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Décisions

CA Limoges, ch. civ., 30 octobre 2025, n° 24/00480

LIMOGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fonds de garantie des assurances obligatoires

Défendeur :

Agent judiciaire de l Etat, Caisse primaire d'assurance maladie de la Creuse, AXA Assurances Vie Mutuelle (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Balian

Conseillers :

M. Soury, Mme Gasnier

Avocats :

SCP Laurent - Anciennement Pekle-Laurent, Me Delacomptée, SCP Gaffet Madelennat et Associés, Me Bouchard, SELAS Dauriac - Pauliat-Defaye - Boucherle - Magne- Mons-Bariaud

TJ Gueret, du 14 mai 2024

14 mai 2024

EXPOSE DU LITIGE

Faits et procédure

Le jeudi 13 août 2020, en fin d'après-midi, M. [H] [L], alors âgé de 22 ans, qui circulait sur une moto d'enduro de marque Husqvarna dans la forêt de [Localité 12] (23), a perdu le contrôle de son véhicule, et a fait une chute. M. [F] [S], son ami qui le suivait en quad, sans être témoin de l'accident, est arrivé peu après sur les lieux et a appelé les secours.

L'accident a occasionné de multiples fractures à M. [H] [L], ainsi qu'un grave traumatisme crânien, avec hémorragie méningée et oedème cérébral, qui l'a laissé dans un état neuro-végétatif nécessitant des aides humaines 24 heures sur 24.

Estimant que l'accident avait été provoqué par un choc avec un animal sauvage en lien avec la préqence de poils d'animal prétendument retrouvés sur la fourche de la moto par M. [F] [S] le lendemain de l'accident, Mme [G] [L], agissant en qualité de mère et de tutrice de [H] [L], ainsi que M. [B] [Z], ont fait assigner le 16 juin 2022 devant le tribunal judiciaire de Guéret le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) et l'Agent judiciaire de l'Etat. La CPAM de la Creuse et la compagnie AXA Assurances vie mutuelle, qui a versé à M. [H] [L] une somme de 200 000 euros au titre d'un contrat sécurité du conducteur, ont également été appelées en la la cause.

Au visa de l'article L. 421-1 II du Code des assurances, et estimant que M. [H] [L] n'avait commis aucune faute de conduite, les consorts [O] ont sollicité la condamnation du Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) à indemniser les préjudices corporels de la victime nés de l'accident du 13 août 2020, l'organisation d'une expertise, et la condamnation du FGAO à payer à M. [H] [L] une provision de 100 000 euros ainsi qu'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, et à supporter les dépens. A titre subsidiaire, les consorts [O] ont formé les mêmes demandes à l'encontre de l'Agent judicaire de l'Etat, estimant qu'une faute avait été commise par la gendarmerie dans l'accomplissement de ses missions.

Par jugement réputé contradictoire en date du 14 mai 2024, le Tribunal Judiciaire de Guéret a notamment :

- condamné le Fonds de garantie des assurances obligatoires à indemniser les dommages corporels causés à M. [H] [L] par l'accident du jeudi 13 août 2020, à concurrence de moitié, estimant que la victime avait contribué pour partie à la réalisation de l'accident en raison d'une vitesse excessive ;

- mis hors de cause l'Agent judiciaire de l'Etat ;

- ordonné une expertise médicale de M. [H] [L], né le [Date naissance 1] 1997 à [Localité 10] (Afrique du Sud) et commis pour y procéder le Docteur [C] [V], CHU [Localité 9];

- fixé le détail de la mission de l'expert à l'effet d'évaluer l'ensemble des préjudices de M. [H] [L] ;

- condamné le Fonds de garantie des assurances obligatoires à payer à M. [H] [L] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 26 juin 2024, le Fonds de garantie des assurances obligatoires a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Par écritures du 20 décembre 2024, Madame [G] [L] née [A], agissant en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de son fils, ainsi que Monsieur [B] [Z], en ont relevé appel incident, en indiquant que Monsieur [H] [L] était décédé le [Date décès 5] 2024.

La clôture de la procédure devant la Cour a été prononcée par ordonnance du 6 août 2025, sans que la Caisse primaire d'assurance maladie de la Creuse et la S.A.M.C.V. AXA Assurances vie mutuelle n'aient constitué avocat.

Il sera statué par arrêt réputé contradictoire à l'égard de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Creuse et la S.A.M.C.V. AXA Assurances vie mutuelle en ce que les actes de procédure leur ont été notifiés les 11 et 12 juillet 2024.

Prétentions des parties

Dans le dernier état de ses conclusions déposées le 5 mars 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) demande à la Cour, au visa des articles L. 421-1-II et suivants du Code des assurances, de :

- infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Guéret du 14 mai 2024 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et à titre principal,

- juger que la preuve de l'implication d'un animal sauvage dans l'accident de motocross dont M. [H] [L] a été victime le 13 août 2020, n'est pas rapportée,

- juger en conséquence que les conditions d'intervention du Fonds de garantie des assurances obligatoires ne sont pas réunies,

- rejeter l'ensemble des demandes formulées par les consorts [O] à son encontre

- débouter les consorts [L] -[Z] de leurs demandes plus amples ou contraires, dont celles formées au titre de leur appel incident,

A titre subsidiaire,

- juger qu'en tout état de cause, M. [H] [L] a commis des fautes de conduite - défaut de maîtrise du véhicule, vitesse excessive de conduite compte tenu de l'environnement dans lequel il évoluait et port incorrect du casque avec mauvaise attache de la jugulaire - directement en lien avec l'accident dont il a été victime et la gravité de ses blessures ;

- juger qu'en conséquence, ces fautes de conduite sont de nature à exclure tout droit à indemnisation,

- rejeter l'ensemble des demandes formulées par les consorts [L] -[Z] à son encontre

- débouter les consorts [L] -[Z] de leurs demandes plus amples ou contraires, dont celles formées au titre de leur appel incident.

Dans le dernier état de leurs conclusions en date du 20 décembre 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [G] [L] née [A] et M. [B] [Z] demandent à la Cour, au visa de l'article L. 421-1 et suivants du des assurances, de l'article 141-1 du Code de l'organisation judiciaire et l'article 232 du Code civil, de :

- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité le droit à indemnisation de M. [H] [L] à hauteur de 50%;

- l'infirmer sur ce point,

En conséquence statuant à nouveau :

- dire et juger que M. [H] [L] n'a commis aucune faute de nature à limiter son droit à indemnisation;

- constater que le Fonds de garantie des assurances obligatoires a vocation à indemniser intégralement les préjudices de M. [H] [L] ;

- le condamner à indemniser intégralement les préjudices de M. [H] [L];

En tout état de cause :

- condamner le FGAO à verser à M. [H] [L] la somme de 3 500 euros en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux dépens ;

A titre subsidiaire :

- dire et juger que l'Etat a commis une faute lourde constituée par une défaillance caractérisée des services de gendarmerie d'[Localité 6] à remplir la mission dont ils étaient investis, soit de diligenter un travail d'enquête complet, notamment pour n'avoir pas ordonnée une mesure d'expertise sur les poils de sanglier ;

En conséquence :

- condamner l'Agent judiciaire de l'Etat à réparer les blessures corporelles de M. [H] [L] ;

- condamner l'Agent judiciaire de l'Etat à verser à M. [H] [L] la somme de 100 000 euros à titre de provision sur la liquidation finale de ses préjudices ;

- ordonner une mesure d'expertise judiciaire et désigner tel médecin expert qu'il plaira avec mission habituelle en pareille matière;

- condamner l'Agent judiciaire de l'Etat à verser à M. [H] [L] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'Agent judiciaire de l'Etat aux entiers dépens.

Dans le dernier état de ses conclusions déposées le 05 décembre 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, l'Agent judiciaire de l'Etat demande à la Cour de :

- confirmer le jugement rendu le 14 mai 2024 par le Tribunal Judiciaire de Guéret en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de l'Agent judiciaire de l'Etat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il sera rappelé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de « constater », « donner acte », « dire et juger » qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise de moyens développés dans le corps des conclusions qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.

I - Sur l'application de l'article L. 421-1 II du Code des assurances aux circonstances de l'accident dont a été victime M. [H] [L] :

Au soutien de ses prétentions, le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) fait valoir que celui qui invoque l'application de l'article L. 421-1-II du Code des assurances, doit prouver, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, que l'accident est causé par un animal. A défaut d'une telle démonstration, les demandes formées à l'encontre du FGAO ne peuvent être que rejetées. L'appelant estime que la preuve de l'implication d'un animal sauvage dans l'accident n'est pas rapportée. Il indique qu'aucun témoin occulaire n'a assisté à l'accident, et que l'enquête de gendarmerie n'a pas permis de déterminer la cause de la sortie de piste, ni l'implication formelle d'un animal. Il souligne que la motocross n'a pas été placée sous scellé, mais au contraire récupérée par M. [S] qui l'aurait 'déposée dans un premier temps chez un ami pas loin avec ses affaires', pour 'ensuite quelques jours plus tard la mener dans son dépôt' où il l'aurait réparée, de telle sorte que toute analyse de l'appareil ou prélèvements s'avéraient impossibles. Le FGAO indique avoir proposé de mettre en place une expertise amiable et contradictoire en accidentologie, mais que la gendarmerie n'a pas donné suite à cette demande et que les consorts [L] et [S] qui avaient d'abord accepté de participer à cette expertise ont finalement opposé un refus en invoquant son inutilité.

Le FGAO soutient qu'une simple photo produite par M. [S] aux gendarmes sur laquelle seraient visiblse selon eux des 'poils d'animaux' n'est pas suffisante pour caractériser avec certitude l'implication d'un animal dans la survenance de l'accident subi par M. [L]. Il ajoute qu'il n'est pas possible de déterminer à l'aune de cette unique photographie qu'il s'agit bien de poils, dans la mesure où il pourrait s'agir de végétation - étant précisé que les requérants postulent de surcroît qu'il s'agirait de poils de sanglier, alors même qu'aucun élément ne permet de privilégier cette hypothèse plutôt qu'une autre. Il ajoute qu'il est par ailleurs impossible de déduire de cette photographie que ces prétendus poils se seraient coincés sur le bas de la fourche de la motocross juste avant l'accident le 13 août 2020, qu'il peut tout autant s'agir de végétation, qui pourrait s'être coincée au cours des deux transports du véhicule postérieurs aux faits et quand bien même aurait-il été démontré qu'il s'agissait effectivement de poils d'un animal sauvage, ce qui n'est pas le cas, ces derniers pourraient s'être coincés dans la fourche lors d'une autre sortie de M. [L] avec sa motocross. Il estime que la collision de la moto avec un cervidé est d'autant moins crédible qu'il n'a pas été décrit de traces de sang au niveau du bas de la fourche. Il estime que si un animal avait ainsi été percuté de telle manière qu'il aurait été à l'origine de la chute, compte tenu de la vitesse du véhicule au moment de l'impact ( 60 à 80 km/h selon M. [S] ), sa carcasse, ou à tout le moins l'animal blessé, auraient été retrouvés non loin du lieu, ce qui n'a pas été le cas. Il ajoute que l'accident peut avoir eu pour origine une toute autre cause, telle que comme l'ont suggéré les gendarmes, une perte de contrôle du véhicule - étant souligné qu'à une vitesse de 60 à 80 km/h, un véhicule peut être dévié de sa trajectoire par un obstacle naturel sur un sentier, comme une pierre, une aspérité, une branche, une défaillance technique du véhicule ou un malaise du conducteur.

Les consorts [L] - [Z] contestent cette analyse et soutiennent que les circonstances matérielles de l'accident dont a été victime M. [L] sont parfaitement établies. Le procès-verbal de gendarmerie ainsi que les constatations des gendarmes permettent selon eux d'identifier la présence poils de sanglier sur la moto. Ils ajoutent que l'hypothèse d'un animal sauvage a été envisagée depuis le jour de l'accident compte tenu d'une part de la trajectoire subitement déviée de la moto, et d'autre part de la photographie prise dès le lendemain de l'accident par [F] [S] permettant d'identifier toujours selon eux des poils de sanglier au niveau de la fourche. Ils ajoutent que les gendarmes ont confirmé que la photo envoyée permet d'identifier des poils. Ils expliquent qu'ils n'ont jamais refusé la mise en place d'une expertise amiable sur la moto, mais qu'ils l'ont estimée inutile compte tenu du fait que la moto n'avait pas été placée sous scellé et qu'elle avait été réparée depuis l'accident, selon eux en accord avec le FGAO.

L'article L. 421-1 II du Code des assurances, dans sa version en vigueur à la date de l'accident survenu le 13 aout 2020, dispose que le fonds de garantie indemnise, dans les conditions prévues aux 1 et 2 du présent II, les victimes ou les ayants droit des victimes de dommages nés d'un accident de la circulation causé, dans les lieux ouverts à la circulation publique, par une personne circulant sur le sol ou un animal.

Ainsi, le fonds de garantie indemnise les dommages résultant d'atteintes à la personne :

- lorsque la personne responsable du dommage est inconnue ou n'est pas assurée ;

- lorsque l'animal responsable du dommage n'a pas de propriétaire ou que son propriétaire est inconnu ou n'est pas assuré.

En l'espèce, les intimés prétendent que l'accident de M. [H] [L] a été causé par un animal dont la survenue a entraîné la déviation subite de trajectoire de la moto et a causé l'accident, faisant valoir au soutien de leurs allégations que des poils d'animal auraient été retrouvés sur la fourche de la moto. Le Fonds de garantie conteste cette analyse, estimant qu'aucune preuve suffisante n'est rapportée de l'implication d'un animal dans l'accident subi par M. [L].

Il ressort de l'examen des diverses pièces versées aux débats que :

- aucun témoin occulaire n'a assisté à l'accident subi par M. [L], selon les déclarations de M. [S]. M. [L] n'a malheureusement pu apporter aucune information sur le déroulement et la cause de sa chute puisqu'il était en état neuro-végétatif suite l'accident, et décédé depuis.

- l'enquête de gendarmerie n'a pas permis de déterminer la cause de la sortie de piste, puisque selon le procès-verbal de transport, constatations et mesures prises établi par les gendarmes le jour de l'accident indique que : 'le pilote et sa moto quittent leur trajectoire sur le chemin de terre pour une raison inconnue'.'La sortie de piste peut être liée à un facteur indéterminé, à savoir une traversée de gibier, une perte de contrôle, un souci de santé de type malaise'(pièce 1 de l'appelant).

Les gendarmes ajoutent que 'les équipements ainsi que la moto de la victime sont remisés chez M. [S] [F]. La motocross n'a pas été placée sous scellé, mais récupérée par M. [S] qui a déclaré l'avoir 'déposée dans un premier temps chez un ami pas loin avec ses affaires', pour 'ensuite quelques jours plus tard la mener dans son dépôt', où il l'aurait réparée (Pièce 2 des appelants procès-verbal d'audition gendarmerie). La cour ne dispose d'aucun élément quant aux conditions et lieux de dépôt de la moto, rien ne garantissant que la moto n'ait pas été exposée à la présence d'éventuels animaux qui auraient pu a minima se frotter en ces lieux. Par ailleurs, la moto ayant été réparée par M. [S] rapidement après l'accident, toute analyse de l'appareil ou prélèvements s'avéraient impossibles ;

- des photographies effectuées sur les lieux par les gendarmes, on peut voir sur le cliché 9 la moto de type 'enduro' de marque Husqvarna, mais sans que les gendarmes, lors de ces constatations faites le jour même et sur les lieux de l'accident, ne constatent la présence de poils sur la fourche de la moto, ni aucun élément pouvant laissé penser à un choc avec un animal, mais qu'il aurait pu heurter ou voulu éviter 'quelque chose', ce qui serait une hypothèse pour expliquer sa déviation de trajectoire ayant entrainé sa chute.

- la photographie produite par [F] [S] aux gendarmes est de qualité très médiocre, versée au dossier en noir et blanc. Une photographie couleur a été demandée par la cour lors de l'audience du 4 septembre 2025, à produire dans le cadre d'une note en délibéré. La photographie couleur reçue à la cour d'appel très tardivement le 7 octobre 2025 est également de médiocre qualité; Aucun prélèvement n'a été effectué par les gendarmes permettant de confirmer qu'il s'agisse de poils; les intimés n'ont eux-mêmes demandé aucun prélèvement, ni placement sous scellé de la moto. Rien ne permet à la seule vue de cette photographie de médiocre qualité d'affirmer avec certitude qu'il s'agisse de poils, et encore moins de poils de sanglier.

- le FGAO avait proposé de mettre en place une expertise amiable et contradictoire en accidentologie, ce que ne conteste pas les intimés qui l'ont finalement refusé en invoquant son inutilité, alors même qu'ils reprochent à la gendarmerie de ne pas l'avoir fait.

Il s'évince de ces observations qu'aucun autre élement objectif (témoignage, trace de sang sur la fourche, trace ou empreinte d'animal sur les lieux, prélèvement sur la moto...) ne permet de corroborer une simple hypothèse qui ne saurait suffire à caractériser avec certitude l'implication d'un animal sauvage dans l'accident dont M. [L] a été victime. Quant aux circonstances de l'accident, les gendarmes ne procèdent pas par affirmation, mais au contraire avec circonspection, en employant les termes 'une raison inconnue', 'un facteur indéterminé', 'quelque chose' n'évoquant que de simples hypothèses, et sans jamais affirmer la présence de poils de sanglier, mais juste de ce qu'ils ont estimés être des poils à partir de la photographie produite.

Contrairement à ce que soutiennent les intimés dans leurs écritures, les circonstances matérielles de l'accident dont a été victime M. [L] ne sont pas 'parfaitement établies'. Au contraire, personne n'est en capacité de dire ce qui s'est vraiment passé ce 13 août 2020, ni M. [H] [L] malheureusement décédé, ni M. [F] [S] qui a déclaré avoir perdu de vue son ami dans la forêt, ni les gendarmes, et ce n'est pas une simple photographie, qui n'est corroborée par aucun autre élément, qui pourrait être suffisante pour démontrer avec certitude l'implication d'un animal sauvage le jour même de l'accident. Les intimés utilisent eux-mêmes dans leurs écritures le mot 'hypothèse' à plusieurs reprises, mais qui n'est nullement synonyme de certitude en l'espèce. L'accident peut avoir eu pour origine une toute autre cause, telle que, comme l'ont suggéré les gendarmes, une perte de contrôle du véhicule - étant souligné qu'à une vitesse de 60 à 80 km/h, un véhicule peut être dévié de sa trajectoire par un obstacle naturel sur un sentier, comme une pierre, une aspérité, une branche, une défaillance technique du véhicule ou un malaise du conducteur.

La preuve n'étant pas rapportée de l'implication d'un animal dans la réalisation de l'accident subi par M. [H] [L], les consorts [L] - / [Z] ne sont pas fondés à invoquer la garantie du Fonds de Garantie des assurances obligatoires des dommages sur le fondement de l'article L 421-1 II du Code des Assurances.

Le jugement querellé sur donc infirmé de ce chef, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner l'existence d'une éventuelle faute commise par M. [L] dans la réalisation de l'accident.

II - Sur l'existence d'une faute lourde commise par l'Etat :

A titre subsidiaire, les consorts [L] - [Z] recherchent la responsabilité de l'Etat, qu'ils estiment avoir commis une faute lourde caractérisée par les défauts de diligences et l'inertie des services de la gendarmerie. A cette fin, ils soutiennent que les constatations et l'hypothèse émise par la gendarmerie d'[Localité 6] quant à l'implication d'un animal auraient dû la conduire à placer la moto sous scellé afin de la faire expertiser, dès le jour de l'accident compte tenu des circonstances indéterminées lors de la découverte du corps de M. [L]. Ils estiment que les gendarmes n'auraient pas dû permettre à M. [F] [S] de ramener la moto chez lui. Ils ajoutent que dès le lendemain de l'accident M. [S] a déclaré que des poils de sanglier étaient présents sur le véhicule, et que cet élément aurait dû conduire les services de gendarmerie à venir récupérer le véhicule afin de pratiquer une expertise desdits poils pour permettre d'identifier leur origine et l'animal concerné. Ils soutiennent donc que les services de la gendarmerie d'[Localité 6] n'ont pas mis tous les moyens en oeuvre permettant d'établir les circonstances matérielles de l'infraction alors qu'ils avaient été avertis. Ils ajoutent que les gendarmes ont envisagé différentes pistes sans écarter de manière certaine l'une ou l'autre, de sorte qu'ils n'étaient pas dessaisis de leur mission de rassembler des preuves permettant d'établir si M. [L] avait été victime d'une infraction pénale.

Ils font valoir que c'est bien l'absence d'expertise qui n'a pas permis à M. [L] d'établir avec précision les circonstances matérielles de l'accident dont il a été victime ayant conduit le Fonds de garantie des assurances obligatoires à ne pas prendre en charge ses préjudices corporels, en le privant ainsi de la réparation intégrale de ses préjudices à laquelle il aurait pu prétendre. Ils affirment que cette faute lourde est à l'origine d'une perte de chance pour M. [L] de faire valoir pleinement ses droits.

L'Agent judiciaire de l'Etat conteste cette analyse et sollicite de voir confirmer sa mise hors de cause telle que l'a retenue le premier juge. A cette fin, il soutient notamment que dans le cadre de l'ouverture d'une enquête en découverte de personne grièvement blessée, les gendarmes se rendent sur le lieu de l'accident afin d'y effectuer les constatations nécessaires et de rassembler les preuves dans le but d'établir la commission ou non d'une infraction. Il ajoute qu'en l'espèce, les constatations matérielles réalisées, corrélées aux témoignages de M. [S] et Mme [G] [L] étaient suffisantes pour écarter de façon certaine la commission d'une infraction pénale. C'est ainsi que toute implication d'une tierce personne a pu être écartée au vu du lieu de la chute et du témoignage de M. [S]. Il estime qu'en conséquence le service enquêteur et le parquet n'étaient donc pas tenus de procéder ou faire procéder à des investigations complémentaires comme soutenu par les demandeurs, de sorte que la procédure a été classée sans suite pour absence d'infraction. Il rappelle que les intimés pouvaient contester cette décision par courrier adressé au procureur général de la Cour d'appel ou déposer une plainte avec constitution de partie civile auprès d'un juge d'instruction. Or, en l'espèce, les intimés ne justifient pas d'avoir usé d'une de ces voies de recours ni contesté le classement sans suite.

Quant à l'absence de placement sous scellé de la moto et l'absence d'expertise, l'Agent judiciaire de l'Etat estime qu'à partir des premières constatations des services de gendarmerie qui confirmaient l'absence d'infraction pénale, la cause des blessures de M. [L] n'apparaissant plus ni suspecte ni inconnue au sens pénal du terme, de sorte que rien ne justifiait ces actes qui n'ont par ailleurs pas été sollicités par les consorts [L] - [Z].

Il résulte du premier alinéa de l'article 38 de la loi numéro 55- 366 du 3 avril 1955 que toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'État créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exceptions prévues par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l'agent judiciaire de l'État.

Selon l'article L 141- 1 du code de l'organisation judiciaire, l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Selon la définition contenue dans l'arrêt rendu par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 23 février 2001 (n°99-16165), constitue une faute lourde, susceptible d'engager la responsabilité de l'État au sens du texte précité, toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Les consorts [L] - [Z] fondent leur demande subsidiaire sur l'existence d'une faute lourde commise par le service de la gendarmerie d'[Localité 6], en dénonçant l'insuffisance des diligences entreprises, en soutenant notamment qu'ils auraient dû placer la moto sous scellé afin de la faire expertiser, particulièrement suite à la découverte de soi-disant poils.

A titre liminaire, il convient de rappeler que les missions des gendarmes - enquêteurs incluent, dans le cadre d'une enquête pénale, la récolte d'indices et de preuves pour identifier les responsables et les interpeller. Ils travaillent sous le contrôle du procureur de la République et sont responsables de la collecte de preuves, de l'audition des témoins, et de l'interrogation des suspects.

En l'espèce, il convient de rappeler les étapes principales de l'enquête pénale menée par la gendarmerie d'[Localité 6] suite à l'accident dont M. [H] [L] a été victime le 13 aout 2020 (pièces 2, 3, 4 et 5 des intimés reprenant toutes les pièces de l'enquête de gendarmerie) :

- le 13 aout 2020, jour de l'accident, les gendarmes sont immédiatement intervenus sur les lieux dans le cadre de l'ouverture d'une enquête en découverte de personne grièvement blessée, afin d'y effectuer les constatations nécessaires et de rassembler les preuves dans le but d'établir la commission ou non d'une infraction; dans ce cadre, ils ont pris attache auprès du procureur de la République et ils ont procédé à diverses mesures, notamment en prenant les renseignements nécessaires auprès de M. [S] présent sur les lieux, procédant à la prise de diverses photographies des lieux et de la moto; Ils mentionnent que 'les équipements ainsi que la moto de la victime sont remisés chez M. [S] [F]' ;

- le 14 août 2020, il ressort du procès-verbal d'investigations, établi après contacte pris par les gendarmes avec le centre hospitalier de [Localité 9], que la victime est dans un état grave avec pronostic vital engagé, en réanimation intensive, polytraumatisé, avec des lésions d'ordre cérébral; un procès-verbal de réquisition, en date du 21 aout 2020, et autorisé par le procureur de la République, sollicitait du centre hospitalier de [Localité 9] d'établir si possible l'ITT et fournir un certificat médical initial des blessures de M. [H] [L]; Le compte rendu d'examen médico-légal était transmis par le médecin aux gendarmes le 12 octobre 2020 et concluait à une ITT supérieure à 3 mois et que les constatations étaient compatibles avec un polytraumatisme secondaire à un accident de la circulation routière;

- le 15 aout 2020, un procès-verbal d'investigations était établi suite à l'envoi par M. [F] [S] d'une photographie prise le 14 aout 2020 par ce dernier de la fourche de la moto présentant selon lui la présence de poils; les gendarmes ont considéré, à la seule vue de cette photographie jointe à la procédure et de qualité fortement médiocre, qu'il s'agissait de poils sans plus de précision, et sans pour autant se déplacer pour procéder a minima à un prélèvement et faire des constatations complémentaires, ce qui est effectivement critiquable ;

- le 28 aout 2020, les gendarmes indiquent dans un procès-verbal d'investigations que l'enquête débutait dans le cadre de la découverte d'une personne grièvement blessée ,était poursuivie selon les modalités de l'enquête préliminaire à la vue du délai écoulé;

- le 24 septembre 2020, les gendarmes ont procédé à l'audition de M. [F] [S] qui indique que 'le lendemain en allant voir la moto de [U], j'ai constaté qu'il y avait des poils d'animaux au niveau de la fourche. J'ai pris une photo de cela et la photo a été envoyée à vos services', ajoutant quant aux circonstances de l'accident 'je pense qu'il a pris une bête et qu'il a dévié sa trajectoire';

- le 5 décembre 2020, Mme [G] [A], mère de la victime, était entendue par les gendarmes, son audition n'apportant aucun élément utile à l'enquête, et sans qu'elle ne formule aucune demande particulière notamment quant à des investigations complémentaires;

- le 5 décembre 2020, il ressort du procès-verbal d'investigations que les gendarmes ont pris attache avec le procureur de la République aux fins d'obtention d'une réponse pénale; le procureur de la République, compte tenu des éléments recueillis a décidé d'un classement pour absence d'infraction; le procureur de la République a donc estimé, au regard des investigations, qu'aucune infraction n'avait été commise dans la réalisation de l'accident dont M. [H] [L] a été victime; En conséquence de quoi l'enquête pénale a été clôturée.

Il s'évince de ces observations que si effectivement les gendarmes d'[Localité 6] ont manqué de zèle en ne se déplaçant pas le 15 aout 2020 sur le lieu où était remisé la moto pour procéder à des investigations complémentaires suite à la photograghie adressée par M. [S] et la soi-disant présence de poils, cela ne constitue pas pour autant une faute lourde de leur part. En effet, l'implication éventuelle d'un animal sauvage dans la réalisation d'un accident ne constitue pas en soi un infraction pénale. Les conditions pour placer sous scellé un bien sont strictes et dépendent de la procédure judiciaire en cours, outre de nécessiter une autorisation judiciaire dans le cadre d'une enquête pénale, ce qui n'était pas le cas en l'espèce rien ne permettant de suspecter la commission d'une infraction. Par ailleurs, la Cour de cassation a rappelé que le placement sous scellés, qui constitue un moyen de preuve, n'est pas obligatoire et qu'en l'absence d'un tel placement, la preuve est soumise au principe de la libre administration de la preuve posé par l'article 427 du Code de procédure pénale.

Quant à l'absence d'expertise, l'assurance de M. [L] n'a pas fait réaliser d'expertise de la moto, et les consorts [L] ne l'ont jamais sollicitée. Quant à celle proposée par le Fonds de garantie des assurances obligatoires, elle a été refusée par les consorts [L] qui ont estimé qu'elle était inutile notamment car la moto avait déjà été réparée. Par ailleurs, les intimés ne peuvent soutenir que 'les circonstances indéterminées à la découverte du corps de M. [L]' devaient justifier une mise sous scellé de la moto et son expertise, alors même qu'il n'est pas contesté que la découverte du corps de M. [L] est liée à sa chute en moto, seule la cause n'en étant pas clairement déterminée. En dehors de toute infraction pénale, il n'appartenait pas aux gendarmes d'[Localité 6], de leur propre initiative, de palier à la carence des parties en réalisant une expertise de la moto qui aurait par ailleurs obligatoirement nécessité une autorisation et des réquisitions du procureur de la République. Or en l'espèce, une telle autorisation n'a pas été donnée par le Procureur de la République, d'autant plus en dehors de toute infraction pénale, outre que la mère de la victime n'a elle-même formulé aucune demande en ce sens dans le cadre de l'enquête.

Les services de gendarmerie n'ont pas vocation à intervenir dans les affaires purement civiles, et il n'appartient pas à l'Etat, en dehors de tout cadre pénal, de suppléer les parties ou les compagnies d'assurances dans la recherche de la vérité sur les causes d'un accident en dehors de toute infraction pénale caractérisée. Dans la présente procédure, les gendarmes n'ont à aucun moment envisagé ni même soupçonné, compte tenu de leurs investigations, la commission d'infractions pénales. En outre, l'hypothèse de l'implication éventuelle d'un animal n'est pas en soit une infraction pénale susceptible de justifier la réalisation de divers actes d'investigation. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les intimés, il n'est pas de la responsabilité de l'Etat, en matière civile et en dehors de toute infraction pénale, de mettre en place des actes d'enquête permettant d'établir les circonstances de l'accident.

C'est en conséquence à juste titre que le premier juge a rejeté la demande formée par les consorts [L] - [Z] tendant à la condamnation de l'agent judiciaire de l'État à verser une indemnité de 10 000 € au titre de la perte de chance alléguée, en retenant que 'les services de gendarmerie n'ont pas vocation à intervenir dans les affaires purement civiles; que c'est sans commettre aucune faute que ces services ont cessé leurs investigations, dès qu'il est apparu avec certitude qu'aucune infraction pénale n'était caractérisée'.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, force est de reconnaître que si l'absence de placement sous scellé et d'expertise de la moto de la victime par la gendarmerie d'[Localité 6] présente un caractère éminemment regrettable du point de vue du désir légitime des consorts [L] / [Z] de connaître les circonstances matérielles de l'accident dont a été victime M. [H] [L], de tels manquements ne peuvent être constitutifs d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'État.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

III - Sur la demande d'expertise :

En l'état de l'exclusion de la garantie du Fonds de Garantie des assurances obligatoires des dommages et du débouté de l'action en responsabilité dirigée contre l'Etat, il n'y a pas lieu à expertise médicale post-mortem de M. [H] [L] décédé en cours de procédure.

Le jugement querellé sera donc infirmé de ce chef.

IV ' Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

Compte tenu de l'issue du litige, Mme [Y] [A] veuve [L] et M. [B] [Z] seront condamnés in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, ce qui exclut par ailleurs qu'ils puissent bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour d' appel statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

INFIRME le jugement rendu le 14 mai 2024 par le Tribunal Judiciaire de Guéret, sauf en ce qu'il a mis hors de cause l'Agent judiciaire de l'Etat et sur les frais irrépétibles,

Statuant à nouveau

DIT que le Fonds de Garantie des assurances obligatoires des dommages n'a pas à garantir en application de l'article L 421-1 II du Code des Assurances, les conséquences dommageables de l'accident dont M.[H] [L] a été victime le 13 aout 2020 ;

DEBOUTE Mme [Y] [A] veuve [L] et M. [B] [Z] de l'ensemble de leurs demandes formulées tant à l'égard du Fonds de garantie des assurances obligatoires que de l'Agent judiciaire de l'Etat, ainsi que de leur demande d'expertise médicale de M. [H] [L] ;

CONDAMNE in solidum Mme [Y] [A] veuve [L] et M. [B] [Z] à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

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