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Décisions

CA Reims, ch.-1 civ. et com., 4 novembre 2025, n° 24/00802

REIMS

Arrêt

Autre

CA Reims n° 24/00802

4 novembre 2025

R.G. : N° RG 24/00802 - N° Portalis DBVQ-V-B7I-FPYU

ARRÊT N° 375

du : 04 novembre 2025

APdB

S.E.L.A.R.L. EVOLUTION

c/

SCCV Le Grand Cinq

Formule exécutoire le :

à :

la SELAS BDB & ASSOCIÉS

la SELARL MCMB

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2025

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 16 avril 2024 par le tribunal judiciaire de REIMS (RG 22/00086)

SCCV Le Grand Cinq

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Maître Lorraine DE BRUYN de la SELAS BDB & ASSOCIÉS, avocat au barreau de REIMS

INTIMÉE :

S.E.L.A.R.L. EVOLUTION ès qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL DEBEAUMONT & FILS, ayant son siège [Adresse 6], fonctions auxquelles elle a été nommée aux termes d'un jugement de liquidation judiciaire rendu par le Tribunal de Commerce de SOISSONS en date du 4 juin 2022.

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Maître Nathalie CAPELLI de la SELARL MCMB, avocat au barreau de REIMS

DÉBATS :

A l'audience publique du 23 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 04 novembre 2025, sans opposition de la part des conseils des parties et en application de l'article 805 du code de procédure civile, Madame Sandrine PILON, conseiller et Madame Anne POZZO DI BORGO, conseillères, ont entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, puis ces magistrats en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame DIAS DA SILVA, présidente de chambre

Madame Sandrine PILON, conseillère

Madame Anne POZZO DI BORGO, conseillère

GREFFIER D'AUDIENCE :

Madame Lucie NICLOT, greffier au débats et Lozie SOKY, greffière placée lors de la mise à disposition

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Anne POZZO DI BORGO, conseillère, en remplacement de la présidente de chambre empêchée conformément à l'article 456 du code de procédure civile, et par Madame SOKY, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte d'engagement du 18 septembre 2017, et avenant n°1 du 23 mai 2018, la SCCV le Grand Cinq a confié à la SARL Debeaumont et fils la réalisation du lot n°13 carrelage et faïence, dans le cadre d'un programme de construction d'un immeuble situé à [Localité 5] (Marne) pour un montant de 128 400 euros TTC.

Un ordre de service de travaux a été établi le 19 septembre 2017 pour leur réalisation entre le 21 mai et le 10 août 2018.

A l'issue, la SARL Debeaumont et fils a émis les factures suivantes':

- n°57-07-18, le 17 juillet 2018 pour un montant de 14 552,97 euros,

- n°83-09-18, le 27 septembre 2018 pour un montant de 53 421,90 euros, réglée partiellement à hauteur de 52 895,34 euros,

- n°94-10-18, le 18 octobre 2018 pour un montant de 16 658,60 euros, non acquittée,

- n°106-11-18, le 21 novembre 2018 pour un montant de 12 046,34 euros, non acquittée.

Le 8 février 2019, la SCCV le Grand Cinq a adressé à la SARL Debeaumont et fils le procès-verbal de réception des travaux mentionnant des réserves. Cette dernière a refusé de le signer.

Ce même jour, la SCCV le Grand Cinq a fait dresser un constat par commissaire de justice concernant les désordres et malfaçons dans la réalisation du lot.

Par jugement du 4 juin 2020, le tribunal de commerce de Soissons a placé la SARL Debeaumont et fils en liquidation judiciaire simplifiée, la SELARL Grave-Randoux étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Par courriers des 15 juin et 8 juillet 2020, cette dernière a sollicité, ès qualités, auprès de la société Montroyal immobilier, gérante de la SCCV le Grand Cinq, le paiement du solde des travaux s'élevant à la somme de 31 884,59 euros.

Par courrier recommandé du 31 juillet 2020, la société Montroyal immobilier a contesté cette créance auprès du mandataire judiciaire.

Par courrier recommandé du 25 août 2020, elle lui a notifié le décompte général et définitif de la SARL Debeaumont et fils et a sollicité le paiement en sa faveur du solde de celui-ci s'élevant à la somme de 34 720,38 euros.

Par exploit du 31 décembre 2021, la SELARL Grave-Randoux, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Debeaumont et fils, a fait assigner la SCCV le Grand Cinq en'paiement du solde dû.

La SELARL Grave-Randoux, mandataires-judiciaires, est devenue la SELARL Evolution.

Par jugement du 16 avril 2024, le tribunal judiciaire de Reims a :

- condamné la SCCV le Grand Cinq à payer à la SELARL Evolution, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Debeaumont et fils, la somme de 29 231,50 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2021, outre capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du même code,

- condamné la SCCV le Grand Cinq à payer à la SELARL Evolution, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Debeaumont, et fils la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens,

- rappelé que la décision est exécutoire de plein droit à titre provisoire.

Par déclaration du 13 mai 2024, la SCCV le Grand Cinq a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 22 juillet 2024, elle demande à la cour de':

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- fixer sa créance au passif de la société Debeaumont et fils à la somme de 74 106,94 euros,

- ordonner la compensation des créances connexes,

à titre subsidiaire,

- débouter la SELARL Evolution, ès qualités, de sa demande,

- la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient qu'elle a bien exprimé le 31 juillet 2020 au mandataire liquidateur, de manière claire et non équivoque, son intention de déclarer sa créance, procédant ainsi à une déclaration de créance au sens des dispositions de l'article L. 622-25 du code de commerce, de sorte que cette dernière doit être fixée à la somme qu'elle réclame correspondant aux frais engagés pour pallier les manquements contractuels de la société Debeaumont et fils dans l'exécution du lot de travaux litigieux.

Elle affirme que la société Debeaumont et fils a gravement manqué à ses obligations contractuelles l'obligeant à engager des dépenses pour assurer la reprise des nombreux désordres affectant le lot confié et des frais de gardiennage de sorte qu'elle est recevable et bien fondée à invoquer l'exception d'inexécution et à s'opposer aux demandes en paiement formulées par le mandataire judiciaire.

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 août 2024, la SELARL Evolution, agissant ès qualités de liquidateur de la société Debeaumont et fils, demande à la cour de':

- débouter la SCCV le Grand Cinq de l'ensemble de ses moyens de défense au fond, fins de non-recevoir et autre, et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- la débouter de sa demande de fixation de créance supposée au passif de la SARL Debeaumont et fils et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- juger en effet que la SCCV le Grand Cinq n'a pas procédé à la déclaration de créance dans les délais de la loi et que le courrier de la société Montroyal immobilier du 31 juillet 2020 ne saurait équivaloir à une déclaration de créance et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- juger que le liquidateur judiciaire de la SARL Debeaumont et fils n'avait aucune obligation de voir fixer la créance réelle ou supposée de la SCCV le Grand Cinq au passif de cette dernière et ce avec toutes suites et conséquences de droit,

- confirmer le jugement,

- condamner l'appelante à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et aux entiers dépens de première instance et d'appel sous le bénéfice des dispositions de l'article 699 de ce même code.

Elle soutient que la SCCV le Grand Cinq, qui n'a pas été visée dans la déclaration de cessation des paiements par le dirigeant de la SARL Debeaumont et fils, ne faisait pas partie des créanciers connus au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective de sorte qu'elle ne pouvait informer cette société qu'elle devait procéder à une déclaration de créance.

Elle ajoute que la SCCV avait en tout état de cause été avisée de cette procédure et qu'elle a reçu ensuite un courrier l'invitant à déposer une requête en relevé de forclusion dans les 6 mois de la publication au BODACC du jugement d'ouverture de la procédure, ce qu'elle n'a pas fait.

Elle affirme en outre que les courriers des 31 juillet 2020 et 25 août 2020 de la société Montroyal immobilier ne valent pas déclaration de créance faute de volonté suffisamment claire et non équivoque de celle-ci de réclamer le paiement des sommes et leur inscription au passif de l'entreprise. Elle en déduit qu'en l'absence de toute créance déclarée dans le délai de 2 mois à compter de la publication au BODACC du jugement d'ouverture de la procédure collective de la SARL Debeaumont et fils, l'appelante ne peut demander que sa créance soit fixée à son passif.

Elle fait valoir que le mandataire judiciaire, qui ne peut faire figurer sur la liste des créances une proposition relative à une créance non déclarée, n'avait à prendre aucune initiative sur ce point.

Elle argue ensuite que la créance alléguée au titre d'un manquement contractuel imputable à la société Debeaumont et fils n'est pas justifiée au fond et ajoute que l'appelante, qui entendait opposer une créance de malfaçons ou de non-façons à la demande en paiement émise par la SARL Debeaumont et fils, devait, en tout état de cause, déclarer sa créance au passif de celle-ci.

Elle en déduit que faute d'avoir procédé à une déclaration de sa créance, l'appelante est irrecevable à opposer une quelconque exception d'inexécution au liquidateur judiciaire.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 février 2025 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 25 février 2025 date à laquelle elle a été renvoyée au 24 juin 2025 puis au 23 septembre 2025 en raison de l'indisponibilité du magistrat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article L. 622-24 du code de commerce dispose qu'à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat.

Selon l'article L. 622-25 du code de commerce, la déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances. Elle précise la nature et l'assiette de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie et, le cas échéant, si la sûreté réelle conventionnelle a été constituée sur les biens du débiteur en garantie de la dette d'un tiers.

Il résulte de l'article R. 622-23 de ce même code que outre les indications prévues à l'article L. 622-25, la déclaration de créance contient :

1° Les éléments de nature à prouver l'existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d'un titre ; à défaut, une évaluation de la créance si son montant n'a pas encore été fixé ;

2° Les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté ;

3° L'indication de la juridiction saisie si la créance fait l'objet d'un litige ;

4° La date de la sûreté et les éléments de nature à prouver son existence, sa nature et son assiette, si cette sûreté n'a pas fait l'objet d'une publicité.

A cette déclaration sont joints sous bordereau les documents justificatifs ; ceux-ci peuvent être produits en copie. A tout moment, le mandataire judiciaire peut demander la production de documents qui n'auraient pas été joints.

Toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture doit être déclarée au passif de la procédure collective, sous peine de devenir inopposable à cette procédure.

Ce principe s'applique tant aux créances de somme d'argent qu'à celles résultant d'une obligation de faire ou de ne pas faire, dont l'inexécution se résout en dommages-intérêts.

Il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement si le courrier adressé aux mandataires de justice constitue bien une déclaration de créance. Cette appréciation est faite par référence à l'équivalence de la déclaration de créance à une demande en justice. Elle doit donc, comme une assignation, contenir explicitement une demande tendant à la prise en compte des droits du créancier dans la procédure collective, et contenir une déclaration claire et non équivoque du créancier.

En l'espèce, le jugement prononçant la liquidation judiciaire simplifiée de la société Debeaumont et fils a été publié au BODACC le 15 et 16 juin 2020 (pièce 13 de l'intimée). Les créances nées antérieurement à cette procédure devaient donc être déclarées avant le 16 août 2020.

Il n'est pas contesté que la société le Grand Cinq se prévaut d'une créance venant en compensation de celle réclamée par la société liquidée, née des malfaçons et non façons qu'elle lui impute dans la réalisation des travaux qui lui étaient confiés. Il s'en déduit qu'une telle créance'est antérieure au jugement ouvrant la procédure collective.

L'objet du courrier du 31 juillet 2020, dont se prévaut la société appelante (sa pièce 21) est libellé comme suit'; «dénonciation de créance». Il a été établi en réponse aux courriers du mandataire (ses pièces 8 et 9) venant lui réclamer le paiement de la somme de 31 884,59 euros. La société gérante de l'appelante y présente les motifs de la contestation de cette créance précisant que d'autres entreprises ont été mandatées pour solutionner la situation en l'absence d'intervention de la société Debeaumont et fils pour un montant de 34 720,38 euros, somme dont elle lui serait «'redevable'».

Cette somme prétendue due par la société liquidée n'est mentionnée que pour faire échec au paiement de celle précédemment réclamée par le mandataire comme en atteste le titre du courrier et sa phrase introductive. Aucune référence à une admission de la créance en résultant au passif de la société n'y est faite afin qu'il soit procédé aux opérations de vérification par le mandataire.

Or, un échange de courriers portant sur une demande amiable de règlement ne constitue une déclaration de créance que s'il exprime, de façon explicite et non équivoque, la volonté du créancier d'être admis au passif de la procédure collective, conformément aux exigences de l'article L. 622-24 du Code de commerce.

La seule mention de la somme de 34 720,38 euros dans ce courrier visant à dénoncer une demande en paiement antérieure sans référence à l'admission de celle-ci est donc insuffisante pour valoir déclaration de créance équivalente à une demande en justice, faute de volonté expresse, claire et unique de voir cette créance inscrite pour ce montant déterminé au passif de la société.

Le courrier du 25 août 2020 de la gérante de la société appelante visant à la notification du décompte général et définitif de la société liquidée (pièce 14 de l'intimée) est pour sa part postérieur au délai de 2 mois imparti aux créanciers pour procéder à leur déclaration de créance de sorte qu'il ne peut avoir une telle valeur.

Aucun autre courrier n'ayant été formalisé à cette fin dans le délai de déclaration et la SCCV le Grand Cinq n'ayant pas sollicité de relevé de forclusion, sa créance invoquée née du jeu de la compensation est inopposable à la procédure collective.

C'est donc par une juste appréciation des éléments en cause que le premier juge a considéré qu'à défaut de déclaration régulière de sa créance, la société le Grand Cinq était mal fondée à solliciter la fixation de sa créance au passif de la SARL Debeaumont et fils et, par suite, à solliciter le jeu de la compensation pour échapper à la demande en paiement dont elle faisait l'objet.

La créance résultant de l'exception d'inexécution, c'est-à-dire la créance en dommages-intérêts ou en réparation qui découle de l'inexécution du débiteur antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, doit être déclarée au passif du débiteur. À défaut, le créancier ne peut ni invoquer cette créance dans le cadre d'une compensation, ni se soustraire à l'obligation de paiement réclamée par le liquidateur.

En l'espèce, aucune déclaration à la procédure collective de la créance indemnitaire résultant de l'exception invoquée par l'appelante n'a été formalisée dans les délais prescrits. Aucune demande de relevé de forclusion n'a été présentée à ce titre.

La SCCV est donc aujourd'hui irrecevable à solliciter le paiement de cette somme et doit être condamnée au paiement de la somme de 29 231,50 euros réclamée par l'intimée au titre des factures émises par la société Debeaumont et fils, lesquelles ne peuvent être contestées ni par le jeu de la compensation ni par celui-ci de l'exception d'inexécution.

Le jugement querellé est donc confirmé en toutes ses dispositions.

La SCCV le Grand Cinq, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel sous le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Déboutée de ses prétentions, elle ne peut prétendre à une indemnité pour les frais de procédure engagés à hauteur d'appel.

L'équité justifie d'allouer à l'intimée la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement querellé en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

Condamne la SCCV le Grand Cinq aux dépens d'appel'sous le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la SCCV le Grand Cinq à payer à la SELARL Evolution, agissant ès qualités de liquidateur de la société Debeaumont et fils, la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

La déboute de sa demande formée à ce titre.

Le greffier La conseillère

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