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Cass. crim., 4 novembre 2025, n° 24-84.541

COUR DE CASSATION

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Rejet

Cass. crim. n° 24-84.541

4 novembre 2025

N° P 24-84.541 F-D

N° 01399

ECF
4 NOVEMBRE 2025

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 NOVEMBRE 2025

Mme [D] [G] [H], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 26 juin 2024, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de M. [R] [X] du chef de discrimination et de Mme [N] [I], épouse [B], des chefs de tentative d'extorsion de signature et discrimination.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [D] [G] [H] , les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [N] [I], épouse [B], et les conclusions de M. Bigey, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 septembre 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Pradel, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces soumises à l'examen de la Cour de cassation ce qui suit.

2. Le 7 juillet 2016, Mme [D] [G] [H] a porté plainte et s'est constituée partie civile des chefs de tentative d'extorsion de signature, harcèlement moral et discrimination. Une information a été ouverte.

3. M. [R] [X] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de discrimination et Mme [N] [I], épouse [B], des chefs de discrimination et extorsion de signature.

4. Par jugement du 9 janvier 2023 le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables dans les termes de la prévention et a prononcé sur les intérêts civils.

5. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et le troisième moyen

6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement de condamnation entrepris et a relaxé Mme [B] du chef d'extorsion d'un accord de rupture conventionnelle, alors :

« 3°/ par ailleurs que l'extorsion est le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque ; que constitue une situation de contrainte dont avait conscience le prévenu le fait de convoquer une salariée pour lui faire accepter une rupture conventionnelle en la menaçant d'un licenciement pour un motif qui serait inventé ; qu'en l'espèce, pour considérer que l'élément intentionnel faisait défaut, la Cour d'appel a jugé qu'« il résulte de l'enregistrement réalisé le 19 octobre 2015 que [N] [B] a invité à plusieurs reprises [D] [G] [H] à aller consulter un avocat avant de lui faire part de sa décision (et) l'a incitée par ailleurs à en discuter en interne avec [O] [Z], délégué du personnel et délégué syndical » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs radicalement inopérants, le fait d'inviter la salariée à réfléchir à la proposition de rupture conventionnelle n'étant pas exclusif de la contrainte exercée sur elle en lui indiquant qu'à défaut d'accord de sa part, un motif de licenciement serait inventé, la Cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 121-3, 121-5, 321-1 et 312-9 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ enfin que l'élément moral du délit d'extorsion doit être apprécié compte tenu non seulement de l'âge mais aussi de la condition physique ou intellectuelle ou de l'état psychique de la personne sur laquelle la contrainte s'exerce et de la qualité de la personne qui l'exerce ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces de la procédure que Mme [B], Directrice des ressources humaines, avait proposé à Mme [G], à son retour de congé maladie, et alors qu'elle était diminuée par un long arrêt maladie pour leucémie et rencontrait des difficultés financières, une rupture conventionnelle sous la menace de l'invention d'un motif de licenciement ; qu'en se bornant à considérer que l'élément moral faisait défaut, un délai de réflexion lui ayant été laissé, sans examiner la contrainte à laquelle avait été soumise cette salariée affaiblie par la maladie et la qualité de directrice des ressources humaines de l'auteur des faits qui avait elle-même admis avoir exercé une contrainte sur la salariée, ainsi que le soulignaient les conclusions déposées dans son intérêt, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3, 121-5, 321-1 et 312-9 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour prononcer la relaxe de Mme [B] du chef de tentative d'extorsion, l'arrêt attaqué retient que fait défaut l'élément intentionnel de l'infraction qui consiste en la conscience de l'auteur d'obtenir ou de tenter d'obtenir par la violence, la menace de violence ou la contrainte ce qui n'aurait pu être obtenu par un accord librement consenti.

9. Les juges ajoutent qu'il résulte de l'enregistrement réalisé le 19 octobre 2015 que Mme [B] a invité à plusieurs reprises Mme [G] [H] à aller consulter un avocat avant de lui faire part de sa décision, qu'elle l'a incitée par ailleurs à en discuter en interne avec M. [O] [Z], délégué du personnel et délégué syndical.

10. Les juges en déduisent que ces éléments démontrent que Mme [B] a conseillé à la salariée de prendre le temps de la discussion avec les personnes à même de la protéger afin qu'elle puisse prendre une décision éclairée, qui pouvait alors encore être une décision librement consentie d'accord de rupture conventionnelle.

11. En se déterminant ainsi, par des motifs qui caractérisent suffisamment l'absence d'un état de sujétion de la salariée vis-à-vis de Mme [B], dès lors que les échanges relatifs à une éventuelle rupture conventionnelle se situaient dans une phase de pourparlers et que Mme [B] avait incité la salariée à prendre le temps de la réflexion, la cour d'appel, qui a retenu l'absence d'élément intentionnel du délit d'extorsion, a justifié sa décision.
12. Dès lors, le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement entrepris et a relaxé Mme [B] et M. [X] du chef de discrimination en raison de l'état de santé de Mme [G] [H] relativement à un licenciement, alors :

« 1°/ que d'une part constitue une discrimination le fait de licencier un salarié à raison de son état de santé, même si le motif affiché par l'employeur est différent ; qu'en l'espèce, ainsi que l'avaient justement relevé les premiers juges, « si la procédure de licenciement a été faite officiellement sur le motif de la perte de confiance en raison de l'enregistrement de l'entretien du 19 octobre 2015, il ressort clairement de la procédure et des débats exposés ci-dessus que la décision de licencier lmen [G] [H], si elle n'acceptait pas la rupture conventionnelle, était déjà prise dans son principe puisque son état de santé ne lui permettait plus de voyager, que le médecin du travail n'avait pas conclu à une inaptitude et qu'aucun autre poste ne pouvait lui être proposé ; qu'il ressort tant de la conversation enregistrée que des déclarations des deux prévenus devant le juge d'instruction et renouvelées à l'audience qu'il n'y avait aucun motif légal de licenciement, que seule Madame [B] a indiqué qu'au besoin « on pourrait l'inventer », ce que Monsieur [X] conteste avoir demandé ; qu'en tout état de cause Monsieur [X] comme employeur et Madame [B] en sa qualité de directrice des ressources humaines et signataire de la lettre de licenciement, sont co-auteurs du licenciement fondé dans sa réalité uniquement sur l'état de santé d'[D] [G] [H], donc discriminatoire » ; qu'en infirmant ce jugement aux motifs, erronés et partant inopérants, que « jusqu'à cette date (du 30 octobre 2015) la situation étant celle d'une négociation entre l'entreprise et la salariée qui, si elle n'avait pas fait connaître son accord à une rupture conventionnelle, n'avait pas non plus exprimé de refus que l'entreprise aurait sanctionné par l'engagement d'une procédure de licenciement », la Cour d'appel a dénaturé les pièces de la procédure, la décision de licencier en raison de l'état de santé ayant été prise, dans son principe, dès le 15 septembre 2015, ou à tout le moins le 19 octobre 2025, et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 121-3, 225-1 et 225-2 du Code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part et en tout état de cause que les conclusions régulièrement déposées dans l'intérêt de Mme [G] faisaient expressément valoir que si Mme [B] avait indiqué lors de l'entretien du 19 octobre 2015, enregistré par la salariée et faisant suite à un premier entretien du 15 septembre 2015, que la procédure de licenciement n'était pas officielle, c'est précisément parce qu'elle savait qu'un licenciement en raison de l'état de santé n'est pas juridiquement possible, d'où les pressions exercées sur la salariée pour qu'elle accepte une rupture conventionnelle ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions en se bornant à indiquer, de manière péremptoire, que le licenciement avait été fondé sur l'enregistrement, la Cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 121-3, 225-1 et 225-2 du Code pénal, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

14. Pour prononcer la relaxe de Mme [B] et de M. [X] du chef de licenciement discriminatoire en raison de l'état de santé, l'arrêt attaqué retient que les prévenus ont évoqué tous deux le contexte économique dans lequel se trouvait l'entreprise qui venait de perdre un contrat avec une société tierce et que M. [X] était prêt à un certain nombre de concessions afin de favoriser autant que possible la rupture conventionnelle.

15. Les juges constatent qu'aucune procédure de licenciement n'a été engagée dans les suites immédiates de l'entretien du 19 octobre 2015, entretien au cours duquel on entend Mme [B] préciser « qu'on n'est pas dans une procédure officielle aujourd'hui ».

16. Ils relèvent que, le 30 octobre 2015, la salariée a fait l'objet d'une convocation à un entretien préalable, fixé au 9 novembre 2015, et dont l'objet indiqué était celui d'une rupture conventionnelle, et non celui d'un entretien préalable au licenciement et qu'il en résulte que, jusqu'à la date du 30 octobre 2015 au moins, il n'existait aucune certitude d'une procédure de licenciement, la situation étant celle d'une négociation entre l'entreprise et la salariée qui, si elle n'avait pas fait connaître son accord à une rupture conventionnelle, n'avait pas non plus exprimé de refus que l'entreprise aurait sanctionné par l'engagement d'une procédure de licenciement.

17. Les juges ajoutent que Mme [B] et M. [X] ont de manière constante déclaré que la procédure de licenciement n'avait été engagée qu'après qu'ils ont appris, par la lettre d'avocat du 4 novembre 2015, que l'entretien du 19 octobre 2015 avait été enregistré et que la salariée était allée déposer une main courante le 23 octobre suivant, ce dont ils ont déduit qu'elle avait eu un comportement déloyal.

18. En prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision.

19. En effet, c'est par des motifs procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, dont il résulte qu'il n'existait aucune certitude d'une procédure de licenciement et que la situation était celle d'une négociation entre l'entreprise et la salariée, qu'elle a retenu, sans inverser la charge de la preuve ni dénaturation, l'absence de licenciement discriminatoire.

20. Dès lors, le moyen ne saurait être accueilli.

21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [D] [G] [H] devra payer à Mme [N] [I], épouse [B], au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt-cinq.

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