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Cass. com., 5 novembre 2025, n° 24-18.359

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

Cass. com. n° 24-18.359

4 novembre 2025

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2024), [D] [K] a créé la société Eurl école (la société Ecole), dont il était le gérant et l'associé unique.

2. Le 25 mars 2008, Mme [H], sa compagne, a été désignée cogérante de la société Ecole et a, le 30 décembre 2009, conclu un contrat de travail avec cette société.

3. A la suite du décès d'[D] [K] le 26 juillet 2016, Mme [N], sa fille, est devenue l'associée unique de la société Ecole et, à compter du 10 octobre 2016, sa cogérante.

4. Le 17 novembre 2016, Mme [H] a été révoquée de ses fonctions de cogérante de la société Ecole et a été licenciée le 19 mars 2017.

5. Un arrêt du 6 janvier 2022 a jugé que le contrat de travail conclu entre la société Ecole et Mme [H] était fictif.

6. La société Ecole, soutenant que Mme [H] avait, en sa qualité de cogérante, commis des fautes de gestion, l'a assignée en réparation de divers préjudices.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, en ce qu'elle fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en paiement de dommages et intérêts relatifs aux frais de défense, et sur ce moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société Ecole fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts relatifs à la conclusion d'un contrat de travail fictif, alors « que lorsqu'un gérant conclut au nom de la société qu'il dirige un contrat de travail fictif à son profit, une telle faute de gestion l'oblige à indemniser la société de toutes les pertes occasionnées par le contrat, et ce même s'il a accompli quelques diligences ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la fictivité du contrat de travail de Mme [H], alors co-gérante de la société Ecole avec M. [K], associé unique, avait été définitivement constatée par un arrêt du 6 janvier 2022 de la cour d'appel de Paris, aux motifs que "M.[K] n'était pas à date en capacité d'engager contractuellement la société, que Mme [H] gérait les affaires en lieu et place du gérant, qu'aucune fonction technique spéciale ne lui avait été confiée permettant de distinguer sa qualité de salariée et de co-gérante et l'absence de lien de subordination" ; qu'en énonçant, pour débouter la société Ecole de sa demande en indemnisation au titre d'une telle faute de gestion, que si Mme [H] n'avait pas pris en mains la gestion des affaires de son compagnon, la société Ecole aurait été dans la nécessité d'employer un tiers et de faire face à des salaires, charges sociales et accessoires", la cour d'appel, qui a donné plein effet à un contrat de travail fictif, en mettant à la charge de la société le coût de la faute de gestion commise par son dirigeant, a violé l'article L. 223-22 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 223-22 du code de commerce :

9. Selon ce texte, le gérant d'une société à responsabilité limitée est responsable, envers la société, des fautes qu'il a commises dans sa gestion au préjudice de cette société.

10. Pour rejeter la demande de la société Ecole en paiement de dommages et intérêt en réparation du préjudice résultant de la conclusion d'un contrat de travail, l'arrêt, après avoir relevé que ce contrat de travail conclu entre la société Ecole et Mme [H] avait été jugé fictif par une cour d'appel en l'absence de fonctions techniques distinctes du mandat de cogérante et de lien de subordination, retient toutefois que, compte tenu de l'état de santé d'[D] [K], si Mme [H] n'avait pas pris en main la gestion des affaires de ce dernier, la société Ecole aurait été dans la nécessité d'employer un tiers et de faire face à des salaires. L'arrêt ajoute qu'il n'est pas démontré, au vu du nombre de biens à gérer et de la disponibilité attendue, que les salaires versés à Mme [H] aient manifestement excédé le coût de la rémunération qui aurait été versée à ce tiers. L'arrêt en déduit que la société Ecole n'a subi aucun préjudice résultant des rémunérations qu'elle a versées en exécution du contrat de travail fictif.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le contrat de travail en litige était fictif et qu'aucune fonction technique spéciale n'avait été confiée à Mme [H], permettant de distinguer sa qualité de salariée de celle de cogérante de la société Ecole, ce dont elle aurait dû déduire que, peu important que cette société aurait dû engager un tiers, la société Ecole avait subi un préjudice en versant à Mme [H] des salaires qui ne lui étaient pas dûs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. La société Ecole fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts relatifs à la rémunération perçue par Mme [H], en sa qualité de cogérante, au titre de l'année 2009, alors « que la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée est déterminée soit par les statuts, soit par une décision de la collectivité des associés ; qu'il en résulte que le gérant ne peut fixer lui-même le montant de sa rémunération, sous peine de commettre une faute de gestion ; qu'en se bornant à énoncer, pour écarter toute faute de gestion, que Mme [H] "était co-gérante depuis le 25 mars 2008, et rien ne dit que son mandat social devait s'exercer gratuitement, alors qu'elle avait cessé sa propre activité professionnelle pour s'occuper des affaires de son compagnon et qu'en 2009 elle n'était pas encore salariée de la société Ecole", sans rechercher si Mme [H] ne s'était pas octroyée seule sa rémunération, sans l'accord de l'associé unique qui était hors d'état de manifester sa volonté, ce qui était confirmé par un expert judiciaire agréé qui établissait que l'associé unique n'était pas l'auteur de la signature apposée sur le procès-verbal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-18 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 223-18 du code de commerce :

13. Il résulte de ce texte que la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée est déterminée soit par les statuts, soit par une décision de la collectivité des associés.

14. Pour rejeter la demande de la société Ecole en paiement de dommages et intérêts relatifs à la rémunération perçue en 2009 par Mme [H], en sa qualité de cogérante, l'arrêt retient que cette dernière était cogérante depuis le 25 mars 2008 et que rien ne dit que son mandat social devait s'exercer gratuitement, alors qu'elle avait cessé sa propre activité professionnelle pour s'occuper des affaires de son compagnon et qu'en 2009 elle n'était pas encore salariée de la société. L'arrêt en déduit qu'aucune faute de gestion n'est caractérisée.

15. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'existence d'une faute de gestion et sans rechercher, comme il lui était demandé, si la rémunération de Mme [H], en sa qualité de cogérante de la société Ecole, avait été déterminée par une décision de son associé unique ou, le cas échéant, par un mandataire ad hoc désigné à cette fin, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de la société Ecole en paiement de dommages et intérêt relatifs aux pénalités de retard du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due pour les années 2010 à 2013

Enoncé du moyen

16. La société Ecole fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts relatifs aux pénalités de retard du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due pour les années 2010 à 2013, alors « que toute faute de gestion oblige le gérant à réparer le préjudice causé à la société ; que pour écarter la responsabilité de Mme [H] dans les pénalités infligées par l'administration fiscale à la société Ecole, la cour d'appel a retenu que "la modicité des pénalités en cause, conjuguée aux motifs du rejet de l'action contre le cabinet Foussier, ne permet pas de caractériser une négligence significative de Mme [H], susceptible de constituer une faute de gestion" ; qu'en subordonnant la responsabilité du dirigeant à une faute qualifiée, constituée d'une "négligence significative" et à l'importance du préjudice subi, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 223-22 du code de commerce :

17. Pour rejeter la demande de la société Ecole en paiement de dommages et intérêts relatifs aux pénalités de retard dues à l'administration fiscale, l'arrêt, après avoir relevé que cette administration avait mis en demeure la société de lui payer les sommes de 3 251 euros et 2 413 euros au titre du retard de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due pour les années 2010 à 2013, retient que la modicité des pénalités en cause ne permet pas de caractériser une négligence significative de Mme [H] susceptible de constituer une faute de gestion.

18. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants tirés de la modicité des pénalités en litige, et sans rechercher, comme il lui était demandé, si le retard de Mme [H], en sa qualité de cogérante de la société Ecole, à payer à l'administration fiscale la taxe sur la valeur ajoutée due par cette société, ayant donné lieu aux pénalités litigieuses, était constitutif d'une faute de gestion, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Eurl école de ses demandes en paiement au titre de la rémunération perçue par Mme [H] en 2009 et au titre du contrat de travail conclu avec Mme [H], et en ce que, déboutant la société Eurl école de sa demande au titre des pénalités fiscales, il rejette sa demande en paiement au titre des pénalités de retard du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée due pour les années 2010 à 2013, l'arrêt rendu le 28 mai 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne Mme [H] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [H] à payer à la société Eurl école la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le cinq novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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