient' visé à l'article 4 § 1 doit être entendue en cohérence avec la notion de ' lieu où le dommage/le fait dommageable s'est produit' utilisée au sein de l'article 7 du règlement Bruxelles I Bis et de la jurisprudence subséquente interprétant ses dispositions. Elle souligne que contrairement à ce que soutient M. [J], la notion de lieu où le dommage s'est produit, telle qu'interprétée par les jurisprudences européenne et nationale ne se confond pas avec le lieu du compte bancaire de l'investisseur, qui a perdu les fonds versés. Elle ajoute que ce lieu peut correspondre en matière de délit financier, soit au lieu de l'évènement causal à l'origine du dommage, i.e au lieu de la prétendue violation de ses obligations professionnelles, soit au lieu du compte vers lequel les fonds litigieux ont été transférés, de sorte que dans les deux cas, le lieu du dommage se situe en Espagne.

Elle précise que le droit espagnol, seul applicable à la demande indemnitaire prévoit en son article 1968 du code civil, que toute action en responsabilité délictuelle se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a connaissance du préjudice allégué, soit au plus tard à la date du dépôt de sa plainte le 13 novembre 2019 et qu'ayant initié l'action en responsabilité à l'encontre de la société Banco Santander le 12 mai 2023, M. [J] doit être déclaré irrecevable en ses demandes.

En réponse à la note en délibéré sollicitée, elle soutient que la règle dérogatoire ne doit être utilisée que dans les cas complexes, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, lequel relève de l'article 4, § 1 du règlement, que même en recourant à ladite règle, le droit espagnol est applicable, dès lors que le litige présente des liens manifestement plus étroits avec l'Espagne, en ce que son siège social est en Espagne, qu'elle y est agréée, qu'elle y tient les comptes de ses clients et qu'aucun contrat n'a été conclu avec M. [J], qu'enfin la seule circonstance que les effets de la prétendue appropriation des fonds aient été ressentis par celui-ci en France, au motif que l'ordre venait de son compte ouvert en France, ne peut être suffisant pour l'application du droit français, en l'absence de tout autre élément de rattachement pertinent attestant de liens plus étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française.

L'ordonnance frappée d'appel n'est pas critiquée en ce qu'elle statue sur la loi applicable par application du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II).

Aux termes de l'article 4 § 1 du règlement Rome II, sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

Selon l'article 4 § 3, s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2 de l'article 4 de ce même règlement, la loi de cet autre pays s'applique.

Selon le considérant n° 7, le champ d'application matériel et les dispositions de ce règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I).

Pour l'application de l'article 5, § 3, du règlement Bruxelles I, qui prévoit qu'en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée dans un Etat membre peut être attraite devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) s'est prononcée en faveur de la compétence des juridictions du domicile du demandeur au titre de la matérialisation du dommage, lorsque celui-ci se réalise directement sur le compte bancaire de ce demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions, à condition que les autres circonstances particulières de l'affaire concourent également à attribuer la compétence à la juridiction du lieu de matérialisation d'un préjudice purement financier (CJUE 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C-12/15 : 12 septembre 2018, Löber aff C-304/17).

Par arrêt du 2 avril 2025 (1re Civ., 2 avril 2025, pourvoi n° 22-23.618, 22-24.596, inédit), la Cour de cassation a jugé qu'il résulte de l'article 4, § 1, du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est, sauf dispositions contraires du règlement, celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent, de sorte que pour dire que la loi hongkongaise était applicable et rejeter l'intégralité des demandes dirigées contre la banque HSBC, l'arrêt, qui retient que s'agissant d'une action en responsabilité délictuelle intentée à l'encontre d'une banque hongkongaise dont il est soutenu que par manque de vigilance elle aurait rendu possible une escroquerie commise par divers animateurs de la société NFT, le lieu de survenance du dommage est le lieu où était matériellement tenu le compte par lequel ont transité les fonds détournés, à savoir à Hong Kong, statue, par des motifs impropres à caractériser la localisation du préjudice purement financier, distinct du lieu du fait générateur du dommage, de sorte que la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Par arrêt du 1er octobre 2025 (Com., 1er octobre 2025, pourvois n° 22-23.136, publié), la

Cour de cassation a jugé qu'une cour d'appel ayant constaté que l'investisseur, domicilié en France, était titulaire d'un compte ouvert auprès d'une banque établie en France, à partir duquel des virements avaient été ordonnés pour réaliser des investissements à la suite d'un démarchage dont il avait fait l'objet en France, a ainsi fait ressortir que le préjudice financier avait été directement subi sur le compte bancaire de l'investisseur ouvert en France, de sorte qu'elle a légalement justifié sa décision, sans méconnaître le principe d'interprétation cohérente des règlements, en en déduisant que le dommage était survenu en France, de sorte que la loi française était applicable à l'action en responsabilité dirigée contre les sociétés Worldpay et Seroph, a, sans avoir à procéder à la recherche invoquée à la deuxième branche, légalement justifié sa décision.

En l'espèce, il résulte des pièces produites que le dommage s'est réalisé directement sur le compte bancaire sis en France de M. [J] ouvert dans les livres de la société N26 Bank AG, en ce que les virements litigieux ont été ordonnés depuis ce compte et que les effets de l'appropriation ont été ressentis sur ce compte. Toutefois, M. [J] ne justifie pas que d'autres circonstances particulières de l'affaire concourent à désigner la loi du lieu de matérialisation de ce préjudice purement financier, dès lors que sa nationalité et son domicile sont inopérants, qu'il soutient avoir été contacté par une personne se présentant comme un conseiller financier membre de la société TVT Partners, spécialisée dans les instruments financiers, mais ne fournit aucun élément sur cette prise de contact, que le document intitulé 'bulletin de souscription, livret de placement' ne concerne pas la société Banco Santander, qu'enfin il n'est démontré aucun démarchage, ni aucune activité, ni intention commerciale de celle-ci à son égard, laquelle n'a fait que réceptionner les virements sur ses comptes en Espagne.

La société Banco Santander justifie, quant à elle, être une banque agréée ayant son siège social en Espagne, tenir les comptes de ses clients et ceux sur lesquels ont été diverties les sommes litigieuses en Espagne et être soumise au droit espagnol.

Il se déduit de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec l'Espagne, pays autre que celui désigné en application de l'article 4, § 1, du règlement Rome II, de sorte qu'il convient de retenir l'application de la loi espagnole.

La décision déférée sera donc confirmée, en ce qu'elle a retenu que la loi espagnole s'appliquait à cette action en responsabilité.

La société Banco Santander soutient sans être contredite sur ce point, qu'en droit espagnol, l'action en responsabilité extracontractuelle se prescrit par un an, en application de l'article 1968 du code civil espagnol qui dispose que :

'1968 ' On prescrit par un an :

1° L'action pour recouvrer ou conserver la possession ;

2° L'action civile en réparation de l'injure et de la calomnie et l'action née des obligations dérivant de la faute ou de la négligence que vise l'article 1902. La prescription court du moment où la victime a connu son préjudice.'

L'article 1902 du code civil espagnol, auquel renvoie l'article 1968 précité, dispose que : 'Celui qui par action ou omission, cause un préjudice à un tiers du fait d'une faute ou d'une négligence est tenu de réparer le dommage causé.'

En l'espèce, il convient de relever que M. [J] a nécessairement eu connaissance du préjudice résultant de l'escroquerie au plus tard à la date du dépôt de sa plainte le 13 novembre 2019, date du point de départ de la prescription, de sorte que l'action qu'il a initiée le 26 novembre 2024 à l'encontre de la société Banco Santander, soit plus d'un an après le 13 novembre 2019, est irrecevable pour être prescrite.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

M. [J] doit être condamné aux dépens, ainsi qu'à payer à la société N26 Bank AG et à la société Banco Santander chacune la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

ORDONNE la jonction des procédures RG n° 24/17993 et 24/18821 sous la procédure RG 24/17993;

CONFIRME l'ordonnance rendue le 24 octobre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'elle a :

- Déclaré irrecevables les demandes de M. [J] à l'égard de la société Banco Santander ;

- Condamné M. [J] aux dépens de l'incident ;

INFIRME PARTIELLEMENT l'ordonnance en ce qu'elle a :

' Rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société N26 Bank AG ;

' Rejeté la demande de la société N26 Bank AG au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et, statuant à nouveau :

PRONONCE l'incompétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître des demandes formées par M. [J] à l'encontre de la société N26 Bank AG, au profit du tribunal judiciaire de Coutances, au choix du demandeur ;

REJETTE l'intégralité des demandes de M. [J] ;

CONDAMNE M. [J] à payer à la société N26 Bank AG et à la société Banco Santander chacune la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [J] aux entiers dépens.

Le greffier Le président

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site