CA Rennes, 3e ch. com., 4 novembre 2025, n° 25/02669
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Epiloderm France (SAS)
Défendeur :
Laboratoire De Cosmetologie Moderne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Ramin, M. Brun
Avocats :
Me Verrando, Me Boissonnet
Les sociétés Laboratoire de cosmétologie moderne (ci-après LCM) et Epiloderm France ont entretenu des relations commerciales.
La société LCM, après un changement de dirigeant, a réclamé à la société Epiloderm France des factures impayées émises entre le 13 juin 2023 et le 17 août 2023 pour un montant total de plus de 400 000 euros.
Malgré des discussions au cours de l'été 2023, les parties ne sont pas parvenues à s'accorder sur la somme due et les conditions du paiement.
Par ordonnance du 27 décembre 2023, sur requête de la société LCM, le président du tribunal de commerce de Nantes a enjoint la société Epiloderm France à payer à la société LCM la somme réclamée de 422 615,83 euros.
La société Epiloderm France a formé opposition et a soulevé, in limine litis, une exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Rennes au motif de sa compétence pour statuer en raison de sa demande reconventionnelle en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales.
Par jugement du 28 avril 2025, le tribunal de commerce de Nantes a :
- jugé qu'il n'y a pas de rupture brutale des relations commerciales aux torts de la société Laboratoire de cosmétologie moderne - LCM et qu'en conséquence les dispositions de l'article L.442-1 et du décret D.442-2 du code de commerce ne s'appliquent pas à l'espèce,
- s'est déclaré compétent pour juger du litige entre les sociétés LCM et Epiloderm France,
- dit qu'à défaut d'appel dans le délai légal de quinze jours à compter de la notification du présent jugement l'affaire sera renvoyée devant le tribunal pour plaidoirie à l'audience du 23 juin 2025,
- sursis à statuer sur le fond pour que la société Epiloderm France communique ses conclusions sur le fond,
- convoqué les parties à l'audience du 23 juin 2025 pour entendre leurs plaidoiries,
- sursis à statuer sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens et sur les dépens jusqu'à sa décision sur le fond,
- réservé les dépens de l'instance dont frais de greffe liquidés à 110,08 euros.
Par déclaration du 13 mai 2025, la société Epiloderm France a interjeté appel de cette décision statuant sur la compétence.
Par ordonnance du magistrat délégué par le premier président du 12 juin 2025, la société Epiloderm France a été autorisée à assigner à jour fixe la société LCM pour l'audience du 9 septembre 2025 de la chambre commerciale de la cour d'appel de Rennes.
L'assignation a été délivrée le 23 juin 2025.
Les dernières conclusions de l'appelant ont été déposées le 27 juin 2025 ; celles de l'intimée le 16 juillet 2025.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
La société Epiloderm France demande à la cour de :
- recevoir la société Epiloderm France en son appel, le dire bien fondé et y faisant droit,
- infirmer en toutes ses dispositions critiquées le jugement et plus particulièrement en ce qu'il a :
- jugé qu'il n'y a pas de rupture brutale des relations commerciales aux torts de la société Laboratoire de cosmétologie moderne - LCM et qu'en conséquence les dispositions de l'article L.442-1 et du décret D.442-2 du code de commerce ne s'appliquent pas à l'espèce,
- s'est déclaré compétent pour juger du litige entre les sociétés LCM et Epiloderm France,
- dit qu'à défaut d'appel dans le délai légal de quinze jours à compter de la notification du présent jugement l'affaire sera renvoyée devant le tribunal pour plaidoirie à l'audience du 23 juin 2025,
- sursis à statuer sur le fond pour que la société Epiloderm France communique ses conclusions sur le fond,
- convoqué les parties à l'audience du 23 juin 2025 pour entendre leurs plaidoiries,
- sursis à statuer sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens et sur les dépens jusqu'à sa décision sur le fond,
- réservé les dépens de l'instance dont frais de greffe liquidés à 110,08 euros,
Et statuant à nouveau :
- faire droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société Epiloderm France, dès lors qu'en application de la jurisprudence de la cour de cassation (depuis un arrêt Cass. Com., 18 octobre 2023, n°21-15.378), le tribunal de commerce de Nantes devait soit se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes et surseoir à statuer dans l'attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande reconventionnelle, soit renvoyer l'affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée exclusivement compétente en application des dispositions des articles L 442-1-II, L 442-4-III et D 442-2 du code de commerce, ainsi que le tableau de l'annexe 4-2-1 du code de commerce,
- renvoyer l'affaire devant ledit tribunal de commerce de Rennes,
- débouter la société LCM de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner aux entiers dépens, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit, et à payer à la société Epiloderm France la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour couvrir les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
La société LCM demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- dire et juger que l'exception d'incompétence soulevée par la société Epiloderm France est irrecevable et mal fondée, et confirmer la compétence du tribunal de commerce de Nantes pour connaître du présent litige,
- condamner la société Epiloderm France à verser à la société LCM la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
DISCUSSION
La société Epiloderm France fait valoir que le tribunal de commerce de Nantes devait se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'elle a soulevé à titre reconventionnel, en réponse à la demande en paiement, la responsabilité de la société Epiloderm France au titre d'une rupture brutale de la relation commerciale établie entre les deux sociétés.
L'article L.442-1 II du code de commerce prévoit :
« II.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
L'article L.442-4 III dispose :
« -Les litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ».
L'article D.442-2 dispose :
« Pour l'application du III de l'article L. 442-4, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre (...) »
Cette annexe désigne le tribunal de commerce de Rennes pour statuer sur les litiges relevant du ressort des cours d'appel d'Angers, Caen, Poitiers et Rennes.
La règle découlant de l'application combinée des articles L.442-4, III et D.442-2 du code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l'application des dispositions du I et du II l'article L.442-1, est une règle de compétence d'attribution exclusive.
Il en résulte que, lorsqu'un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente une demande reconventionnelle en invoquant les dispositions de l'article L.442-1 II, la juridiction saisie, si elle n'est pas une juridiction désignée par l'article D.442-2, doit, si son incompétence est soulevée, selon les
circonstances et l'interdépendance des demandes, soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l'attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande, soit renvoyer l'affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée. ( Com., 18 octobre 2023, pourvoi n° 21-15.378)
Il est rappelé que selon l'article 49 du code de procédure civile, toute juridiction saisie d'une demande de sa compétence connaît, même s'ils exigent l'interprétation d'un contrat, de tous les moyens de défense à l'exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction.
La société Epiloderm France fait valoir l'existence d'une rupture brutale des relations établies en invoquant :
- le refus par la société LCM de modification de ses factures pour se conformer aux accords tarifaires convenus antérieurement entre les parties,
- le refus de sa proposition de paiements échelonnés,
- le refus d'honorer une commande en cours de 105 000 euros pour permettre la continuation de la relation commerciale.
Le tribunal compétent devra vérifier les conditions tarifaires entre les parties pour apprécier les arguments à l'appui de l'existence de la rupture brutale ; de cette vérification dépendra également le calcul du montant dû au titre des factures réclamées.
Il s'en évince que les demandes principales et reconventionnelles sont interdépendantes de sorte que l'ensemble du litige doit être renvoyé devant le tribunal de commerce de Rennes seul compétent, en application des articles susvisés, pour statuer sur la rupture abusive d'une relation commerciale établie.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il s'est déclaré compétent et a renvoyé l'affaire au fond.
Dépens et frais irrépétibles
Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a réservé les dépens et sursis sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant principalement à l'instance d'appel, la société LCM sera condamnée aux dépens de l'appel lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile. L'équité commande de rejeter les demandes au titre des frais irrépétibles de l'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement en ce qu'il a :
- jugé qu'il n'y a pas de rupture brutale des relations commerciales aux torts de la société Laboratoire de cosmétologie moderne - LCM et qu'en conséquence les dispositions de l'article L.442-1 et du décret D.442-2 du code de commerce ne s'appliquent pas à l'espèce,
- s'est déclaré compétent pour juger du litige entre les sociétés LCM et Epiloderm France,
- dit qu'à défaut d'appel dans le délai légal de quinze jours à compter de la notification du présent jugement l'affaire sera renvoyée devant le tribunal pour plaidoirie à l'audience du 23 juin 2025,
- sursis à statuer sur le fond pour que la société Epiloderm France communique ses conclusions sur le fond,
- convoqué les parties à l'audience du 23 juin 2025 pour entendre leurs plaidoiries,
Confirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare le tribunal de commerce de Nantes incompétent,
Renvoie l'affaire entre la société Epiloderm France et la société Laboratoire de cosmétologie moderne devant le tribunal de commerce de Rennes,
Condamne la société Laboratoire de cosmétologie moderne aux dépens de l'instance d'appel,
Rejette les demandes formées au titre des frais irrépétibles de l'appel,