Cass. 1re civ., 5 novembre 2025, n° 23-19.143
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Y (Époux)
Défendeur :
Crédit agricole mutuel (CRCAM), CNP assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Champalaune
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocats :
SCP Delamarre et Jehannin, SAS Boucard-Capron-Maman, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 4 mai 2023), le 13 juin 2008, la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes-d'Armor (la banque) a consenti à M. et Mme [Y] (les emprunteurs) un premier prêt immobilier n° [XXXXXXXXXX01] (le prêt n° 1) destiné à l'acquisition de leur habitation principale, puis, le 18 mai 2013, un second prêt immobilier n° 003 85979814 (le prêt n° 2) destiné au financement des travaux de leur habitation principale, tous deux ayant donné lieu à la souscription d'un contrat d'assurance groupe auprès de la société CNP assurances (l'assureur).
2. Le 28 février 2015, les emprunteurs ont sollicité la résiliation de leurs contrats d'assurance, indiquant avoir souscrit une assurance externe auprès d'une autre société, dont ils demandaient la substitution, et ont réduit leurs paiements à hauteur du montant de l'échéance des prêts hors assurance. Après avoir indiqué aux emprunteurs qu'ils ne pouvaient pas formuler une telle demande, la banque a poursuivi l'imputation de leurs paiements sur les cotisations d'assurance des prêts.
3. Leur reprochant un défaut de paiement des échéances des prêts, la banque a inscrit les emprunteurs au Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (le FICP).
4. Les emprunteurs ont assigné la banque et l'assureur en vue de faire lever cette inscription et les condamner in solidum à indemniser leur préjudice.
5. Après une mise en demeure du 22 juin 2017 d'avoir à régler les échéances et intérêts impayés, la banque a informé les emprunteurs de la déchéance du terme des deux prêts par une lettre du 21 juillet 2017.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième et quatrième moyens, cinquième moyen pris en sa première branche, sixième moyen pris en sa première branche, septième, huitième et neuvième moyens
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur les cinquième et sixième moyens, pris en leur troisième branche, réunis
Enoncé du moyen
7. Par leur cinquième moyen, les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de leurs prétentions et de les condamner solidairement à payer à la banque, au titre du prêt n° 1 une somme de 140 326,24 euros, outre intérêts au taux de 4,20 % l'an à compter du 30 octobre 2018 et la somme de 10 371,53 euros au titre de l'indemnité contractuelle de 7 %, alors « que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt ; qu'en l'espèce, pour juger régulière la déchéance du terme prononcée par la banque, la cour d'appel a relevé que la clause de déchéance du terme du prêt du 13 juin 2008 prévoyait une faculté pour la banque de prononcer la déchéance du terme en cas de défaillance dans le remboursement « malgré une mise en demeure de régulariser, adressée à l'emprunteur par tous moyens et restée sans effet pendant quinze jours » et qu'est « versée aux débats une lettre du 22 juin 2017 adressée aux emprunteurs visant les deux prêts, mentionnant le fait qu'au 22 juin 2017 demeuraient dus 1 048,51 euros et 2 271,36 euros au titre de ceux-ci, et mettant les emprunteurs en demeure de régler la somme totale de 3 319,87 euros dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la lettre, à défaut de quoi « l'intégralité des sommes dues au titre du prêt deviendra de plein droit exigible conformément aux dispositions de la clause de déchéance du terme stipulée » »; que la cour d'appel a encore retenu que « le moyen tiré de l'incohérence de l'état récapitulatif de leurs dettes et de l'absence d'arriéré au jour de la déchéance du terme est également inopérant, alors que nonobstant la discussion sur son quantum, le principe de cette dette au jour de la déchéance du terme le 22 juin 2017 ainsi que l'absence de régularisation de celle-ci, s'évince nécessairement de l'absence de règlement intégral des sommes dues au titre des deux prêts, comme précédemment démontré » ; qu'en statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001, applicable en la cause. »
8. Par leur sixième moyen, les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de leurs prétentions et de les condamner solidairement à payer à la banque, au titre du prêt n° 2 une somme de 70 873,87 euros, outre intérêts au taux de 2,92 % l'an à compter du 30 octobre 2018 et la somme de 5 467,84 euros au titre de l'indemnité contractuelle de 7 %, alors « que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt ; qu'en l'espèce, pour juger régulière la déchéance du terme prononcée par la banque, la cour d'appel a relevé que la clause de déchéance du terme du prêt du 18 mai 2013 prévoyait une faculté pour la banque de prononcer la déchéance du terme en cas de défaillance dans le remboursement "après mise en demeure restée infructueuse pendant quinze jours en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues" et qu'est « versée aux débats une lettre du 22 juin 2017 adressée aux emprunteurs visant les deux prêts, mentionnant le fait qu'au 22 juin 2017 demeuraient dus 1 048,51 euros et 2 271,36 euros au titre de ceux-ci, et mettant les emprunteurs en demeure de régler la somme totale de 3 319,87 euros dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la lettre, à défaut de quoi "l'intégralité des sommes dues au titre du prêt deviendra de plein droit exigible conformément aux dispositions de la clause de déchéance du terme stipulée" » ; qu'en statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article R. 632-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 :
9. Selon le premier de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
10. Selon le second, le juge écarte d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat.
11. La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, 4 juin 2009, C-243/08).
12. Cette obligation est désormais consacrée par le second texte, aux termes duquel le juge écarte d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat.
13. Par arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14), la CJUE a dit pour droit que l'article 3, § 1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs devait être interprété en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.
14. Par arrêt du 8 décembre 2022 (C-600/21), elle a dit pour droit que l'arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu'il dégageait pour l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.
15. Pour rejeter les prétentions des emprunteurs fondées sur le caractère abusif de la déchéance du terme prononcée dans chacun des prêts et condamner solidairement les emprunteurs à payer à la banque certaines sommes à ce titre, l'arrêt constate que dans le prêt n° 1 du 13 juin 2008, la clause relative à la déchéance du terme stipule que « le prêteur aura la possibilité de se prévaloir de l'exigibilité immédiate du présent prêt en capital, intérêts et accessoires en cas de non paiement des sommes exigibles ou d'une seule échéance, malgré une mise en demeure de régulariser, adressée à l'emprunteur par tous moyens et restée sans effet pendant quinze jours » et dans le contrat de prêt n° 2 du 18 mai 2013, que la clause de déchéance du terme stipule que « le prêteur pourra se prévaloir de l'exigibilité immédiate du prêt, en capital, intérêts et accessoires, sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant quinze jours en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues en vertu du/des prêts du présent financement ». ll retient que le non paiement des sommes exigibles au titre du prêt n° 1 du 13 juin 2008 et la défaillance dans le remboursement des sommes dues au titre du prêt n° 2 du 18 mai 2013, tels qu'exigés par les dispositions contractuelles précitées, sont caractérisés et en déduit que c'est à bon droit que la banque a prononcé la déchéance du terme le 22 juin 2017.
16. En statuant ainsi, sans examiner d'office le caractère abusif de telles clauses autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre des prêts sans préavis d'une durée raisonnable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation du chef de dispositif confirmant le jugement en ce qu'il condamne les emprunteurs à payer à la banque certaines sommes au titre des prêts n° 1 et n° 2 n'emporte pas celle des autres chefs de dispositif de l'arrêt, confirmant le jugement dans ses autres dispositions jugeant que la capitalisation des intérêts échus s'applique pour une année entière, rejetant les demandes des emprunteurs relatives à leur inscription au FICP et la demande de dommages-intérêts de la banque pour procédure abusive, déclarant irrecevables comme nouvelles en appel les demandes de résiliation judiciaire du contrat d'assurance souscrit en garantie du prêt n° 2 et de remboursement des sommes indûment prélevées pour le règlement des assurances l'assureur garantissant le prêt n° 2, condamnant les emprunteurs aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'assureur, cette dernière condamnation étant justifiée par les chefs de dispositifs de l'arrêt non remis en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne solidairement M. et Mme [Y] à payer à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes-d'Armor, au titre du prêt n° [XXXXXXXXXX01], la somme de 140 326,24 euros, outre intérêts au taux de 4,20 % l'an à compter du 30 octobre 2018 et la somme de 10 371,53 euros au titre de l'indemnité contractuelle de 7 %, et, au titre du prêt n° 00385979814, la somme de 70 873,87 euros, outre intérêts au taux de 2,92 % l'an à compter du 30 octobre 2018 et la somme de 5 467,84 euros au titre de l'indemnité contractuelle de 7 %, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes-d'Armor, l'arrêt rendu le 4 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes-d'Armor aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes-d'Armor et la condamne à payer à M. et Mme [Y] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le cinq novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.