CA Besançon, ch. soc., 4 novembre 2025, n° 24/01046
BESANÇON
Arrêt
Autre
ARRET N°
CE/SMG
COUR D'APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 4 NOVEMBRE 2025
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 9 septembre 2025
N° de rôle : N° RG 24/01046 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EZKS
S/appel d'une décision
du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Besançon
en date du 27 juin 2024
Code affaire : 80M
Demande de résiliation ou de résolution judiciaire du contat de travail formée par un salarié
APPELANT
Monsieur [B] [D], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Christine MAYER BLONDEAU, avocat au barreau de BESANCON
INTIMES
UNEDIC (DÉLÉGATION AGS CGEA ILE DE FRANCE EST), sise [Adresse 2]
représentée par Me Antoine VIENNOT, avocat au barreau de HAUTE-SAONE
Maître [N] [L] sise [Adresse 3]
représentée par Me PEQUIGNOT, avocat au barreau de BESANCON
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats 9 Septembre 2025 :
CONSEILLERS RAPPORTEURS : M. Christophe ESTEVE, Président, et Mme Sandra LEROY, Conseiller, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, en l'absence d'opposition des parties
GREFFIER : Madame MERSON GREDLER
lors du délibéré :
M. Christophe ESTEVE, Président, et Mme Sandra LEROY, Conseiller, ont rendu compte conformément à l'article 945-1 du code de procédure civile à Mme Sandrine DAVIOT, Conseiller.
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 4 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe.
**************
Statuant sur l'appel interjeté le 12 juillet 2024 par M. [B] [D] d'un jugement rendu le 27 juin 2024 par le conseil de prud'hommes de Besançon, qui dans le cadre du litige l'opposant à la société par actions simplifiée S2IA, à l'administrateur judiciaire et au mandataire judiciaire de ladite société, respectivement Me [H] [T] et Me [N] [L], et à l'AGS (CGEA Ile de France est) a':
- fixé la créance de M. [B] [D] sur le redressement judiciaire de la SASU S2IA aux sommes de :
- 6.591,93 euros à titre de salaire pour la période du 1er septembre 2022 au 10 janvier 2023 ;
- 659,19 euros au titre des congés payés afférents ;
- 3.370,74 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;
- 352,89 euros à titre de frais de déplacement ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- dit le jugement opposable au CGEA d'ILE DE FRANCE EST es qualités de gestionnaire de l'AGS, en rappelant les conditions de garantie de l'AGS,
- condamné la SASU S2IA aux entiers dépens,
l'appel étant dirigé contre Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société par actions simplifiée S2IA et contre l'AGS,
Vu les dernières conclusions transmises le 13 mai 2025 par M. [B] [D], appelant, qui demande à la cour de':
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [B] [D] du surplus de ses demandes,
- confirmer le jugement sur les autres points,
- dire que la société S2IA n'a pas réglé les salaires de M. [B] [D] depuis septembre 2022,
- dire que M. [B] [D] n'a pas été réglé de l'intégralité de ses frais de déplacement,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,
- dire que la résiliation judiciaire du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- fixer les créances au passif de la liquidation judiciaire de la société S2IA au paiement des sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal :
- 33 919,42 euros bruts au titre des salaires du 11 janvier 2023 au 29 février 2024
- 3 391,94 euros bruts à titre de congés payés afférents
- 10 050,20 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- 2 774,27 euros nets à titre d'indemnité de licenciement
- 5 025,10 euros bruts à titre d'indemnité de préavis
- 502,51 euros bruts à titre de congés payés sur préavis
- 2 960,88 euros bruts à titre de reliquat sur indemnité compensatrice de congés payés,
- dire que ces créances sont opposables à l'AGS,
- ordonner à Maître [L] es qualité de mandataire judiciaire de la société S2IA la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 20 euros par jour de retard,
- condamner Maître [L], es qualité de mandataire judiciaire de la société S2IA, au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les dernières conclusions transmises le 2 décembre 2024 par Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société par actions simplifiée S2IA, intimé, qui demande à la cour de':
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande de résiliation
judiciaire du contrat de travail,
- débouter M. [D] de toutes ses demandes afférentes,
y ajoutant':
- condamner M. [D] à payer à Maître [L] ès qualité de liquidateur de la société S2IA la somme de 4 728,37 euros correspondant à la valeur des matériels qu'il a conservés sans juste raison,
- condamner M. [D] à payer à Maître [L] ès qualité de liquidateur de la société S2IA la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'appel,
Vu les dernières conclusions transmises le 26 mai 2025 par l'association Unedic délégation AGS - CGEA Ile de France est (ci-après dénommée l'AGS), autre intimée, qui demande essentiellement à la cour de':
- confirmer la décision attaquée,
- débouter M. [B] [D] de l'ensemble de ses prétentions,
subsidiairement et en tout état de cause':
s'agissant de la créance de salaire de M. [B] [D]':
- dire que le CGEA n'aura à garantir que les créances de salaires dues à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire et non celles fixées pour une période postérieure, en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [B] [D]':
- dire que cette résiliation ne sera effective qu'à compter de la date du «'jugement'» à intervenir,
- dire que le CGEA n'aura pas à garantir les sommes éventuellement allouées au salarié au titre des indemnités de rupture, celles-ci résultant d'une rupture à l'initiative du salarié postérieurement au jugement d'ouverture,
- dire que la garantie du CGEA ne pourra pas s'exécuter en ce qui concerne la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ni l'astreinte éventuellement fixée au titre de la remise des documents de fin de contrat,
La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 10 juillet 2025,
SUR CE
EXPOSE DU LITIGE
M. [B] [D] a été embauché par la société S2IA à compter du 21 octobre 2019 jusqu'au 30 avril 2020 sous contrat de travail à durée déterminée à temps plein en qualité de câbleur.
Au terme du contrat qui est régi par la convention collective des télécommunications, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.
Le salarié a eu à déplorer des retards de paiement de son salaire à partir du mois de juin 2022.
A compter du 6 septembre 2022 l'employeur a placé le salarié en activité partielle jusqu'au 31 décembre 2022, sans lui régler les indemnités afférentes.
Par courriel du 12 septembre 2022, le salarié a refusé une proposition de mutation à [Localité 6] et sollicité la rupture conventionnelle de son contrat, qui lui a été refusée.
Par lettre adressée le 13 décembre 2022 sous pli recommandé avec avis de réception, l'employeur a mis en demeure le salarié de restituer le matériel de l'entreprise (téléphone, soudeuse, caisse à outil).
Par lettre adressée sous la même forme le 23 décembre 2022, le salarié a mis en demeure son employeur de lui régler ses salaires depuis septembre et lui a indiqué ne pas être opposé à la restitution de son matériel de travail, tout en s'étonnant que l'employeur ait besoin de ce matériel alors qu'il est placé en chômage partiel pour absence d'activité.
Le 10 janvier 2023, l'employeur a transmis au salarié un ordre de mission pour travailler dans le département 74 durant deux mois à compter du 17 janvier 2023, demande à laquelle le salarié n'a pas répondu.
M. [D] a créé une entreprise individuelle, active depuis le 28 novembre 2022, et a également recherché des missions en intérim. Il a ainsi travaillé du 5 juin 2023 au 13 juillet 2023 pour la société Crit.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 6 octobre 2023, l'employeur a mis en demeure le salarié de reprendre le travail dans les plus brefs délais et de justifier de son absence, courrier auquel le salarié n'a pas répondu.
Entre-temps, M. [B] [D] a saisi le 9 juin 2023 le conseil de prud'hommes de Besançon de la procédure qui a donné lieu le 27 juin 2024 au jugement entrepris, après jugement avant dire droit en date du 9 avril 2024.
* Le 30 mai 2023, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société S2IA.
A l'issue d'une période d'observation d'une année, le tribunal de commerce de Bobigny a, par jugement du 4 juin 2024, arrêté un plan de cession de l'entreprise qui prévoyait la reprise de la quasi-totalité des emplois et, par jugement séparé du même jour, prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire de la société S2IA, en désignant Maître [N] [L] en qualité de liquidateur judiciaire.
Il est précisé que ces décisions du tribunal de commerce de Bobigny ne sont pas produites à hauteur de cour, mais que le jugement du 30 mai 2023 a été communiqué en première instance, jugement dont il ressort notamment que l'administrateur judiciaire avait une mission d'assistance.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour précise que le jugement déféré n'est pas critiqué en ce qu'il a fixé les créances suivantes de M. [D] au passif du redressement judiciaire de la société S2IA':
- 352,89 euros au titre de ses frais de déplacement,
- 6.591,93 euros bruts à titre de salaire pour la période du 1er septembre 2022 au 10 janvier 2023,
- 659,19 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 3.370,74 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
de sorte que la cour n'est pas saisie de ces chefs du jugement.
1- Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail':
A l'appui de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, M. [D] se prévaut du retard de paiement de ses salaires à compter du mois de juin 2022 ainsi que du défaut de paiement de ses frais de déplacement, puis du non-paiement de ses salaires durant plusieurs mois et de l'absence d'exécution de bonne foi du contrat de travail par l'employeur l'ayant placé dans l'impossibilité de travailler.
Le liquidateur judiciaire poursuit la confirmation du jugement déféré sur ce point. S'il admet que l'employeur a reconnu en première instance être redevable des indemnités d'activité partielle pour la période de septembre à décembre 2022, pour autant le liquidateur fait essentiellement valoir que le salarié a d'abord refusé la proposition de l'employeur de le muter sur un autre secteur en septembre 2022 comme le permettait le contrat, qu'il n'a ensuite jamais donné suite à la demande de l'employeur, transmise le 10 janvier 2023, de se présenter sur un poste de travail dans le département 74 et qu'il n'est dès lors pas resté à la disposition de l'employeur, travaillant au contraire pour son propre compte en autoentreprise depuis le 28 novembre 2022 et pour d'autres entreprises concurrentes comme en atteste le courriel du 18 avril 2023 de la société d'intérim Adéquat intérim et recrutement, qui effectuait un contrôle de référence à la demande d'un recruteur.
Il soutient que ces circonstances expliquent que le salarié ait attendu 9 mois pour citer en justice son employeur alors qu'il soutenait avoir subi un préjudice du fait de cette rupture.
Il ajoute que la mise en demeure de justifier des raisons de ses absences, qui a été adressée au salarié le 6 octobre 2023 sous pli recommandé, est restée sans réponse.
L'AGS sollicite également la confirmation de la décision attaquée en relevant que M. [D], privé de ses salaires depuis septembre 2022 et se disant en proie à des difficultés financières, n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 7 juin 2023, qu'il ne démontre pas avoir travaillé pour le compte de son employeur postérieurement au 10 janvier 2023 et que la relation de travail a manifestement pris fin, le salarié travaillant depuis le 28 novembre 2022 en autoentreprise, ainsi qu'en intérim pour la société Crit du 5 juin 2023 au 13 juillet 2023.
En outre, les intimés font tous deux observer que M. [D] n'a pas déféré en première instance à l'injonction de comparaître personnellement.
Après avoir relevé que M. [D] avait bien exercé une activité d'autoentrepreneur et bénéficié à ce titre de versements d'une société Up Télécom (1.990,80 euros le 10 janvier 2023, 3.033,45 euros le 14 février 2023, 1.500 euros le 28 février 2023 et 600 euros le 7 avril 2024 (en réalité le 7 avril 2023)), qu'il avait également travaillé en intérim pour la société Crit du 5 juin 2023 au 13 juillet 2023 et que dès lors on pouvait «'légitimement s'interroger sur la poursuite ou la rupture de la relation de travail, comme sur la disponibilité du salarié pour l'entreprise, raison pour laquelle la comparution personnelle de Monsieur [D] aurait permis d'éclairer le conseil de prud'hommes'», les premiers juges ont entendu tirer les conséquences du refus de M. [D] de comparaître personnellement en le déboutant pour cette raison de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
* La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée par le salarié en cas de manquement de l'employeur à ses obligations d'une gravité telle qu'il rend impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements qu'il impute à son employeur.
Au cas présent, le salarié justifie d'abord par plusieurs courriels transmis à son employeur les 18 juillet, 29 juillet, 27 août et 14 septembre 2022 qu'à compter du mois de juin 2022 son salaire lui a été réglé avec un retard de plusieurs semaines, ce qui l'a placé dans une situation financière critique.
L'employeur lui a ainsi répondu le 22 juillet 2022': «'Nous tenons à vous faire part que nous rencontrons actuellement des difficultés financières dues à un blocage de fonds de la part du trésor public. Nous comprenons votre mécontentement ainsi que votre situation, sachez que nous mettons tout en 'uvre pour débloquer la situation. Nous tenons également à vous informer que l'incident sera résolu d'ici le début de la semaine prochaine. Et enfin, nous nous excusons de la gêne occasionnée et de la position dans laquelle vous vous trouvez suite au retard de versement de salaire.'».
Ensuite, il est constant que l'employeur n'a pas payé au salarié ses indemnités d'activité partielle au titre de la période du 6 septembre 2022 au 31 décembre 2022, soit au total un montant net impayé de 4.994,12 euros.
M. [D] se plaint de cette situation dans un courriel du 11 octobre 2022 qui manifestement est resté sans réponse.
La société S2IA sera placée le 30 mai 2023 en redressement judiciaire sans avoir réglé cette créance salariale.
Le grief est donc parfaitement caractérisé.
Pour dénier à ces faits tout caractère de gravité et voir confirmer le rejet de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, le liquidateur judiciaire et l'AGS font essentiellement valoir que le salarié ne s'est plus tenu à la disposition de son employeur, travaillant au contraire pour son propre compte ou pour des entreprises concurrentes, et qu'il a attendu neuf mois pour saisir la juridiction prud'homale.
Ainsi que le rappelle exactement M. [D], il incombe à l'employeur, qui a l'obligation de fournir du travail au salarié, de rapporter la preuve que celui-ci ne se tenait pas à sa disposition au cours de la période litigieuse (Soc. 23 octobre 2013 n° 12-14.237'; Soc. 13 octobre 2021 n° 20-18.903'; Soc. 29 mars 2023 n° 21-18.699).
Or, les circonstances invoquées par le liquidateur judiciaire et l'AGS ne suffisent pas à l'établir.
En premier lieu, il ne peut être tiré aucun argument du fait que le salarié a refusé en septembre 2022 d'être muté à [Localité 6].
Si le contrat de travail prévoit en son article 3 que si l'activité le demande, M. [D] pourra être amené à faire des déplacements sur les chantiers en cours de l'entreprise, et ce au niveau national, son article 10 stipule que M. [D] travaillera dans la région de [Localité 5].
Ces stipulations ne sont pas de nature à permettre à l'employeur de muter unilatéralement le salarié dans une autre région, de sorte qu'une telle mutation constitue une modification du contrat de travail requérant l'acceptation expresse du salarié, qui était parfaitement en droit de la refuser.
En deuxième lieu, l'absence de réponse du salarié à la demande de l'employeur, transmise le 10 janvier 2023, de se présenter sur un poste de travail dans le département 74 ne peut lui être utilement opposée.
En effet, l'ordre de mission transmis le 10 janvier 2023 au salarié en vue de l'installation de fibre optique et du raccordement des abonnés dans le département 74 pour une durée minimale de deux mois avec hébergement en hôtel ne peut s'analyser comme un simple déplacement sur un chantier en cours de l'entreprise et méconnaît dès lors l'article 10 susvisé de son contrat de travail.
A supposer même que cette affectation unilatérale sur un poste de travail dans le département 74 entre dans les prévisions du contrat de travail, M. [D] est en tout état de cause fondé à soutenir que son absence est justifiée par le défaut de paiement de ses salaires depuis septembre 2022.
Ce faisant, il oppose à juste titre à son employeur une exception d'inexécution, au sens de l'article 1219 du code civil, de sorte qu'il ne saurait être considéré qu'il ne se tenait plus à la disposition de son employeur.
En troisième lieu, dans de telles conditions constitutives d'une privation totale de salaires, la recherche par le salarié d'une occupation rémunérée, que ce soit dans le cadre d'une activité exercée en nom propre ou dans celui d'un travail intérimaire, n'est pas fautive et ne l'empêchait pas d'être à la disposition de son employeur dès que lui serait réglé l'arriéré de salaires.
En quatrième lieu, la saisine de la juridiction prud'homale moins de six mois après la mise en demeure délivrée à l'employeur de régler les salaires impayés n'est pas tardive, alors que le manquement de l'employeur persistait à cette date.
En cinquième lieu, l'AGS n'est pas fondée à soutenir que le contrat de travail a pris fin à cette période, alors que l'employeur a par lettre du 6 octobre 2023 mis en demeure le salarié de reprendre le travail dans les plus brefs délais et de justifier de son absence.
Enfin, compte tenu des éléments factuels portés à sa connaissance en exécution de sa décision avant dire droit du 9 avril 2024, le conseil de prud'hommes ne pouvait débouter M. [D] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail au seul motif qu'il n'a pas déféré à l'injonction de comparaître personnellement, d'autant que l'administrateur judiciaire et le président de la société S2IA, qui étaient soumis à la même injonction, n'y ont pas davantage déféré.
Le retard de paiement de salaire pendant plusieurs semaines au cours de l'été 2022 puis le défaut de paiement des salaires durant une période continue de quatre mois entre septembre 2022 et décembre 2022 constituent un manquement grave de l'employeur à ses obligations rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré de ce chef et statuant à nouveau, de prononcer la résiliation du contrat de travail de M. [B] [D] aux torts exclusifs de l'employeur et de dire qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2- Sur la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail':
En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat de travail n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur (Soc. 21 septembre 2017 n° 16-10.346'; Soc. 8 septembre 2021 n° 20-16.830).
Au cas présent, il est rappelé que la société S2IA a été placée le 30 mai 2023 en redressement judiciaire et qu'en application de l'article L. 622-7 du code de commerce, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture.
L'employeur justifie que pendant la période d'observation, par lettre adressée le 6 octobre 2023 sous pli recommandé avec avis de réception et distribuée le 12 octobre 2023, il a mis en demeure le salarié de reprendre le travail dans les plus brefs délais et de justifier de son absence, courrier auquel le salarié n'a pas répondu.
Il justifie ainsi suffisamment qu'à compter du 12 octobre 2023, M. [D] ne se tenait plus à sa disposition, le salarié ne s'étant pas davantage manifesté ultérieurement auprès de lui ou des organes de la procédure collective.
Il résulte de ces circonstances qu'à partir de cette date, le salarié n'était plus au service de son employeur.
Il convient dans ces conditions de fixer au 12 octobre 2023 la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail.
3- Sur l'arriéré de salaires à compter du 11 janvier 2023':
M. [D] sollicite paiement de la somme brute de 33.919,42 euros, outre congés payés y afférents, à titre de paiement des salaires du 11 janvier 2023 au 29 février 2024.
Mais la cour a retenu ci-avant que M. [D] n'était plus au service de son employeur à partir du 12 octobre 2023.
Il s'ensuit que le rappel de salaires n'est dû que pour la période ayant couru du 11 janvier 2023 au 12 octobre 2023.
Comme le soutient exactement le salarié, son salaire moyen brut mensuel, calculé sur la base des douze derniers mois précédant la période d'activité partielle non réglée, s'élève à 2.512,55 euros.
La cour retient donc ce salaire de référence pour le calcul des salaires et indemnités dus au salarié.
Infirmant le jugement déféré de ce chef, il convient de fixer les créances salariales de M. [D] au titre de cet arriéré de salaires au passif de la liquidation de la société S2IA comme suit':
- 22.780,45 euros bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 11 janvier 2023 au 12 octobre 2023,
- 2.278,05 euros au titre des congés payés afférents.
4- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail':
Ainsi qu'il a été dit, la résiliation du contrat de travail de M. [B] [D] aux torts exclusifs de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et sa date d'effet a été fixée au 12 octobre 2023.
4-1- Sur l'indemnité compensatrice de préavis':
La durée du préavis étant de deux mois, le salarié a droit à la somme de 5.025,10 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 502,51 euros au titre des congés payés y afférents.
Ces créances seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société S2IA.
4-2- Sur l'indemnité de licenciement':
Le salarié a droit à une indemnité de licenciement calculée conformément aux dispositions des articles R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail.
Le préavis étant en l'espèce d'une durée de deux mois, l'ancienneté à prendre en compte pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement est de 4 ans et 1 mois.
En conséquence, M. [D] a droit à une indemnité légale de 2.564,89 euros, créance qu'il convient de fixer également au passif de la liquidation judiciaire de la société S2IA.
4-3- Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse':
Aux termes des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et à défaut de réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
Ce barème prend en considération les années complètes d'ancienneté acquises à la date de notification du licenciement ou en l'espèce à la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail.
Il est rappelé que le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse subit nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue (Soc. 13 septembre 2017 n°16-13.578'; Soc. 18 mai 2022 n° 20-19.524).
En l'espèce, à la date d'effet de la résiliation judiciaire, M. [D] âgé alors de 50 ans avait une ancienneté de trois ans en années complètes. Il peut donc prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 et 4 mois de salaire brut.
Il ne justifie pas de sa situation postérieure à la rupture de son contrat de travail.
Dans ces conditions, sur la base du salaire de référence retenu, il convient de lui allouer la somme de 7.537,65 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de l'employeur.
Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de toutes ses demandes indemnitaires.
4-4- Sur le reliquat au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés':
M. [D] expose qu'au 29 février 2024 il dispose d'un reliquat de 63 jours de congés payés non pris qu'il convient de lui régler, soit la somme de 2.960,88 euros bruts, selon le calcul suivant': 2.512,55/[Immatriculation 4] ' 3.370,74 euros, la déduction de 3.370,74 euros représentant la somme qui lui a d'ores et déjà été allouée à ce titre en première instance.
Mais d'une part, la cour a retenu que le salarié n'était plus au service de son employeur à partir du 12 octobre 2023, de sorte qu'il ne saurait obtenir une indemnité compensatrice de congés payés pour une période postérieure à cette date.
D'autre part, le salarié ne peut tout à la fois réclamer les congés payés à hauteur de 10'% sur l'arriéré de salaires afférent à la période du 1er septembre 2022 au 10 janvier 2023 (congés payés d'ores et déjà alloués par les premiers juges) ainsi que sur l'arriéré de salaires dû pour la période ayant couru à compter du 11 janvier 2023 (congés payés alloués ci-avant par la cour jusqu'au 12 octobre 2023) et un reliquat de congés payés non pris à la fin de la période contractuelle, ce qui reviendrait à lui payer deux fois ses congés payés.
En outre, force est de constater que les premiers juges se sont trompés en ce qu'ils ont alloué deux fois la somme de 659,19 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er septembre 2022 au 10 janvier 2023, étant rappelé que ces chefs du jugement ne sont pas critiqués.
Dans ces conditions, la cour retient que M. [D] a été rempli de ses droits et le déboute de sa demande au titre d'un reliquat de congés payés non pris, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.
5- Sur la remise des documents de fin de contrat':
Compte tenu des développements qui précèdent, il y a lieu d'enjoindre à Me [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA de remettre à M. [D] des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a implicitement rejeté la demande de remise des documents de fin de contrat.
6- Sur la garantie de l'AGS':
Tirant les conséquences de l'arrêt rendu le 22 février 2024 (aff. C-125/23) par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a interprété la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, la chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement par deux arrêts en date du 8 janvier 2025 (n° 20-18.484 et n° 23-11.417), aux termes desquels elle juge désormais que l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 du code du travail couvre les créances impayées résultant de la rupture d'un contrat de travail, lorsque le salarié prend acte de la rupture de celui-ci ou obtient sa résiliation judiciaire en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et que la rupture intervient pendant l'une des périodes visées à l'article L. 3253-8 2° du même code.
Au cas présent, si le liquidateur n'a pas notifié son licenciement à M. [D], la cour a retenu ci-avant que le manquement de l'employeur à ses obligations était d'une gravité telle qu'il rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle et qu'il y avait lieu de prononcer la résiliation du contrat de travail de M. [B] [D] aux torts exclusifs de l'employeur, de dire qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de fixer sa date d'effet au 12 octobre 2023.
La rupture du contrat de travail de M. [D] est dès lors intervenue pendant la période d'observation, soit pendant l'une des périodes visées à l'article L. 3253-8 2° du code du travail.
Il s'ensuit que l'AGS doit sa garantie, dans les limites et conditions légales de celle-ci, pour les créances de M. [D] fixées par le présent arrêt au passif de la liquidation judiciaire de la société S2IA au titre de la rupture de son contrat de travail.
Il en est de même en application de l'article L. 3253-8 1° pour les sommes dues au salarié à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective (créances antérieures) et en application de l'article L. 3253-8 5°, dans la limite maximale d'un montant correspondant à un mois et demi de travail, pour les créances de salaire dues au cours de la période d'observation.
En conséquence, il y a lieu de dire que l'AGS doit sa garantie, dans la limite du plafond applicable, pour les créances suivantes':
- les créances salariales dues à M. [D] à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire';
- les salaires dus à M. [D] pendant la période d'observation dans la limite d'un mois et demi de salaire';
- les sommes dues à M. [D] au titre de la rupture de son contrat de travail, qui est intervenue le 12 octobre 2023 au cours de la période d'observation.
7- Sur la demande reconventionnelle présentée par le liquidateur':
Me [L] ès qualités sollicite en cause d'appel la condamnation de M. [D] à lui payer la somme de 4.728,37 euros correspondant à la valeur des matériels qu'il a conservés sans juste raison.
Le liquidateur expose que le conseil de prud'hommes n'a pas fait droit à la demande de restitution sous astreinte de ce matériel, sans motiver ce débouté, que cette absence de restitution a eu un coût pour l'entreprise et que tant la dépréciation de ce matériel que la liquidation judiciaire de l'entreprise rendent cette demande de restitution obsolète.
Pour s'opposer à la demande en appel du liquidateur, M. [D] répond que le conseil de prud'hommes a débouté Me [N] [L] de sa demande, que celle-ci n'a pas sollicité dans le dispositif de ses conclusions l'infirmation du jugement sur ce point et que la cour n'est donc saisie d'aucun appel incident.
En réalité, les premiers juges n'ont manifestement pas statué sur la demande de restitution d'outils présentée par le mandataire judiciaire parce que ce dernier n'a pas comparu à l'audience du 16 mai 2024, de sorte qu'ils ont considéré ne pas en être saisis, cette demande n'étant d'ailleurs pas mentionnée dans le jugement du 27 juin 2024. La cour relève qu'en revanche elle est rappelée dans le jugement avant dire droit du 9 avril 2024.
Si la demande reconventionnelle présentée en appel par le liquidateur est recevable en application de l'article 567 du code de procédure civile dans la mesure où elle se rattache à sa prétention originaire par un lien suffisant au sens de l'article 70 du code de procédure civile, elle est en revanche mal fondée.
En effet, le liquidateur, qui ne formalise pas une demande de dommages-intérêts, ne saurait obtenir le remboursement du prix d'achat des outils considérés alors qu'il explique lui-même qu'une demande de restitution ne présente plus aucun intérêt en raison de la dépréciation dudit matériel.
Le liquidateur sera en conséquence débouté de sa demande reconventionnelle.
8- Sur les frais irrépétibles et les dépens':
La décision attaquée sera confirmée en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer à M. [D] la somme de 1.500 euros, à la charge du liquidateur et de l'AGS, au titre des frais irrépétibles qu'il a dû exposer en cause d'appel.
Parties perdantes, le liquidateur, qui n'obtiendra aucune indemnité sur ce fondement, et l'AGS supporteront les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme, en ses dispositions frappées d'appel, le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté partiellement M. [B] [D] de sa demande en paiement d'un reliquat de congés payés et en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance';
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Prononce la résiliation du contrat de travail de M. [B] [D] aux torts exclusifs de la société S2IA';
Fixe la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 12 octobre 2023';
Dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse';
Fixe les créances de M. [B] [D] au passif de la liquidation de la société S2IA comme suit':
- 22.780,45 euros bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 11 janvier 2023 au 12 octobre 2023,
- 2.278,05 euros au titre des congés payés afférents,
- 5.025,10 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 502,51 euros au titre des congés payés y afférents,
- 2.564,89 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 7.537,65 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Déboute M. [B] [D] de sa demande au titre d'un reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés';
Enjoint à Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA de remettre à M. [B] [D] des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt';
Dit n'y avoir lieu à astreinte de ce chef';
Dit que l'AGS doit sa garantie, dans la limite du plafond applicable, pour les créances suivantes':
- les créances salariales dues à M. [B] [D] à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire';
- les salaires dus à M. [B] [D] pendant la période d'observation dans la limite d'un mois et demi de salaire';
- les sommes dues à M. [B] [D] au titre de la rupture de son contrat de travail, intervenue le 12 octobre 2023 au cours de la période d'observation';
Déboute Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 4.728,37 euros correspondant à la valeur des matériels conservés';
Condamne Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA et l'AGS à payer à M. [B] [D] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamne Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA et l'AGS aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le quatre novembre deux mille vingt cinq et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,
CE/SMG
COUR D'APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 4 NOVEMBRE 2025
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 9 septembre 2025
N° de rôle : N° RG 24/01046 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EZKS
S/appel d'une décision
du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Besançon
en date du 27 juin 2024
Code affaire : 80M
Demande de résiliation ou de résolution judiciaire du contat de travail formée par un salarié
APPELANT
Monsieur [B] [D], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Christine MAYER BLONDEAU, avocat au barreau de BESANCON
INTIMES
UNEDIC (DÉLÉGATION AGS CGEA ILE DE FRANCE EST), sise [Adresse 2]
représentée par Me Antoine VIENNOT, avocat au barreau de HAUTE-SAONE
Maître [N] [L] sise [Adresse 3]
représentée par Me PEQUIGNOT, avocat au barreau de BESANCON
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats 9 Septembre 2025 :
CONSEILLERS RAPPORTEURS : M. Christophe ESTEVE, Président, et Mme Sandra LEROY, Conseiller, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, en l'absence d'opposition des parties
GREFFIER : Madame MERSON GREDLER
lors du délibéré :
M. Christophe ESTEVE, Président, et Mme Sandra LEROY, Conseiller, ont rendu compte conformément à l'article 945-1 du code de procédure civile à Mme Sandrine DAVIOT, Conseiller.
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 4 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe.
**************
Statuant sur l'appel interjeté le 12 juillet 2024 par M. [B] [D] d'un jugement rendu le 27 juin 2024 par le conseil de prud'hommes de Besançon, qui dans le cadre du litige l'opposant à la société par actions simplifiée S2IA, à l'administrateur judiciaire et au mandataire judiciaire de ladite société, respectivement Me [H] [T] et Me [N] [L], et à l'AGS (CGEA Ile de France est) a':
- fixé la créance de M. [B] [D] sur le redressement judiciaire de la SASU S2IA aux sommes de :
- 6.591,93 euros à titre de salaire pour la période du 1er septembre 2022 au 10 janvier 2023 ;
- 659,19 euros au titre des congés payés afférents ;
- 3.370,74 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;
- 352,89 euros à titre de frais de déplacement ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- dit le jugement opposable au CGEA d'ILE DE FRANCE EST es qualités de gestionnaire de l'AGS, en rappelant les conditions de garantie de l'AGS,
- condamné la SASU S2IA aux entiers dépens,
l'appel étant dirigé contre Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société par actions simplifiée S2IA et contre l'AGS,
Vu les dernières conclusions transmises le 13 mai 2025 par M. [B] [D], appelant, qui demande à la cour de':
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [B] [D] du surplus de ses demandes,
- confirmer le jugement sur les autres points,
- dire que la société S2IA n'a pas réglé les salaires de M. [B] [D] depuis septembre 2022,
- dire que M. [B] [D] n'a pas été réglé de l'intégralité de ses frais de déplacement,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,
- dire que la résiliation judiciaire du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- fixer les créances au passif de la liquidation judiciaire de la société S2IA au paiement des sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal :
- 33 919,42 euros bruts au titre des salaires du 11 janvier 2023 au 29 février 2024
- 3 391,94 euros bruts à titre de congés payés afférents
- 10 050,20 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- 2 774,27 euros nets à titre d'indemnité de licenciement
- 5 025,10 euros bruts à titre d'indemnité de préavis
- 502,51 euros bruts à titre de congés payés sur préavis
- 2 960,88 euros bruts à titre de reliquat sur indemnité compensatrice de congés payés,
- dire que ces créances sont opposables à l'AGS,
- ordonner à Maître [L] es qualité de mandataire judiciaire de la société S2IA la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 20 euros par jour de retard,
- condamner Maître [L], es qualité de mandataire judiciaire de la société S2IA, au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les dernières conclusions transmises le 2 décembre 2024 par Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société par actions simplifiée S2IA, intimé, qui demande à la cour de':
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande de résiliation
judiciaire du contrat de travail,
- débouter M. [D] de toutes ses demandes afférentes,
y ajoutant':
- condamner M. [D] à payer à Maître [L] ès qualité de liquidateur de la société S2IA la somme de 4 728,37 euros correspondant à la valeur des matériels qu'il a conservés sans juste raison,
- condamner M. [D] à payer à Maître [L] ès qualité de liquidateur de la société S2IA la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'appel,
Vu les dernières conclusions transmises le 26 mai 2025 par l'association Unedic délégation AGS - CGEA Ile de France est (ci-après dénommée l'AGS), autre intimée, qui demande essentiellement à la cour de':
- confirmer la décision attaquée,
- débouter M. [B] [D] de l'ensemble de ses prétentions,
subsidiairement et en tout état de cause':
s'agissant de la créance de salaire de M. [B] [D]':
- dire que le CGEA n'aura à garantir que les créances de salaires dues à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire et non celles fixées pour une période postérieure, en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [B] [D]':
- dire que cette résiliation ne sera effective qu'à compter de la date du «'jugement'» à intervenir,
- dire que le CGEA n'aura pas à garantir les sommes éventuellement allouées au salarié au titre des indemnités de rupture, celles-ci résultant d'une rupture à l'initiative du salarié postérieurement au jugement d'ouverture,
- dire que la garantie du CGEA ne pourra pas s'exécuter en ce qui concerne la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ni l'astreinte éventuellement fixée au titre de la remise des documents de fin de contrat,
La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 10 juillet 2025,
SUR CE
EXPOSE DU LITIGE
M. [B] [D] a été embauché par la société S2IA à compter du 21 octobre 2019 jusqu'au 30 avril 2020 sous contrat de travail à durée déterminée à temps plein en qualité de câbleur.
Au terme du contrat qui est régi par la convention collective des télécommunications, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.
Le salarié a eu à déplorer des retards de paiement de son salaire à partir du mois de juin 2022.
A compter du 6 septembre 2022 l'employeur a placé le salarié en activité partielle jusqu'au 31 décembre 2022, sans lui régler les indemnités afférentes.
Par courriel du 12 septembre 2022, le salarié a refusé une proposition de mutation à [Localité 6] et sollicité la rupture conventionnelle de son contrat, qui lui a été refusée.
Par lettre adressée le 13 décembre 2022 sous pli recommandé avec avis de réception, l'employeur a mis en demeure le salarié de restituer le matériel de l'entreprise (téléphone, soudeuse, caisse à outil).
Par lettre adressée sous la même forme le 23 décembre 2022, le salarié a mis en demeure son employeur de lui régler ses salaires depuis septembre et lui a indiqué ne pas être opposé à la restitution de son matériel de travail, tout en s'étonnant que l'employeur ait besoin de ce matériel alors qu'il est placé en chômage partiel pour absence d'activité.
Le 10 janvier 2023, l'employeur a transmis au salarié un ordre de mission pour travailler dans le département 74 durant deux mois à compter du 17 janvier 2023, demande à laquelle le salarié n'a pas répondu.
M. [D] a créé une entreprise individuelle, active depuis le 28 novembre 2022, et a également recherché des missions en intérim. Il a ainsi travaillé du 5 juin 2023 au 13 juillet 2023 pour la société Crit.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 6 octobre 2023, l'employeur a mis en demeure le salarié de reprendre le travail dans les plus brefs délais et de justifier de son absence, courrier auquel le salarié n'a pas répondu.
Entre-temps, M. [B] [D] a saisi le 9 juin 2023 le conseil de prud'hommes de Besançon de la procédure qui a donné lieu le 27 juin 2024 au jugement entrepris, après jugement avant dire droit en date du 9 avril 2024.
* Le 30 mai 2023, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société S2IA.
A l'issue d'une période d'observation d'une année, le tribunal de commerce de Bobigny a, par jugement du 4 juin 2024, arrêté un plan de cession de l'entreprise qui prévoyait la reprise de la quasi-totalité des emplois et, par jugement séparé du même jour, prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire de la société S2IA, en désignant Maître [N] [L] en qualité de liquidateur judiciaire.
Il est précisé que ces décisions du tribunal de commerce de Bobigny ne sont pas produites à hauteur de cour, mais que le jugement du 30 mai 2023 a été communiqué en première instance, jugement dont il ressort notamment que l'administrateur judiciaire avait une mission d'assistance.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour précise que le jugement déféré n'est pas critiqué en ce qu'il a fixé les créances suivantes de M. [D] au passif du redressement judiciaire de la société S2IA':
- 352,89 euros au titre de ses frais de déplacement,
- 6.591,93 euros bruts à titre de salaire pour la période du 1er septembre 2022 au 10 janvier 2023,
- 659,19 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 3.370,74 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
de sorte que la cour n'est pas saisie de ces chefs du jugement.
1- Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail':
A l'appui de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, M. [D] se prévaut du retard de paiement de ses salaires à compter du mois de juin 2022 ainsi que du défaut de paiement de ses frais de déplacement, puis du non-paiement de ses salaires durant plusieurs mois et de l'absence d'exécution de bonne foi du contrat de travail par l'employeur l'ayant placé dans l'impossibilité de travailler.
Le liquidateur judiciaire poursuit la confirmation du jugement déféré sur ce point. S'il admet que l'employeur a reconnu en première instance être redevable des indemnités d'activité partielle pour la période de septembre à décembre 2022, pour autant le liquidateur fait essentiellement valoir que le salarié a d'abord refusé la proposition de l'employeur de le muter sur un autre secteur en septembre 2022 comme le permettait le contrat, qu'il n'a ensuite jamais donné suite à la demande de l'employeur, transmise le 10 janvier 2023, de se présenter sur un poste de travail dans le département 74 et qu'il n'est dès lors pas resté à la disposition de l'employeur, travaillant au contraire pour son propre compte en autoentreprise depuis le 28 novembre 2022 et pour d'autres entreprises concurrentes comme en atteste le courriel du 18 avril 2023 de la société d'intérim Adéquat intérim et recrutement, qui effectuait un contrôle de référence à la demande d'un recruteur.
Il soutient que ces circonstances expliquent que le salarié ait attendu 9 mois pour citer en justice son employeur alors qu'il soutenait avoir subi un préjudice du fait de cette rupture.
Il ajoute que la mise en demeure de justifier des raisons de ses absences, qui a été adressée au salarié le 6 octobre 2023 sous pli recommandé, est restée sans réponse.
L'AGS sollicite également la confirmation de la décision attaquée en relevant que M. [D], privé de ses salaires depuis septembre 2022 et se disant en proie à des difficultés financières, n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 7 juin 2023, qu'il ne démontre pas avoir travaillé pour le compte de son employeur postérieurement au 10 janvier 2023 et que la relation de travail a manifestement pris fin, le salarié travaillant depuis le 28 novembre 2022 en autoentreprise, ainsi qu'en intérim pour la société Crit du 5 juin 2023 au 13 juillet 2023.
En outre, les intimés font tous deux observer que M. [D] n'a pas déféré en première instance à l'injonction de comparaître personnellement.
Après avoir relevé que M. [D] avait bien exercé une activité d'autoentrepreneur et bénéficié à ce titre de versements d'une société Up Télécom (1.990,80 euros le 10 janvier 2023, 3.033,45 euros le 14 février 2023, 1.500 euros le 28 février 2023 et 600 euros le 7 avril 2024 (en réalité le 7 avril 2023)), qu'il avait également travaillé en intérim pour la société Crit du 5 juin 2023 au 13 juillet 2023 et que dès lors on pouvait «'légitimement s'interroger sur la poursuite ou la rupture de la relation de travail, comme sur la disponibilité du salarié pour l'entreprise, raison pour laquelle la comparution personnelle de Monsieur [D] aurait permis d'éclairer le conseil de prud'hommes'», les premiers juges ont entendu tirer les conséquences du refus de M. [D] de comparaître personnellement en le déboutant pour cette raison de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
* La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée par le salarié en cas de manquement de l'employeur à ses obligations d'une gravité telle qu'il rend impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements qu'il impute à son employeur.
Au cas présent, le salarié justifie d'abord par plusieurs courriels transmis à son employeur les 18 juillet, 29 juillet, 27 août et 14 septembre 2022 qu'à compter du mois de juin 2022 son salaire lui a été réglé avec un retard de plusieurs semaines, ce qui l'a placé dans une situation financière critique.
L'employeur lui a ainsi répondu le 22 juillet 2022': «'Nous tenons à vous faire part que nous rencontrons actuellement des difficultés financières dues à un blocage de fonds de la part du trésor public. Nous comprenons votre mécontentement ainsi que votre situation, sachez que nous mettons tout en 'uvre pour débloquer la situation. Nous tenons également à vous informer que l'incident sera résolu d'ici le début de la semaine prochaine. Et enfin, nous nous excusons de la gêne occasionnée et de la position dans laquelle vous vous trouvez suite au retard de versement de salaire.'».
Ensuite, il est constant que l'employeur n'a pas payé au salarié ses indemnités d'activité partielle au titre de la période du 6 septembre 2022 au 31 décembre 2022, soit au total un montant net impayé de 4.994,12 euros.
M. [D] se plaint de cette situation dans un courriel du 11 octobre 2022 qui manifestement est resté sans réponse.
La société S2IA sera placée le 30 mai 2023 en redressement judiciaire sans avoir réglé cette créance salariale.
Le grief est donc parfaitement caractérisé.
Pour dénier à ces faits tout caractère de gravité et voir confirmer le rejet de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, le liquidateur judiciaire et l'AGS font essentiellement valoir que le salarié ne s'est plus tenu à la disposition de son employeur, travaillant au contraire pour son propre compte ou pour des entreprises concurrentes, et qu'il a attendu neuf mois pour saisir la juridiction prud'homale.
Ainsi que le rappelle exactement M. [D], il incombe à l'employeur, qui a l'obligation de fournir du travail au salarié, de rapporter la preuve que celui-ci ne se tenait pas à sa disposition au cours de la période litigieuse (Soc. 23 octobre 2013 n° 12-14.237'; Soc. 13 octobre 2021 n° 20-18.903'; Soc. 29 mars 2023 n° 21-18.699).
Or, les circonstances invoquées par le liquidateur judiciaire et l'AGS ne suffisent pas à l'établir.
En premier lieu, il ne peut être tiré aucun argument du fait que le salarié a refusé en septembre 2022 d'être muté à [Localité 6].
Si le contrat de travail prévoit en son article 3 que si l'activité le demande, M. [D] pourra être amené à faire des déplacements sur les chantiers en cours de l'entreprise, et ce au niveau national, son article 10 stipule que M. [D] travaillera dans la région de [Localité 5].
Ces stipulations ne sont pas de nature à permettre à l'employeur de muter unilatéralement le salarié dans une autre région, de sorte qu'une telle mutation constitue une modification du contrat de travail requérant l'acceptation expresse du salarié, qui était parfaitement en droit de la refuser.
En deuxième lieu, l'absence de réponse du salarié à la demande de l'employeur, transmise le 10 janvier 2023, de se présenter sur un poste de travail dans le département 74 ne peut lui être utilement opposée.
En effet, l'ordre de mission transmis le 10 janvier 2023 au salarié en vue de l'installation de fibre optique et du raccordement des abonnés dans le département 74 pour une durée minimale de deux mois avec hébergement en hôtel ne peut s'analyser comme un simple déplacement sur un chantier en cours de l'entreprise et méconnaît dès lors l'article 10 susvisé de son contrat de travail.
A supposer même que cette affectation unilatérale sur un poste de travail dans le département 74 entre dans les prévisions du contrat de travail, M. [D] est en tout état de cause fondé à soutenir que son absence est justifiée par le défaut de paiement de ses salaires depuis septembre 2022.
Ce faisant, il oppose à juste titre à son employeur une exception d'inexécution, au sens de l'article 1219 du code civil, de sorte qu'il ne saurait être considéré qu'il ne se tenait plus à la disposition de son employeur.
En troisième lieu, dans de telles conditions constitutives d'une privation totale de salaires, la recherche par le salarié d'une occupation rémunérée, que ce soit dans le cadre d'une activité exercée en nom propre ou dans celui d'un travail intérimaire, n'est pas fautive et ne l'empêchait pas d'être à la disposition de son employeur dès que lui serait réglé l'arriéré de salaires.
En quatrième lieu, la saisine de la juridiction prud'homale moins de six mois après la mise en demeure délivrée à l'employeur de régler les salaires impayés n'est pas tardive, alors que le manquement de l'employeur persistait à cette date.
En cinquième lieu, l'AGS n'est pas fondée à soutenir que le contrat de travail a pris fin à cette période, alors que l'employeur a par lettre du 6 octobre 2023 mis en demeure le salarié de reprendre le travail dans les plus brefs délais et de justifier de son absence.
Enfin, compte tenu des éléments factuels portés à sa connaissance en exécution de sa décision avant dire droit du 9 avril 2024, le conseil de prud'hommes ne pouvait débouter M. [D] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail au seul motif qu'il n'a pas déféré à l'injonction de comparaître personnellement, d'autant que l'administrateur judiciaire et le président de la société S2IA, qui étaient soumis à la même injonction, n'y ont pas davantage déféré.
Le retard de paiement de salaire pendant plusieurs semaines au cours de l'été 2022 puis le défaut de paiement des salaires durant une période continue de quatre mois entre septembre 2022 et décembre 2022 constituent un manquement grave de l'employeur à ses obligations rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré de ce chef et statuant à nouveau, de prononcer la résiliation du contrat de travail de M. [B] [D] aux torts exclusifs de l'employeur et de dire qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2- Sur la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail':
En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat de travail n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur (Soc. 21 septembre 2017 n° 16-10.346'; Soc. 8 septembre 2021 n° 20-16.830).
Au cas présent, il est rappelé que la société S2IA a été placée le 30 mai 2023 en redressement judiciaire et qu'en application de l'article L. 622-7 du code de commerce, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture.
L'employeur justifie que pendant la période d'observation, par lettre adressée le 6 octobre 2023 sous pli recommandé avec avis de réception et distribuée le 12 octobre 2023, il a mis en demeure le salarié de reprendre le travail dans les plus brefs délais et de justifier de son absence, courrier auquel le salarié n'a pas répondu.
Il justifie ainsi suffisamment qu'à compter du 12 octobre 2023, M. [D] ne se tenait plus à sa disposition, le salarié ne s'étant pas davantage manifesté ultérieurement auprès de lui ou des organes de la procédure collective.
Il résulte de ces circonstances qu'à partir de cette date, le salarié n'était plus au service de son employeur.
Il convient dans ces conditions de fixer au 12 octobre 2023 la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail.
3- Sur l'arriéré de salaires à compter du 11 janvier 2023':
M. [D] sollicite paiement de la somme brute de 33.919,42 euros, outre congés payés y afférents, à titre de paiement des salaires du 11 janvier 2023 au 29 février 2024.
Mais la cour a retenu ci-avant que M. [D] n'était plus au service de son employeur à partir du 12 octobre 2023.
Il s'ensuit que le rappel de salaires n'est dû que pour la période ayant couru du 11 janvier 2023 au 12 octobre 2023.
Comme le soutient exactement le salarié, son salaire moyen brut mensuel, calculé sur la base des douze derniers mois précédant la période d'activité partielle non réglée, s'élève à 2.512,55 euros.
La cour retient donc ce salaire de référence pour le calcul des salaires et indemnités dus au salarié.
Infirmant le jugement déféré de ce chef, il convient de fixer les créances salariales de M. [D] au titre de cet arriéré de salaires au passif de la liquidation de la société S2IA comme suit':
- 22.780,45 euros bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 11 janvier 2023 au 12 octobre 2023,
- 2.278,05 euros au titre des congés payés afférents.
4- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail':
Ainsi qu'il a été dit, la résiliation du contrat de travail de M. [B] [D] aux torts exclusifs de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et sa date d'effet a été fixée au 12 octobre 2023.
4-1- Sur l'indemnité compensatrice de préavis':
La durée du préavis étant de deux mois, le salarié a droit à la somme de 5.025,10 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 502,51 euros au titre des congés payés y afférents.
Ces créances seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société S2IA.
4-2- Sur l'indemnité de licenciement':
Le salarié a droit à une indemnité de licenciement calculée conformément aux dispositions des articles R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail.
Le préavis étant en l'espèce d'une durée de deux mois, l'ancienneté à prendre en compte pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement est de 4 ans et 1 mois.
En conséquence, M. [D] a droit à une indemnité légale de 2.564,89 euros, créance qu'il convient de fixer également au passif de la liquidation judiciaire de la société S2IA.
4-3- Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse':
Aux termes des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et à défaut de réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
Ce barème prend en considération les années complètes d'ancienneté acquises à la date de notification du licenciement ou en l'espèce à la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail.
Il est rappelé que le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse subit nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue (Soc. 13 septembre 2017 n°16-13.578'; Soc. 18 mai 2022 n° 20-19.524).
En l'espèce, à la date d'effet de la résiliation judiciaire, M. [D] âgé alors de 50 ans avait une ancienneté de trois ans en années complètes. Il peut donc prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 et 4 mois de salaire brut.
Il ne justifie pas de sa situation postérieure à la rupture de son contrat de travail.
Dans ces conditions, sur la base du salaire de référence retenu, il convient de lui allouer la somme de 7.537,65 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de l'employeur.
Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de toutes ses demandes indemnitaires.
4-4- Sur le reliquat au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés':
M. [D] expose qu'au 29 février 2024 il dispose d'un reliquat de 63 jours de congés payés non pris qu'il convient de lui régler, soit la somme de 2.960,88 euros bruts, selon le calcul suivant': 2.512,55/[Immatriculation 4] ' 3.370,74 euros, la déduction de 3.370,74 euros représentant la somme qui lui a d'ores et déjà été allouée à ce titre en première instance.
Mais d'une part, la cour a retenu que le salarié n'était plus au service de son employeur à partir du 12 octobre 2023, de sorte qu'il ne saurait obtenir une indemnité compensatrice de congés payés pour une période postérieure à cette date.
D'autre part, le salarié ne peut tout à la fois réclamer les congés payés à hauteur de 10'% sur l'arriéré de salaires afférent à la période du 1er septembre 2022 au 10 janvier 2023 (congés payés d'ores et déjà alloués par les premiers juges) ainsi que sur l'arriéré de salaires dû pour la période ayant couru à compter du 11 janvier 2023 (congés payés alloués ci-avant par la cour jusqu'au 12 octobre 2023) et un reliquat de congés payés non pris à la fin de la période contractuelle, ce qui reviendrait à lui payer deux fois ses congés payés.
En outre, force est de constater que les premiers juges se sont trompés en ce qu'ils ont alloué deux fois la somme de 659,19 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er septembre 2022 au 10 janvier 2023, étant rappelé que ces chefs du jugement ne sont pas critiqués.
Dans ces conditions, la cour retient que M. [D] a été rempli de ses droits et le déboute de sa demande au titre d'un reliquat de congés payés non pris, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.
5- Sur la remise des documents de fin de contrat':
Compte tenu des développements qui précèdent, il y a lieu d'enjoindre à Me [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA de remettre à M. [D] des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a implicitement rejeté la demande de remise des documents de fin de contrat.
6- Sur la garantie de l'AGS':
Tirant les conséquences de l'arrêt rendu le 22 février 2024 (aff. C-125/23) par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a interprété la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, la chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement par deux arrêts en date du 8 janvier 2025 (n° 20-18.484 et n° 23-11.417), aux termes desquels elle juge désormais que l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 du code du travail couvre les créances impayées résultant de la rupture d'un contrat de travail, lorsque le salarié prend acte de la rupture de celui-ci ou obtient sa résiliation judiciaire en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et que la rupture intervient pendant l'une des périodes visées à l'article L. 3253-8 2° du même code.
Au cas présent, si le liquidateur n'a pas notifié son licenciement à M. [D], la cour a retenu ci-avant que le manquement de l'employeur à ses obligations était d'une gravité telle qu'il rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle et qu'il y avait lieu de prononcer la résiliation du contrat de travail de M. [B] [D] aux torts exclusifs de l'employeur, de dire qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de fixer sa date d'effet au 12 octobre 2023.
La rupture du contrat de travail de M. [D] est dès lors intervenue pendant la période d'observation, soit pendant l'une des périodes visées à l'article L. 3253-8 2° du code du travail.
Il s'ensuit que l'AGS doit sa garantie, dans les limites et conditions légales de celle-ci, pour les créances de M. [D] fixées par le présent arrêt au passif de la liquidation judiciaire de la société S2IA au titre de la rupture de son contrat de travail.
Il en est de même en application de l'article L. 3253-8 1° pour les sommes dues au salarié à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective (créances antérieures) et en application de l'article L. 3253-8 5°, dans la limite maximale d'un montant correspondant à un mois et demi de travail, pour les créances de salaire dues au cours de la période d'observation.
En conséquence, il y a lieu de dire que l'AGS doit sa garantie, dans la limite du plafond applicable, pour les créances suivantes':
- les créances salariales dues à M. [D] à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire';
- les salaires dus à M. [D] pendant la période d'observation dans la limite d'un mois et demi de salaire';
- les sommes dues à M. [D] au titre de la rupture de son contrat de travail, qui est intervenue le 12 octobre 2023 au cours de la période d'observation.
7- Sur la demande reconventionnelle présentée par le liquidateur':
Me [L] ès qualités sollicite en cause d'appel la condamnation de M. [D] à lui payer la somme de 4.728,37 euros correspondant à la valeur des matériels qu'il a conservés sans juste raison.
Le liquidateur expose que le conseil de prud'hommes n'a pas fait droit à la demande de restitution sous astreinte de ce matériel, sans motiver ce débouté, que cette absence de restitution a eu un coût pour l'entreprise et que tant la dépréciation de ce matériel que la liquidation judiciaire de l'entreprise rendent cette demande de restitution obsolète.
Pour s'opposer à la demande en appel du liquidateur, M. [D] répond que le conseil de prud'hommes a débouté Me [N] [L] de sa demande, que celle-ci n'a pas sollicité dans le dispositif de ses conclusions l'infirmation du jugement sur ce point et que la cour n'est donc saisie d'aucun appel incident.
En réalité, les premiers juges n'ont manifestement pas statué sur la demande de restitution d'outils présentée par le mandataire judiciaire parce que ce dernier n'a pas comparu à l'audience du 16 mai 2024, de sorte qu'ils ont considéré ne pas en être saisis, cette demande n'étant d'ailleurs pas mentionnée dans le jugement du 27 juin 2024. La cour relève qu'en revanche elle est rappelée dans le jugement avant dire droit du 9 avril 2024.
Si la demande reconventionnelle présentée en appel par le liquidateur est recevable en application de l'article 567 du code de procédure civile dans la mesure où elle se rattache à sa prétention originaire par un lien suffisant au sens de l'article 70 du code de procédure civile, elle est en revanche mal fondée.
En effet, le liquidateur, qui ne formalise pas une demande de dommages-intérêts, ne saurait obtenir le remboursement du prix d'achat des outils considérés alors qu'il explique lui-même qu'une demande de restitution ne présente plus aucun intérêt en raison de la dépréciation dudit matériel.
Le liquidateur sera en conséquence débouté de sa demande reconventionnelle.
8- Sur les frais irrépétibles et les dépens':
La décision attaquée sera confirmée en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer à M. [D] la somme de 1.500 euros, à la charge du liquidateur et de l'AGS, au titre des frais irrépétibles qu'il a dû exposer en cause d'appel.
Parties perdantes, le liquidateur, qui n'obtiendra aucune indemnité sur ce fondement, et l'AGS supporteront les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme, en ses dispositions frappées d'appel, le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté partiellement M. [B] [D] de sa demande en paiement d'un reliquat de congés payés et en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance';
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Prononce la résiliation du contrat de travail de M. [B] [D] aux torts exclusifs de la société S2IA';
Fixe la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail au 12 octobre 2023';
Dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse';
Fixe les créances de M. [B] [D] au passif de la liquidation de la société S2IA comme suit':
- 22.780,45 euros bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 11 janvier 2023 au 12 octobre 2023,
- 2.278,05 euros au titre des congés payés afférents,
- 5.025,10 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 502,51 euros au titre des congés payés y afférents,
- 2.564,89 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 7.537,65 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Déboute M. [B] [D] de sa demande au titre d'un reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés';
Enjoint à Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA de remettre à M. [B] [D] des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt';
Dit n'y avoir lieu à astreinte de ce chef';
Dit que l'AGS doit sa garantie, dans la limite du plafond applicable, pour les créances suivantes':
- les créances salariales dues à M. [B] [D] à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire';
- les salaires dus à M. [B] [D] pendant la période d'observation dans la limite d'un mois et demi de salaire';
- les sommes dues à M. [B] [D] au titre de la rupture de son contrat de travail, intervenue le 12 octobre 2023 au cours de la période d'observation';
Déboute Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 4.728,37 euros correspondant à la valeur des matériels conservés';
Condamne Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA et l'AGS à payer à M. [B] [D] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamne Me [N] [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société S2IA et l'AGS aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le quatre novembre deux mille vingt cinq et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,