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Décisions

CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 3 novembre 2025, n° 24/02187

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 24/02187

3 novembre 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 24/02187 - N° Portalis DBVH-V-B7I-JHY2

CRL/JLB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ALES

13 juin 2024

RG :F 23/00041

S.A.S.U. ACER

C/

[N]

Grosse délivrée le 03 NOVEMBRE 2025 à :

- Me THOMASIAN

- Me SOULIER

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 03 NOVEMBRE 2025

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ALES en date du 13 Juin 2024, N°F 23/00041

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et Monsieur Julian LAUNAY BESTOSO, Greffier, lors du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 09 Septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 Novembre 2025.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S.U. ACER

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Euria THOMASIAN de la SELARL EURI JURIS, avocat au barreau D'ALES

INTIMÉE :

Madame [T] [N]

née le 05 Mars 1969 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Eve SOULIER de la SELARL EVE SOULIER - JEROME PRIVAT - THOMAS AUTRIC, avocat au barreau D'AVIGNON

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 03 Novembre 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

Mme [T] [N] a été engagée par la SASU Acer à compter du 1er septembre 2020 suivant contrat de travail à durée déterminée saisonnier à temps partiel d'une durée de 24 heures hebdomadaires, poursuivi par un contrat à durée indéterminée à compter du 10 janvier 2022, en qualité de serveuse.

Au dernier état de la relation contractuelle, la durée mensuelle de travail était de 130 heures pour une rémunération mensuelle brute de 1374,10 euros.

La convention collective nationale applicable est celle des hôtels, cafés, restaurants.

Par courrier du 5 août 2022, la salariée était convoquée à un entretien préalable en vue d'une rupture conventionnelle.

Par courrier du 16 août 2022, la salariée était convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 24 août 2022.

Par courrier du 5 septembre 2022, la SASU Acer notifiait à Mme [T] [N] son licenciement pour motif économique.

Par courrier recommandé du 18 novembre 2022, la salariée contestait son reçu pour solde de tout compte.

Formulant divers griefs à l'encontre de son employeur, Mme [T] [N] saisissait le conseil de prud'hommes d'Alès par citation à comparaître signifiée le 24 mai 2023 aux fins d'une demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet et de condamnation de son ancien employeur au paiement de diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Par jugement en date du 13 juin 2024, le conseil de prud'hommes d'Alès a :

- jugé que le contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps complet ;

- jugé que le défaut d'information et de communication du CSP constitue un manquement de l'employeur ouvrant droit à réparation ;

- jugé que le motif économique du licenciement n'est pas justifié ;

- condamné la SASU Acer, prise en la personne de son représentant légal à payer à Mme [T] [N] les sommes suivantes :

* 2 365.79 euros bruts à titre de rappel de salaires,

* 236.57 euros bruts à titre de congés payés y afférents,

* 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-délivrance des documents de CSP,

* 5 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision ;

- condamné la SASU Acer, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens y compris ceux éventuellement nécessaires à l'exécution du présent jugement ;

- dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire les sommes retenues par l'huissier instrumentaire, en application du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la SASU Acer, en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes, fins et conclusions.

Par déclaration effectuée par voie électronique le 25 juin 2024, la SASU ACER a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 26 mai 2025, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 11 août 2025. L'affaire a été fixée à l'audience du 9 septembre 2025.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 25 juillet 2024, la SASU ACER demande à la cour de :

- déclarer l'appel recevable et régulier tant sur la forme que sur le fond ;

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Alès le 13 juin 2024 en toutes ses dispositions ;

et statuant a nouveau

- rejeter l'argumentation fallacieuse de Mme [T] [N] ;

- le débouter de l'ensemble de ses demandes et prétentions ;

- condamner Mme [T] [N] à lui régler la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, la SASU Acer fait valoir que :

- Mme [T] [N] ne produit aucun élément afin d'étayer sa demande de requalification de son contrat de travail qui mentionne explicitement sa durée hebdomadaire et la possibilité d'effectuer des heures complémentaires suivant planning produit une semaine à l'avance,

- elle ne justifie pas plus avoir dû se tenir à la disposition permanente de son employeur, ce qui exclut toute requalification,

- le défaut de proposition de CSP visé par l'article 7 de la convention du 26 janvier 2015 prévoit une sanction de l'employeur à l'égard de Pôle emploi et non pas à l'égard du salarié, étant rappelé qu'en l'espèce Mme [T] [N] a été informée par son conseiller Pôle emploi de la possibilité d'y souscrire,

- au surplus, Mme [T] [N] ne démontre pas la réalité du préjudice dont elle demande l'indemnisation,

- la lettre de licenciement énonce clairement le motif économique du licenciement, soit la nécessité d'arrêter l'exploitation de la terrasse de l'établissement, en pleine saison estivale, conformément à l'arrêté municipal du 24 juin 2022 l'obligeant à quitter les lieux,

- les pièces comptables produites au débat confirment la réalité du motif économique du licenciement.

En l'état de ses dernières écritures en date du 22 octobre 2024, Mme [T] [N] demande à la cour de :

- recevoir l'appel de la SASU Acer

- le juger mal fondé,

en conséquence,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Alès, en ce qu'il a jugé que le contrat de travail à temps partiel devait être requalifié en contrat de travail à temps complet,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Alès, en ce qu'il a considéré que le défaut d'information et de communication du CSP constituait un manquement de l'employeur ouvrant droit à réparation,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Alès, en ce qu'il a considéré que le motif économique du licenciement n'était pas justifié,

en conséquence,

- condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

* 2 365,79 euros outre 236,57 euros au titre des congés payés y afférents,

* 2500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-délivrance des documents de CSP

* 5000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 2500 euros au titre de l'article 700 du cpc

- condamner l'employeur aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, Mme [T] [N] fait valoir que :

- la requalification du temps partiel en temps plein s'impose en l'absence de répartition du temps de travail sur la semaine, de sorte qu'elle était à disposition permanente de la SASU Acer et en raison du fait qu'elle a été amenée sur certaines périodes à travailler au-delà de la durée légale du travail, soit 175,5 heures en novembre 2021,

- dans le cadre de la procédure de licenciement, la SASU Acer ne lui a jamais proposé de CSP, lui causant de facto un préjudice,

- la réalité du motif économique du licenciement n'est pas démontrée par la SASU Acer,

- la SASU Acer ne produit aux débats aucun élément comptable caractérisant une dégradation de son chiffre d'affaires ou des difficultés financières,

- de même, aucun élément n'est produit pour caractériser l'obligation de fermeture de l'établissement dont se prévaut la SASU Acer, les seules pièces produites concernant non pas la société mais M. [P],

- enfin, aucune recherche de reclassement n'a été effectuée alors que la SASU Acer possède plusieurs établissements,

- les demandes indemnitaires sont par suite justifiées.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS

Demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

* demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein

L'article L 3123-17 dans sa rédaction applicable issue de la loi n°2013-504 du14 juin 2013, prévoit que le nombre d'heures complémentaires accomplies par un salarié à temps partiel au cours d'une même semaine ou d'un même mois ou sur la période prévue par un accord collectif conclu sur le fondement de l'article L. 3122-2 ne peut être supérieur au dixième de la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue dans son contrat calculée, le cas échéant, sur la période prévue par un accord collectif conclu sur le fondement de l'article L. 3122-2. Les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement. Chacune des heures complémentaires accomplies dans la limite fixée au premier alinéa du présent article donne lieu à une majoration de 10%.

En conséquence de ces dispositions, la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet est encourue, dès lors que les heures complémentaires ont pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale ou conventionnelle du travail, et ce à compter de la première irrégularité, même sur une période limitée.

L'action en requalification du contrat de travail en contrat à temps complet est une action en paiement du salaire soumise au délai de prescription prévu par l'article L. 3245-1 du code du travail.

Par application des dispositions de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

En l'espèce, le contrat de travail initial à durée déterminée à temps partiel en date du 18 mai 2021mentionne un horaire mensuel de 104 heures et prévoit la possibilité de solliciter du salarié l'exécution d'heures complémentaires.

Il est mentionné au contrat que concernant les horaires de travail de Mme [T] [N], elle ' se conformera aux horaires habituels de l'entreprise, selon le planning prévisionnel remis une semaine à l'avance et affiché dans cette dernière. De plus, il est expressément précisé que sauf événement extérieur indépendant de la volonté des parties, nécessitant un changement de planning du fait des nécessités de service, la répartition des horaires de travail pourra être modifiée par l'employeur sous réserve d'un préavis écrit de trois semaines.'

Par avenant en date du 1er novembre 2021, le contrat est renouvelé à compter du 30 octobre 2021, jusqu'au 15 janvier 2022, et le temps de travail est porté à 35 heures par semaine.

Par avenant en date du 10 janvier 2022 Mme [T] [N] est embauchée en contrat de travail à durée indéterminée à raison de 130 heures mensuelles, soit 30 heures hebdomadaires.

Les bulletins de salaire de Mme [T] [N] mentionnent en juillet 2021 : 179 heures travaillées, dont 104 heures de base, 10,40 heures complémentaires et 70,50 heures supplémentaires pour un salaire brut total de 2.070,35 euros.

Si la SASU Acer soutient que cette durée de travail ne dépasse la durée maximale hebdomadaire de 48 heures prévue par l'article L 3121-10 du code du travail, cet argument est sans emport, les dispositions légales rappelées supra visant non la durée maximale mais la durée légale du travail de 35 heures hebdomadaires.

De fait, les mentions ainsi portées sur ce bulletin de salaire établissent la réalité d'un temps de travail mensuel de 179 heures, soit au-delà de la durée légale du travail et par suite le contrat de travail à temps partiel sera requalifié en contrat de travail à temps plein.

Mme [T] [N] sollicite ensuite de cette requalification des rappels de salaires pour porter son salaire mensuel à taux plein sur l'ensemble de la période contractuelle, soit la somme totale de 2.365,79 euros outre 236,57 euros de congés payés afférents qui n'est pas contestée à titre subsidiaire par la SASU Acer.

Il sera en conséquence fait droit à cette demande, ainsi qu'à la demande subséquente de délivrer à Mme [T] [N] un bulletin de paie rectifié en ce sens.

La décision déférée sera confirmée sur ces dispositions.

Demandes relatives à la rupture du contrat de travail

Mme [T] [N] a été licenciée pour motif économique par courrier en date du 5 septembre 2022 rédigé dans les termes suivants :

'Madame,

nous sommes au regret de vous informer que nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique.

La raison économique de cette mesure est la cessation d'activité de l'entreprise exploitant le fonds de commerce de bar.

Le lieu d'exploitation de ce fonds de commerce étant en obligation de fermeture par suite d'une décision judiciaire de rénovation du bâti dans son intégralité. Sa durée pouvant être de plusieurs mois. Le chiffre d'affaires ne pouvant plus être assuré, la trésorerie de l'entreprise ne pourra pas être suffisante pour assurer les charges courantes et salariales.

L'entreprise n'a pas de possibilité de reclassement et n'avons pas trouvé de poste de reclassement.

Votre contrat de travail prendra fin à l'expiration de votre préavis d'une durée d'un mois à partir de la date de première présentation de cette lettre.

Vous pouvez bénéficier d'une priorité de réembauchage pendant une durée d'un an à compter de la fin de votre contrat de travail, si vous en faites la demande par écrit dans ce même délai. Cette priorité concerne les emplois compatibles avec votre qualification actuelle ou celles que vous viendriez à acquérir, si vous nous avez informée de celle-ci.

A la fin de votre contrat de travail, nous tiendrons à votre disposition votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte, et votre attestation Pôle Emploi.

Enfin, vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les 15 jours suivants sa notification. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de 15 jours après réception de votre demande. Nous pouvons également prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement.

Veuillez agréer, Madame, l'expression de ma considération distinguée.'

* sur la demande de dommages et intérêts pour défaut de proposition du CSP

L' article L1233-65 du code du travail dispose que le contrat de sécurisation professionnelle a pour objet l'organisation et le déroulement d'un parcours de retour à l'emploi, le cas échéant au moyen d'une reconversion ou d'une création ou reprise d'entreprise.

Ce parcours débute par une phase de prébilan, d'évaluation des compétences et d'orientation professionnelle en vue de l'élaboration d'un projet professionnel. Ce projet tient compte, au plan territorial, de l'évolution des métiers et de la situation du marché du travail.

Ce parcours comprend des mesures d'accompagnement, notamment d'appui au projet professionnel, ainsi que des périodes de formation et de travail.

Dans la jurisprudence citée par les parties (Soc 7 mars 2017 pourvoi 15-23038 ) la Cour de cassation juge que ' la cour d'appel, qui a constaté que, nonobstant les circonstances de fait invoquées par l'employeur pour tenter de justifier l'absence de remise du contrat de sécurisation professionnelle, il avait manqué à ses obligations, a souverainement apprécié le préjudice qui en était résulté pour la salariée ; que le moyen n'est pas fondé', l'arrêt déféré retenant un préjudice consécutif au défaut d'information de la salariée sur l'étendue de ses droits.

Au visa de ce texte et de cette jurisprudence, Mme [T] [N] sollicite la somme de 2.500 euros de dommages et intérêts en faisant valoir qu'en raison de ce manquement de l'employeur, elle n'a pas pu bénéficier de l'action de formation et d'une allocation majorée.

La SASU Acer s'oppose à cette demande en faisant valoir que les dispositions invoquées par Mme [T] [N] ne sanctionnent 'l'employeur que par rapport à Pôle emploi et non à l'égard du salarié', et que Mme [T] [N] 'n'a subi aucun préjudice du fait du manquement de l'employeur dans la mesure où l'information lui a été délivrée et qu'elle disposait donc de la possibilité d'adhérer au dispositif.'

De fait, le défaut d'information sur le CSP imputable à l'employeur a causé un préjudice à Mme [T] [N] quant à l'étendue de ses droits et un retard dans leur mise en oeuvre, quand bien même elle aurait ensuite été informée par France Travail.

Son préjudice a été justement indemnisé par le premier juge par l'octroi d'une somme de 1.500 euros de dommages et intérêts.

La décision déférée sera confirmée sur ce point.

* sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse

Selon l'article L1233-3 du code du travail constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

La réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, et répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement ; les modifications des contrats de travail résultant de cette réorganisation ont elles-mêmes une cause économique ce qui implique que la compétitivité soit déjà atteinte ou menacée de manière certaine.

Il revient à l'employeur, sur qui repose la charge de la preuve, de produire des documents ou autres éléments qui établissent des signes concrets et objectifs d'une menace sur l'avenir de l'entreprise, autrement dit de démontrer le caractère inéluctable des difficultés économiques si la situation reste en l'état.

La seule intention de l'employeur de faire des économies ou d'améliorer la rentabilité de l'entreprise ne peut constituer une cause de rupture du contrat de travail.

Bien que le juge n'ait pas à se substituer à l'employeur dans les choix économiques, lesquels relèvent de son pouvoir de gestion, il doit toutefois vérifier que l'opération était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.

En vertu de l'article L1233-16 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur ; cette obligation légale a pour objet de permettre au salarié de connaître les limites du litige quant aux motifs énoncés.

Si la lettre de licenciement doit énoncer la cause économique du licenciement telle que prévue par l'article L1233-1 du code du travail et l'incidence matérielle de cette cause économique sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié, l'appréciation de l'existence du motif invoqué relève de la discussion devant le juge en cas de litige.

Il en résulte que la lettre de licenciement qui mentionne que le licenciement a pour motifs économiques la suppression de l'emploi du salarié consécutive à la réorganisation de l'entreprise justifiée par des difficultés économiques et/ou la nécessité de la sauvegarde de sa compétitivité répond aux exigences légales, sans qu'il soit nécessaire qu'elle précise le niveau d'appréciation de la cause économique quand l'entreprise appartient à un groupe ; c'est seulement en cas de litige qu'il appartient à l'employeur de démontrer dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué

Selon l'article 1232-6 alinéa 2 du même code, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

En l'espèce, le licenciement de Mme [T] [N] est fondé sur la cessation de l'activité de la SASU Acer en raison d'un arrêté municipal du 24 juin 2022 l'obligeant, en raison d'une mise en sécurité de l'immeuble abritant son fonds de commerce, à ne plus exploiter la terrasse de l'établissement pendant la saison estivale et par suite à quitter les lieux.

Au soutien de ses explications la SASU Acer produit :

- une ordonnance de référé en date du 13 mai 2022 qui constate que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail renouvelé le 1er août 2020 concernant un local à usage commercial situé [Adresse 2] et [Adresse 1] à [Localité 9] sont réunies à la date du 19 février 2022 ; ordonne à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la notification de la décision l'expulsion de M. [B] [P] ainsi que de tout occupant de son chef, des locaux visés au bail, si besoin avec l'assistance de la force publique ; condamne M. [B] [P] à payer à M. [E] [V] à titre provisionnel une indemnité mensuelle d'occupation à compter de la date de résiliation effective du contrat de bail, soit le 19 février 2022 ; déboute M. [P] de sa demande d'expertise,

- une ordonnance de référé en date du 18 août 2022 rendue par le premier président de la cour d'appel de Nîmes rejetant la demande d'arrêt de l'exécution provisoire soutenue par M. [P] au motif notamment que ' M. [P] qui exploite au vu du bail un débit de boissons dans les lieux loués fait valoir au titre des conséquences manifestement excessives que les cinq employés qu'il embauche vont perdre leur travail et qu'ils ne retrouveront pas d'emploi rapidement et qu'il a fait l'acquisition de matériaux nécessaires à l'exploitation du bar qu'il va devoir revendre. Non seulement le nombre de salariés travaillant dans cet établissement dénommé le Sport bar était limité à deux à la date de l'ordonnance contestée, mais encore l'achat de matériel destiné à l'exploitation du fonds de commerce n'est pas justifié',

- l'arrêté municipal en date du 24 juin 2022 du maire de [Localité 9] visant une mise en sécurité d'urgence du bâtiment situé [Adresse 1], visant un péril avéré pour le public et les usagers de la terrasse en raison de planchers déstabilisés, ' des morceaux de tuiles ou de parefeuilles tombent sur le trottoir du boulevard et la terrasse du bar' ' l'installation électrique est déficiente',

- l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes le 23 janvier 2023 statuant sur l'appel de l'ordonnance de référé du 13 mai 2022 qui constate qu'il n'y a plus lieu à expertise, M. [P] ayant quitté le local commercial le 13 octobre 2022,

- les attestations de présentation des comptes annuels pour les années 2021 et 2022,

- les bilans comptables pour les années 2021 et 2022 qui mentionnent notamment que le capital de la SASU Acer est détenu à 100% par M. [P].

Mme [T] [N] conteste le motif économique de son licenciement en faisant valoir que la SASU Acer ne produit aucun élément comptable probant et aucune décision de quelque nature que ce soit le contraignant à fermer son établissement.

Elle considère que les pièces produites sont au nom de M. [P] et non de la SASU Acer et que l'arrêté produit ne vise pas une fermeture administrative de l'établissement mais se contente d'ordonner des travaux sous 48 heures, ' donc pas de gros travaux'.

Ceci étant, contrairement à ce qui est soutenu par Mme [T] [N], il résulte des pièces produites par la SASU Acer que M. [P], bailleur du fonds de commerce et locataire des murs où le fonds de commerce est exploité a été expulsé des lieux par ordonnance de référé du 13 mai 2022 et que l'arrêté municipal s'il ordonne certains travaux sous 48 heures, en liste d'autres à effectuer ensuite, les travaux urgents visant la mise en sécurité de l'immeuble uniquement.

Il résulte de ces éléments que la SASU Acer a été contrainte par ces décisions de justice de quitter les lieux dans lesquels elle poursuivait son activité, ce qui caractérise la cessation de son activité faute d'élément caractérisant une poursuite de celle-ci dans un autre local.

La réalité du motif économique résultant de la cessation de l'activité est par suite caractérisée.

* sur le manquement à l'obligation de reclassement

Aux termes de l'article L1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

La période au cours de laquelle l'employeur doit effectuer la recherche de reclassement se situe entre le moment où il envisage le licenciement, cette date se manifeste par l'engagement de la procédure pouvant y conduire et le moment où il le décide, c'est-à-dire à la date d'envoi de la lettre de licenciement (Soc. 30 Mars 2010 no 09-40.068)

Par suite, la proposition de modification de contrat de travail pour motif économique refusée par le salarié ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement et, par suite, de lui proposer éventuellement le même poste en exécution de cette obligation. (Soc., 10 juillet 2024, nº 22-18.495 )

En l'espèce, il n'est pas contesté qu'aucune proposition de reclassement n'a été formulée au profit de Mme [T] [N], la lettre de licenciement précisant ' L'entreprise n'a pas de possibilité de reclassement et n'avons pas trouvé de poste de reclassement.'.

La SASU Acer n'apporte dans ces écritures aucune explication complémentaire sur ce point.

Mme [T] [N] soutient que la SASU Acer a manqué à son obligation de reclassement alors qu'il ressort de son extrait Kbis qu'elle dispose de deux établissements : un [Adresse 6] et l'autre [Adresse 8] à [Localité 9], qu'elle avait plusieurs autres activités telles que : sablage, nettoyage, décapage industriel, application de revêtement de protection, gite, chambre d'hôte et table d'hôte, crêperie sur place et à emporter, et qu'à la date du 21 février 2024 elle n'avait fait l'objet d'aucune radiation et poursuivait donc son exploitation.

De fait, en l'absence de toute explication de la part de la SASU Acer sur ses recherches de reclassement en interne en raison des éléments ainsi rapportés par Mme [T] [N], celle-ci ne justifie pas des démarches entreprises en vue d'une recherche de reclassement au profit de Mme [T] [N] et le cas échéant des motifs de son échec.

Le licenciement pour motif économique notifié à Mme [T] [N] par courrier en date du 5 septembre 2022 a en conséquence justement été requalifié par le premier juge en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

* sur les conséquences indemnitaires du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Par application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse le salarié qui présente une ancienneté de une année complète à la date de son licenciement peut prétendre à une indemnité comprise entre 1 et 2 mois de salaire.

Mme [T] [N] sollicite la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sans produire d'explication au soutien de sa demande.

La SASU Acer ne conteste pas cette demande à titre subsidiaire.

De fait, la somme sollicitée par Mme [T] [N] et allouée par le premier juge est supérieure au montant maximum auquel l'intimée peut prétendre, son salaire mensuel à temps plein étant de 1.589,50 euros augmenté de l'avantage en nature 'repas'.

La cour considère compte tenu de l'ancienneté de Mme [T] [N] et des éléments versés aux débats qu'elle sera justement indemnisée par une somme de 3.000 euros.

La décision déférée sera infirmée en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Confirme le jugement rendu le 13 juin 2024 par le conseil de prud'hommes d'Alès, sauf en ce qu'il a alloué à Mme [T] [N] la somme de 5.000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,

et statuant à nouveau sur ce point,

Condamne la SASU Acer à verser à Mme [T] [N] la somme de 3.000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SASU Acer à verser à Mme [T] [N] la somme de 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SASU Acer aux dépens de la procédure d'appel.

Arrêt signé par le président et par le greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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