Livv
Décisions

Cass. com., 5 novembre 2025, n° 24-14.895

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

Cass. com. n° 24-14.895

5 novembre 2025

COMM.

JB

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 5 novembre 2025

Cassation

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 547 F-D

Pourvoi n° M 24-14.895

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 NOVEMBRE 2025

1°/ la société Holding aqualoft, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ la société RMPG, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], représentée par son liquidateur judiciaire en exercice, la société [Y] [T],

3°/ la société [Y] [T], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], représentée par Mme [J] [T], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société RMPG,

ont formé le pourvoi n° M 24-14.895 contre l'arrêt rendu le 27 février 2024 par la cour d'appel de Versailles (Chambre commerciale 3-2), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Apacc investissements, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société [F], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], représentée par M. [S] [M] [F], mandataire judiciaire de la société Apacc investissements,

3°/ à la société FHBX, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [L] [O], administrateur judiciaire de la société Apacc investissements,

défenderesses à la cassation.

Les sociétés Apacc investissements, Keating et FHBX ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours un moyen de cassation.

Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recour un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Lacaussade, conseillère, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat des sociétés Holding aqualoft, RMPG, représentée par son liquidateur judiciaire en exercice, la société [Y] [T], ès qualités, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat des sociétés Apacc investissements, Keating, représentée par M. [S] [M] [F], mandatairre judiciaire de la société Apacc investissements et FHBX, représentée par M. [L] [O], administrateur judiciaire de la société Apacc investissements, après débats en l'audience publique du 16 septembre 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme de Lacaussade, conseillère rapporteure, M. Ponsot, conseiller doyen, et M. Doyen, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 février 2024), le 24 mai 2016, la société Apacc investissements (la société Apacc) a acquis l'intégralité des actions de la société PMY, soit 600 actions détenues par la société Holding aqualoft ( la société Aqualoft ) et 200 actions détenues par la société RMPG.

2. Le même jour, les parties ont conclu une convention de garantie d'actif et de passif, les sociétés Aqualoft et RMPG s'engageant solidairement à garantir la société Apacc de toute diminution d'actif ou augmentation de passif par rapport aux comptes de référence arrêtés au 30 septembre 2015, et ce, dans la limite d'une somme de 200 000 euros et pour une durée de trois ans à compter de la cession.

3. En exécution de la garantie de passif, les sociétés Aqualoft et RMPG ont souscrit une garantie bancaire à première demande d'un montant de 80 000 euros et conclu une convention de séquestre entre les mains d'un tiers pour un montant de 120 000 euros.

4. Postérieurement à la cession, estimant qu'il existait de nombreuses factures non comptabilisées, mal comptabilisées ou non réglées par rapport aux comptes de référence, la société Apacc a mis en jeu la garantie à première demande pour la somme totale de 80 000 euros, laquelle lui a été versée par la banque, et a demandé la mise en jeu de la garantie sur le montant séquestré pour un montant total de 63 851,79 euros.

5. Le 2 août 2018, les sociétés Aqualoft et RMPG ont assigné la société Apacc pour obtenir, d'une part, la restitution de la somme de 80 000 euros versée au titre de la garantie à première demande, d'autre part, la main-levée des sommes restant séquestrées ainsi que des dommages et intérêts en réparation de leur préjudice.

6. Un jugement du 14 avril 2020 a mis la société RMPG en liquidation judiciaire et a désigné la société [Y] [T] en qualité de liquidateur, laquelle est intervenue à l'instance.

7. Par une ordonnance du 11 janvier 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les demandes présentées par la société RMPG et a rejeté celle formée par la société Apacc en irrecevabilité des conclusions et pièces déposées le 8 septembre 2022 par la société [Y] [T], ès qualités.

8. Par un arrêt du 13 juin 2023 rendu sur déféré, cette ordonnance a été infirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes présentées par la société RMPG et a été confirmée pour le surplus.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Les sociétés Aqualoft, RMPG représentée par son liquidateur et [Y] [T] prise en la personne de Mme [T], ès qualités, font grief à l'arrêt de fixer la créance de la société Apacc sur les sommes séquestrées à hauteur des sommes de 21 483,95 euros correspondant à des taxes non réglées, 79,57 euros pour une dette Humanis, 18 103,36 euros au titre de la dette Acoss, 115,50 euros pour des frais d'avis à tiers détenteur et d'ordonner la compensation entre cette créance de la société Apacc à hauteur de la somme globale de 39 782,38 euros, avec sa dette à l'égard des sociétés Aqualoft et RMPG à hauteur de la somme globale de 80 000 euros, de sorte que la société Apacc Investissements reste finalement devoir aux sociétés Holding Aqualoft et RMPG la somme principale de 40 217,62 euros, chacune à proportion de ses titres, outre les intérêts et la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées par le jugement du 6 octobre 2021, alors « que les juges du fond ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; que les sociétés Aqualoft, RMPG, [Y] [T], prise en la personne de Mme [T], ès qualités, faisaient valoir que, sur les taxes non réglées, elles consentaient à payer les taxes dues au prorata temporis, sur justificatifs de paiement, par compensation et que, s'agissant d'Humanis, elles allaient régler la somme de 79,57 euros par compensation ; que la cour d'appel a retenu, pour fixer la créance de la société Apacc à la somme globale de 39 782,38 euros, que, bien que sollicitant l'infirmation du jugement en ce qu'il avait ordonné la libération du séquestre en faveur de la société Apacc, les sociétés Aqualoft et RMPG, indiquaient qu'elles "vont régler par compensation" les sommes de 21 483,95 euros et 79,57 euros ; qu'en statuant ainsi, cependant que les sociétés Aqualoft et RMPG n'avaient jamais indiqué qu'elles allaient régler par compensation la somme de 21 483,95 euros, la cour d'appel, qui a dénaturé les conclusions des sociétés Aqualoft, RMPG, [Y] [T] prise en la personne de Mme [T], ès qualités, a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

10. Pour fixer la créance de la société Apacc sur les sommes séquestrées à hauteur, notamment, de la somme de 21 483,95 euros correspondant à des taxes non réglées par les cédantes et ordonner la compensation avec les sommes dues par la société Apacc au titre de la restitution de garantie à première demande, l'arrêt retient que les sociétés Aqualoft et RMPG, bien que sollicitant l'infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la libération du séquestre en faveur de la société Apacc, indiquent qu'elles « vont régler par compensation », notamment, la somme de 21 483,95 euros.

11. En statuant ainsi, alors que les sociétés indiquaient dans leurs conclusions consentir à régler les taxes dues au prorata temporis, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Les sociétés Apacc, [F] prise en la personne de M. [M] [F], mandataire judiciaire, FHBX prise en la personne de M. [O], administrateur judiciaire, font grief à l'arrêt de déféré du 13 juin 2023 d'infirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 janvier 2023 en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes présentées par la société RMPG et de la confirmer, par voie de conséquence, en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande d'irrecevabilité des conclusions et pièces déposées le 8 septembre 2022 par la société [Y] [T] et fait grief, par voie de conséquence, à l'arrêt du 27 février 2024, de la condamner à payer 20 000 euros à la société RMPG prise en la personne de son liquidateur et d'ordonner la compensation entre sa créance à hauteur de la somme globale de 39 782,38 euros avec sa dette à l'égard de la société Aqualoft, alors « qu'aucun droit propre ne fait échec au dessaisissement du débiteur pour l'exercice des actions tendant au recouvrement de ses créances ou à la mise en cause de la responsabilité d'un cocontractant ; qu'en énonçant, pour infirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état, qu'il était admis au titre de ses droits propres que le débiteur en procédure collective puisse se défendre personnellement dans une instance en cours introduite antérieurement à l'ouverture de la procédure collective pour obtenir la condamnation d'un créancier au paiement d'une somme d'argent et qui se poursuit après le jugement d'ouverture cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que l'action de la société RGPM tendait au recouvrement de ses créances ou à la mise en cause de la responsabilité d'un cocontractant, de sorte que son action ne relevait pas d'un droit propre, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 641-9 du code de commerce :

13. Selon ce texte, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. Toutefois, le débiteur peut accomplir les actes ou exercer les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ou de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné.

14. Pour juger recevables les demandes de la société RMPG, l'arrêt retient qu'au regard des demandes de condamnation en paiement, cette dernière, intimée, disposait d'un droit propre à se défendre et à préserver ses droits, alors même que son liquidateur n'avait pas encore constitué avocat. Il ajoute qu'elle a présenté ses demandes dans les délais de l'article 909 du code de procédure civile.

15. En statuant ainsi, alors que la société RMPG, intimée et appelante incidente, demandait, outre l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de diverses sommes, sa confirmation en ce qu'il a condamné la société Apacc à payer une somme à la société [Y] [T], ès qualités, outre la compensation entre les sommes dues et celles à devoir ainsi que des dommages et intérêts en réparation de son préjudice, la cour d'appel, qui était ainsi saisie de demandes ne relevant pas de l'exercice d'un droit propre de la société RMPG, a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

16. Les sociétés Apacc, [F] prise en la personne de M. [M] [F], mandataire judiciaire, FHBX prise en la personne de M. [O], administrateur judiciaire, font le même grief à l'arrêt de déféré du 13 juin 2023 et à l'arrêt du 27 février 2024, alors : « qu'il résulte des articles L. 641-9 du code de commerce et 125 du code de procédure civile que le débiteur mis en liquidation judiciaire n'a plus qualité non seulement pour agir, mais encore pour défendre en justice dans une affaire concernant son patrimoine et que cette fin de non-recevoir, qui est d'ordre public, doit être relevée d'office par le juge ; qu'elle ne peut être régularisée que par l'intervention du liquidateur dans le délai d'appel ou de dépôt des conclusions en défense, conformément aux dispositions de l'article 126, alinéa 2, du code de procédure civile ; qu'en infirmant l'ordonnance du conseiller de la mise en état, en ce qu'il avait déclaré irrecevables les demandes formées par la société RMPG pour défaut de qualité à agir au motif qu' "au regard des demandes de condamnation en paiement, la société RMPG, intimée dans le cadre de la procédure d'appel, disposait d'un droit propre à se défendre et à préserver ses droits, alors même que son liquidateur judiciaire n'avait pas encore constitué avocat. Ses demandes, présentées dans les délais de l'article 909 du code de procédure civile, sont par conséquent recevables, peu important, au regard de ce droit propre, que les conclusions du liquidateur judiciaire, prises aux côtés des sociétés Aqualoft et RMPG, aient été notifiées postérieurement au délai de trois mois de l'article 909 du code de procédure civile, d'autant que celles-ci reprennent exactement les termes des conclusions notifiées le 23 mai 2022", cependant que la régularisation relative au défaut de qualité de la société RMPG était intervenue hors délai, à savoir le 8 septembre 2022, en sorte que les demandes de la société RMPG étaient irrecevables, que celle-ci soit représentée par ses représentants légaux ou par son liquidateur judiciaire, la cour d'appel a violé les articles L. 641-9 du code de commerce,126 et 909 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 641-9 du code de commerce, 126 et 909 du code de procédure civile :

17. Selon le troisième de ces textes, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 du code de procédure civile pour remettre ses conclusions au greffe.

18. Il résulte du second que, dans les cas où la situation donnant lieu à une fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

19. Pour juger recevables l'ensemble de ses demandes, l'arrêt retient qu'au regard des demandes de condamnation en paiement, la société RMPG, intimée, disposait d'un droit propre à se défendre et à préserver ses droits, alors même que son liquidateur n'avait pas encore constitué avocat. Il ajoute qu'elle a présenté ses demandes dans les délais de l'article 909 du code de procédure civile, peu important que les conclusions du liquidateur, prises aux côtés des sociétés Aqualoft et RMPG, aient été notifiées postérieurement au délai de trois mois.

20. En statuant ainsi, alors que les conclusions, déposées et notifiées par le liquidateur de la société RMPG hors du délai qui lui était ouvert à compter de la signification qui lui avait été faite des conclusions de l'appelant, ne régularisaient pas la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de la société RMPG à agir seule des chefs de demandes ne relevant pas de l'exercice d'un droit propre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus les 13 juin 2023 et 27 février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le cinq novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site