CA Metz, 3e ch., 4 novembre 2025, n° 24/00185
METZ
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Alain Afflelou Franchiseur (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guiot-Mlynarczyk
Conseillers :
M. Michel, Mme Martin
Avocats :
Me Garrel, Me Dayan, Me Kazmierczak
FAITS ET PROCEDURE
Par jugement du 24 avril 2007, signifié le 4 février 2009, le tribunal de grande instance de Metz a condamné M. [E] [U] en sa qualité de caution solidaire des sociétés Toul Optic, [Adresse 4], Metz Optic et Optic Touloise à payer à la SAS Alain Afflelou Franchiseur la somme de 665.372,59 euros avec intérêts au taux conventionnel de 1,5% par mois à compter du 21 septembre 2006.
Par acte du 16 décembre 2021, la SAS Alain Afflelou Franchiseur a fait délivrer à M. [U] un commandement de payer aux fins de saisie-vente en vertu du jugement du 24 avril 2007 en recouvrement de la somme de 2.497.162,40 euros.
Par acte du 3 janvier 2022, M. [U] a fait citer la SAS Alain Afflelou Franchiseur devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Metz aux fins d'ordonner la communication du titre exécutoire et de sa signification, annuler le procès-verbal de signification du 4 février 2009 et le commandement de payer aux fins de saisie-vente du 16 décembre 2021, constater la prescription du titre exécutoire et des intérêts et l'extinction de la créance, ordonner la mainlevée de toute saisie et condamner la défenderesse à lui verser des dommages et intérêts pour exécution forcée abusive et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Alain Afflelou Franchiseur s'est opposée aux prétentions et a sollicité une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Après avoir avant-dire-droit invité la SAS Alain Afflelou Franchiseur à produire aux débats l'original de l'acte de signification du 4 février 2009, par jugement du 12 janvier 2024 le juge de l'exécution a':
- débouté M. [U] de sa demande en nullité de la signification en date du 4 février 2009 du jugement prononcé par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz le 24 avril 2007
- déclaré prescrit à compter du 19 juin 2018 le jugement RG N° 06/01194 de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz le 24 avril 2007
- ordonné la mainlevée du commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 16 décembre 2021 par la SAS Alain Afflelou Franchiseur à M. [U] en vertu d'un jugement de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz prononcé le 24 avril 2007 en recouvrement de la somme de 2.506.544,99 euros à l'encontre de M. [U]
- condamné la SAS Alain Afflelou Franchiseur à payer à M. [U] la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts
- condamné la SAS Alain Afflelou Franchiseur aux dépens et à payer à M. [U] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté les parties de toute autre demande.
Par déclaration d'appel déposée au greffe de la cour le 31 janvier 2024, la SAS Alain Afflelou Franchiseur a interjeté appel de toutes les dispositions du jugement sauf celle ayant débouté M. [U] de sa demande de nullité de la signification du 4 février 2009 du jugement prononcé le 24 avril 2007.
Aux termes de ses dernières conclusions du 27 mai 2024, l'appelante demande à la cour de':
- ordonner la jonction des procédures RG 24/00185 et RG 24/00186
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande d'annulation de la signification du 4 février 2009 du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Metz le 24 avril 2007 et l'infirmer pour le surplus
- juger que le jugement rendu par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz le 24 avril 2007 n'est pas prescrit et par conséquent que sa créance à l'encontre de M. [U] n'est pas prescrite
- juger recevable et régulier le commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 16 décembre 2021 vertu de ce jugement en recouvrement de la somme de 2.506.544,99 euros à l'encontre de M. [U]
- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes y compris son appel incident
- le condamner à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'instance et d'appel ainsi qu'en tous les dépens d'instance et d'appel.
Elle soutient que les deux procédures doivent être jointes pour une bonne administration de la justice. Sur la prescription, elle expose avoir diligenté plusieurs mesures d'exécution qui ont suspendu le délai de prescription (commandement de payer aux fins de saisie-vente le 5 décembre 2016, inscription d'hypothèque judiciaire le 24 janvier 2017), qu'un commandement de saisie-vente même caduc conserve son effet interruptif selon l'article R. 221-5 du code de procédures civiles d'exécution, qu'un acte de procédure nul interrompt la prescription selon l'article 2241 du code civil, que l'intimé n'a jamais contesté le jugement du 24 avril 2007 et ne peut se prévaloir de la prescription par application de l'article 2240 du code civil. Elle en déduit que ni le jugement ni la créance ne sont prescrits et qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la mainlevée de la saisie attribution. Sur le commandement de payer aux fins de saisie-vente, elle fait valoir que l'erreur matérielle dans le calcul des intérêts ne rend pas nul la saisie, de sorte que la saisie-attribution a été valablement pratiquée.
Elle expose que sa créance est certaine, liquide et exigible comme étant fondée sur le jugement du 24 avril 2007 définitif assorti de l'autorité de la chose jugée, que l'intimé ne justifie pas de l'extinction des créances, que la vente des fonds de commerces des sociétés Toul Optic et [Adresse 4] n'a servi qu'à éteindre les créances pour ces sociétés sans qu'aucun paiement ne soit affecté aux autres créances, que celles concernant les sociétés [Localité 3] Optic et Optic Touloise restent dues, qu'il n'est pas démontré que la vente du fonds de commerce de la société [Localité 3] Optic a apuré la dette alors qu'elle est tiers à la cession et que l'intimé reste devoir la somme totale de 530.839,93 euros outre les intérêts, de sorte que le commandement de payer et la saisie-attribution sont fondés.
Sur les dommages-intérêts, elle soutient que l'intimé ne justifie pas avoir subi un préjudice du fait des mesures d'exécution pratiquées, lesquelles se sont avérées infructueuses, concluant au rejet de la demande et à l'infirmation du jugement. Enfin, elle précise que la signification du jugement du 24 avril 2007 a été faite par acte d'huissier du 4 février 2009 qui fait foi jusqu'à inscription de faux, qu'aucune procédure en inscription faux n'a été régularisée et que la production tardive de l'acte ne démontre pas l'existence d'un faux.
Aux termes de ses dernières conclusions du 20 mars 2025, M. [U] demande à la cour de':
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande en nullité de la signification du 4 février 2009 du jugement du 24 avril 2007 et l'infirmer sur ce point
- prononcer la nullité de la signification du 4 février 2009 du jugement prononcé par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz le 24 avril 2007
- à titre subsidiaire déclarer prescrits les intérêts échus antérieurement au 16 décembre 2016 et en tout état de cause injustifiés
- cantonner la saisie-attribution à la somme réellement due au jour de cet acte
- en tout état de cause débouter la SAS Alain Afflelou Franchiseur de l'ensemble de ses demandes
- la condamner aux dépens d'appel et à lui payer une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la nullité de la signification du jugement, il expose que l'appelante a produit tardivement l'original de l'acte de signification du 4 février 2009 et que la remise à sa personne était matériellement impossible puisqu'il était hospitalisé à cette date. Il ajoute que la mention relative à la remise à personne ne vaut pas jusqu'à inscription de faux, cette procédure n'étant pas applicable aux déclarations de la personne ayant reçu l'acte mais uniquement aux constatations faites par l'huissier, que l'irrégularité de la signification lui a causé un grief puisque, n'ayant pas eu connaissance du jugement, les intérêts ont couru et des mesures d'exécution forcée ont été diligentées et en déduit que la signification du jugement est nulle et qu'en l'absence de titre exécutoire, la mainlevée de la saisie-attribution doit être ordonnée.
Au visa de l'article L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution, il soutient que la prescription du jugement du 24 avril 2007 était acquise au 19 juin 2018, qu'elle n'a été interrompue ni par l'inscription d'une hypothèque judiciaire définitive qui n'est pas un acte d'exécution forcée ni une mesure conservatoire, ni par le commandement aux fins de saisie-vente du 5 décembre 2016 qui a été annulé par arrêt du 17 septembre 2019, rappelant qu'un commandement nul n'interrompt pas la prescription du titre exécutoire puisque l'article 2241 du code civil n'est pas applicable aux actes d'exécution forcée. Il en conclut qu'en l'absence de titre valable au jour de la saisie, la mainlevée du commandement de payer aux fins de saisie-vente a été valablement ordonnée.
Subsidiairement, il affirme que l'appelante a perçu des sommes supérieures à ce qui était dû dans le cadre la cession des fonds de commerce des sociétés Toul Optic et [Adresse 4], que le différentiel a été pris en compte pour les dettes des deux autres sociétés, que l'appelante a cédé une créance détenue sur la société Optic Touloise à la SA Alain Afflelou Succursale pour la somme de 250.000 euros correspondant au montant perçu lors de la vente du fonds de commerce de la société [Localité 3] Optic et qu'elle ne justifie pas d'une créance certaine, liquide et exigible, de sorte que la mainlevée s'impose.
Sur les dommages et intérêts, il fait valoir que l'appelante a fait preuve d'acharnement en tentant d'obtenir tardivement le paiement de sommes indues, ce qui caractérise une intention de nuire et une faute du créancier et lui a causé un préjudice moral et matériel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
En liminaire, il n'y a pas lieu d'ordonner la jonction des procédures RG 24/185 et 24/186 alors qu'il s'agit de deux mesures d'exécution forcée différentes ayant donné lieu à deux jugements distincts.
Sur la signification du titre exécutoire
Selon l'article 503 du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés, à moins que l'exécution n'en soit volontaire.
En l'espèce il ressort des mentions de l'acte d'huissier produit aux débats en original par l'appelante, que le jugement prononcé le 24 avril 2007 par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz a été signifié par acte du 4 février 2019 à M. [U] 'à sa personne ainsi déclarée rencontrée à son domicile'.
Il est rappelé que la procédure d'inscription de faux n'est applicable qu'aux constatations et vérifications relevant du ministère de l'huissier de justice et que l'huissier qui procède à la signification d'un acte à personne n'a pas à vérifier l'identité de la personne qui déclare être le destinataire de cet acte, de sorte que la preuve de la mention de la remise de l'acte à M. [U] ne vaut pas jusqu'à inscription de faux
L'intimé démontre par la production d'un historique établi par le CHR [Localité 3]-Thionville qu'il était hospitalisé du 3 au 5 février 2009, de sorte que l'acte n'a pu lui être remis à sa personne et encourt la nullité. S'agissant d'une nullité de forme, il appartient au destinataire de l'acte de justifier du grief en découlant et l'intimé ne rapporte pas cette preuve. En effet, il ne peut soutenir que le grief est constitué par les intérêts de la créance et des procédures d'exécution forcée, alors qu'il invoque la prescription des intérêts dans la présente instance et a contesté l'ensemble des mesures d'exécution forcée. Il s'ensuit qu'il n'est démontré aucun grief et que la demande de nullité de l'acte de signification du jugement du 24 avril 2007 est rejetée. Le jugement est confirmé.
Sur la prescription du titre exécutoire
Selon l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1o à 3o de l'article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.
En l'espèce, le juge de l'exécution a exactement dit que le délai de prescription antérieur qui était de 30 ans n'était pas acquis lors de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et qu'un nouveau délai de 10 ans a commencé à courir à compter du 19 juin 2008 pour expirer le 19 juin 2018.
Selon l'article 2244 du code civil, le délai de prescription est interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.
En l'espèce, si la SAS Alain Afflelou Franchiseur a fait délivrer à M. [U] un commandement aux fins de saisie-vente par acte du 5 décembre 2016 et que cet acte engage la mesure d'exécution forcée et interrompt la prescription de la créance qu'elle tend à recouvrer, il résulte des pièces produites que ce commandement de payer aux fins de saisie-vente a été annulé par l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 17 septembre 2019. Etant rappelé que les dispositions de l'article 2241 alinéa 2 du code civil ne sont pas applicables aux actes d'exécution forcée, l'annulation de ce commandement l'a privé de son effet interruptif de prescription.
S'agissant de l'inscription d'une hypothèque légale le 24 avril 2007, le juge de l'exécution a exactement dit qu'il ne s'agit ni d'une mesure conservatoire ni d'un acte d'exécution forcée, de sorte que l'article 2244 du code civil ne s'applique pas.
En l'absence d'acte interruptif de prescription antérieur au 19 juin 2018, la prescription du titre exécutoire était acquise à cette date. Il s'en déduit que l'appelante était dépourvue de titre exécutoire au jour du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 16 décembre 2021 et le jugement ayant ordonné mainlevée du commandement est confirmé.
Sur les dommages et intérêts
Selon l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.
En l'espèce, c'est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte, que le juge de l'exécution a condamné l'appelante à verser à l'intimé la somme de 1.500 euros de dommages et intérêts aux motifs qu'elle a de façon abusive diligenté une mesure de saisie-attribution alors que le titre exécutoire était prescrit, le débiteur ayant subi un préjudice moral et matériel en raison des frais du commandement de payer qui lui sont imputés, la somme allouée venant justement réparer ce préjudice. Le jugement est confirmé.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.
La SAS Alain Afflelou Franchiseur, partie perdante, devra supporter les dépens d'appel et verser à M. [U] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée en première instance. Il convient en outre de la débouter de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de jonction des procédures RG 24/185 et 24/186 ;
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SAS Alain Afflelou Franchiseur aux dépens d'appel ;
CONDAMNE la SAS Alain Afflelou Franchiseur à verser à M. [E] [U] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SAS Alain Afflelou Franchiseur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.