Cass. crim., 4 novembre 2025, n° 24-82.420
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
N° G 24-82.420 F-D
N° 01394
ECF
4 NOVEMBRE 2025
REJET
DECHEANCE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 NOVEMBRE 2025
Les associations [2] et [1], la [8], le [4] et la chambre de commerce France-Israël, parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 115 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 14 mars 2024, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de MM. [A] [O], [L] [D], [I] Baldassi, [E] [C], Mmes [S] [D], [X] [Z], [J] [V], [K] [T] et [M] [H] du chef de provocation publique à la discrimination en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande, pour les associations [2] et [1], la [8], le [4], et en défense.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de l'association [2], les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat du [4], les observations de Me Carbonnier, avocat de la [8], les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de l'association [1], les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de MM. [A] [O], [L] [D], [I] Baldassi, [E] [C], Mmes [S] [D],
[X] [Z], épouse [N], [J] [V], épouse [D], [K] [T] et [R] [H], épouse [G], et les conclusions de M. Bigey, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 septembre 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.
2. M. [I] Baldassi et Mme [X] [Z] ont été cités devant le tribunal correctionnel du chef susvisé pour avoir porté, le 22 mai 2010, des vêtements comportant l'inscription « Palestine vivra, boycott Israël », distribué des tracts portant les mentions « Boycott des produits importés d'Israël, acheter les produits importés d'Israël c'est légitimer les crimes à [Localité 6], c'est approuver la politique menée par le gouvernement israélien », mention suivie de l'énumération de plusieurs marques de produits importés d'Israël vendus dans les grandes surfaces de la région mulhousienne.
3. MM. [A] [O], [L] [D], [E] [C], Mmes [S] [D], [J] [V], [K] [T] et [M] [H] ont été également cités du même chef, pour les mêmes faits et propos ainsi que pour avoir proféré les mots « Israël assassin, [5] complice ».
4. Par jugement du 15 décembre 2011, le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus.
5. Par arrêt du 27 novembre 2013, la cour d'appel de Colmar a déclaré les prévenus coupables du délit poursuivi, les a condamnés à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
6. Par arrêt du 20 octobre 2015 (Crim., 20 octobre 2015, pourvoi
n° 14-80.020), la Cour de cassation a rejeté leurs pourvois.
7. Saisie par plusieurs d'entre eux, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 11 juin 2020, Baldassi et autres c. France, n° 15271/16) a dit qu'il y avait eu violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
8. Par décision du 7 avril 2022, la cour de révision et de réexamen a fait droit à la requête des prévenus tendant au réexamen de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar qu'elle a ainsi annulé, renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Paris.
Déchéance du pourvoi formé par la chambre de commerce
France-Israël
9. La chambre de commerce France-Israël n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens des pourvois formés par les associations [2] ([2]), [1] ([1]), le [4] ([4]) et la [8] ([8])
Sur le moyen, pris en sa première branche, proposé pour la [8]
10. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour la [8], le moyen proposé pour l'[2], le moyen proposé pour l'AFI et le moyen proposé pour le [4]
Enoncé des moyens
11. Le moyen proposé pour la [8] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris ayant relaxé MM. [O], [D], Baldassi, [C], Mmes [D], [Z], [V], [T] et [H] et l'a déboutée de ses demandes, alors :
« 2°/ que les arrêts de la chambre de l'instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants ; qu'en considérant qu'il résulte du procès-verbal de synthèse rédigé par la gendarmerie nationale que la manifestation s'était déroulée le 22 mai 2010 de 15 à 17 heures, « sans violence, au niveau des rayons des fruits et légumes, en plein milieu du magasin [5], pendant une période de forte affluence, d'agissant du samedi », qu'il n'avait été relevé aucun propos antisémite, qu'il y est mentionné qu'une quinzaine de personnes arborant des t-shirts floqués scandaient des slogans et distribuaient des tracts, et que trois chariots avaient été remplis de produits en provenance d'Israël, sans rechercher si, par le port de vêtement sur lequel était indiqué « Palestine vaincra, boycott Israël » et l'emploi des slogans « Palestine Vivra » ou « Israël Assassin », les prévenus, membres du mouvement [3], n'avaient pas intimidé la clientèle du magasin [5] et stigmatisé quiconque dans la clientèle – juifs ou non-juifs – aurait la velléité d'acquérir des produits de marque israélienne, en les assimilant à des légitimateurs de la politique d'Israël qu'ils considèrent comme un État assassin, et donc par extension à des complices d'un État assassin, et ainsi exhorté à la haine et au rejet des producteurs israéliens, et des Français juifs qui par assimilation sont consommateurs des produits importés de cette région du monde, et donc provoqué à la discrimination raciale sur le fondement de l'origine, la cour d'appel, qui a insuffisamment motivé sa décision, a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale. »
12. Le moyen proposé pour l'[2] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus du délit de provocation à la discrimination, alors « que si l'appel au boycott, qui vise à communiquer des opinions protestataires tout en appelant à des actions spécifiques qui leur sont liées, relève en principe de la protection de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, il constitue cependant une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire, et l'incitation à un traitement différencié, de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d'autrui ; or, l'appel à la discrimination relève de l'appel à l'intolérance, lequel, avec l'appel à la violence et à l'appel à la haine, est une des limites à ne dépasser en aucun cas, dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression ; qu'il appartient aux juges saisis de poursuites contre des militants ayant commis une action pour appeler au boycott de produits en raison de leur origine géographique, de rechercher si, compte tenu de la teneur de cet appel, de ses motifs et des circonstances dans lesquelles il s'inscrit, leur condamnation présente un caractère nécessaire, dans une société démocratique, pour la protection de l'un des buts légitimisés à l'article 10 de la Convention, compte tenu notamment de la nécessaire protection du droit des producteurs et des fournisseurs d'accéder à un marché, et de la nécessité de ne pas importer sur le territoire français un conflit militaire étranger, par des manifestations vindicatives ciblant, fût-ce indirectement, des personnes françaises et risquant d'attiser la haine d'une partie de la population à l'égard d'une autre ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir, pour relaxer les prévenus, qu'aucun propos antisémite n'avait été relevé lors de la manifestation, qu'aucune insulte n'avait été proférée et qu'aucune violence envers la personnel n'avait été exercée, tout en relevant que les slogans proférés étaient de nature à blesser certains clients et que les manifestants avaient retiré d'eux-mêmes des rayons des produits d'origine israélienne, et sans analyser la teneur de l'appel au boycott, ses motifs et les conditions dans lesquelles il s'inscrivait et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les actions et propos reprochées aux prévenus n'étaient pas, surtout compte tenu du contexte en France, de nature, même de façon indirecte, à légitimer, voir à attiser des propos haineux et des actes de violence à l'égard d'une partie de la population, et à favoriser ainsi la recrudescence d'actes antisémites, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881. »
13. Le moyen proposé pour l'AFI critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a, après avoir confirmé le jugement entrepris ayant relaxé les prévenus, déboutée de ses demandes de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que l'appel au boycott constitue une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d'autrui qui relève de l'appel à l'intolérance lequel, avec l'appel à la violence et l'appel à la haine est l'une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression ; que le fait de s'introduire par surprise, pour une bande de quinze personnes, dans un supermarché le samedi après-midi, de scander au mégaphone des cris, en hurlant le slogan « Israël assassin, [5] complice », de distribuer des tracts aux consommateurs par ailleurs hélés, évoquant une occupation sanglante de cet Etat et leur indiquant qu'en achetant des produits israéliens ils en deviennent les complices et légitiment les crimes à [Localité 6], de remplir trois chariots de produits israéliens pour montrer aux consommateurs les produits à ne pas acheter pour la seule raison qu'ils ont été produits en Israël, non seulement incite à une atteinte aux personnes qui, allant faire leurs courses au supermarché, subissent une pression, un chantage et une perturbation auxquels ils ne sont pas préparés, mais encore constitue un appel à la discrimination vis-à-vis d'entreprises fabriquant des produits de consommation pour la seule raison qu'elles sont israéliennes et un appel à la haine vis-à-vis de l'Etat d'Israël -présenté, en son entier, comme un Etat assassin-, et en conséquence de toute personne originaire de cet Etat ; qu'en jugeant pourtant que les actes et propos des prévenus concernaient un sujet d'intérêt général, que ces derniers n'avaient pas été condamnés pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites, que les personnels n'avaient pas été insultés ni violentés, qu'il n'était fait état d'aucune plainte de clients et que si des slogans proférés étaient de nature à blesser certains clients, les actes et paroles des prévenus n'avaient pas excédé les limites admissibles à la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que l'appel au boycott constitue une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d'autrui qui relève de l'appel à l'intolérance lequel, avec l'appel à la violence et l'appel à la haine est l'une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression ; qu'il appartient au juge d'exercer un contrôle de proportionnalité qui prenne en compte, non seulement les circonstances des faits poursuivis, mais encore le contenu du message exprimé ; qu'en énonçant, pour dire que les actes et paroles des prévenus n'avaient pas excédé les limites admissibles à la liberté d'expression, qu'ils concernaient un sujet d'intérêt général, que les prévenus n'avaient pas été condamnés pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites, qu'ils avaient scandé des slogans, arborant des tee-shirts floqués, distribué des tracts, rempli des chariots de produits en provenance d'Israël, qu'ils avaient hélé les clients en leur distribuant des tracts incitant au boycott de produits israéliens, que les personnels n'avaient pas été insultés ni violentés, qu'il n'était fait état d'aucune plainte de clients, sans se prononcer sur plusieurs circonstances de fait pourtant opérantes mises en évidence par l'[1] et tirées de ce que des plaintes avaient été déposées par les directeurs du supermarché juste après les faits, que la gendarmerie avait été appelée et qu'elle était intervenue immédiatement pour contenir les militants, que des menaces avaient été proférées à l'encontre des clients dès lors qu'il leur avait été indiqué qu'ils se rendraient complices de crimes en achetant des produits israéliens, que l'opération de boycott en cause s'inscrivait dans un contexte de représailles à l'encontre de [5], qui, interrogée quelques mois auparavant par le collectif Palestine 68, avait refusé de ne plus vendre de produits en lien avec Israël, dans un souci de neutralité, que des militants lors de l'opération en cause portaient des tee-shirts au dos desquels figuraient un berceau et un missile, évoquant le meurtre de nourrissons par l'Etat d'Israël, la cour d'appel n'a pas effectué le contrôle de proportionnalité qui lui incombait au regard de l'ensemble des circonstances dans lesquelles s'inscrivaient les actes et les propos poursuivis, et comme elle y était invitée, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
14. Le moyen proposé pour le [4] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus du chef de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et a débouté les associations parties civiles, dont le [4], de leurs demandes, alors :
« 1°/ que l'article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 incrimine ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que l'appel au boycott de l'ensemble des personnes et produits israéliens, sans aucune distinction, justifié par l'accusation mensongère de la commission de crimes contre des populations civiles, notamment des enfants (symbolisée par un missile visant une poussette), réalisé dans un lieu commercial, sans autorisation et en retirant volontairement des produits de la vente, avec des slogans hostiles tels que « Israël assassin, [5] complice », caractérise un appel à la haine ou à la discrimination à l'encontre des israéliens et non une simple action politique de contestation des actions du gouvernement israélien ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en relaxant les prévenus, aux motifs qu'il convient de rechercher si les actions n'avaient pas pour objet d'inciter à la discrimination, à la violence ou à la haine à l'encontre d'un groupe de personnes à raison de leur appartenant à la communauté juive, et qu'en l'espèce, aucun des prévenus n'a été condamné pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites ou encore qu'il n'a été relevé aucun propos antisémites, au lieu de rechercher si les actions et les slogans utilisés n'avaient pas eu pour but d'inciter à la discrimination, à la violence ou à la haine à l'encontre des israéliens, qui ne peuvent pas être confondus avec la communauté juive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
15. Les moyens sont réunis.
16. Pour confirmer le jugement et relaxer les prévenus du chef de provocation publique à la discrimination à l'égard d'un groupe de personnes en raison de leur appartenance à la nation israélienne, l'arrêt attaqué énonce que, selon la Cour européenne des droits de l'homme, d'une part, le boycott est une modalité d'expression d'opinions protestataires associée à des actions spécifiques qui leur sont liées et qui relève en principe de la protection de l'article 10 de la Convention, d'autre part, l'appel au boycott, en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié, est susceptible, selon les circonstances qui le caractérisent, de constituer un appel à la discrimination d'autrui, lequel relève de l'appel à l'intolérance, qui, avec l'appel à la violence et l'appel à la haine, est l'une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression.
17. Les juges retiennent qu'en l'espèce les actes et propos des prévenus concernaient un sujet d'intérêt général, à savoir le respect du droit international public par l'État d'Israël et la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, et relevaient d'un mode d'expression politique et militante, en sorte que leurs auteurs doivent bénéficier d'un niveau élevé de protection de la liberté d'expression.
18. Ils en déduisent qu'il convient de rechercher si ces actions et propos avaient pour objet d'inciter à la discrimination, à la violence ou à la haine à l'encontre d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance à la communauté juive, ce qui excéderait alors les limites admissibles à la liberté d'expression.
19. Il observent, à cet égard, que, en premier lieu, aucun des prévenus n'a été condamné pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites, en second lieu, selon le procès-verbal de synthèse de l'enquête, il n'a été relevé aucun propos antisémite, une vingtaine de personnes arborant des tee-shirts en faveur de la Palestine, scandant des slogans, remettant des tracts aux clients et retirant des rayons du magasin des produits d'origine israélienne.
20. Ils ajoutent notamment que selon le directeur de l'établissement, les agissements des manifestants ne consistaient qu'en des agressions verbales, dont il ne précisait pas la nature, mais sans insultes ni violences exercées envers les employés, et qu'il n'est fait état, par ailleurs, d'aucune plainte des clients.
21. Ils rappellent également que, préalablement à cette manifestation, un échange de courrier avait eu lieu entre la direction et le collectif, lequel faisait observer que des produits importés d'Israël étaient mal étiquetés, ce qui ne permettait pas à ceux qui voulaient boycotter Israël d'exercer leur liberté de choix.
22. Ils en concluent que si des slogans proférés ont été de nature à blesser certains clients, les actes et paroles des prévenus n'ont pas excédé les limites admissibles à la liberté d'expression.
23. En statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions visées au moyen.
24. En effet, la Cour de cassation, qui a le contrôle de l'entier dossier de la procédure, est en mesure de s'assurer que les propos tenus et actions menées à [Localité 7] le 26 septembre 2009, s'ils incitaient toute personne concernée à opérer un traitement différencié au détriment de producteurs installés en Israël, ne renfermaient pas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence et ne visaient pas ces derniers en raison de leur appartenance à la nation israélienne mais en raison de leur soutien supposé aux choix politiques des dirigeants de ce pays à l'encontre des Palestiniens.
25. Ainsi, les moyens ne sauraient être accueillis.
26. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par la chambre de commerce France-Israël :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur les pourvois formés par les associations [2], [1], le [4] et la [8] :
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que les associations [2], [1] et la [8] devront payer aux parties représentées par la SCP Sevaux et Mathonnet en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt-cinq.
N° 01394
ECF
4 NOVEMBRE 2025
REJET
DECHEANCE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 NOVEMBRE 2025
Les associations [2] et [1], la [8], le [4] et la chambre de commerce France-Israël, parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 115 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 14 mars 2024, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de MM. [A] [O], [L] [D], [I] Baldassi, [E] [C], Mmes [S] [D], [X] [Z], [J] [V], [K] [T] et [M] [H] du chef de provocation publique à la discrimination en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande, pour les associations [2] et [1], la [8], le [4], et en défense.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de l'association [2], les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat du [4], les observations de Me Carbonnier, avocat de la [8], les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de l'association [1], les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de MM. [A] [O], [L] [D], [I] Baldassi, [E] [C], Mmes [S] [D],
[X] [Z], épouse [N], [J] [V], épouse [D], [K] [T] et [R] [H], épouse [G], et les conclusions de M. Bigey, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 septembre 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.
2. M. [I] Baldassi et Mme [X] [Z] ont été cités devant le tribunal correctionnel du chef susvisé pour avoir porté, le 22 mai 2010, des vêtements comportant l'inscription « Palestine vivra, boycott Israël », distribué des tracts portant les mentions « Boycott des produits importés d'Israël, acheter les produits importés d'Israël c'est légitimer les crimes à [Localité 6], c'est approuver la politique menée par le gouvernement israélien », mention suivie de l'énumération de plusieurs marques de produits importés d'Israël vendus dans les grandes surfaces de la région mulhousienne.
3. MM. [A] [O], [L] [D], [E] [C], Mmes [S] [D], [J] [V], [K] [T] et [M] [H] ont été également cités du même chef, pour les mêmes faits et propos ainsi que pour avoir proféré les mots « Israël assassin, [5] complice ».
4. Par jugement du 15 décembre 2011, le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus.
5. Par arrêt du 27 novembre 2013, la cour d'appel de Colmar a déclaré les prévenus coupables du délit poursuivi, les a condamnés à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
6. Par arrêt du 20 octobre 2015 (Crim., 20 octobre 2015, pourvoi
n° 14-80.020), la Cour de cassation a rejeté leurs pourvois.
7. Saisie par plusieurs d'entre eux, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 11 juin 2020, Baldassi et autres c. France, n° 15271/16) a dit qu'il y avait eu violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
8. Par décision du 7 avril 2022, la cour de révision et de réexamen a fait droit à la requête des prévenus tendant au réexamen de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar qu'elle a ainsi annulé, renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Paris.
Déchéance du pourvoi formé par la chambre de commerce
France-Israël
9. La chambre de commerce France-Israël n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens des pourvois formés par les associations [2] ([2]), [1] ([1]), le [4] ([4]) et la [8] ([8])
Sur le moyen, pris en sa première branche, proposé pour la [8]
10. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour la [8], le moyen proposé pour l'[2], le moyen proposé pour l'AFI et le moyen proposé pour le [4]
Enoncé des moyens
11. Le moyen proposé pour la [8] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris ayant relaxé MM. [O], [D], Baldassi, [C], Mmes [D], [Z], [V], [T] et [H] et l'a déboutée de ses demandes, alors :
« 2°/ que les arrêts de la chambre de l'instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants ; qu'en considérant qu'il résulte du procès-verbal de synthèse rédigé par la gendarmerie nationale que la manifestation s'était déroulée le 22 mai 2010 de 15 à 17 heures, « sans violence, au niveau des rayons des fruits et légumes, en plein milieu du magasin [5], pendant une période de forte affluence, d'agissant du samedi », qu'il n'avait été relevé aucun propos antisémite, qu'il y est mentionné qu'une quinzaine de personnes arborant des t-shirts floqués scandaient des slogans et distribuaient des tracts, et que trois chariots avaient été remplis de produits en provenance d'Israël, sans rechercher si, par le port de vêtement sur lequel était indiqué « Palestine vaincra, boycott Israël » et l'emploi des slogans « Palestine Vivra » ou « Israël Assassin », les prévenus, membres du mouvement [3], n'avaient pas intimidé la clientèle du magasin [5] et stigmatisé quiconque dans la clientèle – juifs ou non-juifs – aurait la velléité d'acquérir des produits de marque israélienne, en les assimilant à des légitimateurs de la politique d'Israël qu'ils considèrent comme un État assassin, et donc par extension à des complices d'un État assassin, et ainsi exhorté à la haine et au rejet des producteurs israéliens, et des Français juifs qui par assimilation sont consommateurs des produits importés de cette région du monde, et donc provoqué à la discrimination raciale sur le fondement de l'origine, la cour d'appel, qui a insuffisamment motivé sa décision, a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale. »
12. Le moyen proposé pour l'[2] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus du délit de provocation à la discrimination, alors « que si l'appel au boycott, qui vise à communiquer des opinions protestataires tout en appelant à des actions spécifiques qui leur sont liées, relève en principe de la protection de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, il constitue cependant une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire, et l'incitation à un traitement différencié, de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d'autrui ; or, l'appel à la discrimination relève de l'appel à l'intolérance, lequel, avec l'appel à la violence et à l'appel à la haine, est une des limites à ne dépasser en aucun cas, dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression ; qu'il appartient aux juges saisis de poursuites contre des militants ayant commis une action pour appeler au boycott de produits en raison de leur origine géographique, de rechercher si, compte tenu de la teneur de cet appel, de ses motifs et des circonstances dans lesquelles il s'inscrit, leur condamnation présente un caractère nécessaire, dans une société démocratique, pour la protection de l'un des buts légitimisés à l'article 10 de la Convention, compte tenu notamment de la nécessaire protection du droit des producteurs et des fournisseurs d'accéder à un marché, et de la nécessité de ne pas importer sur le territoire français un conflit militaire étranger, par des manifestations vindicatives ciblant, fût-ce indirectement, des personnes françaises et risquant d'attiser la haine d'une partie de la population à l'égard d'une autre ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir, pour relaxer les prévenus, qu'aucun propos antisémite n'avait été relevé lors de la manifestation, qu'aucune insulte n'avait été proférée et qu'aucune violence envers la personnel n'avait été exercée, tout en relevant que les slogans proférés étaient de nature à blesser certains clients et que les manifestants avaient retiré d'eux-mêmes des rayons des produits d'origine israélienne, et sans analyser la teneur de l'appel au boycott, ses motifs et les conditions dans lesquelles il s'inscrivait et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les actions et propos reprochées aux prévenus n'étaient pas, surtout compte tenu du contexte en France, de nature, même de façon indirecte, à légitimer, voir à attiser des propos haineux et des actes de violence à l'égard d'une partie de la population, et à favoriser ainsi la recrudescence d'actes antisémites, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881. »
13. Le moyen proposé pour l'AFI critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a, après avoir confirmé le jugement entrepris ayant relaxé les prévenus, déboutée de ses demandes de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que l'appel au boycott constitue une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d'autrui qui relève de l'appel à l'intolérance lequel, avec l'appel à la violence et l'appel à la haine est l'une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression ; que le fait de s'introduire par surprise, pour une bande de quinze personnes, dans un supermarché le samedi après-midi, de scander au mégaphone des cris, en hurlant le slogan « Israël assassin, [5] complice », de distribuer des tracts aux consommateurs par ailleurs hélés, évoquant une occupation sanglante de cet Etat et leur indiquant qu'en achetant des produits israéliens ils en deviennent les complices et légitiment les crimes à [Localité 6], de remplir trois chariots de produits israéliens pour montrer aux consommateurs les produits à ne pas acheter pour la seule raison qu'ils ont été produits en Israël, non seulement incite à une atteinte aux personnes qui, allant faire leurs courses au supermarché, subissent une pression, un chantage et une perturbation auxquels ils ne sont pas préparés, mais encore constitue un appel à la discrimination vis-à-vis d'entreprises fabriquant des produits de consommation pour la seule raison qu'elles sont israéliennes et un appel à la haine vis-à-vis de l'Etat d'Israël -présenté, en son entier, comme un Etat assassin-, et en conséquence de toute personne originaire de cet Etat ; qu'en jugeant pourtant que les actes et propos des prévenus concernaient un sujet d'intérêt général, que ces derniers n'avaient pas été condamnés pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites, que les personnels n'avaient pas été insultés ni violentés, qu'il n'était fait état d'aucune plainte de clients et que si des slogans proférés étaient de nature à blesser certains clients, les actes et paroles des prévenus n'avaient pas excédé les limites admissibles à la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que l'appel au boycott constitue une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d'autrui qui relève de l'appel à l'intolérance lequel, avec l'appel à la violence et l'appel à la haine est l'une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression ; qu'il appartient au juge d'exercer un contrôle de proportionnalité qui prenne en compte, non seulement les circonstances des faits poursuivis, mais encore le contenu du message exprimé ; qu'en énonçant, pour dire que les actes et paroles des prévenus n'avaient pas excédé les limites admissibles à la liberté d'expression, qu'ils concernaient un sujet d'intérêt général, que les prévenus n'avaient pas été condamnés pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites, qu'ils avaient scandé des slogans, arborant des tee-shirts floqués, distribué des tracts, rempli des chariots de produits en provenance d'Israël, qu'ils avaient hélé les clients en leur distribuant des tracts incitant au boycott de produits israéliens, que les personnels n'avaient pas été insultés ni violentés, qu'il n'était fait état d'aucune plainte de clients, sans se prononcer sur plusieurs circonstances de fait pourtant opérantes mises en évidence par l'[1] et tirées de ce que des plaintes avaient été déposées par les directeurs du supermarché juste après les faits, que la gendarmerie avait été appelée et qu'elle était intervenue immédiatement pour contenir les militants, que des menaces avaient été proférées à l'encontre des clients dès lors qu'il leur avait été indiqué qu'ils se rendraient complices de crimes en achetant des produits israéliens, que l'opération de boycott en cause s'inscrivait dans un contexte de représailles à l'encontre de [5], qui, interrogée quelques mois auparavant par le collectif Palestine 68, avait refusé de ne plus vendre de produits en lien avec Israël, dans un souci de neutralité, que des militants lors de l'opération en cause portaient des tee-shirts au dos desquels figuraient un berceau et un missile, évoquant le meurtre de nourrissons par l'Etat d'Israël, la cour d'appel n'a pas effectué le contrôle de proportionnalité qui lui incombait au regard de l'ensemble des circonstances dans lesquelles s'inscrivaient les actes et les propos poursuivis, et comme elle y était invitée, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
14. Le moyen proposé pour le [4] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé les prévenus du chef de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et a débouté les associations parties civiles, dont le [4], de leurs demandes, alors :
« 1°/ que l'article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 incrimine ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que l'appel au boycott de l'ensemble des personnes et produits israéliens, sans aucune distinction, justifié par l'accusation mensongère de la commission de crimes contre des populations civiles, notamment des enfants (symbolisée par un missile visant une poussette), réalisé dans un lieu commercial, sans autorisation et en retirant volontairement des produits de la vente, avec des slogans hostiles tels que « Israël assassin, [5] complice », caractérise un appel à la haine ou à la discrimination à l'encontre des israéliens et non une simple action politique de contestation des actions du gouvernement israélien ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en relaxant les prévenus, aux motifs qu'il convient de rechercher si les actions n'avaient pas pour objet d'inciter à la discrimination, à la violence ou à la haine à l'encontre d'un groupe de personnes à raison de leur appartenant à la communauté juive, et qu'en l'espèce, aucun des prévenus n'a été condamné pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites ou encore qu'il n'a été relevé aucun propos antisémites, au lieu de rechercher si les actions et les slogans utilisés n'avaient pas eu pour but d'inciter à la discrimination, à la violence ou à la haine à l'encontre des israéliens, qui ne peuvent pas être confondus avec la communauté juive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
15. Les moyens sont réunis.
16. Pour confirmer le jugement et relaxer les prévenus du chef de provocation publique à la discrimination à l'égard d'un groupe de personnes en raison de leur appartenance à la nation israélienne, l'arrêt attaqué énonce que, selon la Cour européenne des droits de l'homme, d'une part, le boycott est une modalité d'expression d'opinions protestataires associée à des actions spécifiques qui leur sont liées et qui relève en principe de la protection de l'article 10 de la Convention, d'autre part, l'appel au boycott, en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié, est susceptible, selon les circonstances qui le caractérisent, de constituer un appel à la discrimination d'autrui, lequel relève de l'appel à l'intolérance, qui, avec l'appel à la violence et l'appel à la haine, est l'une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression.
17. Les juges retiennent qu'en l'espèce les actes et propos des prévenus concernaient un sujet d'intérêt général, à savoir le respect du droit international public par l'État d'Israël et la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, et relevaient d'un mode d'expression politique et militante, en sorte que leurs auteurs doivent bénéficier d'un niveau élevé de protection de la liberté d'expression.
18. Ils en déduisent qu'il convient de rechercher si ces actions et propos avaient pour objet d'inciter à la discrimination, à la violence ou à la haine à l'encontre d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance à la communauté juive, ce qui excéderait alors les limites admissibles à la liberté d'expression.
19. Il observent, à cet égard, que, en premier lieu, aucun des prévenus n'a été condamné pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites, en second lieu, selon le procès-verbal de synthèse de l'enquête, il n'a été relevé aucun propos antisémite, une vingtaine de personnes arborant des tee-shirts en faveur de la Palestine, scandant des slogans, remettant des tracts aux clients et retirant des rayons du magasin des produits d'origine israélienne.
20. Ils ajoutent notamment que selon le directeur de l'établissement, les agissements des manifestants ne consistaient qu'en des agressions verbales, dont il ne précisait pas la nature, mais sans insultes ni violences exercées envers les employés, et qu'il n'est fait état, par ailleurs, d'aucune plainte des clients.
21. Ils rappellent également que, préalablement à cette manifestation, un échange de courrier avait eu lieu entre la direction et le collectif, lequel faisait observer que des produits importés d'Israël étaient mal étiquetés, ce qui ne permettait pas à ceux qui voulaient boycotter Israël d'exercer leur liberté de choix.
22. Ils en concluent que si des slogans proférés ont été de nature à blesser certains clients, les actes et paroles des prévenus n'ont pas excédé les limites admissibles à la liberté d'expression.
23. En statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions visées au moyen.
24. En effet, la Cour de cassation, qui a le contrôle de l'entier dossier de la procédure, est en mesure de s'assurer que les propos tenus et actions menées à [Localité 7] le 26 septembre 2009, s'ils incitaient toute personne concernée à opérer un traitement différencié au détriment de producteurs installés en Israël, ne renfermaient pas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence et ne visaient pas ces derniers en raison de leur appartenance à la nation israélienne mais en raison de leur soutien supposé aux choix politiques des dirigeants de ce pays à l'encontre des Palestiniens.
25. Ainsi, les moyens ne sauraient être accueillis.
26. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par la chambre de commerce France-Israël :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur les pourvois formés par les associations [2], [1], le [4] et la [8] :
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que les associations [2], [1] et la [8] devront payer aux parties représentées par la SCP Sevaux et Mathonnet en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt-cinq.