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Décisions

Cass. 1re civ., 5 novembre 2025, n° 24-16.055

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Cass. 1re civ. n° 24-16.055

4 novembre 2025

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 mars 2024), par une procuration, établie par un notaire espagnol le 9 septembre 2015, le gérant de la société française Forfinance a conféré à M. [P] tous pouvoirs pour agir au nom et pour le compte de la société, afin que cette dernière cède à M. [P] des parts sociales qu'elle détenait dans la société espagnole Fornor. La cession a été conclue par actes notariés des 26 novembre 2015 et 2 novembre 2017.

2. Le 22 octobre 2018, la société Forfinance a assigné M. [P] en annulation du mandat et de la cession des parts sociales, et en indemnisation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et le deuxième moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [P] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la loi applicable au contrat du 9 septembre 2015 était la loi française, déclaré l'action de la société Forfinance recevable, dit que le juge français peut statuer sur la validité du contrat du 9 septembre 2015, annulé le contrat du 9 septembre 2015 reçu par Me [E], notaire à [Localité 2] et intitulé « acte de délégation de pouvoir passé par la société de droit français dénommée Forfinance SAS en faveur de M. [K] [P] », annulé par voie de conséquence, les contrats reçus les 26 novembre 2015 et 2 novembre 2017 intitulés « Acte de vente de parts sociales (...) », condamné en conséquence, la société Forfinance à rembourser à M. [P] la somme de 1 200 euros correspondant au prix de cession du 26 novembre 2015, dit que M. [P] a engagé sa responsabilité envers la société Forfinance en exécutant déloyalement le mandat du 9 septembre 2015 à la date du 2 novembre 2017 et condamné M. [P] à payer à la société Forfinance la somme de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts et, y ajoutant, de condamner la société Forfinance à lui rembourser la somme de 350 000 euros versée en paiement partiel de la cession de parts sociales du 2 novembre 2017 et toute autre somme qu'elle aurait perçue à ce titre, alors « que l'article 4, 3) du Règlement n° 598/2008 du 17 juin 2008, dit Rome I, dispose que, lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1) ou 2), la loi de cet autre pays doit s'appliquer ; qu'en l'espèce, M. [P] démontrait que le contrat litigieux du 9 septembre 2015, dont l'objet était de lui conférer un pouvoir de procéder à la cession de parts sociales d'une société de droit espagnol, présentait manifestement des liens plus étroits avec l'Espagne qu'avec la France, pays désigné par les paragraphes 1 et 2 de l'article 4 du Règlement, puisqu'il s'agissait d'un acte authentique passé devant un notaire espagnol, portant sur un contrat qui avait été conclu et exécuté en Espagne, qui s'insérait dans un ensemble de contrats (contrats de cessions de parts sociales d'une société de droit espagnol et de garantie de paiement) conclus en Espagne par-devant un notaire espagnol et soumis au droit espagnol, qui faisait référence aux lois espagnoles, dans lequel M. [P] était mentionné à son adresse de [Localité 2], avec son NIE espagnol, et dont l'efficacité du contrat supposait l'application de la loi Espagnole, de sorte que le seul point de rattachement du contrat à la France était l'une des résidences de M. [P] et le siège social de la société Forfinance, dont le représentant demeurait, lui d'ailleurs, en Belgique ; qu'en jugeant pourtant que la loi française était applicable, aux motifs que « c'est encore de manière fondée que les premiers juges ont estimé, au regard du [§] 3 de ce texte, que si le contrat litigieux présentait tout à la fois des liens avec la loi française et la loi espagnole, la circonstance que la société espagnole Fornor soit une filiale de la société française Forfinance impliquait que les ordres ou décisions venaient de France, seule leur exécution devant avoir lieu en Espagne, de sorte que c'est avec la France que le contrat avait les liens les plus étroits, quand bien même M. [I] [G], agissant ès qualités de représentant légal de Forfinance, s'est déplacé en Espagne pour signer cet acte chez un notaire espagnol, la cour précisant que les mentions relatives à la loi espagnole dans l'acte litigieux concernent les démarches administratives à effectuer pour passer l'acte (obtention d'un numéro d'identité des étrangers) et l'intégration des données de l'acte aux fichiers informatisés de l'étude notariale et non le droit applicable à l'engagement des parties », la cour d'appel qui s'est ainsi contentée d'éléments inopérants, sans ni comparer les liens de rattachement avec l'un et l'autre pays, ni s'expliquer sur l'ensemble des éléments invoqués par l'exposant et qui démontraient manifestement l'existence d'un lien plus étroit avec l'Espagne qu'avec la France, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 4, 3), du Règlement n° 598/2008 du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 4, paragraphe 1er du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), à défaut de choix exercé conformément à l'article 3, la loi applicable au contrat de prestation de services est celle du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle.

6. Aux termes de l'article 4, paragraphe 3, lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique.

7. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, à propos des articles 4, paragraphe 5, et 6, paragraphe 2, de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, que le juge national doit, d'abord, procéder à la détermination de la loi applicable sur la base du critère de rattachement prévu par la règle de conflit. Ensuite, il doit vérifier si, au regard de l'ensemble des circonstances du litige dont il est saisi, il y a lieu de déroger à la loi ainsi désignée, ce qui implique qu'il se livre à une comparaison des liens existant avec, d'une part, le pays désigné par le critère de rattachement de la règle de conflit et, d'autre part, un autre pays avec lequel le rapport de droit présente des liens étroits. A cette fin, il doit procéder à une appréciation globale de l'ensemble des éléments objectifs et apprécier ceux qu'il juge les plus significatifs (CJCE, arrêt du 6 octobre 2009, ICF, C-133/08, CJUE, arrêt du 12 septembre 2013, Schlecker, C-64/12 et CJUE, arrêt du 23 octobre 2014, Haeger & Schmidt, C-305/13). Cette analyse est transposable à l'application de l'article 4, paragraphe 3, du règlement Rome I.

8. Après avoir relevé que les éléments versés aux débats étaient suffisants pour établir que la résidence habituelle de M. [P] se situait en France au moment des actes litigieux et qu'en vertu de l'article 4, paragraphe 1er, du règlement Rome I, le contrat de mandat était régi, en l'absence de choix exprès ou implicite de la loi applicable, par la loi française de la résidence habituelle de M. [P], prestataire de service, l'arrêt constate, par motifs réputés adoptés, que le contrat a été conclu entre deux personnes françaises, résidant en France, suivant acte reçu en Espagne, en langue espagnole, par un notaire espagnol, en vue de permettre à M. [P] de céder à lui-même les parts détenues par la société française Forfinance dans la société espagnole Fornor et d'accomplir tous les actes appropriés en Espagne.

9. Il retient que si le contrat litigieux présentait tout à la fois des liens avec la loi française et la loi espagnole, la circonstance que la société espagnole Fornor soit une filiale de la société française Forfinance impliquait que les ordres ou décisions venaient de France, seule leur exécution devant avoir lieu en Espagne, de sorte que c'est avec la France que le contrat avait les liens les plus étroits, quand bien même le gérant de la société Forfinance s'était déplacé en Espagne pour signer l'acte chez un notaire espagnol. Il ajoute que les mentions relatives à la loi espagnole dans l'acte litigieux concernent les démarches administratives à effectuer pour passer l'acte (obtention d'un numéro d'identité des étrangers) et l'intégration des données de l'acte aux fichiers informatisés de l'étude notariale, et non le droit applicable à l'engagement des parties.

10. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à l'analyse de l'ensemble des circonstances du litige pour en déduire que le contrat ne présentait pas de liens manifestement plus étroits avec l'Espagne, qui auraient justifié d'écarter l'application de la loi française désignée par l'article 4, paragraphe 1 du règlement Rome I, a légalement justifié sa décision.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. M. [P] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il avait engagé sa responsabilité envers la société Forfinance en exécutant déloyalement le mandat du 9 septembre 2015 à la date du 2 novembre 2017 et l'a condamné à lui payer la somme de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que l'annulation d'un contrat le fait disparaître rétroactivement ; qu'en l'espèce, en jugeant que M. [P] avait engagé sa responsabilité contractuelle en exécutant le contrat du 9 septembre 2015 de manière déloyale, après avoir pourtant annulé ce contrat et les cessions de parts litigieuses, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses constatations en violation des articles 1134 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1147, 1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

13. Il résulte de ces textes que l'anéantissement rétroactif d'un contrat fait obstacle à une action en responsabilité contractuelle fondée sur les dispositions de celui-ci.

14. Pour dire que M. [P] avait engagé sa responsabilité contractuelle envers la société Forfinance pour avoir exécuté le mandat de manière déloyale, l'arrêt relève qu'à la date de la cession de parts sociales, le mandat, qui ne comportait aucune limitation de durée, n'avait été ni révoqué ni été annulé par une juridiction, de sorte qu'il était susceptible d'être exécuté.

15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait préalablement prononcé la nullité du contrat de mandat, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation atteint seulement le chef de dispositif confirmant le jugement rendu le 25 février 2020 par le tribunal judiciaire de Lille, en ce qu'il a dit que M. [P] avait engagé sa responsabilité envers la société Forfinance en exécutant déloyalement le mandat du 9 septembre 2015 à la date du 2 novembre 2017 et condamné M. [P] à payer à la société Forfinance la somme de 7 500 euros de dommages et intérêts.

17. Elle n'emporte pas la cassation des autres chefs de dispositif de l'arrêt, qui ne sont pas dans la dépendance des chefs cassés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement pour avoir dit que M. [P] avait engagé sa responsabilité envers la société Forfinance en exécutant déloyalement le mandat du 9 septembre 2015 à la date du 2 novembre 2017 et condamné M. [P] à payer à la société Forfinance la somme de 7 500 euros de dommages et intérêts, l'arrêt rendu le 28 mars 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne la société Forfinance aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le cinq novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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