CA Rennes, 4e ch., 30 octobre 2025, n° 24/01788
RENNES
Arrêt
Autre
4ème Chambre
ARRÊT N° 230
N° RG 24/01788
N° Portalis DBVL-V-B7I-UUJZ
(Réf 1ère instance : 22/02052)
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 30 OCTOBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : M. Alain DESALBRES, Président de chambre,
Assesseur : Mme Gwenola VELMANS, Conseillère,
Assesseur : Mme Valentine BUCK, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise BERNARD, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 Septembre 2025
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 30 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [N] [G]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représenté par Me Arnaud GAONAC'H, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
Madame [I] [G]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Arnaud GAONAC'H, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
INTIMÉE :
Madame [C] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Hélène DAOULAS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Mme [C] [U] a confié la construction d'une maison individuelle le 17 avril 2021 à la société [O] [G] sur un terrain lui appartenant sis [Adresse 9] à [Localité 12] moyennant un prix forfaitaire de 181 900 euros. Le coût de la souscription d'une assurance dommages-ouvrage par le constructeur était, par ailleurs, compris dans le prix convenu.
La durée d'exécution des travaux a été fixée à 14 mois. Un avenant en date du 14 avril 2022 a prorogé ce délai jusqu'au 17 octobre 2022.
Mme [U] a versé à la société [O] [G], trois sommes pour un montant total de 27 000 euros entre le 17 avril 2021 et le 1er juin 2022.
Constatant que les travaux n'avaient pas commencé et ayant pris connaissance des difficultés financières de la société [O] [G], Mme [U] a sollicité l'autorisation d'inscrire une hypothèque judiciaire sur le bien immobilier de M. et Mme [G]. Le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Quimper a fait droit à cette demande suivant ordonnance du 30 septembre 2022.
Par jugement du tribunal de commerce de Quimper en date du 7 octobre 2022, la société [O] [G] a été placée en liquidation judiciaire. Mme [U] a déclaré une créance de 27 000 euros le 12 octobre 2022.
Par acte d'huissier délivré le 2 novembre 2022, Mme [U] a assigné M. [N] [G] et Mme [I] [G], née [O], devant le tribunal judiciaire de Quimper en règlement de l'indu et en réparation de ses préjudices.
Saisi par M. et Mme [G], le juge de la mise en état a, par ordonnance du 26 mai 2023, déclaré irrecevable la demande en paiement de 27 000 euros au titre de l'indu formulée par Mme [U] mais déclaré recevables les demandes à hauteur de 25 320 euros présentées en réparation de son préjudice de perte de chance de bénéficier des garanties afférentes au contrat de construction de maison individuelle et de son préjudice moral.
Par jugement en date du 12 mars 2024, le tribunal judiciaire de Quimper a :
- condamné in solidum Mme [I] [G] et M. [N] [G] à verser à Mme [C] [U] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamné Mme [I] [G] et M. [N] [G] à verser à Mme [C] [U] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné in solidum Mme [I] [G] et M. [N] [G] aux dépens comprenant les frais d'hypothèque,
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
Mme [I] [G] et M. [N] [G] ont relevé appel de cette décision le 27 mars 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans leurs dernières conclusions du 20 décembre 2024, M. et Mme [G] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement,
Statuant à nouveau,
- à titre principal,
- vu l'article 122 du code de procédure civile,
- vu l'article 480 du code de procédure civile,
- déclarer irrecevables les prétentions de Mme [U] relatives à la demande en paiement d'une somme de 27 000 euros au titre de l'indu,
- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses prétentions,
- à titre subsidiaire
- prononcer la mise hors de cause de M. [N] [G] sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
- juger qu'ils n'ont pas commis de faute engageant leur responsabilité personnelle à l'égard de Mme [U],
- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses prétentions,
- à titre infiniment subsidiaire,
- limiter le préjudice de Mme [U] à la somme de 9 000 euros,
- en tout état de cause,
- débouter Mme [U], de l'ensemble de ses prétentions,
- rejeter l'appel incident de Mme [U],
- ordonner la main levée de l'inscription d'hypothèque provisoire ordonnée par le juge de l'exécution de [Localité 10] le 30 septembre 2022 sur le bien leur appartenant situé [Adresse 8] à [Adresse 11] ([Adresse 3]) et cadastré section AB n°[Cadastre 2] et ce en vertu des articles 2435 du code civil et suivants,
- condamner Mme [U] à leur verser chacun une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures du 20 mars 2025, Mme [U] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu, sauf en ce qu'il a limité l'indemnité à 20 000 euros,
Statuant à nouveau sur ce chef de jugement,
- condamner solidairement M. et Mme [G] à lui verser la somme de 27 000 euros au titre de l'indu,
- condamner solidairement M. et Mme [G] à lui verser la somme de 27 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
- subsidiairement
- confirmer le jugement rendu,
- en tout état de cause
- débouter les appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner solidairement M. et Mme [G] à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qui comprennent également le suivi du dossier de prise de garanties et toutes diligences pour ce dossier,
- condamner solidairement M. et Mme [G] aux entiers dépens lesquels comprendront également les frais relatifs à la procédure de prise d'hypothèque.
MOTIFS
Sur la fin de non recevoir tirée de l'atteinte à l'autorité de la chose jugée
Le tribunal a condamné M. et Mme [G] à indemniser Mme [U] à hauteur de 20 000 euros sur le fondement de la responsabilité personnelle des gérants de fait et droit. Il a retenu que le préjudice tenant à la perte de chance de bénéficier des garanties afférentes au contrat de construction de maison individuelle et le préjudice moral sont étrangers à la reconstitution du gage commun des créanciers qui relève de la procédure collective de la société.
M. et Mme [G] sollicitent l'infirmation de ce chef de jugement au motif que le tribunal a porté atteinte à l'autorité de la chose jugée par le juge de la mise en état en retenant une faute pour avoir demandé le versement de 15% du prix convenu avant l'ouverture de chantier et la réalisation des conditions suspensives.
Mme [U] rétorque que si la somme demandée est semblable à celle présentée au juge commissaire de la procédure collective, elle concerne des préjudices distincts du fait de la faute détachable commise par le gérant.
***
En application des articles L. 223-22, L. 622-20, et L. 641-4, alinéa 4 du code de commerce, la recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier contre le dirigeant d'une société en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions (Com., 24 mai 2023, pourvoi n° 21-21.871).
En l'espèce, le tribunal a statué sur la demande de Mme [U] de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité personnelle des dirigeants d'une société placée en liquidation judiciaire lui ayant causé un préjudice personnel, distinct du préjudice collectif des créanciers, et étranger à la reconstitution du gage commun de ces demiers, que constituent, d'une part, la perte de chance de bénéficier des garanties afférentes au contrat de construction de maison individuelle, et, d'autre part, le préjudice moral d'avoir été trompée.
N'ayant pas statué sur une demande en restitution de la somme totale de 27 000 euros indûment versée, il n'y a pas lieu d'infirmer le jugement sur le fondement de l'atteinte à l'autorité de la chose jugée par ordonnance du juge de la mise en état du 26 mai 2023.
Sur la responsabilité des dirigeants
- Sur la demande de mise hors de cause de M. [G]
Le tribunal a considéré que M. [G] était gérant de fait. Il a retenu qu'il était l'interlocuteur principal de Mme [U], qu'il avait signé le contrat et l'avenant comme représentant de la société, ainsi que d'autres documents émanant de la société et qu'il n'avait aucun statut particulier au sein de cette société.
M. [G] fait valoir que ni le tribunal de commerce de Quimper, ni une juridiction répressive ne l'ont qualifié gérant de fait et qu'il était en réalité salarié de l'entreprise.
Mme [U] rétorque n'avoir traité qu'avec M. [G] qui s'est présenté comme le constructeur. Elle remarque qu'il avait été condamné à une interdiction de gérer, que sa femme exerce la profession de nourrice et qu'il a continué à exercer le métier de constructeur dans le cadre d'une nouvelle société.
***
Le dirigeant de fait est celui qui exerce en toute indépendance une activité positive de gestion et de direction de la personne morale (Com., 26 mars 2025, pourvoi n° 24-11.190).
La gestion de fait suppose, d'une part, une activité positive de gestion et de direction dans la société, et, d'autre part, une activité exercée en toute indépendance et liberté.
La preuve des actes de gestion fait peut résulter d'un faisceau d'indices pertinents, précis et concordants de nature à démontrer l'ingérence dans la gestion ou la prise de pouvoir de direction.
En l'espèce, si M. [G] produit un contrat de travail daté de 2010 pour des fonctions de bureau d'études, et des fiches de paie de janvier à septembre 2022, il n'a pas contesté dans le cadre de la présente procédure que sa femme, gérante de droit, avait été l'assistante maternelle de l'enfant de Mme [U], que c'est en raison de cette proximité que M. [G] lui a proposé qu'elle lui confie la construction de sa maison, qu'il était le seul interlocuteur de Mme [U] pour représenter la société de construction, qu'il a signé et paraphé le contrat de construction de maison individuelle comme représentant la société, ainsi que son avenant, qu'il a encore signé, au nom de la société, un courrier du 21 avril 2021 lui remettant certains documents contractuels.
C'est donc à juste titre que le tribunal, saisi d'une action fondée sur la responsabilité personnelle du dirigeant, a considéré qu'il gérait de fait la société, sans qu'il soit nécessaire que cette appréciation émane d'une juridiction commerciale ou répressive. Le jugement sera confirmé de ce chef.
- Sur la responsabilité personnelle des gérants
Le tribunal n'a pas retenu de faute liée à l'absence d'assurance dommages-ouvrage et de garantie de livraison ni de pertes de chance de bénéficier de ces garanties au motif principal que le chantier n'ayant jamais été ouvert et les travaux n'ayant jamais débuté, ces garanties n'étaient pas en l'état mobilisables. Il a en revanche retenu une faute intentionnelle grave de M. et Mme [G] consistant à avoir exiger la remise de fonds correspondant à 15% du prix convenu, avant l'ouverture du chantier et la réalisation de la condition suspensive d'obtention d'une garantie de livraison, ce qui a causé un préjudice personnel distinct pour Mme [U].
M. et Mme [G] considèrent qu'il n'est pas démontré de faute intentionnelle, et, à titre subsidiaire, que les deux sommes versées correspondaient à des acomptes prévus dans le contrat et que seule la dernière somme correspondait à l'ouverture du chantier qui n'a jamais eu lieu.
Mme [U] reproche à M. et Mme [G] en particulier de n'avoir jamais souscrit d'assurance dommages-ouvrage ni de garantie de livraison alors qu'elles sont obligatoires et qu'ils s'étaient engagés à le faire, et de lui avoir demandé de verser 15% du prix convenu alors qu'aucun travaux n'avaient commencé, le chantier n'ayant jamais été ouvert. Elle invoque une perte de chance de n'avoir pas les garanties obligatoires, lesquelles notamment aurait permis d'indemniser les pénalités de retard. Elle sollicite aussi une indemnité au titre de la somme de 27 000 euros indûment payée et une autre au titre du préjudice moral. Elle rappelle qu'elle a été dépouillée de ses économies.
***
En application des articles L. 223-22, L. 622-20, et L. 641-4, alinéa 4 du code de commerce, le dirigeant d'une société faisant l'objet d'une procédure collective est, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, personnellement responsable du préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute séparable de ses fonctions.
Selon l'article L. 242-1 alinéa 1er du code des assurances, toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l'ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du code civil.
La contravention à ces dispositions est punie pénalement, selon l'article L. 243-3 du code des assurances.
Par ailleurs, en application de l'article L. 241-8 du code de la construction et de l'habitation, est puni pénalement quiconque, tenu à la conclusion d'un contrat par application de l'article L. 231-1 ou de l'article L. 232-1, aura entrepris l'exécution des travaux sans avoir obtenu la garantie de livraison définie à l'article L. 231-6, qui énonce que la garantie de livraison couvre le maitre de l'ouvrage à compter de la date d'ouverture du chantier, contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus.
En l'espèce, le contrat de construction de maison individuelle prévoit que Mme [U] a mandaté le constructeur pour obtenir l'assurance dommages-ouvrage. Or, Mme [U] ne justifie pas que cette absence de souscription par M. et Mme [G], prévu dans le contrat, a privé Mme [U] de la sécurité procurée par cette assurance, dès lors que le chantier n'a jamais été ouvert.
De la même façon, si M. et Mme [G] ont commis une faute intentionnelle, constitutive d'une infraction pénale, séparable de leurs fonctions sociales et engageant leur responsabilité personnelle (3e Civ., 9 juillet 2020, pourvoi n° 18-21.552), en ne souscrivant pas, comme convenu dans le contrat, de garantie de livraison obligatoire dans le délai de 12 mois à compter de la signature du contrat, Mme [U] ne justifie d'aucun préjudice en lien de causalité avec cette faute, le chantier n'ayant jamais été ouvert.
Le jugement sera donc confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté Mme [U] de ses demandes à ce titre.
Enfin, M. et Mme [G] ont commis une faute intentionnelle en sollicitant le versement de la somme totale de 27 000 euros avant l'ouverture du chantier alors qu'ils ne justifient d'aucune garantie de remboursement par un établissement habilité (au sens de l'article L. 231-4 du code de la construction et de l'habitation dont la violation est sanctionnée pénalement par l'article L. 241-1), d'aucune démarche, comme le demande de permis de construire, la recherche d'entreprises, la souscription d'assurances et de garanties, montrant qu'ils étaient en train d'exécuter la mission confiée, alors encore qu'ils savaient qu'ils étaient dans une situation financière et juridique critique et qu'elle leur avait donné toute sa confiance. Cela a causé comme préjudice, pour Mme [U], une perte de chance de récupérer les sommes versées, et donc de perdre ainsi ses économies, de voir son projet immobilier aboutir, et un préjudice moral pour avoir été ainsi trompée. C'est donc à juste titre que le tribunal a fixé à la somme de 20 000 euros le montant des réparations et a condamné M. et Mme [G] in solidum à verser cette somme à Mme [U].
Sur la demande de main-levée de l'hypothèque provisoire
M. et Mme [G] sollicitent la main-levée de l'hypothèque provisoire ordonnée par le juge de l'exécution de [Localité 10] le 30 septembre 2022.
Le tribunal a rejeté la demande de main levée de l'hypothèse en raison de l'issue du litige. La cour ne peut que confirmer ce chef de jugement, tout en rappelant au surplus que cette demande relève de la compétence exclusive du juge de l'exécution, conformément à l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant en leur appel, M. et Mme [G] seront condamnés in solidum à payer à Mme [U] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement du 12 mars 2024 du tribunal judiciaire de Quimper ;
Y ajoutant
Condamne M. et Mme [G] in solidum à payer à Mme [U] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Condamne M. et Mme [G] in solidum aux dépens de l'instance d'appel.
Le Greffier, Le Président,
ARRÊT N° 230
N° RG 24/01788
N° Portalis DBVL-V-B7I-UUJZ
(Réf 1ère instance : 22/02052)
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 30 OCTOBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : M. Alain DESALBRES, Président de chambre,
Assesseur : Mme Gwenola VELMANS, Conseillère,
Assesseur : Mme Valentine BUCK, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise BERNARD, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 Septembre 2025
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 30 Octobre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
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APPELANTS :
Monsieur [N] [G]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représenté par Me Arnaud GAONAC'H, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
Madame [I] [G]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Arnaud GAONAC'H, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
INTIMÉE :
Madame [C] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Hélène DAOULAS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Mme [C] [U] a confié la construction d'une maison individuelle le 17 avril 2021 à la société [O] [G] sur un terrain lui appartenant sis [Adresse 9] à [Localité 12] moyennant un prix forfaitaire de 181 900 euros. Le coût de la souscription d'une assurance dommages-ouvrage par le constructeur était, par ailleurs, compris dans le prix convenu.
La durée d'exécution des travaux a été fixée à 14 mois. Un avenant en date du 14 avril 2022 a prorogé ce délai jusqu'au 17 octobre 2022.
Mme [U] a versé à la société [O] [G], trois sommes pour un montant total de 27 000 euros entre le 17 avril 2021 et le 1er juin 2022.
Constatant que les travaux n'avaient pas commencé et ayant pris connaissance des difficultés financières de la société [O] [G], Mme [U] a sollicité l'autorisation d'inscrire une hypothèque judiciaire sur le bien immobilier de M. et Mme [G]. Le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Quimper a fait droit à cette demande suivant ordonnance du 30 septembre 2022.
Par jugement du tribunal de commerce de Quimper en date du 7 octobre 2022, la société [O] [G] a été placée en liquidation judiciaire. Mme [U] a déclaré une créance de 27 000 euros le 12 octobre 2022.
Par acte d'huissier délivré le 2 novembre 2022, Mme [U] a assigné M. [N] [G] et Mme [I] [G], née [O], devant le tribunal judiciaire de Quimper en règlement de l'indu et en réparation de ses préjudices.
Saisi par M. et Mme [G], le juge de la mise en état a, par ordonnance du 26 mai 2023, déclaré irrecevable la demande en paiement de 27 000 euros au titre de l'indu formulée par Mme [U] mais déclaré recevables les demandes à hauteur de 25 320 euros présentées en réparation de son préjudice de perte de chance de bénéficier des garanties afférentes au contrat de construction de maison individuelle et de son préjudice moral.
Par jugement en date du 12 mars 2024, le tribunal judiciaire de Quimper a :
- condamné in solidum Mme [I] [G] et M. [N] [G] à verser à Mme [C] [U] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamné Mme [I] [G] et M. [N] [G] à verser à Mme [C] [U] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné in solidum Mme [I] [G] et M. [N] [G] aux dépens comprenant les frais d'hypothèque,
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.
Mme [I] [G] et M. [N] [G] ont relevé appel de cette décision le 27 mars 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans leurs dernières conclusions du 20 décembre 2024, M. et Mme [G] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement,
Statuant à nouveau,
- à titre principal,
- vu l'article 122 du code de procédure civile,
- vu l'article 480 du code de procédure civile,
- déclarer irrecevables les prétentions de Mme [U] relatives à la demande en paiement d'une somme de 27 000 euros au titre de l'indu,
- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses prétentions,
- à titre subsidiaire
- prononcer la mise hors de cause de M. [N] [G] sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
- juger qu'ils n'ont pas commis de faute engageant leur responsabilité personnelle à l'égard de Mme [U],
- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses prétentions,
- à titre infiniment subsidiaire,
- limiter le préjudice de Mme [U] à la somme de 9 000 euros,
- en tout état de cause,
- débouter Mme [U], de l'ensemble de ses prétentions,
- rejeter l'appel incident de Mme [U],
- ordonner la main levée de l'inscription d'hypothèque provisoire ordonnée par le juge de l'exécution de [Localité 10] le 30 septembre 2022 sur le bien leur appartenant situé [Adresse 8] à [Adresse 11] ([Adresse 3]) et cadastré section AB n°[Cadastre 2] et ce en vertu des articles 2435 du code civil et suivants,
- condamner Mme [U] à leur verser chacun une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures du 20 mars 2025, Mme [U] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu, sauf en ce qu'il a limité l'indemnité à 20 000 euros,
Statuant à nouveau sur ce chef de jugement,
- condamner solidairement M. et Mme [G] à lui verser la somme de 27 000 euros au titre de l'indu,
- condamner solidairement M. et Mme [G] à lui verser la somme de 27 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
- subsidiairement
- confirmer le jugement rendu,
- en tout état de cause
- débouter les appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner solidairement M. et Mme [G] à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qui comprennent également le suivi du dossier de prise de garanties et toutes diligences pour ce dossier,
- condamner solidairement M. et Mme [G] aux entiers dépens lesquels comprendront également les frais relatifs à la procédure de prise d'hypothèque.
MOTIFS
Sur la fin de non recevoir tirée de l'atteinte à l'autorité de la chose jugée
Le tribunal a condamné M. et Mme [G] à indemniser Mme [U] à hauteur de 20 000 euros sur le fondement de la responsabilité personnelle des gérants de fait et droit. Il a retenu que le préjudice tenant à la perte de chance de bénéficier des garanties afférentes au contrat de construction de maison individuelle et le préjudice moral sont étrangers à la reconstitution du gage commun des créanciers qui relève de la procédure collective de la société.
M. et Mme [G] sollicitent l'infirmation de ce chef de jugement au motif que le tribunal a porté atteinte à l'autorité de la chose jugée par le juge de la mise en état en retenant une faute pour avoir demandé le versement de 15% du prix convenu avant l'ouverture de chantier et la réalisation des conditions suspensives.
Mme [U] rétorque que si la somme demandée est semblable à celle présentée au juge commissaire de la procédure collective, elle concerne des préjudices distincts du fait de la faute détachable commise par le gérant.
***
En application des articles L. 223-22, L. 622-20, et L. 641-4, alinéa 4 du code de commerce, la recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier contre le dirigeant d'une société en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions (Com., 24 mai 2023, pourvoi n° 21-21.871).
En l'espèce, le tribunal a statué sur la demande de Mme [U] de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité personnelle des dirigeants d'une société placée en liquidation judiciaire lui ayant causé un préjudice personnel, distinct du préjudice collectif des créanciers, et étranger à la reconstitution du gage commun de ces demiers, que constituent, d'une part, la perte de chance de bénéficier des garanties afférentes au contrat de construction de maison individuelle, et, d'autre part, le préjudice moral d'avoir été trompée.
N'ayant pas statué sur une demande en restitution de la somme totale de 27 000 euros indûment versée, il n'y a pas lieu d'infirmer le jugement sur le fondement de l'atteinte à l'autorité de la chose jugée par ordonnance du juge de la mise en état du 26 mai 2023.
Sur la responsabilité des dirigeants
- Sur la demande de mise hors de cause de M. [G]
Le tribunal a considéré que M. [G] était gérant de fait. Il a retenu qu'il était l'interlocuteur principal de Mme [U], qu'il avait signé le contrat et l'avenant comme représentant de la société, ainsi que d'autres documents émanant de la société et qu'il n'avait aucun statut particulier au sein de cette société.
M. [G] fait valoir que ni le tribunal de commerce de Quimper, ni une juridiction répressive ne l'ont qualifié gérant de fait et qu'il était en réalité salarié de l'entreprise.
Mme [U] rétorque n'avoir traité qu'avec M. [G] qui s'est présenté comme le constructeur. Elle remarque qu'il avait été condamné à une interdiction de gérer, que sa femme exerce la profession de nourrice et qu'il a continué à exercer le métier de constructeur dans le cadre d'une nouvelle société.
***
Le dirigeant de fait est celui qui exerce en toute indépendance une activité positive de gestion et de direction de la personne morale (Com., 26 mars 2025, pourvoi n° 24-11.190).
La gestion de fait suppose, d'une part, une activité positive de gestion et de direction dans la société, et, d'autre part, une activité exercée en toute indépendance et liberté.
La preuve des actes de gestion fait peut résulter d'un faisceau d'indices pertinents, précis et concordants de nature à démontrer l'ingérence dans la gestion ou la prise de pouvoir de direction.
En l'espèce, si M. [G] produit un contrat de travail daté de 2010 pour des fonctions de bureau d'études, et des fiches de paie de janvier à septembre 2022, il n'a pas contesté dans le cadre de la présente procédure que sa femme, gérante de droit, avait été l'assistante maternelle de l'enfant de Mme [U], que c'est en raison de cette proximité que M. [G] lui a proposé qu'elle lui confie la construction de sa maison, qu'il était le seul interlocuteur de Mme [U] pour représenter la société de construction, qu'il a signé et paraphé le contrat de construction de maison individuelle comme représentant la société, ainsi que son avenant, qu'il a encore signé, au nom de la société, un courrier du 21 avril 2021 lui remettant certains documents contractuels.
C'est donc à juste titre que le tribunal, saisi d'une action fondée sur la responsabilité personnelle du dirigeant, a considéré qu'il gérait de fait la société, sans qu'il soit nécessaire que cette appréciation émane d'une juridiction commerciale ou répressive. Le jugement sera confirmé de ce chef.
- Sur la responsabilité personnelle des gérants
Le tribunal n'a pas retenu de faute liée à l'absence d'assurance dommages-ouvrage et de garantie de livraison ni de pertes de chance de bénéficier de ces garanties au motif principal que le chantier n'ayant jamais été ouvert et les travaux n'ayant jamais débuté, ces garanties n'étaient pas en l'état mobilisables. Il a en revanche retenu une faute intentionnelle grave de M. et Mme [G] consistant à avoir exiger la remise de fonds correspondant à 15% du prix convenu, avant l'ouverture du chantier et la réalisation de la condition suspensive d'obtention d'une garantie de livraison, ce qui a causé un préjudice personnel distinct pour Mme [U].
M. et Mme [G] considèrent qu'il n'est pas démontré de faute intentionnelle, et, à titre subsidiaire, que les deux sommes versées correspondaient à des acomptes prévus dans le contrat et que seule la dernière somme correspondait à l'ouverture du chantier qui n'a jamais eu lieu.
Mme [U] reproche à M. et Mme [G] en particulier de n'avoir jamais souscrit d'assurance dommages-ouvrage ni de garantie de livraison alors qu'elles sont obligatoires et qu'ils s'étaient engagés à le faire, et de lui avoir demandé de verser 15% du prix convenu alors qu'aucun travaux n'avaient commencé, le chantier n'ayant jamais été ouvert. Elle invoque une perte de chance de n'avoir pas les garanties obligatoires, lesquelles notamment aurait permis d'indemniser les pénalités de retard. Elle sollicite aussi une indemnité au titre de la somme de 27 000 euros indûment payée et une autre au titre du préjudice moral. Elle rappelle qu'elle a été dépouillée de ses économies.
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En application des articles L. 223-22, L. 622-20, et L. 641-4, alinéa 4 du code de commerce, le dirigeant d'une société faisant l'objet d'une procédure collective est, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, personnellement responsable du préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute séparable de ses fonctions.
Selon l'article L. 242-1 alinéa 1er du code des assurances, toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l'ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du code civil.
La contravention à ces dispositions est punie pénalement, selon l'article L. 243-3 du code des assurances.
Par ailleurs, en application de l'article L. 241-8 du code de la construction et de l'habitation, est puni pénalement quiconque, tenu à la conclusion d'un contrat par application de l'article L. 231-1 ou de l'article L. 232-1, aura entrepris l'exécution des travaux sans avoir obtenu la garantie de livraison définie à l'article L. 231-6, qui énonce que la garantie de livraison couvre le maitre de l'ouvrage à compter de la date d'ouverture du chantier, contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus.
En l'espèce, le contrat de construction de maison individuelle prévoit que Mme [U] a mandaté le constructeur pour obtenir l'assurance dommages-ouvrage. Or, Mme [U] ne justifie pas que cette absence de souscription par M. et Mme [G], prévu dans le contrat, a privé Mme [U] de la sécurité procurée par cette assurance, dès lors que le chantier n'a jamais été ouvert.
De la même façon, si M. et Mme [G] ont commis une faute intentionnelle, constitutive d'une infraction pénale, séparable de leurs fonctions sociales et engageant leur responsabilité personnelle (3e Civ., 9 juillet 2020, pourvoi n° 18-21.552), en ne souscrivant pas, comme convenu dans le contrat, de garantie de livraison obligatoire dans le délai de 12 mois à compter de la signature du contrat, Mme [U] ne justifie d'aucun préjudice en lien de causalité avec cette faute, le chantier n'ayant jamais été ouvert.
Le jugement sera donc confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté Mme [U] de ses demandes à ce titre.
Enfin, M. et Mme [G] ont commis une faute intentionnelle en sollicitant le versement de la somme totale de 27 000 euros avant l'ouverture du chantier alors qu'ils ne justifient d'aucune garantie de remboursement par un établissement habilité (au sens de l'article L. 231-4 du code de la construction et de l'habitation dont la violation est sanctionnée pénalement par l'article L. 241-1), d'aucune démarche, comme le demande de permis de construire, la recherche d'entreprises, la souscription d'assurances et de garanties, montrant qu'ils étaient en train d'exécuter la mission confiée, alors encore qu'ils savaient qu'ils étaient dans une situation financière et juridique critique et qu'elle leur avait donné toute sa confiance. Cela a causé comme préjudice, pour Mme [U], une perte de chance de récupérer les sommes versées, et donc de perdre ainsi ses économies, de voir son projet immobilier aboutir, et un préjudice moral pour avoir été ainsi trompée. C'est donc à juste titre que le tribunal a fixé à la somme de 20 000 euros le montant des réparations et a condamné M. et Mme [G] in solidum à verser cette somme à Mme [U].
Sur la demande de main-levée de l'hypothèque provisoire
M. et Mme [G] sollicitent la main-levée de l'hypothèque provisoire ordonnée par le juge de l'exécution de [Localité 10] le 30 septembre 2022.
Le tribunal a rejeté la demande de main levée de l'hypothèse en raison de l'issue du litige. La cour ne peut que confirmer ce chef de jugement, tout en rappelant au surplus que cette demande relève de la compétence exclusive du juge de l'exécution, conformément à l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Succombant en leur appel, M. et Mme [G] seront condamnés in solidum à payer à Mme [U] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement du 12 mars 2024 du tribunal judiciaire de Quimper ;
Y ajoutant
Condamne M. et Mme [G] in solidum à payer à Mme [U] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Condamne M. et Mme [G] in solidum aux dépens de l'instance d'appel.
Le Greffier, Le Président,